La réunion

Source

Jeudi 2 novembre 2023

La séance est ouverte à dix heures cinquante-cinq.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

La commission entend lors de sa table ronde avec la filière vigne :

– M. Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV) ;

– M. Bernard Farges, président du Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d'origine et à indication géographique (CNIV) ;

– M. Joël Boueilh, président des Vignerons Coopérateurs de France ;

– Mme Anne Haller, directrice des Vignerons Coopérateurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Compte tenu de l'étendue du champ d'investigation de notre commission d'enquête et du nombre d'auditions prévues, nous n'avons pas proposé à toutes les filières d'être auditionnées. Nous nous sommes adressés à des organisations de représentation nationale, dont certaines ont une vocation générale, parfois accompagnées de représentants d'une filière donnée.

Toutefois, à la demande de l'un des membres de la commission d'enquête et après discussion avec le rapporteur, il nous a semblé important de consacrer une audition à la filière viti-vinicole, particulièrement concernée par le recours aux produits phytopharmaceutiques.

Il est important pour nous d'entendre votre état des lieux, mais aussi et peut-être surtout votre vision de l'avenir : quelles alternatives aux produits phytopharmaceutiques ? Qui décide de ce qui peut servir de solution alternative ? Est-ce la recherche, le ministère ? Au bout du compte, c'est aux professionnels qu'il revient d'adopter ou non une solution. Comment vous projetez-vous donc vers l'objectif de réduction de moitié des produits phytopharmaceutiques dans la culture des cépages ?

Cette table ronde est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Stéphane Héraud, Bernard Farges et Joël Boueilh et Mme Anne Haller prêtent successivement serment.)

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

Utiliser des produits phytosanitaires ne fait rêver aucun viticulteur ; nous essayons d'en limiter l'emploi depuis longtemps et de plus en plus. Il ne peut s'agir que de sauver nos récoltes : un passage qui ne sert à rien est coûteux pour nous ; la limitation des traitements s'explique aussi par des motivations économiques. À ces facteurs s'ajoute, depuis une dizaine d'années, la pression sociétale.

En ce qui concerne la non-atteinte de l'objectif de 50 % de réduction, il est nécessaire de repréciser la teneur de cet objectif : quels critères, quels indicateurs ? La limitation des traitements avec des produits CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques), de moins en moins utilisés en viticulture, nous amène à traiter plus souvent, les produits étant moins dangereux mais aussi moins efficaces.

Le climat est un autre élément à prendre en compte. En 2023, nous avons été obligés de traiter beaucoup pour sauver les récoltes, ce qui n'a pas suffi à empêcher des destructions massives de récoltes à cause de la limitation du recours aux produits CMR, voire de son interdiction par certaines structures, et du passage au bio – près de 25 % du vignoble français est bio ou en conversion. Depuis quelques années, les viticulteurs prennent en considération la nécessité de changer, mais les indicateurs peuvent être faussés par ce changement. En 2022, on sauvait une récolte avec quatre à cinq traitements ; cette année, dix à douze traitements étaient nécessaires en conventionnel, plus de vingt en bio. Les changements climatiques, ou les aléas du climat selon les années, doivent être pris en compte alors que les indicateurs portent sur le très court terme.

La forte baisse du recours aux CMR et la forte hausse des surfaces cultivées en bio font augmenter le Nodu (nombre de doses unités). Peut-être faudra-t-il revoir cet indicateur, qui n'est probablement pas le plus stratégique pour savoir si l'utilisation de produits phytosanitaires diminue ou non.

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

La viticulture est très diverse, dans son fonctionnement, mais aussi du fait du climat propre à chaque région : les besoins de protection du vignoble ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans la Loire et sur la façade Atlantique.

Depuis 2015, on observe une diminution très marquée de l'utilisation des produits, notamment les plus dangereux, les CMR. Elle est drastique dans certains vignobles : dans le grand Sud-Ouest, de Cognac à Bordeaux et autour de Toulouse. Dans le Bordelais, par exemple, on est descendu en dessous de 10 % d'utilisation des produits CMR et la part des produits bio et de biocontrôle atteint 65 % en 2022. C'est une révolution qui s'est faite en cinq ou six ans.

Il est vrai que l'objectif de 50 % – encore faut-il savoir de quoi on parle en y faisant référence – n'est sans doute pas atteint, mais ce que l'on a réussi en si peu de temps est déjà un exploit étonnant. Cette transition, endossée par l'ensemble de la viticulture, est attendue par la société – mais nous faisons partie de la société et nous avons les mêmes attentes que nos clients.

