La réunion

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Mardi 10 octobre 2023

La séance est ouverte à quatorze heures quinze.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

La commission procède à l'audition de Mme Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services de la Fédération du négoce agricole (FNA), M. Bernard Perret, négociant agricole et M. Nicolas Charpentier, négociant agricole.

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Je suis heureux d'ouvrir cette audition de la commission d'enquête sur la réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques. Je demande à nos interlocuteurs de bien vouloir nous excuser par avance. Comme vous le constatez, très peu de députés sont présents, en raison d'une actualité grave et inédite, qui nous imposera de suspendre l'audition après 45 minutes, afin que nous puissions être dans l'hémicycle pour la minute de silence qui se tiendra à quinze heures.

Nous auditionnons aujourd'hui trois représentants du négoce agricole. En 2018, a été votée la séparation de la vente et du conseil. Sur le papier, c'était une idée qui se justifiait pleinement. Il apparaît aujourd'hui que c'était peut-être une fausse bonne idée. Il se trouve que le rapporteur connaît très bien cette question, pour avoir été corapporteur, avec Stéphane Travert, ancien ministre, d'une mission sur ce sujet. Les membres de la commission seront éclairés sur le rapport qu'ils ont élaboré. Il nous semble important de savoir comment vous avez vécu cette évolution législative et, plus généralement, quel regard vous portez sur cette politique de réduction de l'usage des produits phytosanitaires lancée avec le Grenelle de l'environnement, dont nous constatons aujourd'hui qu'elle a échoué.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Sandrine Hallot et MM. Bernard Perret et Nicolas Charpentier prêtent serment.)

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Bernard Perret, négociant agricole

La Fédération du négoce agricole est une association d'entreprises privées et de filiales de coopératives. Ce sont des entreprises patrimoniales, issues de plusieurs générations de négociants, d'entrepreneurs locaux sur les territoires. Nous pesons pour un tiers de la collecte nationale, c'est-à-dire des achats de produits agricoles aux agriculteurs, en vue de les stocker et de les faire valoir sur le marché auprès des transformateurs. Nous représentons aussi 40 % du marché de l'approvisionnement, c'est-à-dire de la vente des intrants nécessaires aux productions agricoles. Il s'agit des fertilisants, produits de protection des plantes, semences, piquets, palissage, plastiques ; bref, tout ce qui permet à nos agriculteurs d'avoir de belles récoltes, en quantité et en qualité, sans oublier nos éleveurs.

Pour ma part, je suis négociant sur un grand quart sud-est, dans le triangle Lyon-Montpellier-Nice, et également présent en Corse. Les cultures dominantes sont la vigne, l'arboriculture et le maraîchage ; relativement peu de grandes cultures. Ces territoires permettent, par les cultures et la climatologie, de développer des biosolutions. Dans mon chiffre d'affaires, je vends plus de 40 % de biosolutions ou produits de biocontrôle. Environ 30 % de nos agriculteurs sont en agriculture bio. Le climat le permet : nous avons du vent, du soleil et peu d'humidité. Surtout, nous avons la volonté de nous engager dans une démarche progressiste, parce que les agriculteurs sont souvent en contact direct avec le consommateur, qui pose des questions sur les pratiques ou l'utilisation de pesticides. Nous sommes une courroie de distribution entre les fabricants et les fournisseurs et nous agissons en fonction des attentes du marché.

Je suis à la tête de l'entreprise familiale depuis quarante ans, qui était toute petite au début. Nous sommes aujourd'hui 620 salariés, dont 120 personnes sur le terrain au quotidien pour dialoguer avec les agriculteurs et voir quelles sont leurs problématiques.

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Mon secteur est celui des Hauts-de-France. Notre négoce est de quatrième génération. Le gros du travail consiste à valoriser la récolte de nos agriculteurs : nous cherchons la qualité pour mieux valoriser et mieux payer nos agriculteurs. Nous avons une dominante céréalière, mais pratiquons aussi la culture industrielle, les légumes, etc.

Un changement assez profond est intervenu il y a un quelque temps dans les pratiques agricoles. La perte de certaines molécules nous a incités à nous tourner vers des méthodes alternatives. Nos équipes sur le terrain dispensent des formations agronomiques. Nous aidons les agriculteurs à prendre conscience de certaines valeurs, à mieux connaître le fonctionnement du sol et des plantes. Nous constatons une envie du monde paysan de changer de méthodes. Les agriculteurs veulent avoir autre chose à proposer, changer d'image. Ils sont donc assez à l'écoute de tous ces changements.

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Pour nous, il est important d'avoir une idée de l'évolution du poids de la vente de produits phytopharmaceutiques dans le cadre des activités de négoce, par rapport au reste, depuis une quinzaine d'années. Comment vous adaptez-vous à l'objectif de réduction de l'usage des produits phytosanitaires ? Quels produits et services proposez-vous à vos clients ? Qui couvre le risque d'un changement de pratiques susceptible d'impacter les récoltes en termes de qualité et de quantité ?

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Mes questions portent sur la séparation de la vente et du conseil. Vous avez déclaré, dans le cadre des auditions de la mission flash que j'ai conduite avec Stéphane Travert, que c'était une fausse bonne idée et que les moyens n'étaient pas adaptés. Pourriez-vous redire, devant cette commission d'enquête, ce qui a changé pour le négoce agricole avec la mise en œuvre de cette séparation, et les raisons pour lesquelles les acteurs ont massivement choisi la vente plutôt que le conseil ? La direction générale de l'alimentation (DGAL) du ministère de l'agriculture nous dit qu'elle avait été surprise par ce choix. Ce n'était pas dans le plan initial ; le Gouvernement s'attendait à des proportions de l'ordre de 30 % pour la vente et 70 % pour le conseil, ou 50 % pour chaque activité, mais pas 99 % pour la vente et 1 % pour le conseil.

Pouvez-vous dire en toute franchise, pour aider la commission à établir la vérité, de quelle manière vous établissez la frontière entre ce qui relève de l'information sur le produit et ce qui relève du conseil, que vous n'avez désormais plus le droit de proposer ?

Enfin, quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la relation avec les agriculteurs, du fait de cette séparation ?

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Bernard Perret, négociant agricole

En 2003, je réalisais un chiffre d'affaires consolidé de 203 millions d'euros, dont 166 millions d'euros sur les produits phytosanitaires. L'année dernière, j'étais 250 millions de chiffre d'affaires, pour 44 millions d'euros sur les produits phytosanitaires. En encore, l'année 2003 était celle de la canicule : quand il fait chaud et sec, on utilise moins de produits. À cette époque, on établissait des programmes de traitement de manière quasi systématique ; on ne s'interrogeait pas sur le climat ou la pression maladie.

Au début des années 2010, on a évolué vers un itinéraire technique. En fonction de la pression et du stade végétatif, on utilisait tel ou tel produit. On laissait quand même une part à l'analyse de la situation pour savoir s'il fallait traiter ou pas.

Aujourd'hui, on établit des catalogues pour exposer à nos clients l'ensemble des solutions possibles, pas forcément en fonction des stades, et on apporte des ajustements en fonction des demandes. Il revient à l'agriculteur de faire son choix. Dans toutes les situations, l'agriculteur reste souverain puisque c'est lui qui applique le produit et qui en a la charge dans son compte d'exploitation. Il décide de dépenser 50, 60 ou 100 euros à l'hectare quand il commence à traiter, selon ses objectifs. Nous lui apportons la solution technico-économique qui lui semble la plus adaptée.

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Pourquoi avons-nous choisi la vente ? Cela fait bientôt cent ans que nous faisons de la vente dans notre entreprise ; il en va de même pour la plupart des négociants et coopératives : la vente correspond à leur quotidien. Nous ne vendons pas seulement des produits de protection des plantes, nous vendons aussi des aliments, des semences, des couverts végétaux, des intrants, de la fertilisation foliaire, etc. Nous disposons d'une palette très large de produits à proposer à nos agriculteurs. Récolter une céréale nécessite d'abord de la semer, de la désherber, de la réguler. C'est vraiment un suivi sur toute la campagne. Ne faire que du conseil n'entre pas dans nos gènes. Nous avons toujours accompagné nos clients dans leur approvisionnement. Ils vont commencer le désherbage d'automne parce que les solutions de printemps ne fonctionnent pas très bien et ce désherbage va permettre de réduire la population des adventices.

Nous avons avec les agriculteurs un lien beaucoup plus fort qu'une simple relation commerciale ; nous connaissons leurs exploitations, leur assolement, leur famille. La séparation du conseil et de la vente a été dure à accepter, aussi bien pour nous que pour les agriculteurs. Dès qu'ils ont besoin de quelque chose, ils nous le demandent. Sur le terrain, on trouve la chambre d'agriculture, parfois des conseillers indépendants, mais ils ne sont pas assez nombreux. En discutant avec les responsables des chambres, on constate un manque de ressources humaines et financières pour mettre en place cet accompagnement.

Pour nous aussi, sociétés, recruter des vendeurs est une opération compliquée. Il faut donner envie aux jeunes ou aux moins jeunes de vendre des pesticides. Ce mot ne fait pas rêver. Quand on parle de produits de protection des plantes et de solutions de biocontrôle ou de biostimulation, le discours s'en trouve un peu changé et l'écoute se révèle meilleure. Néanmoins, les difficultés de recrutement demeurent. C'est valable dans tous les métiers, pas seulement dans le secteur agricole.

