La réunion

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La séance est ouverte à dix heures.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

La Commission examine la proposition de loi relative à la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise (n° 2033) (M. Jean Terlier, rapporteur).

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La proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine semaine de l'Assemblée nationale, le 30 avril prochain, à la demande du groupe Renaissance. Son dépôt a été motivé par la censure du Conseil constitutionnel d'une disposition équivalente du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, qui a été considérée comme un cavalier législatif.

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Le dispositif sur la confidentialité des consultations rédigées par les juristes d'entreprise a été adopté par le Parlement lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Considéré comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel, il a malheureusement été censuré. Le dispositif que nous examinons aujourd'hui est celui qui avait été adopté par l'Assemblée nationale à la suite du dépôt de quatre amendements – trois par le groupe majoritaire et un par le groupe Les Républicains. Il était très différent de celui adopté par le Sénat, mais, dans le cadre de la commission mixte paritaire, nous avions réussi à convaincre nos collègues sénateurs d'adopter les mesures retenues à l'Assemblée.

Le Sénat a repris ce dispositif en y apportant quelques modifications. J'ai souhaité cependant, par respect pour le travail accompli à l'Assemblée nationale en première lecture de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, déposer une proposition de loi reprenant ces mesures pour que nous ayons l'opportunité de nous prononcer comme première assemblée saisie.

J'ai entendu, au cours des auditions, les inquiétudes exprimées par diverses parties, notamment les avocats et les autorités administratives indépendantes. Je constate, au vu des six amendements de suppression déposés par différents groupes, que ces inquiétudes ont trouvé des relais auprès de certains d'entre vous. J'aimerais donc en préambule vous indiquer tout ce que cette proposition de loi n'est pas afin d'essayer de lever vos inquiétudes.

Elle n'est pas une première étape vers la création d'une nouvelle profession réglementée de juriste d'entreprise. Lors des auditions des représentants des avocats, nous avons été très clairs : toutes les mesures posant difficulté, notamment sur la déontologie et sur la formation, n'ont pas été retenues dans cette proposition de loi.

Elle n'étend pas aux juristes d'entreprise le secret professionnel qui protège l'ensemble des échanges entre un avocat et son client, puisque la confidentialité n'est pas attachée à la personne mais aux consultations que le professionnel rédige à destination de son entreprise. Autrement dit, il s'agit d'une confidentialité in rem et non in personam. Par ailleurs, à la différence du secret professionnel des avocats, cette confidentialité n'est pas absolue. L'avocat ne peut, de son propre chef, lever le secret professionnel, alors que la proposition de loi prévoit une procédure de levée de la confidentialité, en cas de contrôle, par exemple, d'une autorité administrative indépendante. En outre, le périmètre de la confidentialité est limité aux procédures civiles, commerciales et administratives, et exclut les procédures pénales et fiscales. Enfin, cette confidentialité est restreinte à la relation du juriste salarié avec les dirigeants de son entreprise.

Cette proposition de loi n'est pas contraire au droit européen. L'arrêt Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd contre Commission européenne, rendu en 2010 par la Cour de justice de l'Union européenne, n'interdit pas aux États membres de prévoir dans leur droit interne la confidentialité des consultations rédigées par les avocats internes et les juristes d'entreprise. Cet arrêt écarte simplement cette confidentialité lorsque les autorités de contrôle de l'Union européenne font usage de leurs pouvoirs de contrôle. La Cour elle-même constate, dans cet arrêt, que plusieurs États membres ont fait le choix de cette confidentialité, sans s'en émouvoir particulièrement. Nous préciserons par ailleurs que la confidentialité est inopposable dans le cadre d'une procédure engagée par une autorité européenne.

Enfin, cette proposition de loi ne conduit pas à la création d'une boîte noire au sein des entreprises, au contraire : elle encadre cette confidentialité de plusieurs garanties. Pour en bénéficier, les juristes d'entreprise devront en effet avoir suivi une formation spécifique. Surtout, cette confidentialité n'est pas absolue. Elle n'est pas opposable dans le cadre d'une procédure pénale ou fiscale : l'entreprise aura l'obligation de produire l'intégralité des consultations demandées par l'administration ou la justice. Par ailleurs, la levée de confidentialité peut être demandée au juge, que ce soit dans le cadre d'un litige civil ou commercial ou dans celui d'une procédure menée par une autorité administrative indépendante. Selon la procédure en cours, le président de la juridiction ou le juge des libertés et de la détention (JLD) se prononcera après avoir examiné les consultations visées. L'article prévoit également la possibilité pour l'entreprise elle-même de renoncer à la confidentialité.

Je présenterai plusieurs amendements, qui s'inspirent des travaux conduits par le Sénat. Ils visent à rassurer les avocats sur le fait que cette proposition de loi ne porte pas atteinte au secret professionnel et ne crée pas une nouvelle profession réglementée. Ils visent également à conforter le pouvoir de contrôle des autorités administratives lorsqu'elles demandent la levée de la confidentialité.

L'un de ces amendements propose une nouvelle procédure de levée de la confidentialité, qui permet de placer sous la garde d'un commissaire de justice les consultations dont la confidentialité est contestée, ce qui garantit qu'elles ne seront pas altérées ou détruites dans l'attente de la décision du juge sur la levée de la confidentialité. Je donnerai également un avis favorable à l'amendement de Mme Yadan qui prévoit une disposition transitoire pour les juristes d'entreprise ne satisfaisant pas aux conditions de diplôme exigées car ils sont entrés en poste avec une maîtrise en droit ou un master 1 et non avec un master 2. À l'inverse, ayant entendu les inquiétudes exprimées par les avocats à la suite de l'adoption de la proposition de loi du sénateur Louis Vogel, je serai défavorable à ce que la formation des juristes d'entreprise soit assurée par les centres régionaux de formation professionnelle d'avocats. Un autre amendement permettra enfin de supprimer la référence à la déontologie.

Le dispositif proposé est l'aboutissement de nombreux rapports et initiatives législatives, mais je n'en mentionnerai que deux.

Raphaël Gauvain, dans son rapport remis au Premier ministre en 2019 alors qu'il était député, considère que l'absence de confidentialité des avis rendus par les juristes d'entreprise est une vulnérabilité pour les entreprises françaises, qui sont à la merci de leurs concurrents et des investigations de portée extraterritoriale conduites par les autorités étrangères, notamment américaines. C'est aussi un enjeu d'attractivité pour la France, car la plupart de nos partenaires économiques ont intégré dans leur droit un dispositif de confidentialité. Le risque que les entreprises délocalisent leur direction des affaires juridiques est réel.

À ce rapport très éclairant s'ajoute celui rendu par le groupe de travail « justice économique et sociale » des états généraux de la justice qui, outre les enjeux d'attractivité, souligne le risque que les juristes d'entreprise ne jouent pas leur rôle d'alerte au sein de leurs entreprises par peur de l'auto-incrimination lorsqu'ils doivent analyser les faiblesses et les risques auxquels leur entreprise fait face.

Alors que nous faisons peser de plus en plus d'obligations sur les entreprises, il serait paradoxal de ne pas leur donner les moyens de remédier à leurs faiblesses internes. Nous devons donner aux entreprises un espace de respiration. J'espère vous avoir convaincus du bien-fondé de cette proposition de loi.

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« Au métier qu'il connaît, que chacun se consacre », nous rappelait Cicéron. C'est bien l'objet de cette proposition de loi dont Jean Terlier – j'en profite pour saluer l'exceptionnelle qualité de son travail – est rapporteur.

Les juristes d'entreprise et leurs représentants que nous avons pu auditionner partagent la préoccupation de pouvoir pratiquer efficacement leur métier et de préserver la manière de l'exercer. Le rôle des juristes d'entreprise est plus que jamais important car, de plus en plus, les entreprises françaises doivent répondre à des exigences de conformité, dans de très nombreux domaines : gouvernance, protection des données, responsabilité sociale et environnementale, lutte contre le blanchiment de capitaux, entre autres. Toutefois, parmi la grande majorité des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France fait exception par l'absence de toute confidentialité des avis des juristes d'entreprise.

L'article unique de la proposition de loi vise à conférer un caractère confidentiel aux consultations des juristes d'entreprise sans créer une nouvelle profession réglementée. Cette confidentialité est très encadrée : obligation, pour le juriste, de détenir un diplôme de niveau master et de respecter des règles déontologiques ; exclusion des procédures pénales et fiscales du champ d'application ; définition stricte des conditions de levée de la confidentialité ; recours obligatoire à un avocat en cas de contestation de la confidentialité.

Je tiens donc à rassurer nos collègues qui pourraient s'inquiéter de cette proposition de loi : non, elle ne permettra pas de créer une nouvelle profession réglementée, non, elle n'a pas pour objectif de créer un statut d'avocat en entreprise et, enfin, non, la confidentialité ne constitue pas un nouveau secret professionnel attaché à la personne du juriste d'entreprise.

La reconnaissance du caractère confidentiel des consultations des juristes d'entreprise entend répondre à trois objectifs majeurs.

Ce dispositif permettra tout d'abord de renforcer la filière des juristes d'entreprise français et l'attractivité de la France. En effet, de nombreuses directions juridiques choisissent de s'établir en dehors de nos frontières ou de se tourner vers des juristes étrangers – anglo-saxons, bien souvent – du fait de l'absence de confidentialité en France.

Ensuite, ce dispositif nous protégera de l'application extraterritoriale par certaines autorités étrangères, notamment américaines, de leur droit national. Raphaël Gauvain le faisait d'ailleurs observer dans son rapport : « cette lacune fragilise nos entreprises et contribue à faire de la France une cible de choix et un terrain de chasse privilégié pour les autorités judiciaires étrangères. »

Enfin, avec l'émergence de la culture de la conformité et la multiplication des règles auxquelles les entreprises doivent se conformer, leur cadre juridique a évolué. En l'absence de confidentialité des consultations, le juriste d'entreprise se trouve exposé à un risque d'auto-incrimination, qui est prohibée par le droit français, dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative.

Cette proposition de loi présente une évolution nécessaire de notre droit non seulement pour faciliter les conditions de travail des juristes d'entreprise, mais également pour protéger leur exercice face à la concurrence internationale.

Le groupe Renaissance proposera plusieurs amendements visant à préciser le champ d'application du texte et les dispositions transitoires et votera avec enthousiasme en faveur de cette proposition de loi.

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L'article unique de cette proposition de loi vise à instituer un régime de confidentialité des consultations rédigées par les juristes d'entreprise, sous réserve de la réunion de quatre conditions. Les effets attachés à la confidentialité sont l'insaisissabilité, la non-communicabilité et l'inopposabilité de cette consultation dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative, à l'exclusion des procédures ou des litiges en matière pénale et fiscale. Une procédure de contestation de la confidentialité de certains documents liés à un litige civil ou commercial ou à une opération de visite dans le cadre d'une procédure administrative est prévue. Enfin, un délit sanctionne l'apposition frauduleuse de la mention « confidentiel » sur un document exclu du régime de la confidentialité.

D'après l'exposé des motifs, qui ne contient aucune donnée chiffrée, ce dispositif permettrait de lutter contre la délocalisation de la direction juridique des grandes entreprises vers des pays étrangers où les juristes d'entreprise détiennent un legal privilege – l'usage de cet anglicisme étant d'ailleurs révélateur de l'influence du droit anglo-saxon, pourtant inapplicable en France.

Le texte ne vise qu'à libéraliser l'économie, au détriment de la sécurité des citoyens et des entreprises, et tente d'affaiblir les professions réglementées. Il est accueilli favorablement par les représentants des juristes d'entreprise et par le barreau de Paris, mais les autres barreaux français, représentés par la Conférence des bâtonniers ainsi que le Conseil national des barreaux, dénoncent la création d'une nouvelle profession réglementée qui ne dit pas son nom et l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat. L'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ainsi que la Cour des comptes ont également émis un avis défavorable, estimant que leurs pouvoirs de contrôle et d'enquête seraient amoindris. C'est une véritable levée de boucliers.

Le statut du salarié juriste d'entreprise ne relève pas d'une profession réglementée dont l'accès est conditionné à un examen et dont l'exercice est soumis à une obligation déontologique contrôlée. Il se caractérise tout au contraire par un rapport de subordination vis-à-vis de l'employeur exclusif d'une véritable indépendance. Le périmètre de cette confidentialité reste opaque et les procédures de levée de cette dernière sont vecteurs d'incertitude juridique pouvant nuire aux intérêts des petites et moyennes entreprises et, surtout, entraver l'application du régime de droit commun de la preuve garant d'un équilibre dans le procès.

Ce texte porte une véritable atteinte à la profession des avocats. Il est le premier pas vers la création d'un corps professionnel protégé au sein des entreprises qui ne profitera en réalité qu'aux plus grandes d'entre elles, qui sont les seules à avoir les moyens de se doter de services juridiques étoffés pour répondre aux obligations réglementaires renforcées s'imposant à elles du fait de leur taille. Il ne sera en revanche d'aucun avantage pour les petites et moyennes entreprises ni pour les particuliers.

En définitive, ce texte tend à métamorphoser fondamentalement les professions françaises du droit au préjudice des avocats pour servir une économie ultralibérale qui n'enrichit que quelques-uns sans nullement profiter aux Français dans leur ensemble. Nous voterons donc contre.

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La loi étendant le secret des affaires à peine adoptée, vous proposez encore un texte permettant aux entreprises, particulièrement les plus dotées, de ne pas être transparentes grâce à un privilège de confidentialité des échanges entre l'entreprise et le juriste qu'elle emploie. La belle affaire ! Le juriste d'entreprise est, par définition, subordonné à son employeur puisqu'il en est le salarié. À la différence de l'avocat, il n'est pas rattaché à un ordre élu et n'a pas à respecter des principes déontologiques faisant l'objet de formations précises. Grâce à vous, les grandes entreprises, qui seules disposent de moyens pour embaucher des juristes d'entreprise, pourront couvrir leurs pratiques illicites sous le sceau de la confidentialité.

