Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif au programme de stabilité.

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Mes chers collègues, nous recevons M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Je rappelle qu'en vertu de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances, le Haut Conseil est saisi par le gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le programme de stabilité. Son avis est joint au programme de stabilité lorsque celui-ci est transmis au Parlement. Nous l'avons reçu mercredi 26 avril. Nous avons déjà eu l'occasion d'auditionner les ministres Bruno Le Maire et Gabriel Attal sur ce programme de stabilité, dès le mercredi 26 avril, jour de sa présentation au Conseil des ministres. Demain après-midi, le 10 mai, aura lieu un débat en séance publique à propos de ce programme de stabilité.

L'audition du président Moscovici permettra d'enrichir notre réflexion dans la perspective de ce débat. L'avis du Haut Conseil des finances publiques attire notre attention sur l'optimisme des prévisions de croissance du gouvernement pour 2023 et 2024. Il souligne également que l'effort de maîtrise de la dépense affiché dans le programme de stabilité serait « d'une ampleur supérieure aux efforts qui ont pu être mis en œuvre par le passé, alors que leur calendrier et leurs modalités concrètes restent toujours imprécis ».

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission en tant que président du Haut Conseil des finances publiques afin de vous présenter les principales conclusions de notre avis sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027.

C'est peut-être le dernier programme de stabilité que déposera la France puisque, comme vous le savez, la commission a formulé, le 26 avril dernier, ses propositions législatives pour une réforme de la gouvernance économique européenne. Elle propose de remplacer les programmes de stabilité, qui présentent une programmation budgétaire glissante, par des programmes « budgétaires et structurels de moyen terme » fixés pour quatre ans, qui détermineraient une trajectoire d'évolution de la dépense publique nationale et non plus de solde public. Pour les pays endettés comme la France, le plan de moyen terme devrait assurer qu'à partir de la fin de la période de référence de quatre ans au plus tard, le ratio de dette publique diminue continûment sur une période de dix ans, à politique inchangée, et que le déficit soit maintenu durablement en deçà de trois points de produit intérieur brut (PIB). Un délai supplémentaire de trois ans pourrait être accordé si des réformes structurelles ou d'investissement public dûment identifiées pouvaient le justifier.

C'est une proposition qui me paraît intéressante : elle permet de définir des trajectoires différenciées suivant les pays et ainsi d'améliorer l'appropriation des règles par les différentes instances nationales. Elle est de nature à éviter le caractère procyclique des règles antérieures – que j'ai souligné depuis plus d'une décennie dans mes différentes fonctions –, qui a pu favoriser des politiques trop restrictives en période de croissance faible et des politiques trop expansionnistes (ou faisant apparaître de trop faibles efforts de réduction du déficit alors que des marges de manœuvre existent) en période de croissance plus soutenue, ce dont la France a déjà donné l'exemple.

La Commission européenne n'a pas encore rendu publique la trajectoire de dépense publique qui en résulterait pour la France. Le ministère des finances n'a pas transmis ses données au HCFP, ce qui ne nous permet pas de juger dans quelle mesure la trajectoire présentée aujourd'hui s'écarte de celle envisagée par la Commission. Compte tenu des débats qui se poursuivent entre les États membres, le calendrier d'adoption de la réforme proposée par la Commission devrait théoriquement conduire à « rebrancher » les règles à compter du 1er janvier 2024. Stratégiquement, il serait préférable de « rebrancher » de nouvelles règles plutôt que les anciennes. Tout ceci devrait être décidé assez rapidement mais il n'existe pas, pour l'instant, de certitude sur ce calendrier.

Je voudrais revenir brièvement sur le contexte macroéconomique dans lequel le programme de stabilité français a été établi. Le Haut Conseil constate que l'activité économique a mieux résisté que prévu à la crise énergétique et au choc inflationniste. Le risque de récession s'éloigne en 2023 – ce dont nous devons tous nous réjouir – en raison du recul significatif des prix de l'énergie depuis l'été 2022 et du dynamisme du marché du travail, y compris en zone euro. L'activité économique en Chine, en particulier du fait de l'abandon de la politique du « zéro covid », devrait soutenir l'économie mondiale. La reprise reste toutefois fragile en raison du resserrement monétaire, qui se poursuit aux États-Unis et en zone euro, où l'inflation sous-jacente reste élevée. Elle devrait se réduire ; il reste à savoir quand et dans quelles proportions. Par ailleurs, les tensions, dans le secteur bancaire, surtout aux États-Unis et la situation géopolitique demeurent des facteurs d'incertitude à prendre en compte.

J'entre maintenant dans l'appréciation du scénario macroéconomique qui sous-tend le programme de stabilité. Le scénario retenu par le Gouvernement est similaire à celui qui avait été retenu dans le projet de loi de programmation des finances publiques de septembre 2022, que le HCFP avait alors jugé avantageux. Sur la période 2023-2024, le Gouvernement anticipe une croissance de 1 % en 2023 et de 1,6 % en 2024. Le Haut Conseil des finances publiques estime que ces prévisions de croissance ne sont pas hors d'atteinte mais semblent optimistes à ce stade. Pour 2023, nous notons que cette prévision est supérieure à toutes les autres prévisions d'instituts privés ou publics recensées par le HCFP. Elle suppose un redressement important de l'activité au second semestre et repose sur une hypothèse de progression de l'investissement des entreprises élevée au vu de l'état de la demande et du durcissement des conditions de financement, qui est incontestable.

Pour 2024, la prévision de croissance du Gouvernement (1,6 %) se situe tout en haut de la fourchette de l'ensemble des prévisions disponibles. Elle s'explique essentiellement par une forte augmentation de la consommation des ménages et par une progression soutenue du pouvoir d'achat du revenu des ménages résultant notamment d'une prévision d'inflation qui paraît trop basse aux yeux du Haut Conseil. Selon l'estimation du Gouvernement, l'inflation ralentirait pour s'établir à 4,9 % en 2023 puis 2,6 % en 2024. Du point de vue du Haut Conseil, même s'il est très probable que l'inflation commence à diminuer en 2023, le reflux escompté par le Gouvernement paraît rapide. En conséquence, l'inflation paraît légèrement sous-estimée pour 2023 et 2024.

Sur la période 2025-2027, le programme de stabilité retient une hypothèse de croissance effective de 1,7 % par an en moyenne, que le Haut Conseil juge également élevée. L'évaluation du Gouvernement repose notamment sur une hausse de la consommation des ménages nettement supérieure à celle enregistrée avant la crise sanitaire. Elle s'expliquerait par une baisse du taux d'épargne qui, sans être impossible, semble loin d'être acquise, a fortiori au vu des tendances récentes. Elle résulte également d'une hypothèse de croissance potentielle de l'économie qui est avantageuse. Le Gouvernement estime toujours la croissance potentielle à 1,35 % par an de 2023 à 2027. Si cette estimation est proche de celle du FMI et de celle de l'OFCE, elle est nettement supérieure à celle établie par la Commission européenne (1 %) et par l'OCDE.

L'estimation du Gouvernement suppose des gains de productivité sensiblement plus élevés que ce que laissent attendre les tendances récentes. Elle suppose également que les effets des réformes du marché du travail, notamment des retraites et de l'assurance chômage, compensent intégralement le ralentissement de la population active projeté par l'Insee. L'effet de la réforme des retraites attendu par le Gouvernement est cohérent avec les estimations existantes à moyen terme mais l'effet attendu dans le programme de stabilité suppose un ajustement rapide du marché du travail, notamment du taux d'activité des seniors. S'agissant de la réforme de l'assurance chômage, alors que le gouvernement en attend 100 000 à 150 000 créations d'emplois, les études disponibles ne permettent pas de conclure quant à l'effet total de la réforme sur l'emploi. Au total, le Haut Conseil estime que l'impact de ces réformes du marché du travail est surestimé dans le programme de stabilité.

En définitive, le Haut Conseil constate que le scénario retenu est nettement plus favorable que celui de la Commission européenne. Ce dernier sera, en toute hypothèse, celui qui guidera les objectifs de dépenses applicables à la France si la réforme du programme de stabilité est adoptée. Il faut donc que ces écarts se réduisent, par la réalisation éventuelle d'hypothèses jugées aujourd'hui optimistes ou par des ajustements vers une approche qui serait jugée, dans cette logique, plus réaliste.