Si nous ne sommes pas allés plus loin, c'est faute d'alternatives. Tandis que certaines molécules ont disparu, d'autres, qui pourraient être disponibles plus vite, n'arrivent pas parce que les autorisations de mise sur le marché (AMM) prennent du temps, particulièrement pour les produits bio et de biocontrôle. Il faudrait faire évoluer la réglementation pour accélérer ces AMM et, en attendant, étendre les possibilités d'AMM provisoires. Un autre enjeu, très technique, est la reconnaissance mutuelle d'AMM. L'Europe est divisée en deux zones, nord et sud ; la France appartient aux deux. Ainsi, lorsque nos amis espagnols autorisent un nouveau produit, celui-ci ne peut pas entrer en France s'ils n'en ont pas demandé l'homologation pour la zone nord.

J'en viens à l'enjeu assurantiel. La société nous demande de traiter moins et nous le souhaitons aussi, mais cette prise de risque est assumée à 100 % par le producteur. En 2023, certaines entreprises, bio mais pas seulement, auront quasiment tout perdu. Si ce problème assurantiel n'est pas traité, des viticulteurs vont réintroduire des CMR. Être certifié n'est pas un objectif si cela signifie mourir économiquement.

Je fais partie de la task force « viti » qui travaille sur l'anticipation de l'éventuelle suppression de molécules. Lorsqu'une molécule est retirée du marché, nous avons besoin de temps pour trouver des alternatives. Nous avons identifié trois grands dangers, le mildiou, le black-rot et la flavescence dorée – qui provoque en trois ou quatre ans la perte de toute la parcelle : si nous perdions la famille des pyréthrinoïdes, c'est une partie du vignoble, en bio comme en conventionnel, qui disparaîtrait.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

De notre côté, l'orientation vers une viticulture bien plus respectueuse de l'environnement a été actée lors de notre congrès de juin 2019 : toutes nos caves coopératives se sont engagées dans la démarche Haute valeur environnementale (HVE) ou bio. Elles sont 50 % à avoir bien progressé dans cette voie : en moyenne, près de 70 % du vignoble de chacune d'entre elles est concerné par ces démarches agrienvironnementales.

Or le référentiel HVE s'est durci en 2022 et l'on observe en 2023 un ralentissement des adhésions. Nous restons persuadés qu'il s'agit d'un axe de travail essentiel pour continuer d'exercer notre métier dans les années à venir, nous ne le remettons pas en cause, mais il ne faut pas nier ce phénomène. Tout ce qui entrave la capacité à produire peut marquer un vigneron au fer rouge et le faire ainsi douter de ses engagements agrienvironnementaux, et nous n'avons pas envie de perdre ces vignerons, y compris parce qu'il nous faut poursuivre cette démarche. Nous sommes à la croisée des chemins.

Tout ce que nous avons fait jusqu'à présent n'a pas produit les résultats attendus, mais nous progressons. Cela peut prendre un peu plus de temps que ce qui avait été imaginé à l'origine, mais nous sommes en chemin. La viticulture est l'un des moteurs de ces démarches environnementales, notamment pour le HVE et le bio. Nous avons la culture du temps long – on plante une vigne pour vingt-cinq, trente ou quarante ans – et, de ce fait, notre secteur accepte très difficilement les coups de barre trop violents. Ne prenons pas le risque de perdre des gens ; certains doutent et voudraient revenir à des produits que nous préférerions mettre de côté. Parvenir à cet équilibre est fondamental pour notre filière.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La vigne a un impact important en matière écologique et fait l'objet de controverses, notamment avec les riverains – vous n'en avez pas parlé.

Votre filière est la plus engagée en ce qui concerne le bio et les vignerons indépendants ont été pionniers s'agissant du HVE – on peut penser que ce label n'est pas assez dur ; vous trouvez qu'il l'est trop ; en tout cas, vous vous êtes emparés de cet instrument. Mais vous êtes aussi singulièrement confrontés, par les conditions pédoclimatiques et la sensibilité de la vigne, à des défis redoutables et à des impasses.

Cette table ronde est bienvenue, car elle m'offre l'occasion de tester avec vous des idées qui concernent le plan Écophyto en général.

Pour couvrir le risque, deux hypothèses : que le marché récompense les cultures bas intrants par la différenciation des prix ; qu'un système assurantiel mutualisé soit instauré à l'échelle de la viticulture, du monde agricole ou de la nation elle-même. L'enjeu économique – le besoin de produire et de rémunérer les agriculteurs – est bien au cœur de nos travaux.

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

La viticulture est en effet la filière la plus avancée dans la transition vers le bio, mais la crise économique et l'inflation détournent le consommateur des gammes bio, ce qui peut obliger à commercialiser le vin bio comme un vin classique pour pouvoir le vendre, car le consommateur n'accepte plus la différence de prix.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

De quel ordre est en moyenne cette plus-value du bio à la vente ?