Nous confronterons nos analyses, mais, de notre point de vue, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les échanges entre les juristes et l'entreprise, qui est son employeur, ne peuvent bénéficier de ce privilège de confidentialité en raison du lien de subordination. Ce mot privilège, d'ailleurs, est éloquent : il est à l'image de votre politique, qui est au service de quelques-uns.

Ce privilège permettra aux grandes entreprises de se soustraire au contrôle des juges et des pouvoirs publics en matière civile, commerciale et administrative et entravera les enquêtes des autorités indépendantes, comme l'Autorité des marchés financiers, l'Agence française anticorruption ou l'Autorité de la concurrence. Il permettra aux grandes entreprises de se concocter des sortes de boîtes noires en injectant artificiellement des éléments de droit pour bénéficier de la confidentialité et cacher ainsi des documents accablants derrière un droit à la dissimulation et à l'opacité qui viole les droits des consommateurs et qui ouvre des possibilités de blanchiment d'argent et de corruption alors que vous avez refusé de renouveler l'agrément d'Anticor – un point plus un point, cela finit par constituer une ligne.

En empêchant toute logique de prévention, faute d'accès à un certain nombre de documents, préparez-vous à assumer avec de grandes entreprises des scandales sanitaires, sociaux et environnementaux. Vous attaquez les lanceurs d'alerte, qui ne sont pas protégés. Vous fragilisez les droits sociaux en déséquilibrant davantage encore le rapport de force entre les syndicats et les comités sociaux et économiques, d'une part, et la direction des entreprises, d'autre part, puisque les documents de préparation d'un plan de licenciement pourront être protégés par la confidentialité.

En somme, vous déroulez le tapis rouge à l'impunité totale des entreprises et à la délinquance économique et financière, vous affranchissez les grandes entreprises du droit à la preuve et du droit au procès équitable, vous créez une rupture flagrante du principe d'égalité entre quelques entreprises et l'ensemble des citoyens. Le seul privilège doit être celui de l'intérêt général sur l'intérêt privé. Encore une fois, grâce à votre politique, c'est le second qui risque de l'emporter et l'histoire nous apprend que, quand c'est le cas, cela ne se finit pas très bien.

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La question est très clivante au sein de notre commission avec des plaidoiries d'un côté et des réquisitoires de l'autre et peu de place pour les éléments plus modérés.

Certains intentent un procès d'intention à ce texte qui serait paré de tous les maux : il créerait une profession réglementée nouvelle, il créerait des dérogations au droit commun pour les grandes entreprises capitalistiques et il renforcerait l'opacité. J'en passe et des meilleurs.

Je rappelle que c'est la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques qui reconnaît la profession de juriste d'entreprise dans son article 58, modifié par la loi du 31 décembre 1990. Cette reconnaissance n'est donc pas le fait du texte qui ne crée pas non plus une nouvelle profession réglementée avec un ordre responsable des formations et de la déontologie. Il n'est pas un cheval de Troie grâce auquel serait créé à terme le statut d'avocat salarié. La profession n'en veut pas et je pense que ce n'est pas souhaitable.

La France étant l'un des derniers États de l'OCDE à ne pas reconnaître la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise, une question d'attractivité se pose puisque cette absence de reconnaissance crée une distorsion de concurrence qui nuit à l'égalité des entreprises françaises avec les autres entreprises européennes et avec les entreprises américaines. Il est ainsi facile pour des Américains, cela s'est vu dans de grandes affaires, de remplir des dossiers d'accusation initialement vides avec des éléments à charge qui ne sont pas protégés.

La proposition de loi ne généralise pas la protection du juriste d'entreprise, puisque la confidentialité est une confidentialité in rem, qui ne concerne que le document. Elle n'est pas attachée, contrairement à l'avocat, au statut. Il reste en outre toujours possible de lever la confidentialité et celle-ci ne s'applique pas dans le cadre de procédures pénales ou fiscales.

L'évolution proposée me semble être de bon sens. Le Conseil national des barreaux y est opposé – j'ai d'ailleurs pu les rencontrer –, ainsi que la Conférence des bâtonniers. Je note toutefois que le barreau de Paris y est favorable et ils ne sont pas moins avocats que les autres.

Ce texte ne fait pas l'unanimité, mais il ne porte pas non plus l'indignité. Il faut avancer à pas mesurés, ce texte nous permet de le faire.

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La France, par l'absence de toute confidentialité des avis des juristes d'entreprise, se distingue des autres pays de l'OCDE et de l'Union européenne. La question du statut du juriste d'entreprise et de la confidentialité de ses avis est débattue depuis le début des années 1990 mais n'a jamais trouvé de conclusion définitive. La présente proposition de loi tend à clore ce débat en attribuant, sous certaines conditions, le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques rédigées par les juristes d'entreprise qui sont, depuis 1971, autorisés à donner des consultations juridiques à l'entreprise qui les emploie. Avec 20 000 professionnels, les juristes d'entreprise constituent la deuxième profession juridique de notre pays, après les avocats, ce qui n'est pas négligeable.

Le présent texte, composé d'un article unique, fait bénéficier les consultations juridiques rédigées par un juriste d'entreprise ou un membre de son équipe placé sous son autorité d'un privilège de confidentialité – attaché au document et non à la personne – pourvu que certaines conditions soient remplies : qualification et formation de l'auteur du document ; qualité ou fonction du destinataire ; apposition de la mention « confidentiel » sur le document, qui est pénalement sanctionnée en cas d'apposition frauduleuse. La confidentialité entraîne l'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents concernés dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative. Elle est en revanche privée d'effet dans le cadre d'une procédure pénale et fiscale.

Cette proposition de loi permet de renforcer la souveraineté de la France et de protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale. En effet, la différence de protection de la confidentialité entre les juristes d'entreprises françaiss et leurs homologues étrangers place les structures françaises dans une situation défavorable et davantage sujette aux poursuites judiciaires. Elle constitue également un frein à l'attractivité de la place de Paris. L'absence de protection de la confidentialité des consultations juridiques, face à l'émergence des principes de conformité auxquels les entreprises doivent se soumettre, tend à crisper les investisseurs, qu'ils soient français ou étrangers.

Le groupe Démocrate a bien conscience que cette proposition de loi inquiète une large partie des avocats. Ces inquiétudes sont légitimes mais, monsieur le rapporteur, vous y avez répondu lors des différentes auditions que vous avez menées. Cette proposition de loi ne crée pas une nouvelle profession réglementée et, pour pouvoir bénéficier de la confidentialité de ses consultations, le juriste devra être titulaire d'un master 2 en droit et avoir suivi une formation déontologique. De plus, le champ d'application de la mesure est restreint et la levée de la confidentialité pourra être demandée si le document a incité ou facilité la commission d'une infraction. Comme l'a rappelé la sénatrice Dominique Vérien, les missions de l'avocat et du juriste sont complémentaires : l'avocat intervient ponctuellement pour une mission spécifique alors que le juriste travaille en continu dans l'entreprise.

Dans un contexte d'augmentation croissante de la demande d'éthique, à la fois dans les pratiques internes et externes des entreprises, la protection de la confidentialité et des avis juridiques renforcera inévitablement la réflexion juridique en leur sein.

Le groupe Démocrate soutiendra, comme lors de l'examen du projet de loi de programmation et d'orientation du ministère de la justice, ce dispositif et les amendements permettant de le parfaire.

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Depuis des années, ce dossier ne cesse de nous être présenté. Nous mesurons ainsi l'obstination du lobby des juristes d'entreprise. Le dispositif de confidentialité prévu par cette proposition de loi avait d'ailleurs été inséré à la hâte dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice par un amendement d'un sénateur centriste avant d'être censuré par le Conseil constitutionnel, qui a jugé qu'il s'agissait d'un cavalier législatif tout en soulignant qu'une telle mesure n'était pas exempte de problèmes constitutionnels.

Un groupe de travail des états généraux de la justice avait proposé de réfléchir sur la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise, ses justifications et ses conséquences. Les choses se sont ensuite emballées et on se retrouve maintenant avec cette proposition qui nous est présentée sans étude d'impact et sans avis du Conseil d'État et qui n'est donc pas documentée sur les besoins réels.

Le seul argument est celui de la compétitivité juridique avec les autres États, principalement le Royaume-Uni et les États-Unis. Le rapport de Raphaël Gauvain, dont il est fait souvent mention, ne comporte aucune donnée et ses affirmations sont invérifiables. L'absence de confidentialité de l'avis des juristes d'entreprise serait l'une des principales motivations des entreprises à délocaliser leur direction juridique, mais il n'existe aucune monographie disponible ni aucune étude adossée à cet argument. Les auditions ne nous ont pas davantage convaincus sur le caractère nécessaire et attendu de ce dispositif. Le Medef, lors de son audition, a convenu que ce n'était pas une demande pressante. Je le constate d'ailleurs localement. Nous avons récemment reçu une note transmise par le Medef sur les mesures à prendre pour notre économie et elle n'évoque pas ce sujet.

Ce texte présenterait un risque d'inconstitutionnalité en constituant un obstacle supplémentaire à l'œuvre de justice : ce sont des magistrats qui le disent. Le dispositif risque en effet d'entraver les enquêtes administratives et, par voie de conséquence, de limiter l'action pénale dans les domaines essentiels de la concurrence, du droit des marchés et des capitaux et de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il rend l'accès des justiciables à la preuve plus difficile et remet en cause la protection des lanceurs d'alerte et du droit à l'information des citoyens. Les régulateurs, qui participent puissamment à l'œuvre de la justice et à la lutte contre la corruption, s'opposent tous à cette disposition.

En outre, le texte attribue au JLD, qui semble être le recours pour tous les dossiers, la décision sur la demande de levée de confidentialité. Est-ce bien raisonnable au vu de l'état de notre justice ?

Enfin, s'ajoute la cohabitation du secret professionnel de l'avocat et de la confidentialité du juriste d'entreprise, qui ne sera pas simple. Il nous importe de pouvoir mesurer l'application des propositions de loi que nous examinons.

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Je salue le travail du rapporteur, qui se penche d'ailleurs sur cette question depuis l'examen de la loi d'orientation et de programmation de la justice 2022-2027. Il est heureux que l'Assemblée se saisisse de ce sujet, alors que le Sénat vient d'adopter une proposition de loi similaire du sénateur Horizons Louis Vogel.

L'adoption d'un dispositif de legal privilege nous semble indispensable pour protéger les entreprises françaises. Il ne s'agit en aucun cas de créer une nouvelle profession réglementée ou d'affaiblir le secret professionnel de l'avocat.

Les entreprises évoluent dans un monde économique international dans lequel les obligations de conformité sont de plus en plus importantes ; elles ont besoin pour leurs opérations quotidiennes d'un nombre croissant d'avis juridiques. La question de la confidentialité de ces avis et de leur protection vis-à-vis des tiers – concurrents comme autorités – est donc posée. Rappelons que la France est l'un des seuls pays européens au sein desquels les avis des juristes d'entreprise ne sont pas protégés, ce qui rend notre pays vulnérable face aux demandes d'information ou de pièces provenant de parties étrangères à la recherche d'informations confidentielles, ou d'autorités d'autres pays qui useraient de lois à portée extraterritoriale – je pense notamment aux États-Unis.

Les juristes d'entreprise sont dans une situation paradoxale : ils sont soumis au secret professionnel au même titre que les avocats, alors même que les avis qu'ils rédigent ne bénéficient pas de la même protection que ceux des avocats. Protéger leurs avis, c'est protéger les entreprises françaises, qui subissent une concurrence inégale, défavorable, je l'ai dit ; c'est par là renforcer l'attractivité économique du territoire français, à l'heure où les entreprises préfèrent recruter des directeurs juridiques non français, notamment des avocats américains ou britanniques, ou encore délocaliser tout ou partie de leurs directions juridiques afin qu'elles bénéficient de la protection offerte à l'étranger.

Il ne s'agit pas, je le redis, de concurrencer la profession d'avocat : la confidentialité des avis des juristes d'entreprise ne doit pas être confondue avec le secret professionnel des avocats, qui n'a pas le même objet et n'est pas soumis au même régime. La confidentialité n'est pas un secret absolu lié à la qualité de juriste d'entreprise, mais liée à un avis spécifique, identifié, traçable : elle n'est pas in personam mais in rem. Des conditions strictes sont prévues : le rédacteur de l'avis devra être identifié et remplir des conditions de qualification et de formation exigeantes ; le destinataire ne pourra être que le représentant de l'entreprise, son organe de direction, d'administration ou de surveillance, ou ceux de ses filiales ; une mention obligatoire devra être apposée sur le document concerné, et celui-ci fera l'objet d'un archivage spécifique dans les dossiers de l'entreprise.

Afin qu'aucune confusion ne soit possible, nous soutenons la suppression de la référence à une quelconque déontologie dans ce texte.

Certains ajustements votés au Sénat, notamment les dispositions transitoires applicables aux juristes actuels en matière de diplôme et de formation ou encore la clarification de la procédure de levée de la confidentialité, nous semblent pertinents ; nous espérons qu'ils seront intégrés à la présente proposition de loi.

Le groupe Horizons et apparentés votera cette proposition de loi, améliorée par les amendements de M. le rapporteur.

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Après la censure par le Conseil constitutionnel d'un dispositif similaire, le groupe Renaissance nous propose un nouveau texte ; un autre, quasi identique, a été adopté au Sénat au mois de février, avec le soutien du Gouvernement.