Je voudrais enfin formuler quelques remarques sur l'impact du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement sur les finances publiques. Le programme de stabilité comprend des objectifs de réduction du déficit et de la dette plus ambitieux que le projet de loi de programmation des finances publiques présenté en septembre 2022. Je ne m'en plaindrai pas : en tant que président du HCFP comme en tant que Premier président de la Cour des comptes, j'ai, à plusieurs reprises, souhaité que nous ayons une approche plus ambitieuse. Il ne me paraît pas bon que la France n'atteigne un niveau de déficit inférieur à 3 % qu'en 2027, alors que la plupart de ses partenaires seront – parfois nettement – sous ce seuil en 2025. Il me paraît également indispensable de donner des signaux de réduction de la dette avant l'année finale de la programmation éventuelle.

Le déficit serait réduit à 2,7 % du PIB en 2027, au lieu de 2,9 % dans la prévision initiale. L'amélioration serait plus sensible concernant le ratio de dette, qui diminuerait de 3,3 % au lieu de 0,6 %, principalement sous l'effet de l'inflation en 2023 et de la réduction du déficit public en 2027. Cette amélioration de la trajectoire de déficit et de dette va dans le sens de la prise en compte de l'impératif de désendettement, sur lequel le Haut Conseil a maintes fois mis l'accent, dans le seul souci que notre pays retrouve des marges de manœuvre afin d'investir. Je ne peux que m'en réjouir. Le Haut Conseil le fait également.

Toutefois, ces objectifs plus ambitieux reposent sur des hypothèses macroéconomiques optimistes. Au-delà, cette trajectoire nécessitera des efforts importants de maîtrise des dépenses, qui ne sont pas entièrement documentés à ce jour, et un infléchissement de la politique de baisse des prélèvements obligatoires. En effet, le programme de stabilité prévoit une diminution de 4 %, d'ici 2027, de la part de la dépense publique dans le PIB, résultant de l'extinction des mesures de soutien et de protection contre l'inflation et d'efforts de maîtrise de la dépense, à partir de 2025, plus intenses que ceux réalisés au cours des deux décennies précédentes. Selon les informations transmises au HCFP, la réduction du poids de la dépense résulterait de la réforme des retraites, de la mise en œuvre de la lettre de cadrage adressée aux ministères pour identifier des économies de l'ordre de 5 % et des revues de dépenses programmées. Cette trajectoire suppose également que les mesures annoncées de baisse des prélèvements obligatoires ne soient pas intégralement mises en œuvre ou qu'elles soient compensées par des hausses de taux de prélèvement ou de réduction des dépenses fiscales. Ces projections, en dépenses comme en recettes, ne sont pas, à ce stade, suffisamment documentées pour que nous puissions les valider plus avant. Nous ne les invalidons pas mais nous souhaitons qu'elles soient documentées.

Je souhaite souligner un point essentiel à nos yeux concernant cette trajectoire de finances publiques : bien que l'étant davantage que ce qui était fait jusqu'à présent, elle demeure moins volontariste que celle de nos partenaires européens. Ce programme de stabilité ne permettrait pas d'enrayer l'érosion relative de la situation de nos finances publiques dans la zone euro. Parmi les grands pays de la zone euro, l'Allemagne, le Portugal, la Grèce et les Pays-Bas sont déjà revenus, fin 2022, sous le seuil de déficit de 3 % de PIB. L'Espagne le prévoit pour 2025, l'Italie et la Belgique pour 2026. La France ne le prévoit qu'en 2027.

Le ratio de dette a moins reflué en France que chez nos partenaires au cours de la période récente. La dette publique française n'a reculé que de 3 % entre 2020 et 2022, tandis que celle de la Grèce a diminué de 35 %, bénéficiant, il est vrai, d'une sorte d'effet « boule de neige » à l'envers. Celle du Portugal a diminué de 21 %, celle de l'Italie de 10 %, celle de la Belgique et de l'Espagne de 7 %. Pour l'avenir, si les trajectoires prévues par les différents programmes de stabilité sont respectées, la France, qui est plus endettée que la Belgique depuis 2020, sera également plus endettée que le Portugal dès la fin 2023 et plus endettée que l'Espagne en 2024. Il m'arrive de dire que nous pourrions figurer dans le trio de tête en 2027. Je le dis sans plaisir. Rien, dans les documents dont nous disposons, quant au programme de stabilité de la France et à ceux des autres pays, ne me permet de faire varier ce propos.

La dérive de nos comptes publics a été lente. Elle ne pose pas de problèmes de soutenabilité à court terme mais elle est quasiment ininterrompue et ne peut se poursuivre à l'infini. D'aucuns nous opposeront que la dépense publique est, au fond, indolore, et que l'on a bien su trouver les financements nécessaires au « quoi qu'il en coûte ». Vous ne trouverez aucun avis du HCFP, aucun rapport de la Cour des comptes qui ne conteste la légitimité de cette réponse à la pandémie. Nous avons toujours affirmé, et j'ai dit devant vous, depuis que je suis Premier président de la Cour des comptes, que lorsqu'il y avait des circonstances exceptionnelles (et celles-ci l'étaient, ô combien !), il fallait des dépenses exceptionnelles.

N'oublions pas que cela a été rendu possible par des mesures de politique monétaire hors du commun, qui n'ont plus cours aujourd'hui. Chacun aura noté que la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté ses taux d'intérêt à sept reprises depuis quelques mois et que nous étions sortis des taux négatifs pour entrer dans un territoire où les taux sont désormais substantiellement positifs. C'est très concret. La charge de la dette devrait atteindre 41 milliards d'euros cette année. Le programme de stabilité prévoit qu'elle sera de 49 milliards d'euros l'an prochain et de 57 milliards dans deux ans. Avez-vous, mesdames et messieurs les députés, connaissance d'autres politiques publiques dont les moyens augmentent de 8 milliards d'euros par an ? À 57 milliards d'euros et même à 49 milliards d'euros, ce sera le deuxième budget de l'État derrière l'éducation nationale. C'est une conviction ancrée en moi depuis des décennies : la dette publique est la dépense publique la plus stupide qui soit. Elle ne sert à rien, et chaque euro qu'on lui consacre est un euro en moins pour une dépense publique utile.

J'entends parfois ici ou là que la France serait protégée par la taille de son économie et par son appartenance à la zone euro. Les responsables politiques que vous êtes connaissent bien la réalité : nous avons des marges de manœuvre budgétaires qui sont trop faibles. La France ne dispose pas aujourd'hui des marges de manœuvre dont elle aurait besoin pour fournir des services publics de qualité, pour investir dans la transition écologique, dans son système éducatif, dans son système de santé, dans la recherche, et aucune de ces priorités ne devrait être écartée. Elles sont toutes indispensables pour notre avenir collectif. C'est la raison pour laquelle je tiens à souligner ici, devant votre commission, qui en a la responsabilité essentielle au nom de l'Assemblée nationale, l'urgence d'agir. Ce programme de stabilité constitue un exercice nécessaire et indispensable pour la participation à l'Union monétaire mais il ne se substitue pas à une programmation nationale des finances publiques. Il y a certes des tendances prolongées mais il n'y a pas de programmation et celle-ci demeure indispensable.

Notre pays doit désormais se doter d'une trajectoire crédible de désendettement. Celle-ci doit être fixée dans une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Elle doit reposer sur des hypothèses macroéconomiques réalistes, sur des efforts documentés en dépenses et en recettes, pour réduire notre endettement de manière crédible et profonde. Je suis persuadé que notre pays est capable de le faire. Je suis plus que convaincu qu'il doit le faire. Il est temps de le faire.

Je me tiens à votre disposition, avec les personnes qui m'entourent, pour répondre à vos questions, après ces propos rapides mais nets, j'espère, et compréhensibles.

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Ces propos sont compréhensibles, évidemment. Ils sont aussi discutables.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Bien sûr, tout est discutable. Nous ne prétendons jamais détenir une vérité.

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Je le sais bien. C'est votre qualité. Je vais d'ailleurs discuter certaines de vos appréciations, ce qui vaudra interrogation. Vous venez de prononcer une phrase qui m'a marqué : « chacun sait que la dette publique ne sert à rien ». C'est, à mes yeux, une affirmation assez curieuse. Elle est aussi radicale que si l'on affirmait « la dette publique, qu'importe ? ». Considérer que la dette publique ne sert à rien revient à dire que les 2 950 milliards d'euros de dette publique accumulée depuis quelques années n'ont servi à rien. Vous avez parlé de circonstances exceptionnelles. Cette dette nous a-t-elle permis, ou non, d'essayer de surmonter la crise du covid ?

Le fait d'être venu au secours des banques en 2010 a fait monter la dette, à l'époque, de 413 milliards d'euros. Fallait-il laisser les banques périr après la crise des subprimes ?