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

Globalement, la différence est de 20 à 30 % quand les choses vont bien par ailleurs – aujourd'hui, elle est faible ou nulle, quand le marché n'est pas totalement arrêté –, ce qui permet de compenser en partie la baisse ou la perte de récolte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me demandais si, au-delà du bio, le HVE ou un autre signe de qualité pouvait servir d'assurance par l'intermédiaire du prix. Vous me répondez en somme que cette forme d'assurance peut fonctionner en période de prospérité, mais non en période de difficultés. Qu'en est-il de l'autre hypothèse, le système assurantiel ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

C'est une piste à explorer.

Lorsqu'on a choisi le bio, on fait difficilement machine arrière. Ce qui n'est pas vendu en bio dans l'exemple cité par Stéphane Héraud, ce n'est qu'une partie de la production. En réalité, on ne peut pas modifier son choix d'une année sur l'autre. En revanche, on pourrait cultiver davantage de bio en limitant les risques si des exploitations mixtes – bio et non bio – étaient autorisées. Nous le demandons depuis des années. Le système actuel est complètement hypocrite : on peut classer sa production de vin blanc en bio si on cultive des cépages blancs en bio et des rouges en conventionnel, mais on ne peut pas avoir des parcelles travaillées en bio et d'autres non. Du coup, au grand bonheur des experts-comptables et des notaires, des exploitations se divisent en deux sociétés, une structure 100 % bio et une structure 100 % conventionnelle. Si la mixité était acceptée, davantage d'entreprises viticoles pourraient assumer 20 à 30 % de bio, en se soumettant à tous les contrôles nécessaires.

Des jeunes qui se sont engagés récemment en bio et ont voulu passer toute leur production en bio, ce qui revient à une prise de risque maximale, ont tout perdu ! Pour peu qu'ils aient connu les années précédentes une économie morose et des aléas climatiques, ils sont nus, si vous me passez l'expression.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vos propositions sont à étudier. En tout cas, vous êtes disposés à chercher des solutions pour assurer le risque. C'est un aspect fondamental de nos travaux.

J'ai lu le rapport consacré au réseau Dephy, dans lequel le secteur viticole est très mobilisé : comme vous l'avez dit, il y a des résultats, mais aussi des impasses. Globalement, on progresse, notamment en ce qui concerne les herbicides, mais la sensibilité aux ravageurs reste grande et le changement climatique pourrait aggraver cette exposition aux risques.

Comment s'en protéger ? Quel est votre point de vue sur la recherche ? Disposez-vous de moyens suffisants pour la conduire ? On peut penser que les grands domaines en ont, mais pas l'ensemble du vignoble. L'interprofession viticole est-elle mobilisée pour soulever les problèmes ? Ces derniers sont-ils bien traités par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Un chantier est en cours, le Gouvernement a fait des propositions et alloué 250 millions d'euros à la transition écologique. Les intercollectifs, l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) et l'Inrae ont engagé un travail de recherche, nécessaire pour trouver des solutions alternatives aux phytosanitaires. Toutefois, nous avons besoin de produits pour soigner les principales maladies de la vigne, qu'il s'agisse de biocontrôle ou de molécules de synthèse, dont l'écotoxicité est sans doute moindre. Dans ce domaine, les grands groupes doivent investir. Certaines start-up mènent des recherches en biocontrôle, mais il faut rendre le dispositif d'AMM plus pertinent, efficace et rapide.

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

La société ImmunRise a développé une algue efficace contre le mildiou, soit un véritable produit de biocontrôle. Ma coopérative a investi des dizaines de milliers d'euros dans ce projet. Les essais sont concluants, reste à obtenir l'AMM. Nous l'avons demandée il y a cinq ans et nous sommes toujours sans réponse ; ImmunRise s'est tournée vers la Belgique pour essayer d'obtenir une homologation. Cet exemple illustre la vie quotidienne des agriculteurs et des sociétés de recherche en France : le délai n'est plus acceptable. La volonté politique et professionnelle de faire progresser le biocontrôle se heurte à un blocage administratif incompréhensible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En 2014, j'ai participé à l'accélération de l'entrée du biocontrôle dans le processus d'AMM . Le bilan a été établi avec les professionnels concernés et l'Anses : ces dernières années, le système semble avoir atteint un tel degré de fluidité qu'il est question de l'étendre à l'échelle européenne ; les députés européens de divers groupes sont favorables au modèle français. Pourtant, j'ai entendu hier, à l'Assemblée, des sociétés qui se trouvent dans la situation que vous décrivez. Il y a donc un mystère à résoudre. Nous allons mener une enquête approfondie, en faisant de l'expérience d'ImmunRise un cas d'école ; nous interrogerons l'Anses pour connaître les raisons de ce retard étonnant. Il faut déterminer si le système est aussi efficace que le législateur l'a voulu en 2014.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