Le choix d'une proposition de loi pour adopter une disposition attendue du Gouvernement permet de s'affranchir d'une étude d'impact qui aurait pourtant été très utile sur ce sujet sensible. C'est une vilaine habitude que vous avez prise là.

Nous sommes défavorables à ce régime de confidentialité des consultations des juristes d'entreprise : ceux-ci ne jouissent pas, à l'égard de l'employeur, de la même indépendance que les avocats – pour ces derniers, c'est même une exigence. Le lobbying n'est pas le fait des avocats, ou du CNB, mais bien des grandes entreprises. Le juriste d'entreprise, par son statut même, ne peut pas s'écarter de la stratégie commerciale de son employeur ; les avocats sont, eux, soumis à des règles déontologiques strictes, et contrôlés par un ordre professionnel. Ils prêtent serment et sont indépendants de leurs clients, contrairement aux juristes d'entreprise, qui sont subordonnés à leur employeur.

En l'état, votre proposition de loi est du reste contraire au droit de l'Union européenne, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne en 2010.

L'argument selon lequel notre droit souffrirait d'un manque de compétitivité pour l'installation des directions juridiques de grandes entreprises ne s'appuie sur aucune donnée – je redis que nous ne disposons pas d'étude d'impact.

Vous mettez aussi en avant un risque d'auto-incrimination, qui empêcherait les juristes de jouer leur rôle en matière de droit de la conformité et les obligerait à communiquer avec leur direction par l'intermédiaire d'un avocat. Mais, si une entreprise s'estime en défaut de conformité, elle peut recourir à un avocat.

Sur le principe même de confidentialité des juristes d'entreprise, il y a des risques d'abus et de dissimulation : ne s'agirait-il pas de soustraire ces documents aux autorités publiques, et ainsi d'entraver les enquêtes et les contrôles ? Vous excluez du champ de la confidentialité les matières pénale et fiscale, certes, mais les matières civile, commerciale et administrative représentent les trois quarts de l'activité des juridictions de notre pays.

En somme, vous créez sans le dire une nouvelle profession réglementée, accessible à toute personne titulaire « d'un master en droit ou d'un diplôme équivalent français ou étranger » – terminologie aussi floue que large.

Comme le Conseil national des barreaux, nous ne pouvons que redouter les futures entraves à l'accès des justiciables à la preuve ; la protection des lanceurs d'alerte et le droit à l'information des citoyens pourraient être remis en cause. Nous risquons aussi d'assister à un creusement des inégalités entre les entreprises, selon qu'elles auront, ou pas, les moyens d'embaucher un juriste d'entreprise. Il faudra enfin veiller à l'intégration de juristes dans les cabinets de conseil, que nous avons eu tant de mal à rendre un peu plus transparents.

Comme nos collègues sénateurs, nous voterons contre ce texte.

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Cette proposition de loi n'est pas anodine ; elle soulève des interrogations légitimes dans différentes sphères du droit des affaires comme du monde des entreprises, à l'heure où les contraintes qui pèsent sur celles-ci sont de plus en plus fortes, en matière de protection des données ou de lutte contre le blanchiment comme de règles environnementales.

J'ai pris le temps de consulter les représentants des juristes d'entreprise, et j'entends leurs arguments, qui reposent sur leur pratique quotidienne. Mais la réforme proposée n'est pas sans risque pour la profession d'avocat. Le Conseil national des barreaux comme la Conférence des bâtonniers s'y opposent sans ambiguïté.

Sur la forme, cette proposition de loi reprend un amendement du Gouvernement adopté lors de l'examen de la loi d'orientation de la justice, mais censuré comme cavalier législatif. S'agissant d'une initiative gouvernementale, un projet de loi n'aurait-il pas été préférable, d'autant qu'il aurait été assorti d'une étude d'impact ? Celle-ci aurait pu étayer votre thèse selon laquelle l'introduction du legal privilege serait un moyen de gagner en compétitivité : comment, aujourd'hui, l'affirmer avec assurance ? Il aurait à tout le moins été utile de saisir le Conseil d'État.

Sur le fond, c'est la stricte séparation entre avocats et juristes d'entreprise qui justifie en France l'absence de privilège de confidentialité pour les consultations des juristes. Nous sommes attachés à cette distinction. Nous rejoignons les avocats, qui soulignent les risques d'abus et de dissimulation de preuves : on touche ici aux fondements de l'État de droit. Nous prenons acte du choix d'exclure les matières pénale et fiscale afin de préserver l'ordre public, mais ne serait-il pas judicieux d'exclure aussi les procédures administratives, afin d'éviter que ne soient jugées confidentielles des consultations qui inciteraient à manquer à des obligations légales ?

De plus, vous ne prévoyez aucune contrepartie, aucune garantie déontologique à cette nouvelle confidentialité : une simple formation initiale ne nous apparaît pas suffisante.

Les avocats, à la différence des juristes, sont soumis à des règles déontologiques strictes et contrôlées par un ordre professionnel ; ils sont aussi indépendants vis-à-vis de leurs clients. Le juriste salarié est au contraire subordonné à son employeur.

Notre groupe est donc très réservé.

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Voilà un sujet d'apparence technique, et un débat vieux de plus de trente ans. De nombreux avocats craignent la création d'une nouvelle profession réglementée. Mais c'est bien plus qu'un débat professionnel : votre proposition soulève des difficultés d'ordre public et pose la question de la vision que chacun peut avoir de la défense de l'intérêt général et du fonctionnement de notre justice.

Certains veulent croire à l'autorégulation et font confiance aux seuls acteurs économiques. Le droit n'est plus ce qu'il était, disent-ils, les entreprises sont soumises à des exigences de conformité de plus en plus complexes, qui impose une connaissance fine de leur situation ; il est donc indispensable qu'elles soient informées des risques de manquement, et c'est l'objet de la consultation juridique. Il apparaît alors séduisant de concevoir le juriste d'entreprise comme un auxiliaire des pouvoirs publics – terme utilisé par l'auteur du texte – et tentant de se laisser convaincre par l'argument du cercle vertueux selon lequel, si nous voulons inciter les juristes d'entreprise à avertir leur direction d'éventuels problèmes, alors il faut éviter les risques d'auto-incrimination et rendre leurs avis confidentiels.

Mais comment ne pas voir que cela reviendrait à déléguer aux acteurs privés le soin de faire leur propre police, au détriment du contrôle opéré par les autorités de régulation ? Dans un monde idéal, cela pourrait s'entendre. Mais ne soyons pas naïfs : les entreprises ne recherchent pas l'intérêt général, et nous avons besoin d'un contrôle extérieur. Grâce au système mis en place depuis plusieurs années en matière de transparence, nous étions sur une voie prometteuse ; avec ce texte, nous faisons marche arrière.

Certes, le Sénat a apporté quelques garanties : nous saluons ainsi l'idée que la confidentialité ne doit pas être opposable en matière fiscale ou pénale, et qu'elle puisse être contestée devant un juge. Mais elle reste applicable aux enquêtes menées par les autorités administratives indépendantes, comme l'Autorité de la concurrence ou l'Autorité des marchés financiers, ce qui entravera inévitablement leur action. Le Sénat a en effet rejeté les amendements de nos collègues visant à introduire une dérogation sur ce point. Le risque de « boîte noire » a été évoqué : nous partageons cette inquiétude.

Si nous comprenons l'intention de favoriser les intérêts économiques – en réalité, certains intérêts économiques –, cela ne peut se faire au détriment de la transparence nécessaire au respect des droits fondamentaux, notamment en matière sociale et environnementale. Le groupe Écologiste votera donc contre ce texte.

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L'avocat et le juriste d'entreprise sont tous deux soumis au secret professionnel, mais seul le premier bénéficie d'une protection des documents échangés avec ses clients. Faut-il étendre la confidentialité aux consultations rédigées par le second ? C'est un débat qui ne date pas d'hier.

Les partisans de ce texte invoquent notamment l'argument de la compétitivité, et soutiennent que cette extension est indispensable pour renforcer l'attractivité de la France en matière de localisation des directions juridiques des grands groupes internationaux.

Du côté de ses détracteurs, on trouve surtout les avocats, qui considèrent que le périmètre de cette confidentialité et le dispositif de levée de cette dernière posent de nombreux problèmes et créent des incertitudes juridiques de nature à nuire aux intérêts des entreprises. Le dispositif renforcerait aussi les inégalités entre les entreprises selon qu'elles pourraient, ou pas, recourir à un juriste d'entreprise. Ils redoutent encore des entraves à l'accès des justiciables à la preuve, donc une fragilisation du droit à un procès équitable, et la remise en cause de la protection des lanceurs d'alerte et du droit à l'information des citoyens.

La confidentialité des consultations et avis des juristes d'entreprise est probablement le plus gros serpent de mer de notre système juridique. Mais il est vrai que son absence crée une véritable distorsion de concurrence entre la France et la plupart des États membres de l'OCDE– sans parler de la possibilité d'un espionnage légal par le biais des règles de conformité imposées aux entreprises, ce qui pourrait conduire à un véritable désarmement par le droit. Il faut y remédier.

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Le secret et l'intérêt général ne font pas bon ménage. Il y a, dans une société démocratique, un impératif de transparence et de responsabilité ; toutefois, certains espaces de secret doivent être ménagés, précisément dans l'intérêt général : nous comprenons tous l'intérêt du secret médical et du secret-défense, comme du secret des correspondances entre un avocat et son client – si les clients avaient peur de voir révélé ce qu'ils disent à leur avocat, ils n'iraient plus le voir et c'est en tant que justiciables qu'ils seraient affaiblis.

Aujourd'hui, le secret des consultations des juristes d'entreprises n'existe pas, et on s'en passe très bien ! À l'inverse, on peut craindre ses effets : aujourd'hui, quand un juriste expose une situation légale à son patron, en lui expliquant quels dommages il pourrait causer à autrui en agissant de telle ou telle façon, le patron choisit, et c'est bien lui qui est responsable. Demain, plus personne ne sera responsable, ce qui nuira aux citoyens. Vous parlez de concurrence avec les Américains ; plutôt que de tout tirer vers le bas, faisons plutôt de la déontologie et de l'éthique les points forts de la France. Pourquoi pas ne pas supprimer les droits sociaux ? Le moins-disant, c'est sans limite.

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Ce texte suscite des débats, dans notre commission comme dans nos circonscriptions. L'examen des articles nous permettra de vérifier la solidité des garde-fous prévus.

Sur un sujet aussi sensible, je regrette la forme d'une proposition de loi : nous ne disposons pas d'étude d'impact. On nous dit que ce texte va améliorer la compétitivité des entreprises, mais nous ne disposons d'aucun élément objectif pour l'affirmer. Alors que cette disposition bouleversera l'ordre existant, et risque d'être un premier pas vers des évolutions majeures, il est vraiment dommage que nous n'ayons même pas d'avis du Conseil d'État.

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J'ai l'impression que nous sommes à contre-courant ! Notre société demande de plus en plus de transparence et de contrôle ; en 2017, nous avions fait un effort en ce sens en modifiant les modalités de remboursement de nos frais de mandat. Avec ce texte, on nous demande de voter pour un peu plus d'opacité. C'est troublant.

J'entends les arguments du rapporteur, en particulier celui du risque d'auto-incrimination puisque tout bon citoyen qui a connaissance d'un délit doit en informer les autorités compétentes. Je m'interroge donc.

Beaucoup d'entreprises seront-elles vraiment concernées ? Je suppose que les plus grandes – celles qui ont les moyens de délocaliser une direction juridique – ont aussi les moyens d'employer leurs propres avocats. S'agit-il alors de protéger certaines PME ? Ce n'est pas limpide.

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J'ai été rassuré par les arguments du rapporteur, notamment par l'exclusion du fiscal et du pénal, mais je continue de m'interroger. Ce texte est plutôt défendu par les avocats parisiens, en particulier les gros cabinets d'affaires, mais le reste du pays est plutôt réservé, craignant une perte de chiffre d'affaires. Si une entreprise veut une consultation confidentielle, elle devrait peut-être se tourner plutôt vers un avocat.

Je n'ai pas entendu d'éléments objectifs sur la perte de compétitivité de nos entreprises et sur la délocalisation de directions juridiques. Je crains une dérive de notre système juridique vers un modèle anglo-saxon qui n'est pas le nôtre. Mais, là encore, je ne demande qu'à être rassuré.

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Je veux marteler que les arguments du rapporteur n'ont aucune base objective : ce sont des arguments d'autorité. Il est d'autant plus important de le souligner que ce sont les seuls aspects positifs de ce texte.

J'irai plus loin : si j'étais juriste d'entreprise, je m'opposerais à ce texte. Vous prévoyez une protection in rem – du document, et non de la personne – sans contrepartie, notamment en matière de déontologie puisque ces dispositions seront retirées du texte pour ne pas donner l'impression qu'on crée une profession réglementée. Vous faites ainsi de ces juristes d'entreprise de véritables fusibles d'entreprise ! En cas de difficulté, c'est le patron qui pourra décider de lever la confidentialité, dans le cadre par exemple d'une procédure transactionnelle. Qui aura rédigé le document ? Le juriste d'entreprise, dont vous écrivez vous-même qu'il pourra être poursuivi pour faux en écriture privée. C'est bien lui qui prendra la responsabilité, quand celle de l'entreprise sera couverte. C'est bien de cela qu'il s'agit : couvrir l'entreprise et ses dirigeants. Tout ce texte va dans ce sens – sans parler du contentieux que vous allez ouvrir. Aux États-Unis, où le legal privilege est très utilisé, c'est un contentieux énorme, dont tout le monde se plaint, car c'est extrêmement chronophage.

Aux collègues qui veulent nous rassurer, ou lever les inquiétudes, je dis que nous ne sommes pas des enfants : nous ne sommes pas inquiets, nous n'avons pas besoin d'être rassurés, nous sommes en désaccord, radical et complet.