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Bernard Perret, négociant agricole

Je crois que seuls deux distributeurs ont choisi la voie du conseil. La vente de produits phytosanitaires est totalement intégrée dans nos activités ; même si cela pèse moins dans mon chiffre d'affaires, cela représente toujours 18 %. Pour les entreprises qui ont fait le choix du conseil, comme Euralis, la vente était une activité beaucoup plus marginale : on parle de 40 millions d'euros sur un peu plus d'un milliard de chiffre d'affaires. Le modèle économique n'est pas impacté lorsqu'on s'affranchit d'un petit pan de son activité. La vente de produits phytosanitaires fait partie intégrante de notre modèle. Elle doit représenter en moyenne 30 % des ventes, ce taux pouvant se monter à 50 ou 60 % pour certaines cultures. Nous ne pouvons pas dire que nous avions le choix. Il était impossible de choisir le conseil pur et dur, d'autant plus qu'il n'existe pas de modèle économique autour du conseil, encore aujourd'hui.

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Bernard Perret, négociant agricole

Économiquement, oui. C'est comme demander la vente à perte des carburants. On finit par se heurter à un mur, car il n'y a pas de modèle économique.

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L'État n'a pas été au rendez-vous pour la mise en place du conseil stratégique. Il n'a pas organisé le déploiement de conseillers indépendants consulaires ou privés. Il s'est dit surpris par le choix du négoce et des coopératives. Mais vous dites qu'il n'y avait pas de quoi être surpris. C'est un élément important.

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Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services de la FNA

Je pense qu'il sera intéressant de reprendre les contributions que nous avons pu faire sur les différents projets de textes instaurant la séparation du conseil et de la vente. Elles pourraient éclairer la commission sur la teneur des discussions à l'époque.

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Vous avez largement alerté le ministère sur le fait que les négoces choisiraient la vente.

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Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services de la FNA

Des contributions en ce sens ont été faites lors des consultations sur les projets de textes. Comme vous l'avez souligné, la limite et les contours du modèle envisagé étaient perçus comme flous. Les entreprises que nous représentons ne parvenaient pas à se projeter dans un tel modèle.

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Vous êtes responsables de ces entreprises. Lorsque vous donnez des consignes à vos salariés, vous leur dites de donner des informations sur l'usage des produits mais de ne pas faire du conseil de préconisation. Avez-vous trouvé le moyen d'expliquer cela à vos vendeurs ? Ou en réalité, la frontière est-elle tellement floue qu'elle est sans arrêt franchie dans un sens et dans l'autre ? Comment avez-vous assumé cette contrainte imposée par la loi ?

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Ça a été un grand bouleversement pour les coopératives et le négoce. Du jour au lendemain, on arrête de conseiller, on se limite à la vente. Nous avons des catalogues, nous proposons différentes solutions, nous avons des résultats d'essais de firmes ou des résultats d'essais réalisés dans nos groupes, validés par des sociétés indépendantes. La démarche ne va pas plus loin, il revient à nos clients de faire leur choix. C'est là toute la difficulté. Le client ne sait pas si la solution A est meilleure que la solution B ou C. Auparavant, nous pouvions l'orienter, car nous connaissions ses problématiques et l'efficacité des produits. Notre quotidien est un mal-être, car nous sommes toujours à la limite de franchir la frontière.

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Feriez-vous vôtre la formulation suivante : si vous refusez le conseil, vous mettez l'agriculteur mal à l'aise et si vous donnez ce conseil, vous vous mettez hors-la-loi ?

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Nous sommes d'accord. Le client ayant besoin d'un conseil ne sait pas vers qui aller en raison du manque de conseillers indépendants. Il ne sait pas où aller chercher l'information : sur Internet, sur le site de l'Inrae ou ailleurs ? Ce n'est pas aussi réactif que ce que nous proposions.

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Quelle est la proportion des agriculteurs qui, privés du conseil des vendeurs, se sont tournés vers les conseillers des chambres consulaires ou des centres techniques, se sont documentés sur Internet, ont suivi un stage de formation ? Parlons-nous de 5 %, de 10 %, de 30 % ? Qu'en est-il pour les autres ? Continuent-ils à bénéficier des conseils officieux des vendeurs ?

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Il n'existe pas de statistiques, mais un responsable de chambre d'agriculture m'a affirmé que le périmètre des clients du conseil n'a pas évolué massivement depuis la séparation de la vente et du conseil.

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Y a-t-il eu des demandes vers les organismes de développement et de recherche ? Soit la situation s'est arrangée de façon officieuse avec les vendeurs, soit les gens se sont débrouillés. C'est l'un ou l'autre car il y a, en tout état de cause, peu de conseillers indépendants, consulaires ou privés.

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Bernard Perret, négociant agricole

Nous pouvons encore proposer un peu d'accompagnement dans le cadre des certificats d'économie de produit phytosanitaires (CEPP), pour combler le mal-être dont Nicolas vient de parler. Cela renforce notre lien avec l'agriculteur.

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Je vous pose ma question avant la suspension de séance pour que vous puissiez préparer votre réponse. La FNA a été, en 2015, l'auteure d'un recours devant le Conseil d'État pour dénoncer un décret d'application d'une loi de 2014, relatif aux CEPP. Aujourd'hui, vous faites du CEPP, comme les coopératives, un argument pour retrouver votre capacité à conseiller. Vous pouvez accompagner la transition agroécologique dès lors que vous êtes en mesure de conseiller, cela va de soi. Mais à l'époque, vous aviez déposé un recours pour dénoncer les CEPP – recours qui avait contribué à enliser la dynamique. Comment expliquer ce revirement ? Soit c'est une conversion, soit vous aviez de bons arguments. Quand on vous a proposé cette mission en 2014, vous aviez refusé parce que les CEPP s'accompagnaient d'une obligation de résultat et d'une sanction financière en l'absence de réduction des pesticides au profit de solutions alternatives, comme le biocontrôle mécanique ou génétique.

L'audition est suspendue de quatorze heures quarante-cinq à quinze heures quinze.

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Bernard Perret, négociant agricole

La FNA avait attaqué le principe initial, parce que nous estimions qu'il était injuste d'imposer une obligation de résultat pour le négociant alors que l'arbitrage final revient toujours à l'agriculteur. En outre, il y avait une sanction financière relativement lourde, à 5 euros le CEPP manquant – mon objectif était de cent mille, la sanction pouvait donc atteindre les 500 000 euros à terme.

Nous préférons le système actuel, qui pose une obligation de moyens. Nous faisons la promotion des actions CEPP et nous constituons nous-mêmes des actions nouvelles à ajouter au catalogue parce qu'il n'y en aura jamais assez.

Aujourd'hui, nous faisons cent-un-mille CEPP et nous sommes un peu plus rassurés sur le fait d'entrer dans cette démarche d'obligation de moyens et de promotion de ces actions. L'arbitre reste l'agriculteur. Il faut le motiver, et non le sanctionner, en l'incitant à choisir nos solutions CEPP, qui ne sont pas forcément les plus rassurantes à ses yeux, ni les plus économiques. Il faut l'aider, re-flécher la redevance pour pollution diffuse (RPD), qui est une sanction, vers quelque chose qui pourrait être motivant.

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Bernard Perret, négociant agricole

Non, je parle de re-flécher la RPD vers une utilité.

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Il était important que vous exprimiez la raison de l'opposition de la FNA à cette obligation de résultat, alors que les négociants ne sont pas les décisionnaires ultimes. Pour autant, vous êtes un influenceur important et il me semble que la question pouvait légitimement être posée.

Nous avons eu connaissance d'un rapport du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) produit en février dernier, qui pose le constat de l'échec de la séparation de la vente et du conseil. Il faut aujourd'hui trouver une sortie. Il faut trouver les moyens de garantir l'indépendance du conseil tout en remobilisant les acteurs économiques. Quelle serait la proposition de la FNA, pour ne pas retomber dans la situation antérieure à la séparation du conseil ?

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Le fait de créer une deuxième société pour séparer le conseil de la vente n'est pas vraiment une solution, dans le sens où cela alourdit vraiment la démarche. Nous parlions de CEPP. Il faut savoir en tête que les solutions sont en réalité combinatoires. Dans chacune de nos sociétés, nous pouvons augmenter notre taux de CEPP si nous sommes en mesure de les combiner avec un conseil phytosanitaire adapté. S'il faut en plus créer une deuxième société, recruter de nouvelles personnes, la démarche n'est pas réalisable à notre niveau.

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Pour la bonne compréhension des commissaires, je me permets de préciser que cette séparation opérationnelle est une des préconisations formulées par la mission flash. Il s'agit de sortir de la séparation capitalistique et de procéder à une séparation opérationnelle. Cette solution vous paraît complexe et susceptible d'aboutir à une impasse s'agissant du recrutement de conseillers spécifiques qui ne soient pas des vendeurs. Avez-vous d'autres propositions ?

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Bernard Perret, négociant agricole

Le conseil stratégique doit rester à part, mais il faut nous rendre la faculté de faire du conseil spécifique sur l'intégralité des solutions, car nous avons la proximité nécessaire avec les agriculteurs. Il faudrait peut-être accroître le niveau d'exigences vis-à-vis de ceux de nos agents que nous allons certifier « conseil ». En revanche, je ne pense pas qu'on puisse envisager de séparer complètement l'activité de conseil de l'activité de vente au sein de nos structures, comme l'a dit Nicolas Charpentier. Les agriculteurs auraient affaire d'un côté au commercial, de l'autre au conseiller. Les jeunes que nous recrutons aujourd'hui viennent car ils sont motivés par le virage que nous sommes en train de prendre. Il faudrait donc pouvoir avoir des technico-commerçants avec un niveau d'exigences renforcé ; on pourrait par exemple leur demander un certiphyto tous les deux ans, au lieu de tous les cinq ans. Nous sommes quand même dans une phase d'accélération. Les grandes firmes phytopharmaceutiques rachètent des petites entreprises qui proposent des solutions de biocontrôle. Des solutions arrivent sur le marché et nous devons avoir la faculté de les promouvoir. Nos clients doivent avoir la faculté de les comprendre. C'est une construction commune. Les fermes des 30 000 sont une bonne initiative mais la distribution en a été écartée. J'ai une de ces fermes qui a été bâtie avant que ce ne soit le cas ; nous avons commencé avec sept agriculteurs et aujourd'hui, nous en avons dix-sept. Je ne suis pas sûr que c'était une bonne idée d'en écarter la distribution.

