Intervention de Élisa Martin

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisa Martin :

La loi étendant le secret des affaires à peine adoptée, vous proposez encore un texte permettant aux entreprises, particulièrement les plus dotées, de ne pas être transparentes grâce à un privilège de confidentialité des échanges entre l'entreprise et le juriste qu'elle emploie. La belle affaire ! Le juriste d'entreprise est, par définition, subordonné à son employeur puisqu'il en est le salarié. À la différence de l'avocat, il n'est pas rattaché à un ordre élu et n'a pas à respecter des principes déontologiques faisant l'objet de formations précises. Grâce à vous, les grandes entreprises, qui seules disposent de moyens pour embaucher des juristes d'entreprise, pourront couvrir leurs pratiques illicites sous le sceau de la confidentialité.

Nous confronterons nos analyses, mais, de notre point de vue, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que les échanges entre les juristes et l'entreprise, qui est son employeur, ne peuvent bénéficier de ce privilège de confidentialité en raison du lien de subordination. Ce mot privilège, d'ailleurs, est éloquent : il est à l'image de votre politique, qui est au service de quelques-uns.

Ce privilège permettra aux grandes entreprises de se soustraire au contrôle des juges et des pouvoirs publics en matière civile, commerciale et administrative et entravera les enquêtes des autorités indépendantes, comme l'Autorité des marchés financiers, l'Agence française anticorruption ou l'Autorité de la concurrence. Il permettra aux grandes entreprises de se concocter des sortes de boîtes noires en injectant artificiellement des éléments de droit pour bénéficier de la confidentialité et cacher ainsi des documents accablants derrière un droit à la dissimulation et à l'opacité qui viole les droits des consommateurs et qui ouvre des possibilités de blanchiment d'argent et de corruption alors que vous avez refusé de renouveler l'agrément d'Anticor – un point plus un point, cela finit par constituer une ligne.

En empêchant toute logique de prévention, faute d'accès à un certain nombre de documents, préparez-vous à assumer avec de grandes entreprises des scandales sanitaires, sociaux et environnementaux. Vous attaquez les lanceurs d'alerte, qui ne sont pas protégés. Vous fragilisez les droits sociaux en déséquilibrant davantage encore le rapport de force entre les syndicats et les comités sociaux et économiques, d'une part, et la direction des entreprises, d'autre part, puisque les documents de préparation d'un plan de licenciement pourront être protégés par la confidentialité.

En somme, vous déroulez le tapis rouge à l'impunité totale des entreprises et à la délinquance économique et financière, vous affranchissez les grandes entreprises du droit à la preuve et du droit au procès équitable, vous créez une rupture flagrante du principe d'égalité entre quelques entreprises et l'ensemble des citoyens. Le seul privilège doit être celui de l'intérêt général sur l'intérêt privé. Encore une fois, grâce à votre politique, c'est le second qui risque de l'emporter et l'histoire nous apprend que, quand c'est le cas, cela ne se finit pas très bien.

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