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Le legal privilege crée une sorte de distorsion de concurrence entre le juriste d'entreprise et l'avocat, et la Conférence des bâtonniers a voté à une large majorité contre cette disposition. Comment faire changer d'avis les avocats qui, pour rebondir sur les propos de M. Bernalicis, sont en désaccord avec cette proposition de loi ?

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Merci aux groupes qui soutiennent cette proposition de loi : ceux de la majorité, ainsi que Les Républicains – je n'ai pas oublié que M. Marleix avait déposé, lors de l'examen du projet de loi de programmation de la justice, un amendement identique à celui du Gouvernement.

Je voudrais rassurer ceux qui envisagent de voter contre cette proposition de loi.

Madame Jaouen, j'avoue avoir été étonné en vous entendant – Mme Ménard a dit du bien de cette proposition de loi. Vous êtes avocate, je le suis aussi, mais je ne m'attendais pas à ce propos corporatiste ; je pensais que le Rassemblement national comprendrait que le legal privilege existe dans la plupart des pays de l'OCDE et que c'est un problème de souveraineté économique que nous abordons ici. Vous qui prétendez défendre les entreprises françaises à l'étranger matin, midi et soir, pourquoi voulez-vous les handicaper en refusant ce dispositif ? Si vous aviez assisté aux auditions, vous auriez entendu l'association des juristes d'entreprise nous dire qu'aujourd'hui, lorsqu'il y a un contentieux international, les directions juridiques françaises sont exclues des discussions en raison de cette absence de confidentialité des échanges. Sur l'excellente proposition de loi du président Houlié sur les ingérences étrangères, concernant la problématique l'extraterritorialité, votre groupe est beaucoup intervenu : pourquoi alors continuer de laisser piller les données juridiques des entreprises françaises par l'administration américaine, qui peut saisir tout et n'importe quoi ?

Je ne dis pas que je ne comprends pas votre position – certains bâtonniers de province, comme les autorités administratives indépendantes, ont fait leur office. Mme Untermaier parlait du lobbying des juristes d'entreprise : si j'étais taquin, je remarquerais que d'autres lobbys ont bien travaillé. Mais l'argument de la souveraineté économique me paraît solide.

Il n'y a pas dans cette proposition de loi la moindre atteinte au secret professionnel des avocats, cela a été très bien dit par M. Gosselin : la confidentialité n'est pas in personam mais in rem, et limitée aux seules procédures civiles, commerciales et administratives, le pénal et le fiscal, sujets les plus sensibles, étant exclus. En outre, cette disposition ne concerne pas n'importe qui, mais des juristes d'entreprise titulaires d'un master 2 ou bien d'un master 1 ou d'une maîtrise, avec huit années d'expérience, si nous votons ces amendements. Ils devront aussi suivre une formation aux règles d'éthique.

Un autre argument me semble déraisonnable : celui sur l'entrave de l'accès à la preuve. La confidentialité concerne seulement la consultation juridique, pas les autres pièces.

Monsieur Bernalicis, vous nous reprochez de prévoir une sanction pour le cas où la confidentialité serait appliquée à une consultation juridique qui en réalité n'en est pas une. Nous pensons que ces cas seront marginaux, mais cela peut arriver, vous avez raison : nous devons travailler, d'ici à la séance, pour prévoir des sanctions contre la direction d'une entreprise qui ferait pression sur le juriste qui lui est subordonné.

Les grandes entreprises ne sont pas seules concernées : les ETI – entreprises de taille intermédiaire – que nous avons interrogés disposent de services juridiques ; cette nouvelle protection leur sera utile dans le cadre, par exemple, de la mise en place de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Il n'y aura pas non plus d'entraves aux enquêtes : j'ai évoqué la limitation du périmètre de la confidentialité ; en outre, la procédure de levée de la confidentialité, devant les présidents de juridiction ou le juge des libertés et de la détention, est très claire. Des sanctions sont enfin prévues en cas d'abus.

La question de l'attractivité est bien réelle : madame Untermaier, vous étiez présente lors des auditions, et vous avez entendu les représentants des juristes d'entreprise nous décrire une tendance très claire à la délocalisation des directions juridiques, ainsi qu'un phénomène plus pernicieux : on ne recrute plus de juristes français, mais des juristes étrangers, qui bénéficient de la protection du legal privilege.

Quant au risque d'auto-incrimination, il existe. La loi Sapin 2 impose aux entreprises des contraintes fortes en matière de conformité, de compliance – Mme Frison-Roche a évoqué cet aspect devant nous. Aujourd'hui, les entreprises ne peuvent pas analyser ces risques en interne sans risquer l'auto-incrimination. Il faut donc avancer.

Monsieur Mournet, ce n'est pas un combat entre Paris et la province : il ne s'agit pas de toucher au business des avocats de province !

Notre collègue Raphaël Gauvain avait, dans son rapport « Rétablir la souveraineté de la France et de l'Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », évoqué deux hypothèses : la création d'une profession d'avocat en entreprise ; la mise en place de la confidentialité pour les juristes d'entreprise. La Conférence des bâtonniers avait refusé la première de ces options – c'était aussi mon opinion – mais s'était dite favorable à la seconde. Il y a eu un revirement, et je comprends qu'il y a des inquiétudes. Mais ces consultations internes sont très éloignées du travail fourni par un avocat : il s'agit par exemple de vérifier qu'une procédure de RSE a bien été respectée. On ne demande pas à un avocat de venir dans l'entreprise pour faire cette analyse ! En revanche, l'avocat interviendra toujours sur les domaines très sensibles que sont le fiscal et le pénal.

Les avocats se sont fait une fausse idée du legal privilege à la française. Il n'y a pas d'atteinte à leur secret professionnel, pas de création d'une nouvelle profession réglementée. Le périmètre dans lequel les consultations des juristes d'entreprise peuvent être frappées de confidentialité est bien circonscrit, et nous avons prévu, je crois, des garde-fous propres à rassurer les avocats, notamment par la suppression de la référence à la déontologie. Nous ne reprenons pas non plus le dispositif du Sénat qui prévoyait que la formation des juristes d'entreprise serait assurée par les centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA).

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J'attire l'attention de la commission sur le fait que les deux groupes qui avaient été les plus critiques à l'égard de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France – c'est-à-dire le Rassemblement national et La France insoumise – et qui avaient dénoncé l'absence de mesures contre l'extraterritorialité du droit américain sont les plus opposés à des mesures qui ont précisément pour objectif de nous protéger de cette extraterritorialité. (Protestations.) Leurs arguments sont tout à fait surprenants.

Ces deux groupes ont également demandé un scrutin public sur les amendements de suppression de l'article unique.

Article unique (art. 58-1 [nouveau] de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) : Confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise

Amendements de suppression CL1 de M. Jérémie Iordanoff, CL2 de Mme Cécile Untermaier, CL12 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL13 de M. Davy Rimane, CL16 de M. Jean-François Coulomme et CL51 de Mme Béatrice Roullaud.

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Les questions qui ont été soulevées n'ayant pas reçu de réponses, nous restons convaincus à ce stade que ce texte résulte avant tout du lobbying des grandes entreprises. Nous ne sommes toujours pas rassurés et n'avons pas compris pourquoi l'on avait recours à une proposition de loi plutôt qu'à un projet de loi.

Il existe un flou sur les conséquences pour les juristes au sein des entreprises, qui mériterait d'être dissipé. N'étant pas confiant sur le fait que cette clarification interviendra d'ici à la séance, nous maintenons notre amendement de suppression.

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Je remercie le rapporteur pour les propos qu'il a tenus et pour sa volonté de travailler très sérieusement pour compléter comme il le peut le manque d'informations qui résulte de l'absence d'étude d'impact.

Malgré ses propos constructifs, nous maintenons notre amendement. En effet, si le dispositif proposé exclut les domaines fiscal et pénal du champ de la confidentialité, nous nous interrogeons beaucoup par rapport au domaine environnemental. Comment peut-on imaginer ne pas s'en préoccuper au XXIe siècle ? C'est un point essentiel pour nous rassurer sur les contours de la confidentialité définis par ce texte.

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Je m'associe aux propos de Cécile Untermaier, tout en saluant l'effort de pédagogie du rapporteur et le travail de fond qu'il a effectué.

Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être exposées sur le champ de la confidentialité, nous maintenons notre amendement de suppression. La dimension environnementale est évidemment prégnante, mais on pourrait aussi évoquer la question de l'abus de position dominante. Ce n'est quand même pas neutre.

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Monsieur le rapporteur, vous avez fait valoir le soutien apporté à cette proposition par les représentants du Medef lors de leur audition, mais vous n'avez pas mentionné celle des représentants des autorités administratives indépendantes concernées qui a eu lieu mardi. Or ils sont tous défavorables à ce texte.

Le cœur de cette proposition n'est pas constitué par le legal privilege mais bien par le privilège de confidentialité. Et vous savez à quel point nous sommes toujours suspicieux au sujet de la confidentialité des grandes entreprises – notamment quand on pense à tous les scandales environnementaux, sociaux, bancaires, financiers ou boursiers dont elles se sont parfois rendues coupables. Nous voulons donc pouvoir surveiller leur comportement.

Comme l'a rappelé notre collègue Cécile Untermaier, la proposition n'exclut du champ de la confidentialité que les domaines pénal et fiscal. C'est un gros problème lorsque les principales atteintes à l'intérêt général résultent désormais de celles à l'environnement.

La proposition ne protège en rien les juristes d'entreprise, puisque les dirigeants qui souhaitent s'absoudre de toute accusation pourront faire état des documents qui ont été émis par leurs juristes salariés – donc subordonnés. Cette profession, dont les écrits pourront être divulgués à l'initiative des commanditaires, sera donc le dindon de la farce.

Vous affirmez ensuite qu'il n'y a pas de différence de traitement entre les grandes et les petites entreprises. C'est complètement faux. Ces dernières se retrouveront démunies puisqu'elles seront en quelque sorte à livre ouvert dans le cas où un conflit les opposerait à des grandes entreprises.

Enfin, les lanceurs d'alerte ne seront pas protégés par ce texte, puisque rien n'est prévu pour leur permettre de transmettre à la justice des documents portant sur des atteintes à l'intérêt général.

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Je présente un amendement de suppression parce qu'accorder le secret professionnel à des consultations ou des actes juridiques réalisés par des juristes d'entreprise engendrerait trois types d'inconvénients.

Premièrement, celui de porter atteinte à la profession d'avocat, puisque celle-ci, contrairement à la profession de juriste d'entreprise, est soumise à un examen sélectif, à des obligations de formation régulière et à des règles déontologiques strictes. Inévitablement, cela conduira, à terme, à créer une nouvelle profession d'avocat salarié en entreprise. On assisterait de ce fait à un affaiblissement du niveau de la profession, puisque le master n'est pas aussi sélectif et exigeant que l'examen d'avocat. Surtout, cela entraînerait un affaiblissement de l'éthique de la profession, puisque l'avocat salarié n'aurait pas de formation déontologique et ne serait pas non plus indépendant. Il ne pourrait donc pas décider en toute liberté de conscience de s'abstenir d'accomplir tel ou tel acte, car il serait par définition soumis à son employeur.

Deuxièmement, il convient de souligner que le secret professionnel des juristes d'entreprise s'exercerait in rem, c'est-à-dire sur une consultation ou un acte. Or ce serait néfaste pour les justiciables, car ce secret pourrait entraver l'accès à la preuve, pierre angulaire du procès équitable.

Troisièmement, il est faux de prétendre que l'absence de confidentialité des juristes d'entreprise nuirait à la compétitivité des entreprises françaises car aucune étude n'a jamais été produite en ce sens. Au contraire, pour la quatrième année consécutive la France demeure en 2022 le pays le plus attractif d'Europe.

En somme, cette proposition de loi n'apporte rien, son prétendu avantage étant loin d'être démontré. Elle entraîne au contraire beaucoup d'inconvénients et suscite l'opposition de la Conférence des bâtonniers et du Conseil national des barreaux (CNB).

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Je remercie M. Acquaviva et Mme Untermaier pour leurs propos – même s'ils demandent la suppression de l'article. Je souhaite rassurer cette dernière : les infractions pénales commises contre l'environnement ne sont pas couvertes par la confidentialité de la consultation.

Je comprends que le Rassemblement national reprenne les arguments des avocats, et notamment ceux du CNB et de la Conférence des bâtonniers. Mais je crois avoir répondu au sujet de l'extraterritorialité et de la lutte contre l'auto-incrimination. Actuellement, des juristes d'entreprises sont obligés de manière schizophrène de ne pas donner un certain nombre de consultations de peur de voir leurs écrits servir à incriminer leur entreprise. Nous devons prendre en compte cette situation.

Encore une fois, la confidentialité professionnelle que nous souhaitons mettre en place n'a rien à voir avec la protection in personam du secret. Le périmètre de cette confidentialité et le champ des personnes qui y sont soumises sont limités. Les juristes d'entreprises bénéficieront d'une formation spécifique et ils ne s'adresseront qu'à leur direction. Enfin, cette confidentialité n'est pas absolue vis-à-vis des tiers.

J'aurais aimé vous convaincre avec ces arguments de bon sens. Il nous revient de répondre aux demandes des entreprises françaises, qui sont confrontées aux problèmes liés à l'application extraterritoriale du droit.

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Une lecture attentive et de bonne fois du texte montre à quel point il est équilibré et préserve la profession d'avocat. Madame Roullaud, cette profession est réglementée parce qu'elle présente plusieurs caractéristiques : le titre, une activité réservée, des conditions d'accès spécifiques et un ordre professionnel. Or ces caractéristiques ne sont en aucun cas attribuées aux juristes d'entreprise. Le texte prévoit seulement d'entourer de confidentialité certains de leurs actes.