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Avec des formations Ecophyto plus fréquentes pour vos conseillers, vous êtes encore dans une obligation de moyens. L'une des propositions de la mission que j'ai conduite avec Stéphane Travert vise à rétablir la sanction des CEPP en contrepartie d'une réintégration partielle du conseil. On reviendrait donc à une obligation de résultat. Les bons résultats que vous avez obtenus dans la réduction de la vente de produits phytosanitaires, Monsieur Perret, vous encouragent-ils à penser que les attendus de la loi 2014 n'étaient pas si inaccessibles que cela ?

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Bernard Perret, négociant agricole

En maraîchage, il existe de nombreuses solutions. Nous n'utilisons pratiquement plus de pesticides sous serre. Pourquoi ? C'est un milieu clos et fermé, que nous maitrisons en lâchant des prédateurs et en maîtrisant les maladies. Dès que les distributeurs ont plus de cultures de vigne ou de maraîchage, tout devient plus facile, parce qu'il y a un catalogue d'actions CEPP qui permet d'atteindre les objectifs. Mais les chiffres de j'évoquais sont une moyenne sur l'ensemble de mes filiales ; certaines sont nettement en deçà de ce résultat.

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Vous partez à chaque fois d'exemples plutôt vertueux, mais nous aimerions avoir une vision plus globale de la FNA. La marche à franchir pour obtenir la baisse de CEPP telle qu'était prévue dans la loi de 2014 vous paraît-elle infranchissable ? Il semble peu probable que l'on revienne sur la séparation du conseil et de la vente sans parler de l'obligation d'obtenir des résultats en termes de baisse des produits phytosanitaires. Le levier du commerce reste très important ; la puissance publique ne voudra pas y renoncer.

Vous avez dit votre crainte de créer deux sociétés et de séparer les métiers. J'entends cet argument. Sur les CEPP, êtes-vous prêts à un nouveau contrat avec la Nation, qui dirait que vous allez être acteurs et, le cas échéant, sanctionnés, en l'absence de réduction de l'usage des produits phytosanitaires au profit d'alternatives que vous pourriez vous-mêmes commercialiser ? Vous avez donné des exemples de solutions alternatives.

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Dans les grandes cultures, c'est un peu moins idyllique que dans le maraîchage, la vigne et l'arboriculture. Le nombre de fiches CEPP disponibles n'est déjà pas équilibré. Nous n'avons pas autant de solutions que de cultures. Nous créons aussi des fiches : la Fédération intègre un incubateur de fiches CEPP. Nous faisons aussi de la formation sur le terrain, par exemple pour le stockage de céréales sans insecticides. Nous essayons de nous donner les moyens avec ce que nous avons. Mais il ne faut pas oublier que de nombreux négociants n'ont pas du tout les taux de CEPP que nous pouvons avoir, dans mon entreprise ou dans celle de M. Perret. Dans les secteurs d'élevage, les rotations sont moindres et plus difficiles. Ils sont un peu loin de leurs objectifs. Il faut pouvoir discuter et trouver une voie qui convienne à tout le monde.

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Il est avéré que les plans Écophyto I et II n'ont pas atteint leurs objectifs. Vous avez dit, à raison, que vous faites partie des acteurs qui sont le plus en proximité des agriculteurs, lesquels sont les décisionnaires ultimes. D'après vous, comment expliquer que ces politiques publiques aient à ce point échoué ?

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Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services de la FNA

Depuis la séparation du conseil et de la vente, nous faisons face à une situation d'incohérence entre les différentes politiques publiques. Nous sommes la courroie de transmission et nous constatons une inadéquation entre les injonctions, parfois contradictoires, et le besoin qui remonte du terrain d'un accompagnement fort et d'une levée de l'aversion aux risques, comme vous avez pu l'évoquer.

Un arrêt du Conseil d'État a été rendu en juillet dernier sur une affaire liée aux CEPP et à la séparation de la vente et du conseil. En tant que fédération, nous ne savons plus quoi recommander aux négociants. Nous avons d'un côté une obligation de promouvoir les CEPP de manière très active, ce qui est plutôt un bon point. L'obligation de moyens bien structurée est bien perçue et produit des résultats encourageants. Mais, par ailleurs, l'avis du Conseil d'État nous interdit de conseiller tout ce qui est en relation avec les produits phytosanitaires dans le cadre des CEPP – notamment les produits de biocontrôle. Dans ce contexte, nous sommes complètement bloqués pour accompagner la transition agro-écologique des agriculteurs.

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Je ne voudrais pas que l'on se focalise sur la séparation de la vente et du conseil. C'est un vrai sujet, mais cette séparation date de 2018 alors que nous parlons de politiques publiques qui ont été lancées dix ans plus tôt. Que s'est-il passé ? Tout l'échec ne vient pas de la séparation de la vente et du conseil.

Si nous pensons que c'est dans la proximité que le conseil est le plus efficace, et puisque vous avez été des témoins privilégiés des quinze dernières années, comment expliquez-vous que cela n'ait pas marché à ce point ? Monsieur Perret, vous avez donné des chiffres qui m'impressionnent sur la vente de produits phytosanitaires en proportion de votre chiffre d'affaires, mais c'est votre entreprise. Il est avéré qu'au niveau national, les ventes n'ont absolument pas baissé. Le marché des produits phytopharmaceutiques ne s'est pas effondré du tout depuis quinze ans.

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Bernard Perret, négociant agricole

Mes confrères locaux sont sûrement dans la même situation que moi. Tout dépend de notre faculté à proposer des solutions qui apportent une viabilité au client. Un de mes fournisseurs s'est recentré sur les biosolutions – biostimulants et biocontrôles. C'est une petite entreprise française, De Sangosse. Il voit ce qui se passe à l'étranger et a investi dans des filiales en Amérique du sud et Amérique du nord. Il nous dit que s'il pouvait apporter les solutions autorisées sur ces territoires en France, ce serait un accélérateur. Il faudrait peut-être révolutionner les homologations pour ces produits. De quelle manière l'Anses peut-elle accélérer le procédé ? De la sorte, on arriverait sans doute à toucher la grande culture, qui est le parent pauvre localement. S'il y a davantage de solutions, je suis sûr que les distributeurs seront force de proposition. Si nous n'avons pas grand-chose à promouvoir, tout restera lettre morte. Il faut augmenter le catalogue des possibles et savoir où se trouve le potentiel de ces solutions. La distribution jouera ensuite son rôle de transmetteur de bonnes pratiques.

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La FNA a-t-elle déjà formulé une proposition concrète sur la question de la séparation du conseil et de la vente et, plus globalement, sur une politique nouvelle en matière de commercialisation des produits phytopharmaceutiques ?

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Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services de la FNA

Il n'y a pas de texte formalisé, mais nous souhaitons prendre notre part sur certains points. Aujourd'hui, MM. Perret et Charpentier ont évoqué un renforcement de la formation des équipes internes. Nous avons lu votre rapport avec attention ; il mentionne le modèle québécois, qui prévoit des formations minimales en continu pour les agronomes, par exemple. Ce sont des choses que nous pensons utiles. Il faut aussi savoir mieux identifier le service de conseil que nous rendions jusqu'en 2021. Il n'existe plus aujourd'hui, comment pouvons-nous le réintégrer dans nos entreprises, le formaliser ? Aujourd'hui, nous avons un système avec un agrément. Ne faudrait-il pas assurer une meilleure traçabilité de ce conseil ? Devons-nous emmener le certificateur avec nous sur le terrain ? Ce sont des questions sur lesquelles nous devrons avancer au cours des prochaines semaines. Mais l'arrêt du Conseil d'État nous préoccupe beaucoup. Nous ne savons pas comment nous pourrons continuer. J'ai compté 47 fiches CEPP sur les produits de biocontrôle, qui font partie des produits phytosanitaires. Que se passe-t-il si 47 fiches sur 120 tombent ?

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Dans votre fédération, on pratique la vente d'engrais et d'autres intrants. Aujourd'hui, que représentent les produits phytosanitaires ? Si vous commercialisez du matériel numérique, d'aide à la décision, du biocontrôle ou d'autres formules, y a-t-il un modèle économique possible pour vos métiers, un rééquilibrage des profits vers d'autres activités, dans l'hypothèse d'une réduction importante du poids des produits phytosanitaires ? Gagne-t-on de l'argent dans les solutions alternatives ?

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Bernard Perret, négociant agricole

Au sein de la FNA, il y a beaucoup de distributeurs qui se sont diversifiés dans la transformation pour réduire la dépendance économique de leur modèle aux produits phytosanitaires. Beaucoup ont investi dans la transformation. J'ai investi dans de la diversification toujours tournée vers mes agriculteurs, de l'irrigation, du matériel agricole – dont des solutions comminatoires pour diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires. Vous parliez d'échec, mais regardez les évolutions dans le recours aux herbicides : nous faisons 30 % de ce que nous faisions il y a sept ans. Je parle des herbicides pour les cultures pérennes et la vigne. Nous avons appris à désherber sous le rang. Il existe pour cela des solutions mécaniques. Quand il pleut beaucoup, ces solutions sont onéreuses et nous essayons de trouver une solution mixte. Nous travaillons aussi aux solutions de pulvérisation, en particulier pour les biosolutions, qui sont plus difficiles à pulvériser, car ce ne sont pas des poudres mouillables. Nous avons ainsi développé des techniques de pulvérisation adaptées.