Chacun pourra considérer qu'il est normal d'emprunter dès lors que l'on prévoit, au cours des années à venir, des investissements qui ne peuvent être financés par une seule année de production de richesses nationale. La dette sert alors à étaler sur des années les investissements nécessaires pour nos infrastructures, par exemple. Je suis donc assez étonné par cette déclaration, qui me semble assez radicale.

Je vois bien la position du Gouvernement sur le programme de stabilité. Elle consiste à faire du désendettement le premier impératif, considérant que celui-ci n'est plus supportable. Cependant, la nécessité simultanée de baisser les impôts conduit à reporter l'effort sur le troisième terme de l'équation, à savoir les dépenses publiques, avec les conséquences que cela peut avoir. On dit que la dette publique est devenue insupportable. En valeur absolue, la charge de la dette passe de 35 milliards d'euros en 2021 à 70 milliards en 2027, ce qui paraît effectivement une très forte augmentation. Néanmoins, cette évolution, examinée en pourcentage du PIB, paraît déjà plus supportable : la dette représenterait ainsi 2 % du PIB en 2027 (au niveau de 70 milliards d'euros), du fait notamment de l'inflation et de la production de richesses, contre 1,5 % du PIB en 2021 et 1,9 % en 2022. Méfions-nous, par conséquent, des chiffres en valeur absolue qui nous conduiraient à faire de la dette un chiffon rouge. Je n'affirme pas que les chiffres sont anodins ni que la question n'est pas à considérer. Nous voyons cependant, en pourcentage du PIB, que la situation est moins dramatique que lorsqu'on considère le passage de la dette de 35 à 70 milliards d'euros.

Des comparaisons sont aussi faites sans arrêt avec d'autres pays européens sur la question des prélèvements obligatoires, qui contribueraient à accroître les dépenses publiques et les déficits. Vous avez vous-même évoqué ces comparaisons lors de votre intervention. Ne devrions-nous pas mener cette réflexion à périmètre constant ? Nous avons soumis cette question, lors d'une audition récente consacrée à la défense. Dès lors que la France assume un budget de la défense servant aussi à d'autres pays européens, le budget de la défense ne devrait-il pas sortir du périmètre de calcul des déficits publics pour l'appréciation des critères de Maastricht ? De même, tous les pays ne retiennent pas le même périmètre du point de vue des prélèvements obligatoires servant à financer les dépenses de retraite, de santé et d'éducation. Même lorsque ces dépenses ne sont pas financées par l'État ni par les cotisations sociales, elles sont, in fine, payées par des agents économiques. Aux États-Unis, les montants dépensés pour la santé sont extrêmement élevés, même s'il est vrai que ces dépenses relèvent peu de la sphère publique. Elles contribuent à la dette privée, sachant que ces dépenses consacrées à la santé, en pourcentage, sont à peu près comparables.

Le Gouvernement s'oriente manifestement vers une diminution des dépenses publiques. Il y a des débats quant à l'appréciation de cette orientation. À nos yeux, c'est privilégier une logique d'austérité. Nos collègues de la majorité contestent ce chiffre mais, en croissance tendancielle, 135 milliards d'euros d'économies seront à trouver d'ici 2027, au titre du programme de stabilité, par la réduction des dépenses publiques. C'est une cure d'austérité d'une ampleur que la France aura rarement connue. À cela s'ajoute le fait qu'une fois votée la loi de programmation militaire, les autres dépenses publiques devront baisser davantage. Je crois que vous aviez indiqué le chiffre de 1,4 %. Pour autant, les dépenses publiques constituent aussi des recettes, comme je l'ai souvent souligné ici, en ce sens qu'elles contribuent au fonctionnement de l'économie. Elles ont même, à un moment donné, évité l'entrée du pays en récession. En 2010-2012, l'économie française n'est pas entrée en récession grâce aux dépenses publiques, alors que le marché privé était en recul.

Lorsque se fait jour un risque de récession dans l'économie au niveau mondial et que les dépenses publiques diminuent, cette diminution ne peut-elle avoir un effet récessif, alors même que la France s'en est plutôt bien sortie, ces dernières années, du fait d'avoir pu compter sur ces dépenses ? Ne faudrait-il pas plutôt rechercher sur le plan des dépenses fiscales les moyens d'investir dont notre pays a besoin et des pistes pour commencer de diminuer la dette ?

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Les dernières estimations de l'Insee, concernant les premier et deuxième trimestres, confortent plutôt la bonne tenue et la résilience de l'économie française. Elles donnent de la crédibilité à ce que nous projetons à travers ce programme de stabilité. Jusqu'à présent, notre majorité a su tenir les budgets votés en début d'année, en dehors des crises exceptionnelles que nous avons connues.

Le programme de stabilité programme une maîtrise accrue de nos finances publiques, au regard des objectifs présentés dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Ancrer dans la loi cette nouvelle programmation est extrêmement important à nos yeux. Ce serait bénéfique pour l'État, pour les administrations publiques, pour l'Europe et pour les parlementaires. Je rappelle l'importance qui s'attache à ce que soit votée une loi de programmation des finances publiques.

Le terme de cure d'austérité a été prononcé. La trajectoire des dépenses publiques montre que celles-ci ne diminuent pas : elles vont – heureusement – augmenter. L'augmentation de ces dépenses publiques est même supérieure à l'inflation. Nous parlons donc d'un effet volume par rapport à la croissance du PIB en valeur et nous sommes très loin d'une cure d'austérité, même s'il y a un équilibre à tenir. Nous ne souhaitons pas créer une rupture trop dure par rapport aux politiques publiques qui existent. Je crois que le contexte social ne le permet pas. Nous attendons toujours les suggestions des uns et des autres pour réduire plus rapidement ces dépenses publiques.

Le programme de stabilité accélère et amplifie l'objectif de désendettement de notre pays puisque celui-ci doit diminuer de 4 %, en proportion du PIB, entre 2022 et 2027. Monsieur le président, si je puis me permettre, ce n'est pas la dette qui est insupportable, c'est la charge de la dette, c'est-à-dire 71 milliards d'euros. Ce sont 71 milliards que nous ne consacrons pas à la transition écologique, à l'éducation, etc. Je rappelle à ceux qui nous ont dit, durant des années, que ce n'était pas grave de s'endetter, qu'avec la remontée des taux, nous sommes aujourd'hui contraints de réduire cet endettement, en tout cas en pourcentage du PIB. Nous avions souligné ce danger à maintes reprises par le passé, en tirant la sonnette d'alarme.

Je suis satisfait que ce programme de stabilité prévoie un effort supérieur, pour l'État, à celui qui est demandé aux collectivités territoriales. Comme je l'ai souvent rappelé au sein de cette commission, il faut que celles-ci participent à l'effort de maîtrise de la dépense publique mais il est sain que l'État montre l'exemple. Nous nous associerons évidemment à tous les travaux visant à maîtriser ces dépenses.

Outre la progression de la charge de la dette et la promulgation de la loi de finances initiale pour 2023, qui prend en compte des dépenses supplémentaires par rapport à l'objectif de la loi de programmation des finances publiques, quels éléments avez-vous mesurés, qui expliquent le surcroît de dépenses, en valeur, prévu dans le programme de stabilité ?

La hausse de la prévision d'inflation s'accompagne, dans le programme de stabilité, d'une révision assez logique du déflateur du PIB en 2023 et 2024, ce qui implique une révision à la hausse du PIB en valeur. Quel est, selon vous, l'impact de cette modification sur l'équilibre des comptes publics (c'est-à-dire sur les recettes et sur les dépenses) ?

Enfin, quelle est votre appréciation des estimations du programme de stabilité concernant le coût des mesures de soutien, face à la hausse des prix de l'énergie ? Nous sommes face à une baisse tendancielle des prix de l'énergie, ce qui a un impact en particulier sur les recettes de la contribution sur les rentes inframarginales. Quel bilan tirez-vous, en plus et en moins, de cette évolution du contexte énergétique ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vous remercie de m'offrir l'occasion de préciser certains propos. J'espère ne pas avoir dit que la dette publique ne servait à rien. Si je l'ai dit, je vais corriger ce propos. La dette publique a évidemment une utilité. Mon propos visait la charge de la dette. Le remboursement de celle-ci constitue une dépense publique qui, au delà d'un certain stade, réduit nos marges de manœuvre de manière considérable. Il me semble que, dans votre raisonnement, monsieur le président, vous négligez quelque peu le poids des circonstances. Celles-ci ne sont pas toutes exceptionnelles. La pandémie représente une circonstance extraordinaire. Elle a frappé la planète entière et mis à l'arrêt l'économie française, comme l'économie européenne et l'économie mondiale. Elle a entraîné, partout dans le monde, une récession économique, en 2020, de façon inédite depuis un siècle. Elle a nécessité des mesures de politique publique extrêmement importantes qui ont d'ailleurs été comparables partout dans le monde et en Europe. Ces mesures ont augmenté notre endettement. Personne n'a contesté cette réponse, y compris en ce qui concerne la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques. Vous en êtes témoins, puisque, nommé en juin 2020, je suis venu ici me prononcer à plusieurs reprises sur des projets de lois de finances rectificatifs pour 2020 de même que lors des années suivantes. En tant que Premier président de la Cour des comptes, j'ai toujours considéré que le « quoi qu'il en coûte » était légitime et fondé. Je ne l'ai jamais critiqué.