Pour protéger la vigne, nous recourons également aux nouvelles technologies, comme les new breeding techniques (NBT), les nouvelles techniques de sélection des plantes, qui sont prometteuses. Cependant, contrairement au biocontrôle, il s'agit d'un travail au long cours, à l'échelle du renouvellement d'un vignoble : elles ne constituent pas une solution d'urgence. Il est donc indispensable d'accélérer la production d'outils immédiatement exploitables, en complément du travail sur le temps long.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des chercheurs de Colmar m'ont saisi d'un projet en génomique qui ne respectait pas les règles de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao). Selon vous, les critères définis par l'Inao en matière de cépages laissent-ils une voie possible à la recherche en évolution génétique ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Je suis vice-président de l'Inao ; s'agissant de viticulture, la question est récurrente. Dans le cadre de la dernière politique agricole commune (PAC), nous sommes parvenus à faire évoluer les textes européens, qui étaient conformes aux souhaits antérieurs des professionnels : ce sont eux, non l'Inao, qui étaient à l'origine des blocages. Les cépages mono et polygéniques résistants sont désormais autorisés dans les appellations d'origine contrôlée (AOC). En France, quelques appellations ont commencé à les introduire dans leur cahier des charges, en Champagne, en Alsace, en Bordeaux, dans la vallée du Rhône, en Languedoc. Ces cépages sont issus de rétrocroisements et non de modifications génétiques : les produire demande plus de temps.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans l'intérêt général, il est heureux que le conservatisme qui prévalait en la matière se soit dissipé. La traçabilité des cépages demeure. S'agissant des NBT, le débat est-il ouvert ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Il l'est, mais nous restons discrets, de crainte que la viticulture soit mise à l'index. En cas de décisions européennes, les évolutions concerneraient aussi la viticulture, mais nous ne serons pas fer de lance. Il s'agit d'un débat de société ; comme les autres filières, la viticulture travaillera sur le sujet.

Permalien
Anne Haller, directrice des Vignerons Coopérateurs

J'insiste sur la distinction entre les solutions techniques et les traitements de biocontrôle. On plante une vigne pour vingt ou trente ans. Pour introduire de nouvelles variétés, un renouvellement complet du vignoble français, mené à un rythme raisonnable et régulier, prendrait quarante ans. Le rythme actuel est beaucoup plus lent. Nous cherchons résolument des solutions techniques pérennes, notamment de résistance aux maladies et à la sécheresse, mais c'est un travail à long terme – il faut éviter les décisions trop rapides. Les solutions à cinq ou dix ans seront d'une autre nature. Il ne faut pas laisser dire que les cépages pourraient résoudre le problème des phytosanitaires à court ou à moyen terme. Évidemment, ce raisonnement s'applique aussi à l'arboriculture, mais pas aux plantes annuelles, qui obéissent à une logique différente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez raison : notre mission concerne Écophyto 2030 et non Écophyto 2070. D'autres viendront après nous. Toutefois, il faut envisager les changements de cépages dès maintenant. À l'échelle européenne, le débat est ouvert et la question de la mise en conformité avec les règles de l'Inao est sensible pour la viticulture, l'arboriculture et d'autres cultures spécialisées.

À très court terme, il faut aussi poser la question du matériel de pulvérisation, qui a des incidences sur la santé. Pour préparer le rapport remis à Manuel Valls en 2014, j'avais visité le centre Occitanie-Montpellier de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), qui travaillait notamment sur les pulvérisations des vignes et des canopées. Les chiffres publiés dans le rapport étaient dramatiques : plus de la moitié du matériel utilisé ne respectait pas les normes en vigueur ; or la vigne est responsable d'une part importante de l'exposition aux pesticides, nocive pour l'environnement et la santé humaine. Nous avions proposé une classification en rouge, orange et vert afin de faire disparaître l'usage de matériel dépassé, grâce à un soutien public d'ampleur. Le parc s'est-il significativement modernisé ? Les vignobles les plus prospères se distinguent-ils des plus en difficulté sur le plan économique ? Possédez-vous des données statistiques en la matière ? Que proposez-vous concernant ce levier efficace ? Avant le renouvellement des cépages et le biocontrôle, il faut recourir à un matériel adapté, capable de déposer la bonne dose de produit au bon endroit.

Après la polyculture-élevage, la viticulture est le deuxième secteur à saisir le fonds d'indemnisation des victimes des pesticides (FIVP). Comment votre secteur d'activité prend-il en considération la question de la sensibilité aux maladies et aux accidents professionnels ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Notre expérience de longue date nous permet de témoigner que le travail a beaucoup changé en vingt-cinq ans. Les produits sont très différents et beaucoup de précautions ont été introduites. Nous fumions en travaillant, torse nu et en short ; les tracteurs étaient très peu protégés et nous utilisions des molécules qui ont heureusement été interdites. Les maladies dont souffrent aujourd'hui les personnes ainsi exposées sont la conséquence de cet état de fait. J'ignore quelle sera l'évolution sanitaire, mais tous ceux qui travaillent dans les vignes prennent désormais des précautions. Par exemple, il y a quinze ou vingt ans, les délais de réentrée n'étaient pas une préoccupation ; ils sont désormais déterminants pour l'organisation du travail.