Pour ma part, j'ai pris le virage de la réduction des produits phytosanitaires en 2009, car je voyais que cette évolution était inéluctable, même si elle s'inscrit sur un temps long. Mais pour le faire, il faut avoir la capacité à investir et à rebondir. Il en va de notre responsabilité, en tant que distributeurs : nous ne pouvons pas nous accrocher aux produits phytosanitaires.

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Ma question consiste à savoir si des alternatives aux produits phytosanitaires permettraient de rééquilibrer le modèle économique de vos entreprises.

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Nicolas Charpentier, négociant agricole

Non. Quelques coopératives de notre secteur ont commencé à vendre du matériel qui, finalement, ne fonctionne pas. C'était peut-être plus, au départ, pour répondre à un marché bio, qui, aujourd'hui, régresse. Dans bon nombre de négoces céréaliers, nous essayons de transformer nos récoltes pour créer un peu plus de valeur. Mais sur l'aspect purement technique, agronomique, nous n'avons pas beaucoup de solutions alternatives aux produits phytosanitaires à proposer. Pour nos sociétés, l'enjeu financier est donc assez important.

Puis, la commission entend plusieurs acteurs du conseil agricole :

- M. Hervé Tertrais, président du Pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA), M. Lilian Bachellerie, trésorier, et Mme Julie Coulerot, secrétaire ;

- M. Jean-Paul Bordes, directeur général de l'Association de coordination technique agricole (ACTA).

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Nous allons maintenant parler du conseil agricole. Je vais demander à nos invités de nous présenter succinctement leurs activités. Je vous invite à nous indiquer le rôle que vous jouez auprès des agriculteurs. L'objet de cette commission d'enquête est de comprendre l'échec des politiques publiques conduites depuis une quinzaine d'années, et visant à réduire l'impact et l'usage des produits phytopharmaceutiques. Il est important que nous comprenions quel regard vous portez sur ces années, et que vous nous aidiez à formuler des recommandations pour permettre à la Nation d'atteindre les objectifs qu'elle s'est donnés.

En préambule, je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Julie Coulerot, MM. Hervé Tertrais, Lilian Bachellerie et Jean-Paul Bordes, prêtent serment.)

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Je vous remercie de nous recevoir. Pour nous, association, bénéficier de votre écoute est très important.

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Le Pôle des conseillers indépendants en agriculture représente le conseil vraiment indépendant, connu et reconnu par l'État et les institutions administratives, au même titre que Coop de France, la Fédération du négoce agricole et l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA). Le PCIA est le porte-parole de plus de 200 conseillers en production végétale agricole, pour qui le conseil indépendant n'est plus au stade expérimental ni au stade des intentions, mais bien au stade des actes et des résultats sur le terrain. Ils couvrent à peu près 1,8 million d'hectares en grande culture et un peu plus de 50 000 hectares en culture spécialisée dans la viticulture.

Le PCIA se compose de conseillers indépendants en production végétale – grandes cultures, cultures fourragères, maraîchage, arboriculture, viticulture –, en production animale – notamment en nutrition –, en réglementation, en contrôle de qualité, tant pour l'agriculture conventionnelle que pour l'agriculture biologique.

Ils ont tout comme objectif le moins possible de produits phytopharmaceutiques et la recherche de méthodes alternatives. Dans un esprit d'équipe et d'intelligence collective, les entreprises de conseil membres adhérentes du PCIA travaillent dans le sens d'une agriculture humainement, socialement, techniquement, économiquement et écologiquement efficace, viable et évolutive. Ce métier de conseiller agricole indépendant est un métier mal connu et pourtant reconnu sur le terrain pour son efficacité et les réponses qu'il apporte aux agriculteurs.

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Pouvez-vous nous dire un mot sur la mise en œuvre des plans Écophyto ? De quelle manière ces plans ont-ils été vécus et appliqués par les conseillers ? Pour nous, il est important de comprendre pourquoi ces plans ont échoué. Nous sommes très loin des objectifs, qui datent du Grenelle de l'environnement et qu'on n'arrête pas de repousser. Vu de votre fenêtre, qu'est-ce qui explique ce qui s'est passé ? C'est la question centrale.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Vous parliez d'Écophyto. Cela va peut-être paraître un peu prétentieux mais, les agriculteurs suivis par des conseillers indépendants, cela fait longtemps qu'ils ont atteint les objectifs de ce plan. C'est la réalité du terrain. Ce n'est pas pour rien que le PCIA s'est battu pour cette fameuse indépendance élargie. Il y a deux crans d'indépendance, l'indépendance séparée du conseil, de la vente et de l'application des produits phytosanitaires et l'indépendance élargie, qui est une indépendance vis-à-vis de toute vente d'intrants de production animale et végétale, de toute commande de machinisme agricole et de toute subvention de fonctionnement.

L'indépendance élargie est totalement à part. En l'absence de toute source de financement alternative, on doit amener de la valeur ajoutée. On a un objectif commun avec l'agriculteur, consistant à baisser les intrants. Il s'agit d'exploiter le potentiel d'une parcelle à son maximum en utilisant le moins d'intrants possible.

Vous me demandez pourquoi l'objectif n'a pas été atteint. Une chose est sûre. Cet objectif est atteint par les exploitations agricoles suivies par des conseillers indépendants. Je peux le démontrer tous les jours. On a des baisses de 40, 60, 70 % des produits phytosanitaires, voire plus. Pour nous, ce n'est plus un problème. Mais on cherche toujours à s'améliorer, même si on est arrivé à 50 %. Et l'on fait en sorte que le revenu des agriculteurs soit au moins égal à ce qu'ils avaient, voire supérieur.

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Quand un agriculteur confie sa culture, il confie son revenu, sa ressource et le résultat de son entreprise. Tout est basé sur une relation de confiance. Il doit pouvoir dormir sereinement le soir. En faisant une intervention qui lui permet de sécuriser sa récolte, il renforce aussi la pérennité de son entreprise. La relation de confiance est la clé dans toutes les décisions et tous les échanges qui suivent. Pour apporter des solutions économes en intrants, c'est plus facile que lorsqu'il n'y a pas de connaissance et de reconnaissance entre les individus.

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

L'Acta est la tête de réseau des instituts techniques agricoles. Ces instituts sont au nombre de dix-neuf. Ils sont qualifiés par les pouvoirs publics et travaillent sur la recherche appliquée agricole dans différents domaines, comme la production végétale ou animale. Nous avons aussi deux instituts outre-mer, qui travaillent sur les questions agricoles dans un environnement tropical. L'Acta anime ce réseau et représente les instituts techniques. Elle anime aussi la concertation entre les instituts sur des sujets d'intérêt transversaux et collectifs. Il y en a beaucoup, que ce soit l'eau, le changement climatique, le carbone, etc. Elle travaille en partenariat étroit avec l'amont de la recherche – l'Inrae, le Cirad, l'Inserm – et avec l'aval, c'est-à-dire les chambres d'agriculture, les coopératives, les négoces, les groupes d'agriculteurs.

Notre mission principale est de produire des références techniques et économiques pour aider les agriculteurs à rester compétitifs dans leur activité, les aider à se transformer aussi. Nous travaillons de plus en plus avec des institutions internationales, surtout au niveau européen.

Nous avons aussi des contacts avec les agriculteurs, mais ce n'est pas notre cœur de cible, c'est plutôt celui des chambres d'agriculture, des conseillers, etc. Nous les touchons cependant à travers les moyens numériques : on compte environ douze millions de connexions sur nos sites Internet, ce qui montre que les agriculteurs viennent directement regarder les références que produisent les instituts techniques.

J'ai préparé une petite note que je vous laisserai, préparée en concertation avec notre présidente et d'autres instituts techniques, qui apporte des éléments de réponse à la question que vous posiez en introduction. Pour nous, les raisons de l'échec sont multifactorielles. J'ai recensé quelques points clés, certains de nature technique et économique, d'autres en lien avec la gouvernance et les politiques prônées.

Le premier point, qui est le plus important, est la carence d'alternatives opérationnelles. On sait faire des choses, on sait proposer des alternatives aux agriculteurs. Il faut savoir que les instituts végétaux consacrent à peu près 30 % de leurs moyens à la recherche de nouveaux systèmes de production, en lien avec la protection intégrée des cultures. C'est assez considérable. Mais on n'a pas assez d'alternatives techniques crédibles sur le plan économique. Les agriculteurs veulent des solutions qui soient efficaces, mais qui, aussi, tiennent la route sur le plan économique. Et l'on n'a pas toujours les leviers qui sont à la hauteur de leurs attentes.

Des initiatives intéressantes vont dans ce sens, mais elles ne sont sans doute pas assez soutenues. Je pense notamment au contrat de solution qui a été porté par la profession puis repris par une quarantaine de partenaires. Il propose des mesures concrètes, opérationnelles, testées et utilisables directement par les agriculteurs. Il y a à peu près 120 fiches. C'est quelque chose que l'on a nourri, avec d'autres organismes.

Il y a aussi le dispositif des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP), un peu de la même nature, qui propose également des mesures concrètes et opérationnelles, et qui est original parce qu'il met les pourvoyeurs de conseil dans l'obligation de diffuser un certain nombre de bonnes pratiques. Cependant, le dispositif est complexe et difficile à mettre en œuvre. Par exemple, avec la séparation de la vente et du conseil, des distributeurs n'ont plus le droit de faire du conseil, mais ils doivent quand même, dans le cadre des CEPP, donner des conseils sur la façon de réduire les produits phytosanitaires. La frontière est souvent floue et je sais que c'est un sujet de préoccupation pour eux.