Lors de leur audition, les représentants du barreau de Paris ont d'ailleurs déclaré qu'ils étaient favorables à tout ce qui pouvait permettre de rendre nos entreprises compétitives. Quant aux juristes d'entreprise, ils ont clairement indiqué qu'en raison des exigences de conformité, ils avaient de plus en plus de difficultés à réaliser certaines consultations juridiques du fait du risque d'auto-incrimination.

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Vos propos sur l'auto-incrimination montrent bien que, dans votre esprit, le juriste et son entreprise c'est la même chose. Cela prouve bien qu'avec cette proposition vous ne protégez ni le salarié ni le public, et tel est bien le vice originel de ce texte.

Que tous ceux qui s'inquiètent pour l'avenir de la profession d'avocat relisent mieux ce texte. Certes, il ne crée effectivement pas un autre corps réglementé de juristes d'entreprise – qui n'existe d'ailleurs pas dans les pays anglo-saxons. Mais en organisant une fiction selon laquelle une personne payée par son patron serait indépendante, vous annihilez le concept du métier d'avocat indépendant. Vous érodez l'idée même du barreau et de la déontologie. On n'aura plus besoin d'avocat dans une société où l'on fait croire qu'un juriste pourrait dire non à la personne qui est sa seule source de revenu.

Soudainement, le pouvoir de la direction au sein de l'entreprise et la subordination des salariés, auxquels certains parmi vous sont très attachés, ne seraient plus si importants. Quelles foutaises !

Vous êtes en train d'organiser l'impunité des dirigeants de la place de Paris. C'est une loi de nature oligarchique, qui va s'opposer frontalement à l'impératif de protection du public. Vous êtes en train de réduire à néant les possibilités d'orienter l'activité des entreprises vers la lutte contre le changement climatique, vers la démocratie et vers la transparence. C'est très grave.

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Nous ne sommes pas en train de plaider à la barre d'un tribunal. Je suis un peu gêné, chère collègue, d'entendre parler de grand capital et d'oligarchie, comme si les entreprises françaises et leurs juristes ourdissaient un coup d'État – avec vous ce serait sans doute un coup d'État permanent…

Certes, le Conseil d'État n'a pas été saisi et nous ne disposons pas d'une étude d'impact précise. Encore qu'une étude d'impact ne constitue pas une garantie en soi. À la suite d'un vote des oppositions, la conférence des présidents a en effet décidé hier que l'étude d'impact d'un projet de loi était insuffisante. Je ne veux pas faire de mauvais procès au Conseil d'État, mais ce n'est pas nécessairement une référence absolue.

J'entends donc bien que nous manquons d'éléments d'analyse juridique ; en revanche, les éléments factuels s'accumulent. La place de Paris manque parfois d'attractivité. Ce n'est pas le cas pour les capitaux et la France reste l'un des premiers pays où l'on vient investir – on devrait d'ailleurs s'inquiéter de l'effet d'éviction sur les capitaux français. Mais les entreprises françaises se font bien tailler des croupières par le biais de l'application extraterritoriale du droit, notamment – mais pas seulement – par les juridictions américaines. Ces dernières viennent triturer des documents pour mettre à mal nos entreprises.

Ce texte d'équilibre n'est peut-être pas parfait, mais les craintes qu'il suscite me paraissent largement surévaluées.

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J'ai reçu deux demandes de scrutin de députés représentant chacune au moins 10 % des membres de la commission sur ces amendements de suppression, en application de l'article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l'appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Jean-Félix Acquaviva, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Jordan Guitton, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Marie-France Lorho, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Nicolas Sansu, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, Mme Cécile Untermaier.

Votent contre :

Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Clément Beaune, M. Florent Boudié, Mme Pascale Boyer, Mme Blandine Brocard, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Olga Givernet, M. Philippe Gosselin, Mme Claire Guichard, M. Frantz Gumbs, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Didier Lemaire, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, Mme Sarah Tanzilli, M. Jean Terlier, M. David Valence, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 58

Pour l'adoption des amendements : 27

Contre l'adoption des amendements : 31

Abstention : 0

La commission rejette donc les amendements.

Amendement CL52 de M. Philippe Pradal et sous-amendements CL66 et CL67 de Mme Catherine Jaouen.

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Cet amendement d'appel reprend la rédaction de la proposition telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, afin de retenir un certain nombre d'avancées obtenues lors de l'examen en séance. Comme elles sont pour la plupart reprises dans les amendements ultérieurs du rapporteur, je le retire.

L'amendement est retiré.

En conséquence, les sous-amendements CL66 et CL67 de Mme Catherine Jaouen tombent.

Amendements CL42 de Mme Catherine Jaouen et CL49 de Mme Béatrice Roullaud (discussion commune).

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Les alinéas 2 et 4 permettent indirectement à des personnes autres que le juriste d'entreprise de rédiger des consultations juridiques à caractère confidentiel. Cet amendement permet de restreindre cette confidentialité aux documents rédigés par des juristes d'entreprise, qui sont les seuls à être astreints par ce texte à une formation déontologique.

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Mon amendement vise à circonscrire la confidentialité des consultations juridiques aux documents rédigés par le juriste d'entreprise et à l'écarter pour ceux qui le sont par les membres de son équipe – dont on ignore s'ils sont suffisamment qualifiés et si leur probité est garantie. La rédaction de l'article est très large sur ce point, puisqu'il est question de diplôme équivalent, ce qui englobe bien des profils – de bon comme de moins bon niveau.

Si les privilèges liés à la confidentialité sont étendus à toute l'équipe du juriste d'entreprise, nous assisterons à une dérive dangereuse qui conduira à un affaiblissement de la profession et risquera d'affaisser l'éthique professionnelle. L'équipe du juriste d'entreprise n'est en effet soumise à aucune obligation déontologique et à aucune exigence de formation sélective.

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Cette proposition de loi n'a certainement pas pour objet de faire bénéficier de la confidentialité des documents rédigés par un stagiaire. Il est prévu que les membres de l'équipe seront des juristes titulaires soit d'un master 2, soit d'une maîtrise ou d'un master 1 et de huit années d'expérience. De plus, le juriste d'entreprise devra avoir suivi une formation aux règles éthiques professionnelles – je n'utilise pas le mot déontologie à dessein, afin d'éviter toute confusion avec les avocats.

Vos craintes sont légitimes, mais le texte y répond. Demande de retrait.

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Le rapporteur a raison. Il ne faut pas laisser s'installer la petite musique qui consiste à dire que les juristes d'entreprise sont de seconde zone, voire incompétents. L'immense majorité d'entre eux est bardée de diplômes, même s'ils ont le défaut aux yeux de certains d'être salariés. Il est bon de rappeler que ce ne sont pas des juristes à la petite semaine.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL37 de Mme Cécile Untermaier

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Nous demandons que seuls les actes rédigés par le juriste salarié de l'entreprise ou par un membre de son équipe placé sous son autorité bénéficient de la confidentialité. Il ne faut pas que l'entreprise puisse demander un avis à un cabinet de conseil, par exemple, et le placer ensuite sous le sceau de la confidentialité.

En effet, être salarié n'est pas une tare, monsieur Gosselin. Mais le lien de subordination entre le juriste et son employeur crée une difficulté.

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L'amendement est satisfait. L'alinéa 2 précise bien que seules les consultations rédigées par un juriste d'entreprise au profit de son employeur sont couvertes par la confidentialité. Cette condition est également rappelée à l'alinéa 7, qui détaille les destinataires potentiels de ces documents.

Demande de retrait.

Même des avocats deviennent juristes d'entreprise. M. Gosselin a donc raison de souligner la qualité de la formation de ces juristes.

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Je souscris entièrement à l'analyse du rapporteur : l'amendement est superfétatoire.

L'amendement est retiré.

Amendement CL41 de Mme Catherine Jaouen

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L'alinéa 4 n'offre pas les garanties suffisantes quant à la formation des juristes d'entreprise ou des membres de leur équipe. Cet amendement propose donc de limiter la confidentialité des consultations juridiques aux seuls titulaires du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa), ou d'un diplôme étranger équivalent, gage bien plus certain de leur compétence juridique et de leur maîtrise des règles de déontologie.

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J'ai déjà indiqué quels seront les niveaux de diplômes exigés pour produire des documents couverts par la confidentialité.

Je ne suis pas certain que le CNB soit d'accord avec votre amendement, car celui-ci présente paradoxalement le risque certain de créer un statut de l'avocat en entreprise – ce que je ne souhaite pas. Il vaut donc mieux s'en tenir à ce que prévoit la proposition de loi en matière de niveau d'études.

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Je vous rappelle que la loi de 1971 prévoit que le juriste d'entreprise – ou en tout cas le juriste en charge d'un service juridique – peut accéder à la profession d'avocat au bout de huit années d'expérience. C'est ce à quoi tend votre texte.

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Il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux statuts. Rien n'empêche un juriste d'entreprise d'accéder au Capa – et c'est heureux.

Le paradoxe de votre amendement est qu'il constitue précisément le cheval de Troie que dénoncent une grande partie des avocats. Vous ouvrez la porte au salariat d'avocats par des entreprises, ce à quoi je suis opposé. Cet amendement n'est franchement pas le meilleur moyen de rassurer la profession.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL57 de M. Jean Terlier

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Cet amendement rédactionnel clarifie les exigences de formation des juristes d'entreprise : il ne sera pas nécessaire d'avoir suivi un cursus spécifique pendant la formation initiale mais il faudra suivre un module spécifique pour pouvoir ensuite bénéficier de la confidentialité.

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C'est une précision utile, mais rappelons qu'un juriste d'entreprise de haut niveau a intérêt à suivre des formations de manière très continue pour rester à la page.

La commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'amendement CL53 de M. Philippe Pradal tombe.

Amendements identiques CL63 de M. Jean Terlier et CL46 de Mme Caroline Yadan

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Afin de répondre aux craintes des avocats, cet amendement vise à remplacer la notion de déontologie, plutôt adaptée à une profession réglementée, par une référence aux règles éthiques.

La déontologie est l'ensemble des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l'exercent et les rapports entre ceux-ci et leurs clients. Cette notion est souvent rattachée à l'ensemble des professions réglementées et libérales – médecins, notaires ou avocats. Or l'objectif de cette proposition de loi n'est pas de créer une profession réglementée des juristes d'entreprise.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL55 de Mme Emmanuelle Ménard

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Cet amendement prévoit que les salariés n'ont pas à supporter les frais relatifs à leur formation continue, notamment en déontologie, car cela reviendrait à créer des discriminations entre juristes sur la base d'un critère financier.

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L'amendement est satisfait. Les juristes concernés sont bien salariés d'une entreprise et il revient à l'employeur de prendre en charge cette formation. Il est dans l'intérêt même de l'employeur que le juriste d'entreprise suive une telle formation car, dans le cas contraire, les consultations rédigées par ce dernier ne seront pas considérées comme confidentielles.

Demande de retrait.

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Je ne partage pas tout à fait votre point de vue, monsieur le rapporteur. Les choses devraient en théorie se passer de cette manière, mais en pratique les employeurs incitent souvent les salariés à utiliser leur compte personnel de formation (CPF), alors que tel n'est pas l'objet de ce dispositif. Adopter l'amendement de notre collègue Ménard permettra une clarification, quitte le cas échéant à en modifier la rédaction lors de la séance.

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Je comprends les inquiétudes et nous allons travailler d'ici à la séance pour trouver une rédaction permettant de bien préciser que la formation sera prise en charge par l'entreprise. Je maintiens la demande de retrait.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL6 de M. Philippe Schreck.

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Ne voyez aucun corporatisme dans cet amendement, d'autant que les représentants de la profession d'avocat, notamment la Conférence des bâtonniers, à laquelle j'ai longtemps appartenu, n'ont pas pris contact avec notre groupe. Nous souhaitons que la formation initiale et continue qui est prévue pour les juristes d'entreprise bénéficiant du legal privilege n'ait pas à être dispensée à ceux qui ont été avocats mais ont choisi, au cours de leur carrière, de quitter le barreau auquel ils étaient inscrits en France. En effet, ils ont déjà reçu cette formation, initiale et continue, dans le cadre d'un CRFPA (centre régional de formation professionnelle des avocats) et ont prêté serment. Les modalités retenues ont, par ailleurs, l'air un peu lourdes ou alambiquées.

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Mon propos n'est pas de dire que la qualité de la formation suivie par les avocats ne leur permettrait pas d'exercer en tant que juristes d'entreprise. Je souligne, en revanche, que nous faisons vraiment une distinction dans ce texte entre le statut de l'avocat et celui du juriste d'entreprise et que la confidentialité attachée aux consultations de ce dernier est fondamentalement différente de ce qui peut être enseigné à un avocat dans le cadre des formations d'un CRFPA, étant entendu que la déontologie dont il est question devra évidemment porter sur les matières soumises à confidentialité – le droit civil et commercial et les procédures administratives, et non le droit pénal et fiscal. Il ne me semble pas pertinent d'exclure les avocats inscrits à un barreau français du champ de l'obligation de suivre les formations très spécifiques dont s'accompagnera la mise en place de la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise.

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Cette discussion prouve à quel point vous êtes dans l'hypocrisie quand vous dites que la loi n'aura qu'un périmètre in rem et non in personam : ce sont des qualités des personnes que nous parlons.

L'exemple des ex-avocats – il y en a dans cette salle – est bon : soit on est inscrit au tableau d'un barreau soit on n'y est plus et le fait d'entrer dans un rapport de subordination est une des raisons pour lesquelles on perd la qualité de membre d'un barreau. C'est proscrit pour un avocat, de même qu'un rapport de commercialité. À la seconde même où on devient un commerçant ou un salarié, on n'est plus indépendant. Il faut arrêter avec les chimères : on ne peut pas être indépendant tout en étant dans un rapport de subordination.