Peut-on considérer que toutes les circonstances sont aussi exceptionnelles et que l'inflation, par exemple, est exceptionnelle ? J'ai noté au passage, bien que je ne fasse plus de politique, les vibrants hommages que vous avez rendus à la politique suivie entre 2010 et 2012 concernant les banques comme pour le soutien à l'économie. Ceux qui étaient alors aux responsabilités l'auront noté comme moi. C'est une nouveauté dans votre position.

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Je pense qu'il aurait fallu nationaliser, comme Nicolas Sarkozy l'avait anticipé à un moment donné.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Vous redoublez ! Ce n'était qu'un trait d'esprit déplacé que vous me pardonnerez.

Parmi les circonstances qui s'imposent aujourd'hui à nous figure aussi la politique monétaire, car nous sommes dans un « policy mix ». Durant des années, depuis 2012 et le fameux « whatever it takes » de Mario Draghi, nous avons vécu dans un univers enchanté : avec des taux d'intérêt extrêmement bas, voire négatifs, plus nous nous endettions, moins nous remboursions. Nous avons atteint des niveaux de remboursement de la dette qui étaient dérisoires au regard du volume de celle-ci. Sa charge ne cessait de diminuer et était inférieure à 20 milliards d'euros.

Le contexte dont nous parlons aujourd'hui n'a rien à voir. Il est marqué par une forte remontée des taux, déjà engagée, qui va se poursuivre. Les chiffres que j'ai cités concernant la charge de la dette au cours des années qui viennent (jusqu'à 80 milliards d'euros) sont issus du programme de stabilité lui-même. Je maintiens que dans un univers normal, où les taux d'intérêt sont positifs, la charge de la dette devient une dépense fort peu utile, qui obère nos capacités à financer les investissements nécessaires dans toute une série de domaines, sauf à prendre d'autres mesures pour réduire l'endettement public. Tel était le raisonnement que je voulais faire.

Dès lors, je considère en effet que le service de la dette est une dépense appelée à croître. Si elle sert à financer la croissance, les investissements sont utiles. Elle ne doit pas, alors, croître plus vite que le PIB. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, ce qui montre qu'elle a servi, globalement, à financer des dépenses qui sont insuffisamment productives. De ce point de vue, je pense que nos avis pourront converger.

S'agissant de la question du périmètre que vous évoquez, monsieur le président, le choix entre public et privé n'est pas neutre, sans aucun doute. Le niveau des prélèvements obligatoires n'est pas indifférent du point de vue de la croissance. Il faut s'assurer que le coût du financement des dépenses publiques est inférieur à leur bénéfice. En France, il n'est pas certain que ce soit toujours le cas.

Je réaffirme ce que j'ai eu l'occasion d'affirmer ici à l'occasion de mon audition sur le projet de loi de programmation militaire. Le Haut Conseil étant depuis peu saisi de cette question, grâce à vous, nous observons qu'il y a de plus en plus de dépenses programmées, qui sont des dépenses dynamiques. Dans un contexte où il faudrait par ailleurs maîtriser la dépense publique, le poids de l'ajustement reposerait nécessairement sur les dépenses non programmées. Les chiffres deviendraient alors assez spectaculaires. Globalement, nous devons, selon les données du programme de stabilité, faire des efforts plus importants que ce qui a été fait depuis des décennies. S'agissant des dépenses non programmées, le « changement de braquet » sera encore bien plus important puisque l'effort devra être jusque deux fois plus important que ce qui a été fait jusqu'à présent. C'est un défi considérable, ce qui peut aussi soulever des questions sur le fond.

Ainsi, la charge de la dette, qui a déjà augmenté de 15 milliards d'euros en 2022, devrait continuer d'augmenter. La charge d'intérêt risque d'augmenter fortement au cours des prochaines années, car les taux d'intérêt à long terme vont augmenter. Sur dix ans, cette hausse impliquera une charge supplémentaire de 80 milliards d'euros pour l'État, si les taux restent à leur niveau actuel.

Monsieur le président, vous avez évoqué à plusieurs reprises la notion d'austérité. Notons quand même que nous n'avons connu, lors des décennies passées, aucune année au cours de laquelle la dépense publique n'aurait pas crû. Celle-ci représente tout de même 58 % du PIB, ce qui est supérieur de 8 % à la moyenne de la zone euro. Parler d'austérité, alors qu'on fait simplement en sorte de limiter la croissance de la dépense publique, ne me paraît donc pas un mot tout à fait adapté.

Nous souhaitons que les baisses d'impôts ne soient pas intégralement conservées. On ne peut, à nos yeux, décider désormais de baisses d'impôts que si celles-ci sont compensées par la hausse d'autres impôts ou par une maîtrise équivalente de la dépense publique. Nous parlons donc bien des dépenses et des recettes, en nous prononçant clairement sur cette question des baisses d'impôts. Dans le contexte que chacun a à l'esprit, ces considérations me semblent devoir alimenter notre réflexion. Je pense qu'il serait raisonnable d'arrêter le « concours Lépine » sur ces questions. J'aurai l'occasion de le dire prochainement lors d'une manifestation à laquelle vous êtes invité, au Haut Conseil des finances publiques.

Monsieur le rapporteur général, s'agissant de la réévaluation du coût des mesures de soutien, face à l'inflation énergétique, les précédents chiffres du Gouvernement évaluaient le coût net des mesures à 23 milliards d'euros en 2022 et 19,5 milliards en 2023. Ils reposaient sur des prix à terme, sur les marchés de l'énergie, enregistrés mi-juillet et mi-août 2022, à un moment où ils se trouvaient à un niveau proche du pic de septembre. Depuis lors, les prix ont été divisés par trois, ce qui a conduit à une révision importante à la baisse du coût des dispositifs comme des recettes supplémentaires. Le coût du bouclier « gaz » a été revu : il passerait de 8,5 milliards (dans l'estimation initiale) à 6,7 milliards (selon l'estimation révisée) en 2022 et de 11,6 milliards à 2,3 milliards en 2023. Le coût du bouclier « électricité » a été abaissé plus faiblement, passant de 19 milliards à 18,2 milliards en 2022 et de 34,5 milliards à 29,3 milliards en 2023. Le coût des aides aux entreprises a été revu à la baisse pour 2022, passant de 1,5 milliard à 0,5 milliard. Il a été revu à la hausse pour 2023, passant de 7,5 à 8,1 milliards. Au total, la révision à la baisse des gains l'emporte sur celle du coût brut des dispositifs de soutien. Le coût net total des mesures de soutien a donc été revu à la hausse, passant de 23 milliards à 25 milliards en 2022 (+ 2 milliards) et de 19,5 à 28,5 milliards d'euros en 2023 (+ 9 milliards).

Les prévisions transmises au HCFP ne comportent pas de détails quant à la croissance supplémentaire des dépenses. La charge d'intérêt joue en tout cas un rôle important, car les taux d'intérêt ont augmenté davantage que prévu dans les précédents programmes.

Enfin, je crois qu'il faut lutter contre l'idée selon laquelle l'inflation serait une bonne chose pour les finances publiques. Je sais que ce n'est pas la vôtre, monsieur le rapporteur général. Évidemment, l'inflation a un effet favorable mécanique sur le ratio de dette publique, exprimé en pourcentage du PIB, puisque celui-ci augmente en valeur lorsque l'inflation est en hausse. Il faut cependant prendre en compte le coût des mesures mises en œuvre pour lutter contre les effets de l'inflation et l'augmentation de la charge de la dette. Celle-ci a beaucoup augmenté compte tenu de l'importance des emprunts indexés sur l'inflation qui avaient été pris par le passé. L'effet négatif de l'inflation sur l'activité joue aussi un rôle négatif sur les finances publiques. In fine, nous devons constater qu'en 2022, l'inflation a plutôt accru le ratio de dette publique.

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Je vois mal comment l'on peut avoir une dette sans charge de la dette. Nous y reviendrons au cours du débat.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vous invitais simplement à réfléchir sur les circonstances dans lesquelles on s'endette et sur le coût de la dette.