Nous pensons que les indicateurs de suivi du plan ont été très centrés sur le résultat, au travers de l'indicateur du Nodu en particulier, pas assez centrés sur la capacité à innover. C'est peut-être un point sur lequel il faut réfléchir parce que, même si l'on constate que le Nodu stagne, on voit des innovations, même si elles ne passent pas directement dans la pratique. Je pense qu'avoir un indicateur qui s'intéresse à la capacité de porter des initiatives, des alternatives et des innovations auprès des agriculteurs, serait peut-être plus encourageant. En effet, la focalisation sur le Nodu, qui n'a pas trop évolué pendant dix ans, a fini par démoraliser tout le monde.

Parmi les causes de nature politique, il y a le choix initial de partir sur un objectif de réduction de l'utilisation des pesticides dès l'adoption de la directive européenne de 2009. Celle-ci a pour objectif premier de réduire les impacts sur la santé et l'environnement, et nous ne sommes que deux pays, avec le Luxembourg, à avoir fait le choix d'un objectif de réduction. Cela a créé un malaise chez nos agriculteurs qui ne comprenaient pas pourquoi, dans les pays voisins, l'on pouvait encore faire des choses que nous-mêmes nous interdisions.

Autre cause politique, le sujet de la planification. Quand on planifie une politique publique avec des objectifs, on fait le pari qu'on aura suffisamment de solutions en poche pour pouvoir accompagner le mouvement et donc atteindre ces objectifs. En l'espèce, les objectifs étaient vraisemblablement trop ambitieux par rapport à notre capacité à accompagner. On se retrouve dans une situation de report de l'objectif alors que le panier des solutions avance, mais pas tout à fait avec le même pas de temps. Il faut une dizaine d'années pour créer une nouvelle variété et pour tester une innovation dans le domaine du biocontrôle. Je pense qu'on a aussi un peu pêché de ce côté.

On aurait pu mieux structurer l'effort de recherche. En l'état, les financements sont un peu épars. J'y reviendrai si vous le souhaitez. On aurait gagné en lisibilité en faisant autrement.

Et pour terminer, la gouvernance multiple complexifie les choses. Quatre ministères sont impliqués, peut-être bientôt cinq. C'est aussi une comitologie complexe dans laquelle nous, les instituts techniques, avons du mal à exister. Par exemple, au comité scientifique d'orientation recherche et innovation (Csori) du plan Ecophyto, on n'a que deux collègues d'instituts présents, ce qui est quand même un peu dommage.

Enfin, nous avons peut-être manqué un rendez-vous au moment du bilan à mi-parcours. Je pense que nous aurions pu nous inspirer des premiers retours pour avoir une autre trajectoire et combiner la trajectoire de la réduction d'utilisation avec la trajectoire de réduction de l'impact.

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Je vais d'abord interroger le PCIA. Vous vous êtes positionnés sur le marché du conseil et vous affirmez que vous avez des résultats qui sont extrêmement probants, à l'instar du réseau des 3 000 fermes Dephy. Vous suivez des milliers d'agriculteurs, qui obtiennent des résultats très performants par rapport à la moyenne de ce qu'on observe au niveau national. C'est intéressant. Cependant, pour les fermes Dephy, il y a un biais. Les chambres, qui sont maîtres d'ouvrage, sélectionnent les agriculteurs les plus allants, les plus cultivés et motivés sur la question de l'agroécologie. N'y a-t-il pas un biais aussi pour ce qui vous concerne ? De fait, vous travaillez avec une forme d'élite de l'agriculture, déjà sensibilisée à l'agroécologie. Vous ne travaillez pas avec l'ensemble des agriculteurs. Vos performances sont tout à fait louables. Néanmoins, peut-on ensemble admettre que vous ne vous adressez pas à la moyenne des agriculteurs, mais à une catégorie d'agriculteurs qui est déjà disposée à prendre des risques ? Cette question n'est pas nouvelle. Je vous l'ai déjà posée lorsque nous nous sommes vus sur la question de la séparation de la vente et du conseil.

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Julie Coulerot, secrétaire du PCIA

Le métier de conseiller, quand on accompagne les agriculteurs, est de faire en sorte de les amener à passer une marche, qu'elle soit petite ou élevée. Donc non, on ne travaille pas qu'avec l'élite, c'est une image déformée que l'on peut avoir du conseil indépendant. On accompagne un agriculteur individuellement ou à travers des groupes très restreints. L'objectif, c'est qu'il applique les conseils qu'on va fournir, qu'il les comprenne pour devenir autonome. Quand on assure un accompagnement personnalisé et individuel, on est pédagogue pour que l'agriculteur maîtrise les techniques. Et plus il en maîtrise, plus il est demandeur.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Plus les gens sont performants, plus ils sont en recherche de techniques. Cela, je l'admets. C'est la fameuse phrase d'Einstein : « la perception de ton ignorance, c'est le périmètre de ta connaissance ». Cependant, nous suivions tous types d'exploitations. Parfois, des banques ou des centres de gestion nous envoient des agriculteurs en difficulté pour les aider à se relever. Cela illustre bien mon propos.

Après leur BTS ou leur école d'ingénieur, certains jeunes vont travailler dans des coopératives, des négoces, des chambres d'agriculture ou des instituts techniques. Quand ils s'installent dans leur exploitation, ils nous connaissent et ils viennent nous voir. Ils ont envie d'aller plus loin, c'est un peu comme le sport de haut niveau. Vous avez donc raison de dire qu'il y a des gens qui sont performants et qui veulent encore être plus performants parmi nos clients, mais pas seulement. On les amène à franchir des marches un peu plus hautes.

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Il y a, de fait, une catégorie d'agriculteurs qui est culturellement disponible pour les aventures.

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À la question consistant à savoir si vous avez une typologie de clients spécifiques qui explique que vous obteniez de tels résultats, vous dites non, on a tous types de clients. Si votre réponse est vraie, comment se fait-il que l'exemple que vous donnez n'essaime pas davantage ? En l'état, les fermes Dephy apportent la démonstration qu'il est possible d'atteindre les objectifs que la Nation s'est fixés. Mais on a un problème de massification. Si vous obtenez de tels résultats, les paysans ne sont pas plus bêtes que les autres, il y a ce qu'on appelle le développement par-dessus la haie : comment se fait-il que vous ne crouliez pas sous les demandes des clients ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Je vais vous répondre tout de suite. On n'a pas la communication qu'ont certains lobbys – je ne dis pas cela de manière péjorative. Les entreprises de conseillers indépendants sont des petites et moyennes entreprises (PME), voire des très petites entreprises (TPE). Notre puissance de frappe n'est pas du tout la même. L'État n'a jamais vraiment communiqué sur la séparation du conseil et de la vente ; la majorité des agriculteurs ne sait même pas que le conseil indépendant existe. Vous savez très bien que le conseil de terrain mis en œuvre pas les vendeurs n'a jamais cessé, bien qu'il soit illégal. Si l'on veut avoir des retombées, il faut aider le conseil indépendant à se développer.

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Est-ce qu'on ne recourt pas aussi au conseil indépendant parce que le paysan d'à côté obtient un très beau blé avec deux fois moins de frais ? Pourquoi est-ce que vos exemples ne font pas tache d'huile ? Pourquoi les bonnes pratiques ne sont-elles pas plus vulgarisées ? C'est un chantier qui est devant nous. Ce n'est pas un reproche.

Vous obtenez des résultats qui égalent voire même dépassent les objectifs fixés par la loi auprès de quelques milliers de paysans. Vous avez, à travers votre expérience, découvert la part des solutions qui, à modèle agricole égal, permettent de réduire l'usage des produits phytosanitaires. C'est un modèle substitutif : on remplace une solution par une autre. Mais on dit que pour aller au-delà de 25 à 30 % de réduction, il faut changer l'agronomie, c'est-à-dire la taille des parcelles, la succession et l'association des cultures, les techniques agronomiques. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui que le PCIA a investi pour obtenir 40, 50 ou 60 % de baisse d'intrants ? On ne les obtient pas sans faire un conseil plus global. Pouvez-vous nous dire un peu la part de l'optimisation et de la substitution et la part du changement de modèle ? C'est intéressant comme retour d'expérience. Vous ne remplacez pas une molécule chimique par une molécule de biocontrôle, vous ne remplacez pas un herbicide par autre chose ; vous changez l'agronomie.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Vous avez raison, la partie agronomique est très importante s'agissant, par exemple, de la limitation des herbicides. Il y a aussi les périodes d'intervention, les stades d'intervention, l'observation, les choix variétaux, les choix d'espèces, les rotations, les assolements. C'est un ensemble de choses. En effet, tout part de l'agronomie, de la base de la plante jusqu'à la récolte. C'est tout un suivi, c'est un accompagnement personnalisé.

Quand on s'adresse à un groupe, il n'est pas sûr qu'il y ait du ruissellement d'une exploitation à l'autre. Les exploitations agricoles sont de différentes dimensions. C'est la raison pour laquelle le conseil personnalisé a de plus en plus d'importance, du fait que les gens ont des exploitations de plus en plus importantes.

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Je voulais simplement que vous confirmiez que l'on ne réduit pas l'usage des produits phytosanitaires de 50 ou 60 % uniquement par l'optimisation ou la substitution. Il faut faire de l'agronomie.