Ce texte, je le redis, ne s'appliquera pas in rem. Vous avez prévu des obligations en matière de formation qui concernent la personne du juriste. Par ailleurs, ce que vous proposez est une remise en cause totale de l'idée même du serment d'avocat, par lequel on s'engage, en étant indépendant, à mieux servir le justiciable et l'état de droit.

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Je ne comprends pas où vous voyez une hypocrisie. Il y a d'un côté une profession réglementée, celle d'avocat, à laquelle est attaché ce qu'on appelle un secret professionnel, qui est général, mais porte notamment sur les correspondances avec les clients, et de l'autre côté une profession qui est celle de juriste d'entreprise, dans laquelle on ne détient pas de secret professionnel mais où l'avis juridique qu'on rédigera dans le cadre de l'entreprise, c'est-à-dire en interne, sera confidentiel. C'est tout : il ne faut pas chercher plus loin. Les juristes d'entreprise nous ont dit qu'ils n'écrivaient pas, parce qu'ils avaient peur d'un risque d'auto-incrimination, prohibé par le droit français, et que, dès lors, ils ne pouvaient plus faire leur métier. Vous extrapolez beaucoup : il n'y a rien de scandaleux dans cette proposition de loi, et ce n'est pas la peine d'en faire des tonnes.

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Je ne pensais que cet amendement qui, même s'il émane de ma personne, est modeste, allait autant faire parler. Les deux dernières interventions n'ont pas grand-chose à voir avec la question. Il s'agit simplement de prévoir que ceux qui ont été avocats auront ipso facto les compétences requises pour être des juristes d'entreprise bénéficiant du legal privilege et seront donc dispensés de l'obligation de formation continue.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL38 de Mme Cécile Untermaier

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Nous proposons que la commission prévue par le texte élabore une charte de déontologie s'imposant à l'entreprise. Cela permettra d'apporter des garanties quant à l'organisation de la relation entre le salarié et l'employeur, laquelle est, d'une certaine manière, de subordination.

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Il est important de prévoir un dispositif de cette nature, mais les avocats, que nous avons auditionnés, seraient plus rassurés si on trouvait un autre terme que « déontologie », leur crainte étant, nous en avons parlé, qu'une nouvelle profession réglementée soit créée. Nous avons donc prévu une obligation de formation à des règles éthiques qui permettra de faire ce que vous souhaitez, mais sans utiliser le vocable « déontologie » qui est un peu anxiogène pour une partie de la profession d'avocat. Par conséquent, demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

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Je suis désolée, monsieur le rapporteur : malgré tout le respect que j'ai pour vous, je trouve que ces arguments ne sont pas convaincants. Pourquoi avoir peur de la déontologie ? Avons-nous peur, en tant que parlementaires, de nous y confronter ? Par ailleurs, l'éthique que vous évoquez pourrait faire partie d'une charte de déontologie. Il faut avancer, en étant conscient que ce qu'on impose aux uns peut aussi concerner les autres.

Ce que nous proposons permettra de bien organiser et sécuriser la relation entre le salarié et l'employeur. Il est question de 20 000 personnes, ce qui n'est pas rien. Je souhaite que nous puissions évoluer d'ici à la séance sur cette question fondamentale. Nous pourrons expliquer ce qu'est la déontologie – ce n'est pas un élément négatif – pour dissiper les craintes de certains – pas tous – au sein de la profession d'avocat.

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Le terme « déontologie » fait peur aux avocats parce qu'ils craignent que, par mimétisme – et j'entends cet argument –, ce soit un premier pas vers la création d'un ordre et donc d'une profession réglementée, mais il me paraît plus compréhensible de parler d'une « charte de déontologie » que d'une « charte d'éthique » ou de « règles éthiques ». « Déontologie » fait partie du langage courant : on voit tout de suite ce que cela désigne – ce n'est pas qu'un concept, mais un ensemble de droits et d'obligations. Cela permettra également de stabiliser les relations entre le chef d'entreprise, le patron, et les juristes d'entreprise et de rassurer.

Je ne sous-estime pas le lien de subordination. Je suis tout à fait favorable aux évolutions qui sont prévues, mais on ne peut pas supprimer ce lien. Par ailleurs, nous avons besoin de règles de déontologie : ce n'est pas un cheval de Troie au sens où ces règles préfigureraient un ordre, puis la création d'une profession réglementée. Je soutiendrai donc l'amendement.

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Le remplacement de « déontologie » par « règles éthiques » n'empêchera pas d'arriver à la même fin. La grande difficulté est que, dès lors qu'on introduit de la déontologie, un contrôle est opéré. Nous sommes ainsi contrôlés par un déontologue. Quand un avocat commet un manquement à sa déontologie, il est, de même, contrôlé par l'Ordre. Il faudrait donc, si on utilisait le vocable « déontologie », une personne qui contrôle, ce qui ne serait pas de nature à rassurer les avocats quant à la perspective de création d'une profession réglementée.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL7 de M. Philippe Schreck

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Cet amendement vise à ce que la formation initiale et continue soit dispensée par les CRFPA, communément appelés « écoles d'avocats ». Le rapporteur nous a dit que les formations prévues seraient spécifiques et donc distinctes de celles dispensés aux avocats, mais il est évident que les CRFPA auront les capacités pédagogiques de les assurer.

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S'agissant de cet amendement qui a déjà été examiné par le Sénat, les avocats nous ont dit deux choses lors des auditions : en lien avec la question de la déontologie, ils ne veulent pas de mention du CRFPA ; autre argument, qui me paraît au moins aussi pertinent, ces centres n'ont pas la capacité d'assurer les formations. Avis défavorable.

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Il faut une externalité afin que ce ne soit pas l'entreprise qui fixe elle-même sa charte – elle doit lui être imposée. En revanche, la loi n'a pas à prévoir que les formations sont assurées par le CRFPA ou qui que ce soit d'autre. Nous devons rassurer tout le monde grâce à une charte extérieure aux entreprises, pour éviter des dispositions à géométrie variable, mais il faut que les formations puissent être dispensées par qui le souhaitera, du moment que ce sera fait conformément à un référentiel.

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Il faut être raisonnable. Nous savons très bien qu'il est un peu compliqué de faire passer ce texte et je suis contre les chiffons rouges. Des problèmes de capacité et d'accueil se posent peut-être aujourd'hui mais, à la limite, ce n'est pas la question. Il vaut mieux éviter certaines tentations, pour rester dans l'apaisement. Or cet amendement me semble aller dans le sens contraire.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL35 de M. Jean-François Coulomme

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Nous considérons que ceux qui ont à se prononcer sur ces questions doivent relever du ministère de la justice, et certainement pas de celui de l'économie. Ce que vous prévoyez est une forme d'aveu : on comprend que le référentiel de formation sera élaboré dans une logique de protection des affaires. Cela nous pose un problème pour ces formations qui concerneront les règles éthiques, si c'est la formulation retenue.

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Je crois que vous prêtez au ministère de l'économie des intentions qu'il n'a pas – on y sera sans doute un peu surpris par votre défiance. Par ailleurs, comme il est question d'un métier qui est exercé au sein des entreprises, il me paraît tout à fait opportun que le ministère de l'économie soit associé à la rédaction du référentiel. Avis très défavorable.

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Il faudrait savoir : sommes-nous en train de produire du droit des affaires, autour de la notion de confidentialité, ou cherchons-nous à borner d'une façon précise les activités des juristes d'entreprise et à en déduire ce que devrait être leur formation ?

Je ne pense pas qu'on sera très ému au ministère de l'économie par la position d'un certain nombre de députés qui s'interrogent sur la place qui doit lui revenir pour la définition d'un tel référentiel de formation.

Il est question, officiellement, de spécialistes des questions juridiques et non de personnes qui seraient en mesure de créer des conditions permettant d'échapper à un certain nombre de contraintes.

La commission rejette l'amendement.

Amendements CL11 de M. Philippe Schreck et CL56 de Mme Emmanuelle Ménard (discussion commune)

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Je vous propose un amendement anti-usine à gaz, visant à supprimer la fin de l'alinéa 6, qui prévoit que « Ces formations sont conformes à un référentiel défini par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de l'économie, sur proposition d'une commission dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret ». Nous pourrions peut-être faire l'économie d'une nouvelle commission dont la composition serait fixée par un nouveau décret. Je pense, en effet, que nous sommes tous d'accord pour traquer les comités Théodule qui fleurissent partout et j'ai le souvenir que le Premier ministre a annoncé, dans son discours de politique générale, qu'il voulait supprimer les commissions ayant fait la preuve, depuis six mois, de leur inefficacité. On peut tout simplement mettre en place une formation par arrêté conjoint du ministre de l'économie et du garde des sceaux.

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L'amendement CL56 vise à préciser la composition de la commission : elle devra être représentative de la profession de juriste d'entreprise et non exclusivement ou majoritairement composée de fonctionnaires des deux ministères cités à l'alinéa 6.

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Je partage le souhait de ne pas créer un comité Théodule et je tiens donc, monsieur Schreck, à vous rassurer : la commission prévue aura une mission très ponctuelle. Une fois que le référentiel de formation aura été établi, elle n'aura plus de raison d'être. Créer une commission permettra, en revanche, d'associer des profils divers à la rédaction du référentiel. Avis défavorable à votre amendement.

C'est du bon sens, madame Ménard, de prévoir qu'il y aura des représentants des juristes d'entreprise dans cette commission, mais je ne crois pas que cela relève du domaine de la loi. Demande de retrait ; à défaut, avis également défavorable.

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On connaît le code de déontologie des avocats et on sait en quoi leur indépendance constitue une garantie pour les justiciables et la société. Mais que sera ce référentiel éthique des juristes d'entreprise ? Qu'est-ce que cela peut vouloir dire dans un cadre de subordination ? Cela existe déjà, notamment pour les journalistes et pour les policiers, mais cela n'a d'effectivité que si c'est tout à fait inclus dans le contrat de travail et, en fait, si la violation d'une règle éthique constitue une faute professionnelle – ce sont donc des synonymes. Mais qu'est-ce que cela peut bien signifier pour un juriste d'entreprise ? Il n'aura pas le droit de donner à son patron un conseil juridique qui contreviendrait, par exemple, à l'intérêt général ? Sur qui repose, fondamentalement, la responsabilité éthique dans une entreprise ? Sur son dirigeant. Or vous ne prévoyez pas que le ministère de l'économie fasse un référentiel éthique pour les patrons. Bizarrement, je n'en ai jamais entendu parler, alors que cela ne serait peut-être pas tout à fait inutile. Les personnes en mesure de prendre des décisions qui nuisent à la société, à l'état de droit, au climat, etc., ce sont les dirigeants et non les juristes d'entreprise.

En réalité, tout cela ne vise qu'à donner une sorte de vernis déontologique à un employé qui ne pourra rien faire d'autre que ce que lui dira son patron, à moins de devenir un lanceur d'alerte. Quand un juriste d'entreprise dit à son patron qu'il va violer la loi s'il fait telle chose, c'est un lanceur d'alerte interne. Or le texte fera en sorte qu'une telle alerte reste privée, secrète. C'est pourquoi je dis non. Nous devrions adopter, au sein de cette commission, une position favorable aux lanceurs d'alerte.

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J'aimerais savoir si la commission a reçu un agrément des avocats à ce sujet, c'est-à-dire s'ils ne sont pas hostiles à cette mesure – c'est une boutade.

Je rejoins Mme Garrido : c'est au niveau de l'entreprise que se situe la déontologie. Le référentiel pourra être partagé par toutes les entreprises, mais ce sera évidemment à elles d'établir en interne leur propre éthique et de déterminer dans le cadre d'un contrat de travail le lien entre le juriste et l'employeur, par exemple ce qui est attendu en matière de dérive environnementale : s'agira-t-il, dès lors que ce sera confidentiel, de donner l'alerte pour éviter le pénal ?

Cette question de la confidentialité, dont seuls seront exclus certains domaines, posera vraiment des difficultés d'application du droit. Ce ne sera pas facile pour les juristes d'entreprise. Ils sont en train de se fourvoyer : ils pensent gravir une marche, eux qui voulaient devenir avocats d'entreprise, mais en réalité ils compliqueront durablement leurs missions.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l'amendement rédactionnel CL58 de M. Jean Terlier, rapporteur.

Amendement CL60 de M. Jean Terlier

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Cet amendement est destiné à rassurer les uns et les autres quant à la conformité de la proposition de loi au droit européen en précisant que la confidentialité s'appliquera sous réserve des pouvoirs de contrôle des autorités de l'Union européenne.

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Il est dommage que les autorités de contrôle françaises ne soient pas de dimension européenne : elles entreraient alors dans le cadre que vous prévoyez.

Par ailleurs, si vous avez déposé cet amendement, c'est que le risque d'inconstitutionnalité du texte, au regard de règles européennes, était sérieux. Nous devons donc tenir bon : quand on avance des arguments, vous finissez par reculer. Si vous donnez des garanties, c'est parce que ce texte, en son fondement, contrevient à une forme de transparence qui permet de faire la lumière sur certaines dérives des entreprises, qui peuvent être poursuivies, pas forcément au pénal, ni sur le plan fiscal, mais pour des infractions administratives.

Les autorités de contrôle ne sont pas des ennemies des entreprises. C'est pourtant ce que finit par dire, en filigrane, la proposition de loi : c'est globalement un texte de défiance vis-à-vis du contrôle externe des entreprises, qui vise à dire qu'on va faire plus de compliance, de conformité, mais en interne, avec moins de contrôle par des autorités indépendantes.