Par ailleurs, depuis dix ans, les relations avec les riverains sont très différentes. On ne compte plus les apéros que les vignerons organisent au printemps pour expliquer leur travail ; certaines régions viticoles ont organisé des envois de SMS pour informer des traitements à venir. Les efforts ainsi déployés partout en France ont apaisé presque toutes les tensions, si l'on fait exception des inévitables mauvais coucheurs, chez les viticulteurs comme chez les riverains.

S'agissant du matériel, le mieux est l'ennemi du bien. Nous sommes confrontés à un paradoxe. Il y a dix ans, les molécules étaient efficaces et nous avons fait évoluer le matériel, qui est devenu très performant – précis et intelligent, mais fragile et difficile à utiliser. Dorénavant, les molécules sont moins efficaces ; il faut renouveler beaucoup plus souvent leur application, ce qui nécessite une plus grande quantité de matériels disponibles : pour ce faire, nous avons besoin d'appareils fiables et simples d'utilisation. Évidemment, il faut continuer à veiller aux riverains – beaucoup de rangs de vignes trop proches des voisins ont été arrachés, mais nous devons éviter l'excès de technicité.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

Vous l'avez rappelé, des aides ont été versées, dont nombre de vignerons ont profité pour se doter d'outils performants capables d'éviter les dérives. En revanche, l'appareil n'est pas déterminant pour la réussite du traitement, contrairement au produit utilisé. En 2023, ceux qui emploient des appareils d'une autre époque ont souvent obtenu de bien meilleurs résultats à la récolte que les viticulteurs engagés dans une démarche agrienvironnementale qui recourent à la pulvérisation confinée pour protéger au mieux l'environnement et les riverains. Certains vignerons engagés ont envie de se rebeller car ils ont le sentiment d'avoir été menés dans une impasse. Il est heureux, d'ailleurs, qu'ils aient perçu des aides pour acquérir ces outils fort onéreux, car ce sont parfois les propriétaires de vignobles à faibles performances économiques qui ont consenti de tels investissements. En effet, le problème environnemental s'impose à tous.

Nous sommes donc désormais confrontés à ce paradoxe : nous disposons d'outils très performants, mais fragiles et complexes d'utilisation ; si la moindre efficacité des molécules impose des traitements plus fréquents, l'intérêt économique devient plus aléatoire. Il ne faut pas dégoûter les vignerons qui se sont engagés dans cette voie, mais faire comprendre que les mesures d'adaptation sont les plus pertinentes, pour préserver la dynamique d'engagement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au cours de nos auditions, nombre d'acteurs ont évoqué la reconception des exploitations : il faudrait notamment repenser le calendrier agricole, allonger les rotations, diversifier les variétés, recourir au couvert végétal, favoriser la régénération du sol. La viticulture réfléchit-elle à s'inscrire dans cette démarche ? Vous n'êtes pas concernés par la rotation, mais la diversification pourrait constituer une piste, à l'échelle de la parcelle. La déspécialisation de la viticulture relève-t-elle de la science-fiction ? Au contraire des cultures annuelles, la viticulture doit lutter contre la pression sanitaire bien plus que contre les adventices. Les premières pensent qu'elles pourront peut-être parvenir à se passer d'insecticides et de fongicides, mais pas d'herbicides ; l'inverse est-il vrai dans les vignobles ? Mme Haller soulignait qu'un réencépagement pourrait s'apparenter à une reconception ; les professionnels du secteur ont prouvé qu'ils pouvaient le faire, mais il faudrait quarante ans et cela ne garantit pas qu'aucun recours à la chimie ne sera plus nécessaire. Quelle projection à long terme vous semble réaliste ?

Par ailleurs, dans quelle mesure les efforts consentis en France – HVE, bio, réduction des recours aux produits phytopharmaceutiques – peuvent-ils être valorisés à l'export ? Le marché domestique connaît une évolution négative, mais votre secteur crée un excédent commercial essentiel pour la nation. La valorisation des démarches évoquées pourrait-elle contribuer à financer la recherche et le développement (R&D), l'expérimentation, voire la prise en charge de la pression sanitaire dans le modèle assurantiel ?

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

La valorisation à l'export est nulle. Le label HVE est franco-français, inconnu même à l'échelle européenne. Quelques pays seulement s'intéressent au bio, comme les pays nordiques et le Canada – plus précisément le Québec. Dans les autres, l'intérêt ne concerne que le vin biologique vendu au même prix que le vin conventionnel. Les pratiques agroécologiques avancées peuvent constituer un argument de vente, mais elles n'entraînent aucune valorisation commerciale.

En France, la valorisation a existé tant que l'économie allait bien, mais depuis trois ans environ, les consommateurs n'achètent plus de bio. Quelques distributeurs avaient passé leur marque en bio et sont revenus au vin conventionnel faute de pouvoir valoriser le changement.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

S'agissant de l'évolution des pratiques, il faut évoquer la captation du carbone. Les pays du Nord de l'Europe, par exemple, s'intéressent au bilan carbone du secteur. Le débat est ouvert au niveau européen, nous n'y échapperons pas. La filière viticole est globalement émettrice de carbone, notamment à l'aval, pour la commercialisation. En revanche, les exploitations peuvent en capter.

En matière de réorganisation, la rotation des cultures est peu opportune dans notre domaine ; la diversification des cépages est susceptible d'amoindrir la sensibilité aux aléas climatiques ; nous pouvons recourir aux couverts végétaux et aux engrais verts, comme les mélanges interculturaux, pendant la saison hivernale. Peut-être devrons-nous chercher de nouveaux terroirs ou de nouvelles orientations pour supporter les conséquences du changement climatique. Progressivement, l'intérêt pour ces sujets s'accroît et cette démarche se fait plus présente.

Quant aux adventices, la viticulture n'en est qu'aux prémices de la robotique, mais on sait combien la téléphonie mobile, par exemple, a évolué en vingt-cinq ans. Des projets sont en cours de développement, qui apporteront sans doute également des solutions.

La rupture avec la culture conventionnelle se fait progressivement ; nous sommes volontaires pour fournir des pistes aux vignerons et pour leur montrer que ces nouvelles démarches ne sont pas seulement du travail supplémentaire, mais un investissement à long terme, dans l'activité du sol et la captation de carbone. Nous avons à cœur d'œuvrer en ce sens, même si cela nécessite de se projeter à long terme.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma méconnaissance des règles qui s'appliquent à la vigne me conduit à poser trois questions – je suis par ailleurs moi-même agriculteur dans le domaine des céréales et de la multiplication de semences.

Premièrement, comment les traitements contre le mildiou s'intègrent-ils dans le bio et la HVE ? En HVE, les indicateurs doivent exploser une année comme celle-ci ! Perd-on son label ? En l'absence de solutions agroécologiques, y a-t-il des dérogations en bio ? Ne pas traiter ferait en effet courir le risque de perdre toute la récolte en bio ; trop traiter, celui d'être déclassé en HVE.

Deuxièmement, en HVE, comment le désherbage au glyphosate sous le rang est-il pris en compte dans l'IFT, l'indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires ? L'usage du glyphosate ayant globalement diminué, les chiffres sont-ils moins bons, alors que vous êtes plus vertueux ? De fait, puisque la dose maximale a été abaissée, proportionnellement, vous en mettez plus.

Troisièmement, je voudrais en savoir plus sur les ZNT, les zones de non-traitement, et l'attitude des riverains dans les villages au cœur de vignobles. Les vignes, en offrant au paysage un charme très pittoresque, attirent de nouveaux habitants. Y a-t-il des particularités réglementaires ?

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

En France, nous avons le droit d'utiliser 1,25 litre de glyphosate par hectare de vigne, contre 6 litres dans les autres pays européens, ce qui pose un vrai problème de concurrence. La viticulture interdit dorénavant le désherbage intégral. Il n'est possible de désherber que sous le rang. La dose limite de 450 grammes de matière active par hectare et par an nous conduit clairement dans une impasse. En arboriculture, je crois qu'il est possible de traiter avec 900 grammes par an, en deux applications. Ces 450 grammes sont très insuffisants. Lorsque les produits ne sont pas très valorisés, le coût de la lutte contre les adventices est prohibitif.

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

Dans les exploitations en bio, l'utilisation du cuivre dans le traitement du mildiou est plafonnée sur sept ans, ce qui permet, les années compliquées, d'appliquer des doses plus importantes, pour peu que cela s'équilibre avec les années passées et à venir. Ce système a été instauré il y a quatre ans et nous sommes à peu près dans les clous. Il ne faudra pas, toutefois, que des années comme 2023 se reproduisent trop souvent car nous dépassons cette année largement la dose moyenne. Heureusement, nous avions de l'avance.

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Cette possibilité d'utiliser plus ou moins certaines molécules avec un objectif cadré sur sept ans est intéressante, en ce qu'elle permet de conserver les molécules mais d'en réduire l'usage.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

Lorsque le glyphosate était limité à 6 litres par hectare en viticulture, pour un désherbage à 2 litres, l'IFT était de 0,3. Maintenant que le glyphosate est limité à 450 grammes de matière active, soit à 1,25 litre par hectare, alors que vous êtes en dessous des 2 litres utilisés dans un schéma classique, non seulement vous êtes moins efficace mais surtout vous atteignez tout de suite un IFT de 1, parce que vous êtes à pleine dose autorisée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est bien ce que je pressentais ! Les pratiques s'améliorent, mais le calcul se détériore. L'approche IFT me semble avoir ses limites. Si l'on diminue la dose autorisée, par définition, on augmente l'IFT.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

Mécaniquement, on a dégradé l'IFT. On se retrouve avec des IFT de désherbage souvent inférieurs à 1, pour rester dans le cadre du HVE. Quelles sont les solutions ? Il n'y en a pas. En réalité, pour être dans les clous, on ne peut plus utiliser le glyphosate. C'est une façon sournoise de nous détourner de son usage, parce que la dose maximale autorisée ne permet plus de lutter réellement contre les adventices. Une année comme 2023 pose deux problèmes : le premier est relatif aux IFT, du fait de la fréquence des traitements et du nombre d'interventions ; le deuxième concerne le reliquat des fertilisants dans le sol, mesuré par rapport à la production de l'année. Si une dérogation est prévue pour excès de reliquat azoté dans le cas de trop petites récoltes, il n'y en a pas, en HVE, pour un dépassement des fongicides.

Mi-juillet, alors que nous voyions arriver la catastrophe, nous avons discuté avec le ministre de l'agriculture qui nous a laissé entendre que l'on pourrait, dans la nouvelle PAC, bénéficier d'années dérogatoires. Justement, 2023 est particulière, dans la mesure où il a fallu mettre en œuvre des moyens de protection phytosanitaire inhabituels. Nous en reparlerons avec le ministre, parce que nous ne savons pas comment s'enclenche cette procédure dérogatoire ponctuelle. Monsieur Turquois, vous mettez le doigt sur un problème qui se posera pour bon nombre d'exploitations viticoles engagées en HVE en 2023. Ne perdons pas de vue qu'il risque d'y avoir des conséquences pour la commercialisation des produits et pour la traçabilité.

Pour répondre à votre troisième question, des gens ont en effet voulu construire près des vignes, parce que c'est beau et que cela participe à l'attrait d'une commune. À l'époque où la population naissait sur place, il n'y avait pas de problème, elles faisaient partie du paysage. Désormais, avec l'arrivée de nouveaux habitants dans nos villages, nous devons prendre en compte cette proximité. M. Farges évoquait les apéritifs rencontres organisés avec les riverains. Nous encourageons la relation de proximité avec le voisinage pour expliquer quand, comment et pourquoi nous devons intervenir dans les vignes. C'est plutôt bien intégré, d'autant que les outils dont parlait M. Potier, qui permettent de limiter au maximum la dérive, sont utilisés dans ces parcelles pour éviter les nuisances. Nous adaptons aussi les horaires d'intervention. Cela reste un point de vigilance, parce que c'est de là que naîtront les premiers conflits et les premiers soucis de voisinage. Souvent, si des vignes sont encore là, c'est que l'enjeu économique n'est pas neutre, surtout pour des appellations un peu prestigieuses. Déplacer des vignes n'est pas toujours possible. C'est un équilibre à trouver. On est quelquefois sur le fil pour gérer les relations de voisinage.

Permalien
Anne Haller, directrice des Vignerons Coopérateurs

Je voudrais revenir sur deux points. Le premier, c'est la question de l'évolution des modèles viticoles à moyen et à long terme. Elle se fait sous une triple pression : le changement climatique, qui va obliger à déplacer des parcelles dans des zones plus ombrées ; la nécessité de conserver une rentabilité ; les évolutions sociétales, à l'égard des phytosanitaires, du carbone et de la biodiversité. Souvent, les débats portent uniquement sur l'un de ces trois aspects. Or l'exploitant devra tenir compte de tous. L'exemple du glyphosate est révélateur de certaines contradictions. Nous devons avoir une vision cohérente des conditions d'évolution des exploitations, en tenant compte des différents facteurs. L'adaptation au changement climatique ou aux maladies relève de problématiques très régionales. Ce ne sera pas la même chose dans la zone bordelaise, qui ne rencontre pas de problèmes de sécheresse pour l'instant, que dans les zones méditerranéennes, qui deviennent désertiques. Les modèles vont bouger sous la pression de plusieurs facteurs.

Concernant le HVE et l'évolution du référentiel, ce qu'a dit M. Turquois est assez juste : les évolutions des pratiques font que les IFT sont moins bons. C'est toute la contradiction du projet de HVE dans lequel la viticulture française s'est particulièrement engagée. Ce modèle visait à faire évoluer les pratiques. Mais le problème, c'est qu'il n'y a pas de point d'arrivée. On diminue les doses encore et encore, sans objectif. À continuer ainsi, on ne peut qu'aller dans le mur. Les gens vont se désengager du HVE – sinon des pratiques environnementales, d'un cahier des charges qui n'est plus applicable, ce qui serait dommage. Il faut se demander quelle est la cible visée pour définir un cahier des charges stable et offrir de la visibilité aux professionnels. Si c'est pour arriver à de l'agriculture biologique, il y a déjà un cahier des charges agriculture biologique, mais ce n'est pas cela la cible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au départ, on ne va pas se mentir, le HVE était très favorable aux vignobles à haute valeur ajoutée, parce que les intrants étaient calculés sur un pourcentage du chiffre d'affaires. Dès lors que vous vendiez un grand cru, vous bénéficiiez d'une très grande tolérance sur les intrants. La réforme actuelle est plus exigeante, même si elle semble encore insuffisante à beaucoup de partisans de l'agroécologie. Excusez ma question de béotien, mais y a-t-il un HVE spécifique à la vigne ? Faudrait-il un HVE adapté à l'écosystème viticole, qui soit la bonne marche entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle ?

Permalien
Anne Haller, directrice des Vignerons Coopérateurs

Au tout début, le HVE suivait deux modèles : un modèle technique et un modèle économique. Le passage à la voie A a exclu la partie économique qui a peut-être été trop favorable, au moment de la création du label. Mais ce n'est pas cette évolution qui est la plus problématique, c'est la dernière, dans laquelle les IFT ont été encore abaissés. Les plafonds étant ramenés à la référence moyenne des IFT de la région, vous devez toujours faire moins que ce qui se fait en moyenne dans votre zone. C'est le principe général pour bénéficier du label. Dans ces conditions, meilleures sont les pratiques de votre région, plus l'effort est difficile à fournir. Cette logique régionale a un intérêt puisque tout le monde ne traite pas de la même manière. Mais si, au bout de trois ou de cinq ans, le référentiel est réévalué et que tout le monde a diminué son recours aux phyto, cela impose de faire encore mieux, ce qui peut conduire à une situation caricaturale : l'impossibilité de faire le moindre traitement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La pratique de la HVE pose deux questions. La première est celle de l'accident climatique qui bouscule les chiffres : une exploitation HVE dans ma circonscription a été totalement ravagée par la grêle, et cela a eu un tel impact qu'il ne lui sera pas possible de respecter la moyenne sur trois ans. La seconde, c'est la comparaison aux moyennes régionales. Dans mon secteur, les comparaisons datent des années 2015, où il y avait encore une part significative de maïs, qui a totalement disparu. Or, le maïs nécessite peu de traitements. Cela fait que les exploitants ne peuvent plus passer à la HVE. L'évolution récente de la HVE pose problème. Les plus vertueux n'y sont plus éligibles, ce qui est tout de même paradoxal.

Permalien
Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine et à indication géographique (Cniv)

Il faut relativiser l'expérimentation des fermes Dephy, notamment en matière de coût et de moyens engagés, pour un résultat contestable et difficilement duplicable. Avoir un dixième de techniciens à disposition en permanence sur son exploitation n'est pas viable. On a créé des emplois, mais attention à la généralisation. Pour nos prochains dispositifs d'accompagnement, prenons garde à ne pas dépenser d'argent de manière inconsidérée.

La séparation du conseil et de la vente rencontre un succès relatif. Un vendeur ne fait pas forcément un mauvais conseiller. Au lieu de séparer systématiquement le conseil de la vente, développons des structures capables de dispenser un conseil stratégique tous les deux ou trois ans, afin de tendre vers des objectifs et de faire évoluer les pratiques. De telles structures pourraient être financées par une partie du produit de la RPD, la redevance pour pollutions diffuses. En tant qu'exploitant qui voit le travail de ses fournisseurs, je trouve que la séparation du conseil et de la vente n'est pas forcément utile et efficace.

Permalien
Stéphane Héraud, président de l'Association générale de la production viticole (AGPV)

Je suis tout à fait d'accord avec les remarques de M. Farges.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est un sujet que connaît particulièrement bien le rapporteur et qui a été abordé dans le cadre de nombreuses auditions. Ne croyez pas que nous le laissons dans l'ombre.

Permalien
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France

La question de la séparation du conseil et de la vente se pose d'autant plus en viticulture que nous sommes très souvent des petites et moyennes entreprises (PME). Nous sommes en lien avec des administrateurs voire des présidents de cave coopérative qui sont eux-mêmes gérants d'entreprises de travaux agricoles et interviennent chez d'autres vignerons. En tant que gérants d'entreprise, ils vendent un service, tout en faisant du conseil en tant que gérants de cave coopérative, ce qui les met en défaut. Soit la cave ne peut plus faire de conseil, soit ils doivent démissionner de leur poste d'administrateur ou de président, parce qu'ils font de l'application de produits phytosanitaires en entreprise. Cette incohérence peut poser problème dans certaines régions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous remercions pour ce temps d'échange très riche.

La séance est levée à douze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Frédéric Descrozaille, M. Jean-Luc Fugit, Mme Nicole Le Peih, M. Dominique Potier, M. Nicolas Turquois

Excusé. – M. Éric Martineau