La séparation du conseil et de la vente devait être un Eldorado pour vous. Vous aviez les savoir-faire, la technique ; les chambres et vous auriez dû prendre 100 % du marché du conseil, en substitution des vendeurs, négoces ou coopératives. Ce n'est pas de cette manière que les choses se sont passées. Vous êtes restés sur une niche qui a un peu augmenté en volume, mais c'est tout. Vous êtes très critiques sur cette séparation du conseil et de la vente. Qu'est-ce qui n'a pas marché ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Le conseil a toujours été fait de la même manière sur le terrain par la distribution. Pour que nous puissions faire du conseil, il faut bien qu'il y ait des gens qui vendent. Je respecte les métiers, à chacun sa place. Mais les gens qui faisaient du conseil commercial ont continué à faire du conseil commercial. On a dit aux agriculteurs que rien n'avait changé. Il y a eu un problème de communication de la part de l'État. Vous dites que les chambres et le conseil indépendant ne se sont pas développés et c'est en partie à cause de cela.

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Les représentants du négoce admettent que cela a continué comme avant. Ils nous l'ont dit publiquement et sous serment. Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire ? Il faut que l'on soit précis, c'est une commission d'enquête. Vous dites que l'État n'a pas informé les agriculteurs et les vendeurs que ce qu'ils faisaient était hors-la-loi. Pouvez-vous affirmer qu'il n'y a pas eu d'information des agriculteurs et des vendeurs de produits phytosanitaires sur ce point, pour leur expliquer très clairement que, désormais, ils n'étaient légalement plus autorisés à faire ce conseil ?

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

On a un permis pour travailler, pour appliquer du conseil à l'utilisation des produits phytosanitaires. Ce permis, qui est comme un permis de conduire, nous a été confirmé, mais il a été retiré aux autres structures faisant de la vente. En découle une suppression de leur assurance en termes de responsabilité civile sur ce métier. Mais, quelque part, on les a laissés continuer de conduire ce même véhicule sans contrôle. On a des contrôles pour vérifier la pertinence de notre métier, de notre agrément. Je pense que les pouvoirs publics ont un peu fermé les yeux sur cette conduite parallèle. En même temps qu'on laissait faire ces pratiques devenues illégales, les pouvoirs publics n'ont pas encouragé la création d'entreprises et l'installation de personnes qui avaient la compétence, le talent, la confiance des agriculteurs pour développer le marché du conseil agricole indépendant.

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Ce sont des sujets que l'on a déjà traités avec Stéphane Travert, mais il est important que la commission les entende. Il n'y a pas eu de campagne d'information. Il y a eu une publication au Journal officiel, des articles de presse, des commentaires, mais il n'y a pas eu de campagne d'information pour dire aux agriculteurs que c'était terminé. Si un conseiller qui vend des produits vous donne un conseil, il est hors de la loi. Les vendeurs le savaient, mais les agriculteurs eux-mêmes n'ont pas eu conscience de cela, parce qu'il n'y a pas eu de campagne d'information. Quand bien même il y aurait eu une campagne d'information, croyez-vous que ça aurait changé grand-chose ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Oui, cela aurait certainement changé les choses, puisque la distribution a dit, au moment de la séparation du conseil et de la vente, que cela induirait de nombreux licenciements. Or, il n'y en a pas eu ; il y a même eu des embauches de commerciaux. Si ces gens-là s'étaient vraiment trouvés dans l'impossibilité de faire du conseil, ils se seraient installés en conseil indépendant. Il y avait des gens d'expérience, passionnés par la technique, qui auraient pu s'installer. Mais la distribution a fait en sorte que ces gens-là ne partent pas. Je ne dis pas que cela aurait tout solutionné, mais il y aurait eu beaucoup plus d'installations. Cela fait à peine deux ans que cette séparation est en place et l'on tape déjà dessus, alors même qu'on n'a pas les résultats attendus pour le plan Ecophyto depuis maintenant quinze ans. Il faut être raisonnable.

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Je me suis mal exprimé. Je disais simplement qu'il n'y a pas eu de campagne d'information sur cette séparation du conseil et de la vente et que, d'autre part, il n'y a pas eu de contrôle. Je vais encore plus loin. Est-ce qu'un contrôle était possible ? Est-ce qu'on peut contrôler ce que dit un vendeur, un agriculteur dans la cour de la ferme, dans la cuisine de la maison ou au bout du champ ? Est-ce matériellement possible ? À quel moment constate-t-on un délit ? N'y avait-il pas une impasse dès le départ ?

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Les vendeurs recourent à une communication assez ambiguë avec des intitulés comme « selon nos essais », « selon les données de nos fournisseurs », etc. Ils emploient beaucoup d'énergie pour louvoyer et contourner, sans doute même plus que pour aller dans le sens de la réduction des produits phytosanitaires.

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Cette commission d'enquête a vocation à émettre des recommandations. Dans le mois qui vient, la Première ministre va tracer les contours d'un nouveau plan Ecophyto qui sera définitivement arrêté au début de 2024. On ne sait pas ce qu'on va dire de la séparation du conseil et de la vente. Le projet de règlement européen pour une utilisation durable des pesticides – dit règlement SUR – parle d'un « conseil indépendant et annuel ». Quel regard portez-vous sur cette disposition ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Indépendant et annuel, c'est en effet ce que dit l'article 26 du projet de règlement européen. Cela prêche en notre faveur. Le conseil indépendant existait avant la loi et continue à se développer. Cela va le dans le bon sens pour l'agriculture et la société dans son entièreté, puisqu'il s'agit d'agroécologie et d'environnement. Si, dans une exploitation agricole, vous placez un conseiller indépendant, il va ouvrir les yeux sur certaines choses, c'est sûr et certain. On n'a pas le choix. Le conseil indépendant élargi répond à cette attente de l'Europe.

J'observe que nous n'avons pas de turnover au niveau de nos clients. Cela montre bien qu'on amène de la valeur ajoutée. Sinon, on serait mis à la porte.

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Pouvez-vous préciser ce qu'est l'indépendance élargie, pour éviter tout malentendu ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

L'indépendance élargie, c'est ce qui a été écrit dans le référentiel conseil, dans le C15 et le C16. Il s'agit de séparer le conseil de la vente et de l'application de tous les intrants animaux végétaux, de toute vente de machinistes et de toute subvention de fonctionnement. Dans le conseil indépendant élargi, le conseiller n'est rémunéré que par les honoraires apportés par les clients. Une rémunération claire, directe, unique.

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Quel est votre business model ? Est-ce que vous facturez le temps passé au client ? Est-ce que vous facturez la mission ? Est-ce que vous prenez une commission sur une réduction de charges ?

Ensuite, quand vous délivrez un conseil agronomique et que vous modifiez le système agraire, est-ce que vous vous heurtez parfois au problème des circuits de commercialisation ? Vous avez un agriculteur qui fait du blé et de l'orge, à qui vous dites qu'il faut mettre des légumineuses, alors qu'il n'a personne à qui les vendre. Est-ce que l'autonomie dans la commercialisation n'est pas un facteur explicatif de ce qu'est votre clientèle ?

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

La diversité des entreprises fait qu'il y a une diversité de modèles, une diversité de relations et de contractualisations de la relation avec nos clients. Je reviens à ma réponse de départ, à savoir la relation de confiance. C'est ce temps passé et cette découverte mutuelle qui font que nous allons comprendre le mode de fonctionnement de notre client. De son côté, il va nous faire confiance pour tout ce qui va suivre. Parfois, nous vulgarisons des modèles travaillés par les instituts publics, mais livrés avec des formules mathématiques et qui ne sont pas forcément à la portée de tout le monde, au regard de la diversité des profils. Cette relation de confiance et le temps que l'on passe nous permettent aussi de comprendre leurs contraintes d'emploi du temps, leurs contraintes de travail, leurs contraintes de marché, pour que les réponses apportées soient pertinentes.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Pour répondre à votre question, s'il n'y a pas de débouchés, on ne va pas conseiller à l'agriculteur de se lancer dans des cultures qu'il ne pourra pas vendre. Au PCIA, on se consulte entre branches pour examiner les études de marché et voir s'il y a des débouchés.

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Monsieur Bordes, vous êtes un interlocuteur privilégié, vous observez ce qui se passe sur le terrain. Voyez bien les raisons profondes de l'échec de la séparation du conseil et de la vente et, plus globalement, des plans Écophyto. Vous en avez identifié les grandes causes. Est-ce que vous n'avez pas vous-même une responsabilité ? Je vous interpelle. L'Inrae produit des solutions et entre la recherche de l'Inrae et l'atterrissage dans des solutions de conseil, dans des livrables aux agriculteurs dans leur diversité, on a besoin des instituts techniques. Vous êtes le maillon intermédiaire. Je connais bien l'Acta et vos différents instituts. On a une certaine familiarité. Est-ce que vous manquez de moyens ? Est-ce que vous avez manqué d'ambition ? Est-ce que vous avez manqué de pédagogie à un moment donné ? Est-ce la recherche fondamentale qui manque de pertinence et de solutions ? Est-ce le fait que vos préconisations ont du mal à atterrir dans les fermes parce que vous n'êtes pas vous-mêmes prescripteurs ? C'est vraiment une réflexion ouverte et je sais que vous la prenez comme cela.

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

Je pense que cela pèche aux deux extrémités de la chaîne.

On échoue en aval, sur le plan de la massification parce qu'on entre dans un univers qui est plus complexe. Il y a la dimension sociale, la dimension du changement, la dimension de la reconception du système de production. Face à cela, un agriculteur ne prend pas une décision du jour au lendemain. C'est un processus de maturation. Il faut croiser ces enjeux avec la situation de l'agriculteur. Est-il en fin de parcours ? Dans ce cas, il va se demander s'il est intéressant de tout changer. Ou alors avons-nous affaire à quelqu'un qui a envie d'investir, de faire autre chose ? Il y a une diversité de publics, qui a toujours existé, mais que l'on voit par exemple au travers des résultats du réseau des fermes Dephy. Évidemment, on communique beaucoup sur les moyennes, mais regarder les nuages de points, c'est assez intéressant. On voit que derrière une moyenne se cache une très grande diversité de situations avec des gens comme ceux que vous avez côtoyés, qui vont très loin, et puis des gens qui régressent même par rapport à leur objectif.