J'avais déjà pointé en 2019, dans un rapport sur la délinquance économique et financière, qu'avec l'internalisation de la conformité le ver était dans le fruit. De fait, des scandales financiers concernant de grands groupes qui ont des départements de la conformité continuent de se produire. Ce sont plutôt les autorités indépendantes, externes, qu'il faudrait renforcer au lieu de chercher à assurer, comme vous le faites, la confidentialité.

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La compliance, le contrôle de conformité interne, est en train de se développer. C'est d'ailleurs un des objets, indirects, de la proposition de loi.

Les autorités de contrôle ne sont pas tenues en défiance : elles ne sont pas pointées du doigt et il n'y a pas de volonté de les écarter. Je rappelle qu'un déclassement sera possible, en cas de difficulté – il s'agit d'une confidentialité in rem et non in personam.

La jurisprudence qui a été citée par le rapporteur reconnaît l'autonomie procédurale des États membres et il n'y aura pas du tout de contradiction avec les grands principes du droit européen. La confidentialité ne sera pas opposable, en tant que telle, aux instances européennes, pas plus qu'elle ne le sera, complètement, aux instances françaises de contrôle, puisqu'il sera possible de revenir sur la classification ou codification.

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Je souscris complètement aux propos de M. Gosselin. En revanche, je m'inscris en faux contre ceux de M. Bernalicis. Le legal privilege ou protection de la confidentialité des consultations, pour les matières civiles, commerciales et administratives, est assuré partout en Europe et même dans le monde, soit pour des juristes d'entreprise soit pour des avocats d'entreprise, et nous n'avons pas entendu dire que les autorités de contrôle étaient à ce point entravées en Allemagne ou en Espagne, par exemple.

Il faut être raisonnable : nous devons faire en sorte que nos entreprises puissent lutter à armes égales avec leurs homologues de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Tel est le but de ce texte, qui prévoit des garde-fous. La confidentialité ne sera pas absolue, puisqu'elle pourra être levée dans le cadre d'une procédure sur laquelle nous reviendrons plus tard.

La commission adopte l'amendement.

Suivant l'avis du rapporteur, elle rejette l'amendement CL9 de M. Philippe Schreck.

Amendements CL20, CL28 et CL30 de M. Jean-François Coulomme, CL29 et CL31 de Mme Élisa Martin, CL32 de M. Jean-François Coulomme, CL3 et CL4 de Mme Cécile Untermaier (discussion commune)

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Les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API), qui ont été entendues lors des auditions, se sont mobilisées avec force contre ce texte. Même si cela n'a pas été évoqué lors de la présentation liminaire, le président de l'AMF (Autorité des marchés financiers) a dit que la proposition de loi apparaissait très dangereuse et suscitait de vives inquiétudes. Nous désirons que ces autorités puissent mener des investigations sur le fonctionnement des entreprises. Vous ne prenez même pas en compte la défense des intérêts des petits actionnaires ! Lorsqu'il y a des problèmes graves dans des entreprises, notamment celles cotées en Bourse, ce sont ces autorités-là qui permettent de lever le voile sur les connivences ou les interactions néfastes pour le fonctionnement de l'entreprise et l'intérêt général. L'amendement CL20 permettra aux AAI et aux API d'investiguer librement, pour défendre, notamment, les intérêts des petits actionnaires, que vous allez, avec ce texte, faire passer complètement à la trappe.

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L'amendement CL28 va dans le même sens : il vise à restreindre la confidentialité, pour qu'elle ne soit pas opposable dans des contentieux en matière civile, commerciale, administrative, fiscale ou pénale, c'est-à-dire dans à peu près tous les contentieux, ce qui remettrait intégralement en cause l'esprit du texte – je veux que nos intentions soient transparentes et comprises de tous. Pourquoi avons-nous rédigé l'amendement de la sorte ? Votre objectif est d'éviter d'avoir à transmettre des documents dans le cadre des contentieux qui ne sont pas mentionnés à l'alinéa 10. Il ne faut pas se raconter des histoires, même si vous évoquez des arguments, concernant l'extraterritorialité, la compétitivité, blabla, qui ne sont pas démontrés.

Nos amendements seront d'ailleurs protecteurs pour les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes. Vous dites que la délinquance économique et financière relève du pénal, qui n'est pas concerné par le texte, mais il existe aussi des amendes administratives – c'est au cœur du rôle joué par l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l'Autorité de la concurrence.

Il arrive également que ces autorités judiciarisent des affaires en les faisant passer au pénal, après s'être rendu compte, en grattant, qu'il y avait un gros problème. Or le point de départ est l'accès à des documents. Vous voulez précisément empêcher qu'il soit possible d'emblée : il faudra se lancer dans une procédure devant le JLD (juge des libertés et de la détention) qui nécessitera de prouver l'intérêt d'avoir un document sans l'avoir vu, ce qui est quand même extraordinaire. Nous avons donc bien compris l'intention du texte et nous voulons la révéler par nos amendements.

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L'amendement CL30 a-t-il aussi été présenté ?

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Je ne peux pas le savoir si vous ne le dites pas. C'est une discussion commune : plusieurs amendements peuvent être présentés en même temps.

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On sait bien comment est pilotée cette commission.

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Cela sera noté au compte rendu et transmis au bureau de l'Assemblée nationale.

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Je l'assume totalement et ce n'est pas la première fois que je le dis.

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L'amendement CL30 vise à exclure la matière administrative du champ de la confidentialité. La proposition de loi est construite d'une manière assez maligne, pour la raison qui a été évoquée par Ugo Bernalicis et parce que, comme vous évoquez les questions fiscales et pénales, le grand public va se dire que vous vous préoccupez de ce qui est le plus grave, ce qui fait passer au second plan la question de la matière administrative. Or des problèmes se posent : le texte empêchera l'accès à la preuve, rompra l'égalité devant la loi et entravera les capacités d'action de l'Autorité de la concurrence et de l'Autorité des marchés financiers. Je pourrais même évoquer, si je voulais être un peu taquine, ce que je suis parfois, je l'avoue, l'Agence française de lutte contre le dopage : ce texte tombe à point nommé, puisque les Jeux olympiques, qui se caractérisent par une vision très capitalistique du sport, approchent.

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J'en viens à l'amendement CL29. Un problème d'inégalité des armes se posera, notamment en matière civile, entre des sociétés qui ont des juristes d'entreprise et pourront apposer le sceau de la confidentialité sur leurs documents et celles qui n'ont pas ces juristes et ne pourront pas bénéficier du privilège de confidentialité. Certaines entreprises pourront dire que tel document n'est pas accessible parce que son juriste d'entreprise y aura mis son cachet, tandis que les autres resteront les bras ballants, parce qu'elles n'auront pas anticipé un contentieux et n'auront pas employé un juriste d'entreprise.

Cette inégalité entre les entreprises qui ont les moyens d'embaucher des juristes et celles qui ne le peuvent pas pose question. En outre, il suffit d'avoir le niveau de diplôme requis et d'effectuer des consultations juridiques pour être un juriste d'entreprise ; or le champ de ce que l'on nomme les consultations juridiques est large : un directeur des ressources humaines qui a bac + 5 pourra apposer le sceau de la confidentialité en tant que juriste, par exemple sur les documents de préparation d'un plan social. Ainsi, presque tous les documents de l'entreprise pourront être protégés par la confidentialité, puisque nous vivons – et c'est heureux – dans un monde de droit où les normes juridiques occupent une place importante.

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L'amendement CL31 vise à ce que la confidentialité ne puisse pas être opposée dans une procédure commerciale. Le fait que la rédaction actuelle du texte ne le prévoie pas prouve que son objectif est d'empêcher le contrôle juridique des affaires, logique à laquelle nous nous opposons. Nous souhaitons que l'activité économique soit soumise à des règles, notamment commerciales. Pourquoi souhaitez-vous assurer la confidentialité des documents de nature commerciale ?

Quels que soient les propos du garde des sceaux, nous pourrions nous accorder sur le constat de l'embolie du système judiciaire ; or la proposition de loi ne fera qu'accentuer le problème : là encore, pourquoi agissez-vous de la sorte ?

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L'amendement CL32, de repli, vise à exclure la matière prud'homale du domaine de la confidentialité. Certaines entreprises élaborent des plans sociaux pour des raisons purement financières et spéculatives, et non économiques : lorsque des actionnariats voyous délocalisent et ferment du jour au lendemain des sites de production, la justice doit pouvoir comprendre les mécanismes qui ont débouché sur la maltraitance des salariés de l'entreprise concernée. L'absence de la matière prud'homale du texte atteste de votre volonté de soustraire les entreprises à leurs obligations vis-à-vis des salariés, devoirs dont le respect est contrôlé par les conseils des prud'hommes : vous souhaitez empêcher ce contrôle et pas simplement réglementer la profession de juriste d'entreprise comme vous avez tenté de nous le faire croire, monsieur le rapporteur.

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L'amendement CL3 a pour objet d'interdire l'opposabilité de la confidentialité en matière financière et du droit de la concurrence, comme le demande le président de l'Autorité de la concurrence lui-même. Quant à l'amendement CL4, il poursuit le même objectif pour le domaine environnemental.

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Je suis défavorable à tous les amendements, à l'exception du CL4 dont je demande le retrait car il est satisfait ; en effet, dès lors qu'une infraction pénale au droit de l'environnement aura été commise, il ne sera pas possible d'opposer la confidentialité des consultations pour refuser de les communiquer.

S'agissant des autres amendements, leur adoption viderait le texte de sa substance, comme vient de le reconnaître Ugo Bernalicis. Vous avez évoqué des liasses de documents que l'on pourrait désormais cacher grâce à cette proposition de loi : n'alimentez pas de fantasme, le texte ne protège que les consultations juridiques effectuées par les juristes de l'entreprise au profit de leur direction et non l'ensemble des pièces pouvant intéresser une procédure.

Je partage avec vous la nécessité d'instaurer des mécanismes de protection contre les comportements déviants qui apparaîtraient dans les consultations, mais le texte va dans ce sens puisqu'il prévoit la levée de la confidentialité de certains documents dans l'hypothèse où ils « auraient eu pour finalité d'inciter à ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l'objet d'une sanction au titre de la procédure administrative concernée. » Les autorités administratives indépendantes pourront donc demander la levée de la confidentialité des consultations si elles constatent ce type de déviance.

Quant à l'inégalité des armes, elle n'existe qu'au détriment des entreprises françaises : l'ensemble des sociétés des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont protégées par le legal privilege attaché aux juristes d'entreprise. Il faut adopter cette proposition de loi pour que les entreprises françaises puissent bénéficier de la même protection.

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Monsieur Bernalicis, vous avez affirmé que l'accès à la preuve serait rompu si le texte était adopté, ce qui est faux. Les AAI et les autorités de contrôle souhaitent éviter que les documents confidentiels soient altérés et effectuer un tri en amont : dans cette optique, la proposition de loi dispose que les autorités puissent confier, en présence des juristes d'entreprise, les documents couverts par la confidentialité aux commissaires de justice ; ainsi, les risques d'atteinte à l'intégrité des documents et de divulgation des pièces seront écartés. L'accès à la boîte noire sera assuré, mais celle-ci sera confiée, dans un premier temps, aux commissaires de justice : la confidentialité pourra donc être levée.

Si une société souhaite absolument couvrir un document du sceau de la confidentialité, elle demandera à un avocat de le rédiger et non à un juriste d'entreprise : le texte ne crée pas de principe de confidentialité des documents émis par les juristes d'entreprise alors que celui-ci existe pour les avocats. Vos arguments ne tiennent donc pas la route.

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C'est vrai, ces arguments ne sont pas valables. J'entends des noms d'oiseau proférés à l'encontre des actionnaires voyous, de l'oligarchie et du grand capital, ceux-ci reflétant une opposition de principe qui ne pourra jamais vous rassurer sur la portée du texte. Il convient d'assurer la protection de nos entreprises : je ne soutiens pas les patrons voyous – les patrons qui se comportent mal, car il y en a, doivent être sanctionnés – mais nous devons aider les entreprises françaises qui donnent du travail dans notre pays et qui éprouvent des difficultés. Aux États-Unis, plusieurs sociétés françaises, bancaires mais aussi industrielles, rencontrent des problèmes car elles font face à une concurrence injuste : l'objectif du texte est de rétablir un certain équilibre, tâche impossible si vous excluez de son champ le droit commercial et celui de la concurrence. L'adoption de vos amendements priverait la proposition de loi de tout intérêt.

Le recours à un avocat étend le champ de la confidentialité : vous allez me dire, avec raison, que la profession d'avocat est réglementée et qu'elle s'exerce dans un cadre déontologique strict, mais que faites-vous des salariés ? Votre position est bancale et vise à enlever toute portée à la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise et, partant, à la proposition de loi. Je respecte votre opposition au texte, mais celle-ci ne peut pas reposer sur de tels arguments.

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Le problème du contrôle des documents confidentiels par les AAI a trait à la question de la dimension intentionnelle de l'infraction commise par le dirigeant de l'entreprise : si ses services lui ont transmis une note l'avertissant de la potentielle illégalité d'une décision et qu'il n'en tient pas compte, il ne peut pas plaider, comme Éric Dupond-Moretti l'a fait devant la Cour de justice de la République (CJR) en se défaussant sur sa directrice de cabinet, l'absence d'intentionnalité dans la commission de l'infraction. Votre texte vise à légaliser l'attitude du ministre de la justice au profit de l'ensemble des entreprises du pays : leurs dirigeants seront relaxés lorsqu'ils seront mis en cause pour prise illégale d'intérêts.

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La prise illégale d'intérêts est une infraction pénale !

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Oui, mais l'ouverture d'une enquête interne est une décision administrative.