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J'observe qu'un calcul du coût de la charge de la dette en pourcentage du PIB ne la fait pas diminuer. Je ne peux que déplorer, comme le Haut Conseil, l'absence de loi de programmation, qui nous conduit à examiner des engagements ô combien importants avec une boussole désormais plus que datée. Vous saluez, monsieur le président, l'accélération, à croissance inchangée, du désendettement de notre pays par rapport aux précédents programmes de stabilité mais vous vous empressez de remarquer que cet effort est produit en dépit d'hypothèses de croissance inchangées. Ne pourrait-on considérer que l'effort est d'autant plus important qu'il ne compte pas sur un impact supplémentaire de la croissance, notamment en recettes ?

En recettes, le programme de stabilité retient une hypothèse de quasi-stabilité du taux de prélèvements obligatoires, que vous attribuez à des hausses spontanées de prélèvements ou à des mesures de réductions d'impôts qui ne seraient pas mises en œuvre. Ne peut-on considérer que nous tendons vers une normalisation de l'élasticité du taux de prélèvements obligatoires par rapport à la croissance, à l'instar de ce qui est observé pour les recettes d'impôt sur les sociétés ?

S'agissant de la masse salariale, pouvez-vous nous nous éclairer sur les divergences d'appréciation que vous avez avec le Gouvernement pour l'année 2024 ? Ne s'agirait-il pas de la même normalisation, qui permettrait de rendre compte du retour à une moyenne d'environ 3 % ?

Confirmez-vous que les efforts de maîtrise de la dépense publique, à considérer qu'ils soient documentés, couplés à l'extinction des mesures de soutien généralisé aux agents économiques, suffiront à atteindre l'objectif de réduction de 4 % du ratio de dépense publique sur le PIB, comme l'a promis le Gouvernement ?

Enfin, la croissance potentielle n'a pas été révisée, en dépit de l'adoption de la réforme des retraites. Celle-ci ne devrait-elle pas avoir un impact favorable sur la croissance potentielle de notre pays ?

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Monsieur le président, comme vous le savez, l'augmentation générale du coût de la vie affecte durement le pouvoir d'achat des Français et des Européens. Nous payons évidemment le prix de notre dépendance énergétique, industrielle et alimentaire. Le Haut Conseil des finances publiques critique l'optimisme, pour ne pas dire la naïveté coupable, du Gouvernement, qui prévoit une inflation de 3,2 % - estimation que le Haut Conseil qualifie de « faible ». Certains organismes prévoient une inflation plus importante.

Je suis frappé par les chiffres prévisionnels de la croissance des salaires pour 2023 : ils se situent au niveau de l'inflation, c'est-à-dire 3,2 %, sans aucun rattrapage du retard pris en 2022, chiffré à – 1,3 %.

Il serait utile que le Haut Conseil des finances publiques nous fournisse un comparatif, à l'échelle de l'Union européenne, des prévisions de croissance salariale en 2023. La France est-elle effectivement le bon élève de l'Union européenne, comme l'affirme le Gouvernement ? Nous pourrions ainsi le vérifier. Une augmentation des salaires en France, comparable à ce qui se pratique chez certains de nos voisins, vous paraît-elle envisageable sans remettre en cause les prévisions d'inflation ?

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Je note qu'encore une fois, les hypothèses du Gouvernement sont volontairement optimistes. Les prévisions de croissance le sont. Les prévisions d'inflation sont sous-estimées. Si nous devons réduire les dépenses, nous devrons le faire encore plus. Au delà de la question de la dette, je voudrais revenir sur les raisons de l'endettement et du poids de la dette. La France a levé, en 2022, 3 milliards d'euros d'emprunt indexés sur l'inflation. Il y a trois, quatre ou cinq ans, lorsque la France empruntait, la situation était différente. En 2022, contracter un emprunt de 3 milliards d'euros indexé sur l'inflation me paraît une erreur assez monumentale de la part des personnes qui nous gouvernent. Il est évident que ce montant va augmenter avec la charge de la dette.

Lorsqu'on évoque le déficit du budget de l'État, il faut se demander pourquoi nous ne recueillons pas autant de ressources. Vous nous avez expliqué il y a quelques semaines, monsieur le président du HCFP, que jamais, dans son histoire, la France n'avait collecté autant de ressources fiscales. Je crois que le montant évoqué était de 323 milliards d'euros, et avait notamment pu être atteint du fait de la hausse de la TVA, qui pèse particulièrement sur les classes moyennes et populaires. Pourtant, le pays continue de s'endetter, car l'argent est dilapidé, dans des politiques d'aide aux grandes entreprises dont on est incapable de dresser un bilan sérieux et raisonnable. Le pays a dépensé plus de 150 milliards d'euros (voire 200 milliards d'euros, selon certaines estimations) d'aides directes et indirectes au bénéfice des plus grandes entreprises de ce pays. Ce sont là des dépenses inutiles, à la différence des investissements dans le service public, au travers desquels les Français voient que nous investissons dans une école ou dans un hôpital. J'aimerais connaître votre avis sur ce sujet.

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Le rapport du Haut Conseil des finances publiques sur le programme de stabilité évoque la baisse des prélèvements obligatoires, qui, inévitablement, impactera le niveau du déficit et de la dette. Vous proposez une réduction des dépenses ou une augmentation d'autres prélèvements. Avez-vous une cible particulière et avez-vous pensé, concernant d'éventuelles diminutions de dépenses, à des sujets précis ?

La croissance du PIB devrait s'établir en moyenne à 1,7 % par an. Vous la jugez élevée. À quel niveau de PIB la situation deviendrait-elle critique, sachant que nous devrons atteindre le seuil de 3 % de PIB en 2027 ?

La France a bénéficié des taux d'intérêt négatifs, qui ont eu des effets très favorables. En 2023, la charge de la dette se montera à 71 milliards d'euros, ce qui en fera le deuxième budget après celui de l'éducation nationale. Pensez-vous que la Banque centrale européenne pourrait intervenir afin d'éviter que les taux continuent d'augmenter ?

Enfin, monsieur le rapporteur général a une nouvelle fois proposé d'associer les collectivités territoriales aux efforts consentis et nécessaires du point de vue du budget de notre pays. Je dois rappeler qu'un effort important a déjà beaucoup porté sur les collectivités territoriales entre 2012 et 2017. Un tel choix n'est pas d'actualité. Les collectivités territoriales sont à l'équilibre du point de vue de leur budget, ce qui n'est pas le cas de l'État.

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Je tiens à saluer le travail réalisé par le Haut Conseil, dont les avis nous poussent à adopter la plus grande rigueur possible dans nos prévisions économiques, lesquelles servent de base aux différents textes budgétaires.

Monsieur le président, au regard notamment de votre expérience passée en tant que commissaire européen, pensez-vous que les efforts fournis par la France pour contenir le déficit public sont comparables à ceux fournis par nos voisins européens ? La répartition entre les différentes administrations publiques (État, collectivités territoriales, administrations de sécurité sociale) vous paraît-elle comparable ?

Vous connaissez l'attachement de notre famille politique à la maîtrise de la dépense publique et de la dette, afin de ne pas faire peser son fardeau sur les jeunes générations. Votre rapport souligne que l'hypothèse de maîtrise de la dette et de réduction du déficit, si elle s'appuie sur des hypothèses plausibles, pourrait présenter des fragilités à compter de 2024 si les conditions n'étaient pas réunies en termes de croissance et de consommation des ménages. Outre le vote d'une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, que nous appelons également de nos vœux, quel calendrier précis suggéreriez-vous au législateur d'adopter pour soutenir la croissance sans brider les énergies ?

Pensez-vous qu'une réforme des règles financières d'accès au crédit, dont la dernière révision a conduit à un durcissement de l'octroi des prêts immobiliers, notamment aux jeunes actifs (la limite de 35 % d'endettement global restreignant les conditions d'emprunt) pourrait permettre de relancer efficacement la croissance espérée à travers ce programme de stabilité ?

Chez nos voisins européens qui ont mis en œuvre une réforme de l'assurance chômage et des retraites proche de celle décidée en France, observe-t-on le même impact, en termes de créations d'emploi et de croissance induite par l'emploi, que celui projeté ?

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Monsieur le président du Haut Conseil, je trouve intéressant de constater que nous vous sentons, à travers cet avis, un peu tiraillé par les mêmes interrogations que celles qui nous animent. Ce programme de stabilité prévoit d'abord une baisse des ressources, à hauteur d'un pour cent du PIB chaque année de 2023 à 2027, soit 130 milliards d'euros de ressources en moins sur l'ensemble de la période. Il table sur une baisse de la dépense publique à hauteur de 1,5 % en 2023, 2,4 % en 2024, 2,9 % en 2025, 3,5 % en 2026 et 4 % en 2027, soit près de 380 milliards en moins sur la période.

Le programme retient aussi l'hypothèse d'une augmentation de la charge de la dette, pour partie du fait de la hausse des taux d'intérêt mais également en raison du volume important d'obligations indexées sur l'inflation. Nous ne comprenons toujours pas ce choix, alors que la France continue de faire appel à ce type d'emprunt.

Pour le reste, le programme de stabilité prévoit un volume important de dépenses déjà fléchées par des lois sectorielles (au moins 400 milliards sur la période). Or il manque plusieurs lois de programmation dans cette estimation, dont celle sur la justice. À tout cela, il faut ajouter votre évaluation des prévisions macroéconomiques. Je résume cela ainsi :

– croissance : prévision optimiste ;

– gains de productivité : prévision élevée ;

– inflation sous-estimée ;

– consommation des ménages : prévision élevée ;

– évolution de la masse salariale : prévision un peu basse ;

– augmentation de l'emploi : surestimée.

En d'autres termes, partout où le Gouvernement a pu « grapiller », à travers ses prévisions, quelques marges de manœuvre qui lui étaient favorables, il l'a fait. J'ai l'impression que vous vous demandez comment le Gouvernement pourra résoudre la quadrature du cercle qui apparaît si l'on fait l'addition de ces différents éléments. On se demande aussi comment nos services publics seront financés. Le programme de stabilité d'il y a deux ans promettait une croissance de 4 % en 2022. La croissance a finalement été de 2,6 %. Il annonçait une croissance de 2,3 % en 2023 et la croissance ne sera que de 1 % cette année. Quels rendez-vous manqués que le plan de relance ou le plan France 2030 !

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Ce programme de stabilité 2023-2027, présenté en Conseil des ministres le 26 avril dernier, témoigne d'une volonté claire de rétablir nos finances publiques en réduisant le déficit public et le ratio de dette publique sur PIB à l'horizon 2027. C'est un objectif ambitieux mais nécessaire pour nous permettre de préserver notre souveraineté et dégager des marges de manœuvre en cas de nouvelle crise.

Pour autant, la récente dégradation de la note française par l'agence Fitch nous rappelle que la situation de nos finances publiques doit concentrer toute notre attention. Pouvez-vous nous dire si vous avez une estimation de l'impact qu'ont les notations des agences sur la charge de la dette française ?

Vous indiquez que la trajectoire des finances publiques proposée suppose que les mesures annoncées de baisse de prélèvements obligatoires ne soient pas intégralement mises en œuvre, ou qu'elles soient compensées par la hausse d'autres prélèvements ou par des réductions de dépenses fiscales. À quel montant évaluez-vous le volume des mesures de baisse de prélèvements obligatoires (parmi celles qui ont été annoncées) qui ne devraient pas être mises en œuvre et avez-vous identifié, parallèlement, des dépenses fiscales qui pourraient être réduites ou qui sont inefficientes ?

Évidemment, nous rejoignons votre avis lorsque vous appelez, monsieur le président du Haut Conseil, à l'adoption d'une loi de programmation des finances publiques. Nous espérons vivement que nous saurons trouver une majorité responsable pour la voter.

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Que pensez-vous, monsieur le président du Haut Conseil, du réalisme de la progression des dépenses publiques pour 2023 (première année de la programmation 2023-2027), que certains spécialistes considèrent déjà comme sous-estimée, alors que si peu est consacré au financement de la transition écologique ? Quel serait le montant qu'il faudrait y consacrer, à vos yeux, pour répondre aux urgences actuelles ?

La croissance en volume des dépenses publiques n'a jamais été inférieure à 1 % à l'échelle d'un quinquennat. Il semble donc très peu réaliste de vouloir la ramener à 0,6 % après quatre ans de « quoi qu'il en coûte ». Cet objectif sera d'autant plus difficile à atteindre que l'augmentation de la charge d'intérêt de la dette prévue dans le programme de stabilité est supérieure au montant des économies envisageables du fait de la réforme des retraites (du moins, à ce stade) et de la réforme de l'assurance chômage. Quel crédit peut-on, en conséquence, accorder à la trajectoire de baisse du déficit public (jusqu'à 2,7 % du PIB en 2027) prévue par le Gouvernement, alors qu'aucune trajectoire de réduction du déficit inscrite dans les programmes de stabilité présentés jusqu'à présent n'a été respectée ? Autrement dit, quels éléments concrets, objectivés et documentés, vous font-ils douter des scénarios basés sur des gains de productivité et l'augmentation du taux d'activité des seniors envisagée par le Gouvernement ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

La quasi-stabilité des taux de prélèvements obligatoires est effective. Elle renvoie à la fois au retour à l'élasticité spontanée de ces prélèvements, qui est égale à un an, et à l'absence de mesures de baisse des prélèvements obligatoires, voire leur hausse en 2025, à rebours des années récentes. Nous n'attendons pas de baisse massive du taux de ces prélèvements.

L'effet de la réforme des retraites sur la croissance potentielle était déjà pris en compte dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Il peut être estimé entre 0,1 % et 0,2 % par an mais il est compensé par l'impact du vieillissement sur la population active. Celle-ci devait connaître, en l'absence de réforme, une croissance nulle. Cette croissance sera finalement de 0,3 %. Au total, aucun élément nouveau n'est donc apporté par la réforme des retraites par rapport aux éléments dont nous disposons et nous maintenons que les prévisions de croissance potentielle sont plutôt plus élevées que la totalité des autres prévisions, compte tenu de cette réforme, qui est anticipée par tous.

En cohérence avec la révision à la hausse de la prévision d'inflation, la progression prévue de la masse salariale a été revue et s'établit désormais à 6,1 % pour 2023. Cette hausse tient à la progression, plus forte qu'attendu initialement, du salaire moyen par tête : la croissance de celui-ci est passée de 4,2 % à 5,2 %. La prévision pour 2023 est à présent plausible. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance de la masse salariale de 3,4 % et du salaire moyen par tête de 2,8 %. Cette dernière prévision nous paraît un peu basse compte tenu de la croissance de l'inflation, qui restera forte en 2023, et des délais habituels de répercussion de l'inflation dans les salaires. J'ajoute qu'il demeure d'assez nombreuses incertitudes quant à la réduction de l'inflation en 2024.

Je vais ensuite vous apporter une réponse un peu plus globale, si vous me le permettez. Un pour cent de PIB en plus ou en moins représente 0,5 % de PIB de déficit public. Nous repasserions donc sous le seuil de 3 % du PIB en 2027 avec 0,6 % de PIB en moins, soit une contraction de 0,15 % du PIB par an durant quatre ans. Ce sont en réalité des calculs extrêmement théoriques et je voudrais exprimer un message plus politique. L'objectif de revenir à 3 % du PIB en 2027 ne se discute pas, ou mal. Cet effort semblerait déjà très peu, très tard. Les objectifs fixés par le programme de stabilité (2,7 % du PIB en 2027) nous semblent, de ce point de vue, meilleurs. La question porte sur le chemin pour y parvenir, c'est-à-dire sur la crédibilité des hypothèses pouvant y conduire. Le Haut Conseil a plutôt identifié une série d'hypothèses favorables. Si celles-ci ne se concrétisent pas et si l'on veut maintenir ces objectifs, alors il faut trouver d'autres moyens. On ne peut se satisfaire d'une situation de cette nature.

La Banque centrale européenne a relevé son taux de dépôt de 350 points de base en un an. Les déclarations des membres du directoire laissent anticiper une poursuite du resserrement monétaire afin d'agir sur l'inflation. Nous sommes dans une nouvelle ère du point de vue des taux d'intérêt, pour les taux courts comme pour les taux longs. Ce n'est pas neutre en termes d'impact sur la charge de la dette. La hausse déjà observée des taux longs (260 points de base depuis fin 2021 pour le rendement des OAT à dix ans) implique, sur dix ans, une charge supplémentaire de 80 milliards d'euros pour l'État, à condition que les taux d'intérêt ne connaissent pas de hausse supplémentaire. Il faut bien sûr prendre en compte les conditions de financement de la dette, qui ne sont pas neutres. Le « policy mix » ne l'est pas davantage.

Aucun pays, au sein de l'Union européenne, n'a exactement le même système de retraites que la France. Les études montrent plutôt que l'augmentation de l'âge de la retraite augmente l'emploi et le PIB. Elles montrent aussi que la baisse de l'indemnisation a des effets assez ambigus sur le chômage.

S'agissant des dépenses fiscales, la Cour des comptes publiera cet été une note structurelle sur les dépenses fiscales. Nous allons contribuer, de manière indépendante, à la revue des dépenses lancée par le Gouvernement, à travers neuf notes structurelles qui seront publiées en juin et juillet 2023, dont l'une sur les dépenses fiscales. Je ne peux évidemment dévoiler le contenu de cette note, qui est d'ailleurs en cours de préparation. Je peux néanmoins rappeler que les travaux passés de la Cour ont mis en lumière l'importance des dépenses fiscales défavorables au climat. C'est un point incontestable.

Concernant la dégradation de la note de la France par Fitch, je serai extrêmement prudent. Je ne me prononce pas sur les attendus de la décision, ni sur la décision elle-même. Je ne crois pas beaucoup à un impact fort de cette décision sur le coût de notre crédit. J'ai été ministre des finances en 2012 et 2013, à l'époque où l'on se battait sur la ligne de front du triple A. Les effets ont, en réalité, été très faibles. J'ai tendance à penser que les agences de notation ont un rôle moins important que durant la crise financière. Nous ne sommes pas tout à fait à la même époque. La note française reste convenable et la signature de la France est bonne. Ceci ne signifie pas que ce soit sans conséquence sur les politiques publiques. Je pense qu'il faut en tirer une leçon en forme d'alerte : des perspectives crédibles d'amélioration de nos finances publiques sont nécessaires.

Dès lors, je pense que des mesures non financées devraient être évitées. C'est la raison pour laquelle nos avis comportent en effet, monsieur le président, un nouveau message qui porte sur les prélèvements obligatoires. Il ne m'appartient pas, madame la députée, d'indiquer quels prélèvements doivent augmenter ou diminuer ni ce à quoi nous pensons. Ce n'est pas du tout notre rôle. Nous précisons simplement, dans un souci d'équilibre général, que si le Gouvernement décide de diminuer les impôts – décision pour laquelle il aurait toute légitimité –, on ne peut plus le faire de manière non financée. S'il y a un message politique fort dont je voudrais qu'il soit retenu de nos échanges, c'est celui-ci. S'il y a des baisses d'impôts, elles doivent être compensées par des hausses équivalentes ou par des baisses équivalentes, ou encore par une combinaison d'actions sur ces deux leviers. On ne peut se permettre de créer de nouvelles sources de déficit à travers de telles décisions. Ce ne serait pas un bon signal.

Dans le même souci, la revue des dépenses publiques prévue par Bruno Le Maire me paraît indispensable pour étayer les réformes nécessaires. La Cour des comptes y participera à travers les notes structurelles que j'ai évoquées.

Les observations que contient notre avis ne portent aucune condamnation. Les objectifs et la volonté affichés vont dans la bonne direction. Il est bien de prendre en compte le désendettement et de vouloir réduire plus rapidement le déficit. Il est effectivement souhaitable de vouloir sortir plus rapidement de la période d'augmentation de la dette dans laquelle nous sommes. Il faut s'en donner les moyens. Or les hypothèses retenues sont plutôt favorables aux objectifs poursuivis. Il y a là un petit hiatus qu'il faudra combler d'une façon ou d'une autre. Je pense en effet qu'une loi de programmation est indispensable. Certes, le programme de stabilité prévoit et anticipe mais il ne programme pas nos dépenses publiques. Tel n'est pas son rôle. Il faut donc que l'Assemblée nationale vote une telle loi et que celle-ci soit crédible. Elle constituera alors une ancre pour une stratégie de désendettement. Si elle ne l'est pas, elle devient une source de perplexité (y compris pour ceux qui nous observent), ce qui n'est pas sans rapport avec les questions précédentes que j'évoquais. Nous appartenons à une union monétaire, l'euro, que nos compatriotes approuvent, quelles que soient leurs opinions politiques. Dès lors qu'on fait partie d'une copropriété, il faut en observer le règlement.

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Je donne la parole à Charles de Courson en tant qu'orateur de groupe, car il n'a pu s'exprimer tout à l'heure. Puis je donnerai la parole aux membres de la commission.

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Le Haut Conseil juge optimistes les hypothèses macroéconomiques retenues dans le programme de stabilité. Je me suis livré à un petit calcul afin de déterminer comment l'on passe d'un taux de croissance potentielle de 1,1 % à un taux de 1,35 %. Je découvre dans l'annexe, en page 21, que cette amélioration repose, à hauteur de 0,1 %, sur l'amélioration de notre balance commerciale. Cela suppose que notre compétitivité s'améliore. Cette hypothèse vous paraît-elle crédible ?

On observe une réduction de 0,4 % par an de l'écart de production. Le Haut Conseil se montre assez prudent à cet égard. En sens inverse, les effets de la réforme des retraites seraient de l'ordre de 0,2 %, selon les prévisions du Gouvernement. Pouvez-vous commenter en détail cette double hypothèse ?

S'agissant de la dépense publique, nous voyons qu'il faut réduire les dépenses de l'ordre de 5 %, hors des dépenses inscrites dans des lois de programmation. Le gouvernement retient aussi une hypothèse très prudente quant à l'impact des frais financiers de l'État : nul ne sait si leur niveau restera à 4 % ou s'il continuera d'augmenter d'ici la fin de l'année.

Enfin, le Gouvernement annonce de nouvelles baisses des prélèvements obligatoires, ce qui vous conduit à observer qu'il ne peut décider seulement de mesures en ce sens : des hausses doivent être décidées par ailleurs, faute de quoi il ne redressera jamais les finances publiques.

Pouvez-vous nous apporter un commentaire sur ces trois points ?

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La réforme des règles du pacte de stabilité est en négociation. A-t-elle un impact sur l'appréciation, par le Haut Conseil, de la trajectoire des finances publiques de la France ? Je pense par exemple au pilotage par l'agrégat des dépenses primaires nettes, c'est-à-dire par la croissance des dépenses nettes des mesures nouvelles, en recettes, à l'exclusion des dépenses d'intérêt, au lieu de la croissance potentielle. Je me réjouis de cette évolution, tant il est vrai que je me suis montré critique, au sein de cette commission, quant au calcul de la croissance potentielle.

Les taux d'intérêt réels me semblent par ailleurs peu pris en compte dans l'analyse de l'évolution des finances publiques. Vous évoquez en particulier des prévisions d'inflation sous-estimées. N'est-ce pas le signe d'une sincérité budgétaire de la part du Gouvernement ? Un taux d'inflation plus élevé serait sans doute supérieur aux taux d'intérêt à long terme, auquel cas le taux d'endettement baisserait sur le plan comptable.

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Ne serait-il pas utile, pour inviter les parlementaires à considérer d'un œil beaucoup plus attentif la loi de programmation des finances publiques, de conditionner, à terme, le vote des lois de programmation sectorielles à l'adoption préalable d'une loi de programmation des finances publiques ?

Quelles explications donnez-vous du retour à la normale de l'inflation, qui prend davantage de temps que ce qu'on pouvait espérer ? Le retour à un niveau égal ou inférieur à 2 % vous semble-t-il réaliste à court terme ?

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Je voudrais vous remercier, monsieur le président du Haut Conseil, pour le travail qui a été réalisé. Vous indiquez à la fin de votre avis qu'il manque aujourd'hui, pour mettre en œuvre ce programme de stabilité, des précisions concernant le calendrier et les modalités concrètes. Ce sont aussi les éléments qui nous font défaut.

À la lumière des programmes de stabilité des différents pays européens, le Haut Conseil estime qu'à l'horizon 2026, la France serait le seul pays de la zone euro présentant un déficit public représentant plus de 3 % de PIB, ce qui nous placerait dans une position de fragilité. Quelles incidences cela pourrait-il avoir à partir de 2026 si cette éventualité se concrétise ?

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Si j'en crois ce qu'a indiqué Madame la Première ministre il y a quelques semaines, le projet de loi de programmation des finances publiques – que vous appelez de vos vœux, monsieur le président du Haut Conseil – sera examiné à l'Assemblée nationale en juillet prochain.

Je note que ce programme de stabilité comprend un certain nombre de ratios qui diffèrent du projet de loi de programmation des finances publiques. Vous en faites état à la page 14 de votre document. En quelques mois, l'exécutif a donc pris acte d'un certain nombre de changements de situation. Dès lors, le projet de loi de programmation des finances publiques, telle qu'il a été présentée jusqu'à ce jour par le Gouvernement, peut-il être votée ? Le vote de ce texte, tel qu'il a été présenté par l'exécutif, serait-il cohérent avec ce programme de stabilité ?

La diminution des dépenses publiques est finalement très peu documentée, en dehors de la question des retraites et de la réforme de l'assurance chômage. Une documentation plus importante ne serait-elle pas nécessaire afin de conforter les ratios proposés par le Gouvernement ?

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Les scénarios de court terme évoquent une inflation sous-estimée et une croissance sans doute surestimée. Or les dépenses de l'État présentent, dans plusieurs domaines, des perspectives très inflationnistes, avec une loi de programmation militaire inédite, des moyens pour la justice inédits, des Jeux olympiques à organiser dans un contexte de dérapage du budget, des dépenses qui seront revues à la hausse en matière d'immigration et de police ou encore la réforme de l'enseignement professionnel et les dépenses d'éducation à venir… L'énumération pourrait être bien plus longue. Je ne vous demande pas comment financer ces dépenses. J'ai compris que ce n'était pas votre rôle. Je fais écho à l'avant-dernière page de votre rapport, évoquant la maîtrise inédite de la dépense qu'appelle l'évolution de nos finances publiques. Combien de points de PIB cet effort nécessaire de maîtrise de la dépense représente-t-il au cours des années qui viennent ? Quel serait le montant d'économies correspondant ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je m'en tiendrai à mon rôle. Je ne suis ni un oracle, ni porteur d'une vérité, ni législateur. Je n'interviendrai donc pas dans le champ politique, qui n'est plus le mien.

Les questions de monsieur de Courson nous rappellent la différence qui existe entre le souhaitable, le crédible, le réaliste et le probable, s'agissant de la contribution du commerce extérieur. Cela me donne l'occasion de faire une remarque plus générale : à nos yeux, toutes les hypothèses du programme de stabilité sont assez optimistes. Elles ne sont pas absurdes ni hors d'atteinte. On peut rêver qu'elles se réalisent mais il paraît difficile d'imaginer qu'elles puissent toutes se réaliser simultanément, car toutes sont optimistes. Nous n'affirmons pas, pour autant, qu'il y a là des hypothèses insincères ou qui soient problématiques. Nous portons un jugement qui se fonde sur un raisonnement économique. C'est ainsi que fonctionne le Haut Conseil, qui est une instance pluraliste à tous égards.

Ces observations sont encore plus vraies concernant le commerce extérieur. Les hypothèses du programme de stabilité ne sont pas hors d'atteinte car il existe des marges du point de vue des exportations, notamment dans le secteur aéronautique. On peut tout de même considérer que ces hypothèses n'ont rien de pessimiste, compte tenu des performances tendancielles de notre appareil productif en termes de parts de marché. Cela suppose une augmentation massive de la qualité de cet appareil dans toute une série de plans, autant d'efforts qui seraient à financer par ailleurs.

Le Gouvernement prévoit que la réforme des retraites augmenterait l'emploi total et le PIB de 0,7 % en 2027. Cette évaluation nous paraît plutôt optimiste car ce scénario suppose que la demande globale de travail et l'investissement des entreprises s'ajustent sans délai à cette offre de travail plus importante. Or on observe généralement l'existence de délais d'ajustement, dans pareils cas.

Je crois avoir répondu à plusieurs reprises à votre question concernant les prélèvements obligatoires. Encore une fois, nous restons à notre place.

De façon un peu plus générale, nous constatons que le pays n'a pas de marges de manœuvre, ce qui fait aussi écho à la question posée à propos de la notation de l'agence Fitch. Je vous le dis à tous, mesdames et messieurs les députés, je suis un citoyen, j'entends, je lis, parfois, l'appel à des baisses d'impôt. Des baisses d'impôt qui ne sont pas financées impliquent une augmentation des déficits. Ce n'est pas le signal qui est attendu de l'économie française au cours de cette période. Cela n'interdit pas de décider de baisses d'impôt, mais celles-ci doivent être compensées. Cela peut être compensé par une baisse concomitante de la dépense ou par une hausse d'autres impôts. Il vous appartient de le dire.

Monsieur Labaronne, votre question a plusieurs dimensions. Je sais que vous êtes notre rapporteur spécial pour la Cour des comptes et pour le Haut Conseil des finances publiques. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises, au titre du Haut Conseil. Il y a d'abord l'immédiat. De ce point de vue, j'observe qu'il existe un écart entre le programme de stabilité, notamment du point de vue de la prévision de croissance, et le programme de stabilité de la Commission européenne. Or, une fois que l'on entre dans le cadre de la réforme, il faut que ces deux exercices témoignent d'une congruence.

Il y a un autre point dont nous aurons l'occasion de discuter à l'avenir, monsieur le député. Vous êtes parfois interrogé quant aux moyens du Haut Conseil des finances publiques. Si cette réforme est envisagée, ses missions seront considérablement accrues. Dès lors qu'il est question d'une appropriation nationale des programmes, cela induit des contrôles plus importants et, par voie de conséquence, une extension du mandat des institutions budgétaires indépendantes. Nous en reparlerons, d'autant plus qu'il est impossible aujourd'hui de mesurer l'étendue de cet accroissement, la réforme n'ayant pas encore été adoptée par le Haut Conseil. Si elle l'est, cela aura un impact sur nos travaux communs.

Il ne m'appartient pas de proposer qu'une loi de programmation des finances publiques soit adoptée préalablement aux lois de programmation. Nous devons néanmoins tous avoir conscience que les lois de programmation sectorielles obèrent les marges de manœuvre. Si nous n'y voyons pas clair de manière globale, nous nous retrouverons in fine avec une pression ( a fortiori si les lois de programmation sont toutes dépensières) qui pèse uniquement sur les mesures non programmées. Celles-ci, qui englobent notamment les politiques sociales, peuvent être sensibles pour les Français.

En matière d'inflation, les hypothèses retenues par le programme de stabilité sont atteignables mais supposent l'activation de facteurs favorables, tels que le repli des prix des matières premières. Or certains facteurs de persistance de tendances passées ou en cours semblent également présents, par exemple l'impact des baisses passées des prix agricoles ou l'impact retardé des hausses de salaire en cours. Lorsque la pression inflationniste est apparue, de nombreux observateurs estimaient qu'elle devrait disparaître au bout de deux ou trois mois. Elle demeure vive depuis plus d'un an. Chaque fois, les prévisions se décalent. Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que les prévisions du Gouvernement, notamment en matière d'exécution budgétaire, ont toujours été respectées, et même parfois réalisées de façon un peu plus favorable. S'agissant de l'inflation, toutefois, la prévision ne cesse de se dégrader et je pense que nous devons tous faire preuve d'une grande prudence sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle le Haut Conseil note que le retour à la normale va probablement moins vite que nous ne le souhaitons. Il faut donc rester vigilant, sans anticiper une baisse très rapide.

Monsieur le député, vous me demandez ce qu'il adviendrait si nous n'étions pas sous le seuil de 3 % du PIB en 2027. Je me refuse à l'imaginer. Nous serons déjà décalés par rapport à tous nos partenaires européens en 2026 et par rapport à presque tous nos partenaires en 2025. J'ai détaillé ce comparatif dans mon propos liminaire. Il fut un temps où nous étions dans une position beaucoup plus favorable et nous sommes en passe d'afficher la position la moins favorable parmi tous nos partenaires. Cela peut finir par poser quelques difficultés, que je ne veux pas imaginer. Je sais que le Gouvernement lui-même n'envisage pas un tel cas de figure, ce qui l'a conduit à proposer des objectifs plus ambitieux cette fois-ci.

Enfin, Madame Louwagie, j'aurai un propos de bon sens. Le programme de stabilité déposé par le Gouvernement poursuit des objectifs plus ambitieux que ceux qui étaient fixés par le projet de loi de programmation des finances publiques. Il passe à 2,6 %, au lieu de 2,9 % dans la prévision initiale, et envisage un désendettement à partir de 2024, alors que celui-ci ne devait s'amorcer qu'en toute fin de période dans la projection initiale. J'ai salué, au nom du Haut Conseil, ces évolutions. Cela veut dire que le jour où le Gouvernement déposera un nouveau projet de loi de programmation de finances publiques, celle-ci ne sera pas exactement la même. Quant aux moyens de s'assurer de leur compatibilité, l'exercice incombe au Gouvernement.

J'ai estimé qu'une loi de programmation de finances publiques était nécessaire. Je le maintiens. Pour qu'elle constitue un renfort en termes de crédibilité et non une source de perplexité, elle doit être réaliste.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 17 heures 30

Présents. - Mme Christine Arrighi, Mme Émilie Bonnivard, M. Mickaël Bouloux, M. Frédéric Cabrolier, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Fabien Di Filippo, Mme Stella Dupont, M. Luc Geismar, M. Joël Giraud, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, Mme Patricia Lemoine, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Bryan Masson, Mme Christine Pires Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, Mme Marina Ferrari, Mme Constance Le Grip, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Mathieu Lefèvre