On est confronté à un changement qui nous fait entrer dans la complexité. Auparavant il y avait une recette, une pratique dominante. Dans cette nouvelle ère, l'adaptation aux conditions locales devient essentielle. Je vais vous donner un exemple technique. Le désherbage mécanique, que l'on travaille depuis de nombreuses années, dépend directement de la texture du sol, argileux ou pas, humide ou pas, chargé en cailloux. Il y a ainsi beaucoup plus de complexité dans les solutions alternatives.

J'identifie aussi des manques en amont. On a beaucoup fonctionné avec ce que l'on connaissait. On parle d'échec, mais je pense que nous avons fait évoluer les choses sur le volet de l'optimisation et de la substitution. Nous avons tiré beaucoup d'agriculteurs vers des façons de travailler un peu différentes, avec d'autres outils. En revanche, l'étape du changement du système de production est beaucoup plus complexe à gérer.

Du côté de la recherche, on est en carence de solutions et d'innovations. Regardez la robotique, qui est probablement une solution intéressante pour régler la question du désherbage, parce qu'on allie l'efficacité et le désherbage mécanique, l'absence de produits phytosanitaires avec des débits corrects. On a commencé à se poser la question en 2015. Aujourd'hui, on voit les premiers prototypes, mais il reste du chemin à parcourir. Le temps de maturation de l'innovation est parfois aussi important, sinon plus important, que le temps qu'il a fallu pour fabriquer cette innovation. On sous-estime toujours cet aspect.

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La Première ministre, au salon de l'agriculture, l'année dernière, a annoncé un plan Écophyto centré sur l'anticipation du retrait des molécules. Il ne s'agit pas de retirer une molécule et de chercher une solution alternative. Le gouvernement dit qu'il faut anticiper le retrait de molécules et préparer les solutions pour qu'il n'y ait pas de ruptures.

Vous donnez crédit à cela. Il y a eu un manque de prévisibilité ou d'anticipation de la part de la recherche fondamentale et peut-être aussi des instituts, dans cette chaîne de développement. C'est un aveu qui est intéressant parce qu'il nous indique une voie d'avenir.

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

Nous trouvons qu'effectivement, le travail d'anticipation est très intéressant. Il faut anticiper dès aujourd'hui les problèmes que nous allons avoir et comment nous préparer pour arriver demain avec des solutions opérationnelles.

Pour la petite histoire, on avait déjà proposé un plan de ce type au cabinet du ministère de l'agriculture, parce qu'on voyait bien qu'un certain nombre de molécules allaient disparaître et qu'il fallait anticiper cela. Je pourrais vous retrouver nos échanges. On était bien placé pour connaître le calendrier de révision des homologations. On a ainsi proposé le projet Racam, qui est toujours en cours.

Est-ce qu'on aurait dû le faire plus tôt ? Oui, je le pense mais, il y a dix ans, les esprits n'étaient pas préparés. Aujourd'hui, le calendrier s'accélère et tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut anticiper.

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Vous faites un aveu en disant qu'il a manqué un continuum d'alerte, de recherche, d'anticipation. Nous n'avons pas été bons. Est-ce qu'à un moment, vous avez alerté le ministère, la puissance publique sur le besoin de recherche, d'anticipation et de crédits, sans être écoutés ? On se pose la question de l'utilisation des crédits du plan Écophyto et de sa performance. Ma question englobe également l'usage qui a été fait des crédits du plan stratégique national (PSN) ou des crédits de développement de FranceAgriMer. Est-ce qu'il y a eu une absence de réponse publique, sous une forme ou une autre, à des alertes que vous auriez émises formellement ?

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

Ma réponse est positive ; je vais l'illustrer. On a fait une alerte à un moment où l'on avait une certaine visibilité sur la situation qui nous attendait, avec le projet Racam. Or, nous avons perdu deux ans en palabres pour faire accepter ce projet, qui avait pour objectif d'anticiper. Je pense que la prise de conscience n'était pas la même partout.

Je pousse la question un petit peu plus loin. Est-ce qu'on aurait pu faire cette alerte plus tôt ? Je pense que non, parce qu'on n'avait pas cette visibilité du calendrier que l'on a eue, on va dire, au début des années 2020. Avant 2020, c'était compliqué. Il aurait été souhaitable de le faire, mais on n'avait pas suffisamment de visibilité pour anticiper un mur en 2026 et s'y préparer. On a eu cette visibilité un peu un peu plus tard. On a été les premiers à alerter sur le sujet. Je vous communiquerai, si vous le voulez, le projet que l'on a déposé.

Aujourd'hui, les choses ont changé puisqu'on essaie d'anticiper, mais l'on a devant nous un mur. Que va-t-on proposer de nouveau pour franchir ce mur ? On y travaille tous les jours, mais on n'a pas encore de solution.

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Le dérèglement climatique va poser des problèmes redoutables en termes de bioagresseurs et de gestion des crises sanitaires. La question de l'anticipation est cruciale.

Je vous demande de nous communiquer les alertes que vous avez faites, celle qui a débouché sur Racam et les autres, pour illustrer cette non-réactivité que le gouvernement a l'air de vouloir corriger aujourd'hui. Il faut que l'on puisse illustrer notre rapport avec des exemples.

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De votre point de vue, l'allocation de l'argent public sur la recherche en général est-elle suffisamment lisible ? Est-ce que la recherche fondamentale de long terme est bel et bien confiée à l'Inrae et au CNRS et la recherche appliquée, de court terme, aux instituts techniques ?

Il existe énormément de clubs d'agriculteurs, d'associations, de petits groupes qui testent de nouvelles solutions, qui s'essayent à l'agriculture générative, au sol vivant. Est-ce que les instituts techniques ont mis en place des dispositifs d'observation pour recenser de façon empirique ce qui est obtenu en termes de résultats, même et surtout si c'est scientifiquement mal fondé, voire farfelu ? Est-ce que les instituts techniques s'en servent pour être meilleurs dans leur capacité de transfert, en ayant par exemple des données empiriques sur les conditions de confiance qui font que les agriculteurs vont prendre le risque ?

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

La répartition des rôles entre recherche fondamentale et appliquée me semble claire. Le seul reproche que je ferais concerne l'accompagnement du plan de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Je trouve qu'il y a eu foison de guichets qui ont un peu troublé l'univers de la recherche et du développement, avec des appels à projets un peu dans tous les sens, dont la durée était inadaptée au temps de maturation de l'innovation, avec une juxtaposition de propositions sans recherche de cohérence. Nous préférons, à l'opposé de cela, des programmes qui agrègent plusieurs acteurs autour d'une idée. Sur le sujet de la réduction des produits phytosanitaires, on a eu un paysage du financement trop flou.

Mais, en règle générale, il n'y a pas de difficulté. Chacun sait comment il est financé et dans quel camp il joue. La force de notre système en France, c'est le travail en cascade ou en partenariat, parce qu'on a des missions qui sont un peu compartimentées et ça nous oblige à travailler très étroitement avec l'Inrae et d'autres partenaires de la recherche fondamentale, avec les chambres d'agriculture, les coopératives, les négoces, les conseillers privés.

On a par exemple créé la cellule Rit – recherche, innovation, transfert – qui associe l'Inrae, les instituts et les chambres pour accélérer des innovations dont on pense qu'elles sont pertinentes par rapport aux enjeux, mais qu'elles souffrent d'un manque accompagnement ou de déclinaison opérationnelle. Cela nous a permis d'accélérer le processus d'émergence de certaines innovations. Je pourrais vous donner des exemples.

Comment sont organisés les instituts techniques ? Pour la plupart, ils orientent leurs travaux à partir de groupes d'agriculteurs qu'ils réunissent régulièrement, d'horizons divers et variés. On a même enrichi ces groupes d'agriculteurs, par exemple avec des agriculteurs qui étaient en bio depuis plusieurs années, parce qu'on considérait que c'étaient des agriculteurs experts sur un certain nombre de sujets. Il y a une lecture des besoins et de l'actualité au travers de ces groupes. Ils se réunissent localement au moins deux fois par an, et infléchissent le cours des choses. Par exemple, le désherbage mécanique a été mis en place dans des productions bio à l'initiative de groupes d'agriculteurs.

On regarde de près aussi ce qui est fait autour du groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE) et on a créé une plateforme qui s'appelle RD Agri. Ce sont nos collègues des chambres d'agriculture qui ont fait cette adaptation pour consolider l'expérience de ces groupes. L'avantage, c'est que c'est performant en termes de stimulation de l'innovation. Mais l'inconvénient, c'est qu'il n'y avait pas de traçage. Nous voulions consigner ces travaux. Aujourd'hui, les projets, les résultats, les financements aussi de ces groupes sont consignés dans un espace que n'importe qui peut consulter.

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En raison de la séparation des activités de vente et de conseil, constatez-vous une augmentation des mésusages des produits phytosanitaires par les agriculteurs ?

Ma deuxième question porte sur l'obligation de conseil régulier. Pouvez-vous me donner l'ordre de grandeur du coût que représente l'accompagnement d'un exploitant agricole ? Pour quel type de prestations ? Est-ce qu'il existe aussi des prestations nivelées, c'est-à-dire de qualité plus ou moins ambitieuse selon les moyens de l'exploitant ?

Ma dernière question concerne la ressource humaine. Vous avez tout à l'heure indiqué que vous étiez deux cents conseillers indépendants. Nous avons reçu les représentants du négoce agricole qui nous disaient toutes les difficultés qu'ils peuvent avoir pour le recrutement de leurs vendeurs. Qu'en est-il du côté des conseillers indépendants ? Est-ce qu'il s'agit là d'une activité porteuse ? Combien faudrait-il de conseillers indépendants comme vous pour mettre en œuvre de façon concrète les objectifs du plan Écophyto ?

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Vous avez parlé du coût. Le coût sera fonction de la demande de l'agriculteur. Certaines exploitations agricoles demanderont trois visites par an, d'autres cinq ou huit ou quinze. Le coût est fonction de la surface agricole et du nombre de visites demandées.

On dit que lorsque le conseil est fait par des commerciaux, il est gratuit. Rien n'est gratuit. Quand vous demandez à un commercial de venir faire du conseil en lui disant que vous ne prendrez aucun produit chez lui, il ne viendra pas. Pour calculer le coût, il suffit de regarder les marges des produits achetés. Au total, le conseil privé indépendant est largement moins coûteux que celui qui est prélevé indirectement ou directement par d'autres sources de financement.

S'agissant des ressources humaines, il faut entre un an et demi et deux ans pour être autonome dans le secteur du conseil indépendant. Si le conseiller n'a pas exercé en alternance, il faut entre deux ans et demi et trois ans. C'est un investissement, mais il y a un retour sur investissement : dans nos entreprises, on n'a pas de turnover. À mon avis, ils aiment le métier et je reçois en permanence des candidatures. La seule chose, c'est que les formations ne sont pas adaptées.

Pourquoi y a-t-il un problème de recrutement ? Beaucoup d'étudiants s'orientent vers la gestion, vers le marketing. Il y a de moins en moins de gens qui s'orientent vers les métiers techniques.

En conseil indépendant, cela fait plus de vingt ans qu'on échange avec des écologues. Pour ma part, cela fait vingt-trois ans que je travaille avec des gens du génie écologique, vingt-deux ans que je travaille avec des nutritionnistes indépendants. Le végétal est le premier maillon de la chaîne alimentaire. On en prend conscience. Cela touche à l'environnement, aux herbicides, aux nappes phréatiques, aux bassins versants. Pendant un temps, ce métier n'était pas valorisé. Des gens travaillaient dans les magasins d'approvisionnement et ils pensaient que c'était suffisant pour faire le métier de conseiller. Mais c'est un métier à part entière. Que ce soit au niveau technique ou au niveau de la réglementation, il n'y a pas une semaine qui passe sans qu'une nouvelle thématique n'émerge. Il est donc très important de se former.

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Constatons-nous des dérives ou des mésusages dans l'utilisation des produits phytosanitaires ? On l'observe au moment où l'on arrive dans l'exploitation. Dans notre métier, nous faisons des prescriptions de traitement, lesquelles sont soumises à de nombreuses obligations. Elles peuvent faire jusqu'à huit pages ! Elles incluent les problématiques relatives au respect des distances par rapport aux points d'eau, par rapport aux riverains, etc. Ainsi, par notre action, on va gommer plein de mésusages.

Ensuite, est-ce qu'il peut y avoir un nivellement de la qualité ? Nous nous adaptons aux attentes, aux aptitudes, aux niveaux de compétences, aux niveaux de réceptivité de chaque exploitant pour monter en compétences.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Combien de conseillers indépendants seraient nécessaires ? C'est dur à évaluer. Il faudrait probablement multiplier le vivier par cent. Il y a quand même des conseillers dans les chambres d'agriculture. Il faut que le conseil indépendant élargi reste rigoureux dans ses demandes.

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Je reviens à cette relation de confiance. Ce n'est pas inné, ça se construit. Il faut que les gens se choisissent. Aujourd'hui, qui détient cette relation de confiance ? Il ne faut pas taper exclusivement sur la distribution agricole. Il y a vingt ans, avant que je m'installe en conseil indépendant, cette relation de confiance se portait essentiellement sur la distribution et le technicocommercial. Je ne sais pas exactement où l'on en est aujourd'hui, mais je pense qu'une majorité d'agriculteurs continuent à faire confiance aux distributeurs.

Aujourd'hui, on a des gens compétents pour développer le conseil indépendant. Il faut peut-être les encourager, leur envoyer des signaux positifs, leur expliquer que ce métier est viable, épanouissant. Depuis le printemps, on annonce qu'on va revenir sur la séparation de la vente et du conseil. Les distributeurs disent à leurs collaborateurs : « Ne t'installe pas, la séparation va sauter ».

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Le réseau Dephy a-t-il permis ou va-t-il permettre de mesurer les effets à long terme des alternatives aux pesticides ? Je pense notamment aux revenus des agriculteurs.

Quand s'arrête le conseil ? Est-ce qu'il s'arrête à un moment donné, lorsque l'agriculteur est prêt à se convertir à l'agriculture biologique ou est-ce qu'il ne s'arrête jamais finalement, ou seulement quand l'agriculteur arrête de demander des conseils ?

Est-ce que la crise que traverse l'agriculture bio aujourd'hui a un impact sur votre travail de conseil, notamment auprès de ceux qui se questionnent sur l'opportunité d'adopter des pratiques utilisées en agriculture biologique ?

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Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta)

Le réseau Dephy a été fait pour mesurer la capacité des agriculteurs à adopter de nouvelles techniques, à transformer leur système de production, mais aussi pour en mesurer les impacts dans le temps. Je pense que ce réseau est arrivé à maturité. On a vu ce qu'on devait voir et on commence à mesurer les effets à long terme. Il faut stabiliser le changement de système avec le temps. Mais, dans ce réseau, la difficulté que l'on constate, c'est qu'en moyenne, en particulier sur les grandes cultures, on arrive à diminuer les produits phytosanitaires de 20 à 25 %, mais on ne sait pas comment faire pour aller plus loin, pour changer le système.

Quand s'arrête le conseil ? À mon avis, jamais. Il est surtout indispensable lorsqu'on est dans un processus de transformation. Les repères changent, donc les résultats changent. On passe par des périodes difficiles où l'on perd les avantages de ce que l'on faisait. On a encore les inconvénients de la transformation que l'on vient d'opérer. Dans ces transformations, la relation de confiance, le temps aussi sont nécessaires. Il y a aussi un enjeu fort sur la formation des conseillers. Pourquoi ? Parce qu'une dimension nouvelle devient importante, celle d'apprendre à réfléchir soi-même et à faire réfléchir ceux que l'on conseille, plus que de leur apporter de nouvelles techniques. Les agriculteurs ont aujourd'hui tous des formations d'ingénieur, ils partagent tous le même bagage. Ce qui est important, c'est comment je me saisis de la problématique d'un agriculteur A qui n'est pas la même que celle de l'agriculteur B, bien qu'ils n'habitent qu'à un kilomètre de distance ?

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Lilian Bachellerie, trésorier du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

À mon avis, le conseil ne s'arrête pas, si ce n'est à l'arrêt de l'exploitation ou à l'arrêt de la relation de confiance. Le passage à l'agriculture biologique, c'est un des moments où l'on n'arrête pas le conseil. La région Nouvelle-Aquitaine s'est aperçue que si elle voulait pérenniser le développement de l'agriculture biologique, il fallait accompagner les agriculteurs qui s'engageaient dans ce mouvement, sous peine de les voir couler et disparaître au bout de cinq ans. Elle a mis des moyens pour ce conseil, d'abord en pré-conversion, puis, une fois qu'ils sont convertis, pour les accompagner dans le temps et faire en sorte qu'ils perdurent.

En Dordogne, on a assisté à un développement important de l'agriculture biologique. Mais il n'y avait pas forcément de marché. Des gens se sont engagés dans cette filière, leurs coûts de production ont augmenté. Les aléas climatiques ont dévasté les cultures, en particulier cette année. Je crains qu'on n'assiste à un retour en arrière.

Le bio ouvre des champs d'exploration passionnants sur l'utilisation d'alternatives, de nouvelles solutions. C'est stimulant, intéressant, mais les conditions climatiques et le contexte économique ne sont pas forcément très favorables.

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Hervé Tertrais, président du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA)

Si je prends mon entreprise personnelle, j'ai deux personnes qui travaillent en permanence sur le bio. Pendant longtemps, le bio et le conventionnel se sont ignorés, de la même manière qu'agronomes et écologues se sont ignorés. Chacun était dans son coin, à se dire que l'autre avait tort. L'agriculture bio peut se construire avec le conventionnel, comme le conventionnel va se construire avec l'agriculture bio. On parlait des formations et c'est là que les formations se font justement, dans les échanges. La formation, c'est surtout la soif de connaissances. Je connais des autodidactes qui sont meilleurs que des ingénieurs. L'ignorance, c'est un choix, ce n'est pas une obligation.

Pourquoi le conseil continuera de manière permanente ? On parlait du choix des outils de travail du sol. C'est important parce que c'est là qu'on démarre, avec le désherbage. C'est pour ça que le conseil indépendant élargi ne peut être lié à rien.

Je suis favorable aux échanges. La chambre d'agriculture est venue me voir car sept de mes clients s'apprêtaient à rentrer dans le groupe des 30 000. Je n'ai évidemment aucun problème avec cela. Je respecte la distribution, il faut bien qu'il y ait des gens qui vendent pour qu'on puisse faire du conseil. Mais chacun doit rester à sa place.

La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Anne-Laure Babault, M. Frédéric Descrozaille, Mme Mathilde Hignet, M. Dominique Potier, Mme Mélanie Thomin