L'accès à la preuve n'est certes pas rompu, mais il est entravé. On ne pourra pas demander la communication d'un document intéressant mais confidentiel, puisque l'on ne pourra pas démontrer son importance, la confidentialité s'opposant à sa consultation ; par conséquent, les AAI pourraient, dans une logique dilatoire, demander la transmission de tous les documents confidentiels, afin de retarder les procédures. Tel est l'objectif du texte : gagner du temps, organiser la défense et lever opportunément la confidentialité pour faire des juristes d'entreprise des fusibles dans une procédure transactionnelle.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL21 de Mme Élisa Martin et CL5 de Mme Cécile Untermaier

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Notre amendement, au champ très restrictif, ne cible que les AAI, auxquelles il serait impossible d'opposer la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise dans l'exercice de leurs missions d'enquête, de contrôle et de sanction. Souhaitez-vous entraver leur action ou préserver leur fonctionnement actuel ? Leurs représentants ont alerté le rapporteur hier lors de leur audition sur les conséquences du texte sur leur travail : les soutenez-vous ou souhaitez-vous leur exprimer votre défiance, que vous ressentez – j'en ai la conviction – à leur encontre ? Si le rapporteur veut me démentir, qu'il donne un avis favorable à cet amendement.

Alors que la lutte contre la délinquance économique et financière est complexe, que 100 milliards d'euros manquent chaque année aux caisses de l'État à cause de la fraude fiscale et que des dossiers instruits par les AAI dans un cadre administratif aboutissent à l'ouverture d'une procédure pénale, faut-il vraiment entraver le travail de ces autorités ?

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Il est inconcevable de considérer les autorités de contrôle comme des ennemies des entreprises. Nous devons garantir la capacité des régulateurs de mener leurs enquêtes. La majorité proclame souvent son attachement à la transparence : qu'elle le prouve !

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L'avis est défavorable. Je ne souhaite pas limiter davantage le périmètre de la confidentialité, qui est restreint au civil, au commercial et à l'administratif.

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Les atteintes à l'intérêt général sont souvent mues par le but lucratif de l'action des entreprises : la rencontre de l'intérêt général et du lucre provoque un choc, d'où l'existence d'autorités de régulation, l'importance de la transparence et le danger du secret. Je soutiens ces amendements identiques.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL62 de M. Jean Terlier

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Il vise à indiquer que la société qui emploie un juriste d'entreprise peut lever la confidentialité des documents. Cette précision nous paraît utile pour rassurer ceux qui en ressentent le besoin.

La commission adopte l'amendement.

Amendements CL17 et CL19 de Mme Élisa Martin et CL18 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

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L'amendement CL17 vise à ce que la confidentialité ne soit pas opposable aux demandes des organisations syndicales et des représentants du comité social et économique (CSE) des entreprises. Les syndicats ou les représentants du CSE – structure que vous avez instituée après avoir cassé les instances de proximité utiles aux salariés – ne pourront pas consulter la note rédigée par un juriste d'entreprise portant sur un plan de licenciements ou une délocalisation : votre objectif est que personne ne puisse étudier les documents ayant préparé la liquidation des emplois. Nous savons que votre majorité s'évertue depuis 2017 à casser les droits des syndicats et à remettre en cause les instances représentatives du personnel et qu'elle enclenche une nouvelle étape de démolition avec cette proposition de loi.

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L'amendement CL19 a pour objet de refuser l'opposabilité de la confidentialité aux représentants du CSE. Les entreprises délocalisent parfois des activités pour garantir la rémunération de leurs actionnaires : dans de telles situations, il est impensable d'opposer la confidentialité à la communication de documents relatifs à ces décisions.

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L'amendement CL18, de repli, vise à empêcher l'opposabilité de la confidentialité aux organisations syndicales : celles-ci sont maltraitées par votre politique, notamment votre casse du code du travail et vos atteintes au droit syndical – certains syndicalistes sont en effet poursuivis par la justice pour avoir mené des actions de résistance.

Vous citez souvent les pratiques des pays européens : sachez qu'en Allemagne, les organisations syndicales ont un droit de regard sur le fonctionnement des entreprises bien plus étendu qu'en France ; elles sont considérées comme de véritables partenaires sociaux et ont accès aux documents ayant motivé la délocalisation ou la fermeture d'un site de production.

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L'avis est défavorable. Vous voulez faire dire à la proposition de loi ce qu'elle ne dit pas : le texte ne rend pas confidentiels les documents circulant à l'intérieur des entreprises. N'agitez pas de chiffon rouge en prétendant que la proposition de loi bride l'exercice de droits syndicaux : ce n'est pas le cas !

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Monsieur le rapporteur, vous soutenez qu'un juriste d'entreprise, consulté par son patron pour préparer un plan social, refuserait de lui fournir des éléments dans un document confidentiel ? Dans les faits, il fera son travail, rappellera le cadre réglementaire et pointera les risques contentieux dans une note, qui bénéficiera, avec votre texte, du sceau de la confidentialité : les membres du CSE ne pourront donc pas en prendre connaissance ; ils devront contester le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) devant le tribunal et saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour obtenir des documents qu'ils estiment être potentiellement importants.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL23 de Mme Élisa Martin

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Il vise à empêcher l'opposabilité de la confidentialité à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cette dernière lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et protège les clients des banques et des assurances : il est inacceptable de refuser à une telle structure les documents dont elle estime avoir besoin pour exercer sa mission de contrôle ; or si elle ignore le contenu d'un document, elle ne pourra évidemment pas l'utiliser.

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Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, l'avis est défavorable.

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Certains collègues ont affirmé que si la loi n'assurait pas la confidentialité de certains documents, ceux-ci finiraient par être divulgués et transmis à des personnes qui n'ont pas à les connaître. Soutenez-vous que l'ACPR ne devrait pas avoir accès aux documents qu'elle peut actuellement saisir ? Pensez-vous que l'Autorité divulgue ces documents et porte atteinte aux intérêts des entreprises ? Si tel est le cas, nous sommes face à un gros problème. Laissez travailler ces autorités de contrôle ! Qu'est-ce que l'ACPR vous a fait ? J'aimerais comprendre.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL22 de M. Jean-François Coulomme

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Dans le même esprit, l'Autorité des marchés financiers (AMF) doit mener ses contrôles sans qu'on lui oppose la confidentialité de certains documents. En effet, les montages financiers frauduleux, parfois néfastes aux intérêts de l'entreprise, sont, par essence, confidentiels. Certains groupes possèdent par exemple des intérêts croisés avec des fonds russes, alors que les sanctions contre la Russie interdisent de telles participations ; or votre texte empêchera l'AMF d'avoir accès aux documents touchant à ces circuits financiers si des juristes d'entreprise, salariés donc subordonnés au chef d'entreprise, ont participé à leur élaboration. Et si un problème légal survient, le dirigeant pourra toujours divulguer les documents qui lui ont été transmis pour se dédouaner.

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Les faits que vous décrivez sont constitutifs d'une infraction et ne sont donc pas couverts par la confidentialité. Je vous renvoie à l'alinéa 14 qui précise que le JLD peut ordonner la levée de la confidentialité de certains documents pour vérifier si ces derniers ont « eu pour finalité d'inciter à ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l'objet d'une sanction au titre de la procédure administrative concernée. »

Les faits que vous décrivez sont exclus du périmètre du texte et ceux qui y sont inclus peuvent donner lieu à une levée de la confidentialité des documents. L'avis est donc défavorable.

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Certaines infractions relevées par M. Coulomme sont de nature administrative et non pénale. Il n'y a pas que le blanchiment d'argent, certains montages visent à échapper à certaines obligations, ces actions constituant des infractions de nature administrative. L'accès aux documents sera entravé ; d'ailleurs, même dans une procédure pénale, c'est sur le fondement de documents qu'elle a pu consulter dans le cadre de ses contrôles administratifs que l'AMF saisit le parquet national financier (PNF). Votre texte tarira la source d'approvisionnement du PNF à cause de la confidentialité attachée à tous les documents de l'entreprise ; il vise donc à protéger des patrons crapuleux.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL24 de M. Jean-François Coulomme

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Vous prétendez vouloir aligner le droit des affaires français sur celui des États-Unis, mais dans ce pays, l'accès aux documents des entreprises avec lesquelles les agents économiques entrent en affaire est très large. Un candidat au rachat d'une entreprise suit une procédure de due diligence et peut étudier, avec ses avocats, l'intégralité des documents de l'entreprise dans une pièce appelée data room. Dans ce contexte de transparence absolue, le legal privilege a une certaine cohérence, mais vous souhaitez importer ce principe sans ménager la moindre transparence tout en protégeant l'entreprise contre l'AMF : on est bien loin de la logique américaine.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.

Amendement CL26 de M. Jean-François Coulomme

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Il vise à ce que l'on ne puisse pas opposer la confidentialité à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.

Amendement CL25 de Mme Élisa Martin

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Il s'agit du même amendement, mais il concerne l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Prenons l'exemple d'une chaîne d'information en continu qui accorde un temps de parole disproportionné à des représentants de l'extrême droite : il serait regrettable que, dans le cadre d'une procédure destinée à faire respecter le pluralisme d'opinion, il soit impossible de consulter la note qu'un juriste d'entreprise aurait adressée aux dirigeants de la chaîne pour les avertir des risques encourus en cas de non-respect du pluralisme. Vous avez déjà envoyé le président de la commission d'enquête sur la télévision numérique terrestre (TNT) rassurer le groupe Bolloré à la télévision, et vous renforcez maintenant cette protection en étendant le champ de la confidentialité afin d'empêcher l'accès aux documents prouvant le déploiement d'un projet politique par un groupe audiovisuel.

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Je ne vois pas dans quel cadre un juriste d'entreprise serait consulté sur un tel sujet. Encore une fois, l'ensemble des documents extérieurs à la consultation d'un juriste d'entreprise ne bénéficieront pas de la confidentialité ; les éléments étayant ou sapant les reproches que vous adressez à telle ou telle chaîne d'information en continu ne seront pas recouverts du sceau de la confidentialité. Par ailleurs, j'apporte tout mon soutien à l'excellent président de la commission d'enquête sur la TNT. L'avis est très défavorable.

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Je connais bien l'entreprise dont nous parlons, notamment sa chaîne C8 : elle possède un service de la conformité, dont les employés veillent au respect des règles de l'Arcom. Ce domaine ne concerne pas le droit pénal.

Vous vous défiez à tort des AAI et vous devriez accepter qu'elles fassent leur travail ; au lieu de cela, vous créez des obstacles à l'accomplissement de leurs missions en permettant à chaque acteur économique de se cacher derrière un nouveau paravent, à savoir son juriste d'entreprise. Un tel mouvement va à l'encontre de l'intérêt général.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL33 de Mme Élisa Martin

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La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique définit la qualification de lanceur d'alerte : cette proposition de loi doit exclure l'action de ces personnes du champ d'opposabilité de la confidentialité. Tel est l'objet de l'amendement.

Si votre seul but est de lever tous les freins au développement de l'activité des entreprises françaises dans le grand marché concurrentiel mondial, pourquoi ne supprimez-vous pas le Smic ?

Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.

Amendement CL34 de Mme Élisa Martin

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Il est important que les magistrats puissent connaître l'ensemble des documents qu'une entreprise aura souhaité classifier pour permettre d'éventuelles mises en accusation. Il est donc nécessaire de disposer d'une liste complète des documents que les juristes d'entreprise auront voulu placer sous le sceau du secret des affaires XXL que vous appelez de vos vœux par ce texte. Qu'est-ce qui les empêchera sinon de classer comme confidentiels le maximum des échanges qu'ils auront eus dans l'exercice de leurs fonctions de conseil ou d'avis ?

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Vous souhaitez donc que les entreprises dressent, dans leurs bilans d'activité, la liste des consultations juridiques confidentielles. Autant vous dire que cela ne va pas dans le sens d'une simplification, tant s'en faut – cela pourrait vous être reproché. En pratique, on ne voit guère en quoi le bilan d'activité serait le lieu adéquat pour répertorier ces consultations. Sur le plan opérationnel, qu'ajouterait-on à ce bilan ? « Consultations juridiques n° 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 » ? Vous voyez bien que ce ne serait ni pertinent ni efficace. Avis défavorable.

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Vous souhaitez savoir ce qui empêcherait un juriste de désigner n'importe quel document comme confidentiel, alors même que la confidentialité ne s'applique pas à lui. Je vous invite à relire l'alinéa 24, qui prévoit une sanction pour de tels comportements : « Est puni des peines prévues à l'article 441‑1 du code pénal le fait d'apposer frauduleusement la mention : “confidentiel – consultation juridique – juriste d'entreprise” sur un document qui ne relève pas du présent article. » Vous pouvez donc être totalement rassuré.

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Je ne suis absolument pas rassuré. Ainsi, la personne qui aura apposé la mention en question en sera tenue pour pénalement responsable s'il est prouvé que tel n'aurait pas dû être le cas. Le lien de subordination auquel sont assujettis les juristes d'entreprise les expose. Il faudra le faire entendre en séance, ce texte ne les protège pas. Elle protège seulement les grandes entreprises et les dirigeants. C'est la raison pour laquelle le Medef a défendu avec force cette disposition.

La commission rejette l'amendement.

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Nous allons interrompre nos travaux. Nous achèverons l'examen de ce texte au cours d'une réunion que je vais convoquer cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à treize heures.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

- Mme Laure Miller, rapporteure sur les pétitions.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Clément Beaune, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Pascale Boyer, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, Mme Olga Givernet, M. Philippe Gosselin, Mme Claire Guichard, M. Jordan Guitton, M. Frantz Gumbs, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, M. Didier Lemaire, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Nicolas Sansu, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. David Valence, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan

Excusés. - M. Mansour Kamardine, Mme Naïma Moutchou, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback