Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du jeudi 24 novembre 2022 à 9h00

Résumé de la réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Jeudi 24 novembre 2022

La séance est ouverte à 9 heures.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

La commission auditionne M. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI).

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La commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France achève aujourd'hui le cycle de ses auditions ayant vocation à présenter le contexte, à interroger les notions de souveraineté et d'indépendance, avant que celui destiné à examiner le processus décisionnel ne débute.

La durée d'une commission d'enquête étant statutairement limitée à six mois, la présente commission devra rendre ses travaux avant le 11 avril 2023.

Nous accueillons aujourd'hui M. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Ce centre a consacré une étude récente au bilan du Green Deal européen. Par ailleurs, le Centre Énergie & Climat de l'IFRI a publié diverses investigations intéressantes, notamment sur l'électrification de l'Afrique, la fin de l'exploitation gazière aux Pays-Bas, les promesses de l'hydrogène ou le nouvel âge nucléaire qu'annoncerait la guerre en Ukraine.

Monsieur Eyl-Mazzega, pouvez-vous nous dire qui détermine la ligne éditoriale des publications de l'IFRI consacrées à l'énergie ? Comment celle-ci a-t-elle évolué ? De votre point de vue, quelles énergies constituent de véritables enjeux à l'échelle internationale (hors dispositifs de nature militaire) ?

Les études que vous avez réalisées ont permis de mettre en évidence l'importance de la recherche dans le domaine de l'énergie et la difficulté à faire le partage entre technologies parvenues, ou pas, à maturité. Avez-vous étudié également les enjeux géostratégiques des compétences techniques accumulées et dont un pays peut disposer pour assurer le fonctionnement régulier et l'amélioration de son appareil énergétique ?

Ces questionnements guideront le fil de nos réflexions.

Auparavant, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Eyl-Mazzega prête serment)

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Pendant longtemps, la géopolitique des hydrocarbures a été le principal sujet d'étude du Centre Énergie & Climat de l'IFRI, que je dirige depuis cinq ans. Cependant, depuis cinq ans, nous avons assisté à l'effacement des sujets liés à la géopolitique des hydrocarbures et à la sécurité des approvisionnements, parce que les prix de l'énergie étaient extrêmement bas. Cela nous a permis de nous concentrer sur la fixation d'objectifs très ambitieux de décarbonation à l'horizon 2050, dont le rythme de réalisation a été accéléré. Non seulement les sujets de géopolitique se sont effacés, mais l'importance que revêt la sécurité d'approvisionnement a été oubliée. Nous en payons le prix aujourd'hui.

Je définis notre ligne éditoriale, en concertation avec mes collègues et un certain nombre d'acteurs publics ou privés, de façon à être en prise avec les enjeux du moment et même à essayer de les anticiper. Ainsi, voilà trois ans que nous traitons le sujet de la sécurité des approvisionnements électriques et que nous alertons les pouvoirs publics sur ce point. En effet, le sous-investissement dans les énergies renouvelables en France, la sortie de l'Allemagne et d'autres pays de toutes les capacités de production d'énergie pilotables (nucléaire, charbon), sans réflexion sur ses conséquences, ainsi que la réaction à attendre des grands producteurs d'hydrocarbures face à la réduction de leurs exportations constituent un risque. Dernièrement, nous avons conduit un important travail sur les enjeux industriels de la transition énergétique (chaîne de valeur, résilience, souveraineté).

Nombreuses sont les personnes, en France, qui pensent que l'indépendance énergétique est non seulement possible, mais souhaitable. Or cela n'a aucun sens. L'indépendance énergétique est, techniquement et économiquement, inatteignable. Cela impliquerait des coûts extrêmement élevés. En outre, nous avons beaucoup à gagner à être interdépendants. Le véritable enjeu est celui de la maîtrise de cette interdépendance et des éléments critiques des chaînes de valeur de toutes les technologies et solutions dont nous avons besoin pour garantir notre sécurité climatique. J'entends par « sécurité climatique » la capacité à mener et à mettre en œuvre les objectifs de décarbonation que nous nous sommes fixés. Il nous faut atteindre ces objectifs, tout en préservant notre stabilité économique et politique et en améliorant notre bien-être, sans créer de nouvelles vulnérabilités.

L'indépendance énergétique n'est ni possible ni souhaitable, mais nous devons impérativement chercher à garantir notre autonomie énergétique et à maîtriser nos vulnérabilités. Malheureusement, le monde se complexifie. Dans le contexte de crise actuel, nous sommes encore très dépendants des hydrocarbures (et cette situation est appelée à durer bien plus longtemps que nous ne le souhaiterions), ce qui nous rend encore plus vulnérables, étant donné que nous avons sous-investi le sujet de la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures depuis quelques années et que nous ne sommes pas entrés suffisamment rapidement et fortement dans l'ère des technologies bas carbone. En fait, nous nous trouvons dans une situation intermédiaire, qui prend la forme d'un tunnel, lequel s'annonce très long. Aussi, nous nous sommes doublement exposés. La crise actuelle le met en exergue. C'est la raison pour laquelle il nous faut réagir dans l'urgence, pour nous adapter aux défis et risques à venir.

La France reste extrêmement dépendante aux hydrocarbures, même si elle l'est un peu moins que d'autres pays, grâce au nucléaire qui a permis d'électrifier divers usages. A l'étude du mix énergétique mondial et de son évolution au cours des dernières décennies, nous constatons que la production d'énergie n'a cessé d'augmenter, à la faveur de la croissance économique et démographique, et que la part des hydrocarbures dans le mix énergétique est restée stable (80 %). Ainsi, le monde repose encore très largement sur les hydrocarbures et cet état de fait n'est pas près de changer.

La transition énergétique n'existe pas dans le monde. Nous ne faisons qu'additionner des sources d'énergie (hydrocarbures, énergies renouvelables), sans que l'une ne se substitue à l'autre. Le reste du monde connaît une extraordinaire croissance de la demande d'énergie. Les pays dont la croissance démographique atteint 10 % par an et la croissance économique 5 à 10 % par an ont besoin, chaque année, de dizaines de gigawatts de capacités de production électrique supplémentaires. Le charbon est souvent la seule façon de répondre rapidement à cette demande.

Depuis deux ou trois ans, heureusement, la majorité des investissements dans le secteur de l'électricité dans le monde se fait en direction des énergies renouvelables (en faveur de capacités photovoltaïques, essentiellement). Toutefois, les capacités photovoltaïques ne sauraient suffire, ne serait-ce que parce qu'elles ne peuvent pas produire d'énergie la nuit. Des capacités thermiques sont donc indispensables. Il s'agit généralement de centrales à charbon.

En effet, la crise actuelle et l'envolée des prix ont mis fin à l'engouement que nous observions pour les centrales à gaz. La plupart des pays du monde n'ont plus les moyens de payer du gaz naturel liquéfié (GNL) importé, généralement acheté sur des marchés « spot ». Tel est d'ailleurs ce qui nous a permis de remplir nos stockages de gaz, puisque ces marchés sont très flexibles. Ainsi, nous avons aspiré les volumes disponibles, en payant le prix fort et en privant de nombreux autres pays de ces approvisionnements.

La Russie fournissant du gaz à un tarif relativement compétitif par rapport à d'autres fournisseurs et de façon plutôt stable ces dernières années, l'Allemagne a défini une trajectoire de décarbonation consistant à développer les énergies renouvelables et à renforcer le rôle du gaz. Le système allemand était alors jugé plus performant que le nôtre, eu égard au prix du gaz. L'étape suivante de la stratégie allemande devait consister à promouvoir l'hydrogène et à compenser les émissions des quelques milliards de mètres cubes de gaz encore utilisés par des solutions négatives (reforestation, séquestration de carbone). Jusqu'alors, une forte dépendance à la Russie n'était pas considérée comme un problème, dans la mesure où la Russie a toujours fourni du gaz de façon fiable, y compris au plus fort de la guerre froide. Ce postulat est aujourd'hui battu en brèche.

Malgré le découplage brutal des hydrocarbures russes, la demande de gaz n'a pas disparu en Europe, bien au contraire. La baisse de la demande de gaz que nous observons est liée à une destruction de la demande (fermeture de certaines usines, réduction de production dans d'autres) et non pas à des économies d'énergie. Cette situation est véritablement dramatique. Il n'existe pas de véritable alternative pouvant être mobilisée dans l'urgence, pour compenser la perte du gaz russe. Nous faisons donc face à un choc économique majeur.

A présent que nous avons absorbé tout le GNL disponible dans le monde, la capacité de production supplémentaire de GNL est très limitée. La mise en service d'une nouvelle usine de liquéfaction de gaz ne pourrait se faire que dans un délai de quatre à cinq ans. Or la crise a lieu en ce moment même.

Pour ce qui est des approvisionnements en GNL, le maximum a été fait. Nous avons mis en place des capacités supplémentaires de regazéification, en surenchérissant sur les pays émergents. Cependant, le fait de disposer de capacités d'importation complémentaires de GNL n'implique pas nécessairement d'avoir des approvisionnements supplémentaires. Par ailleurs, en termes d'approvisionnement par gazoduc, la marge est très limitée. Nous avons eu la chance que la Norvège réagisse extraordinairement bien et mobilise toute son industrie, pour exporter jusqu'à 10 % de gaz en plus cette année, mais l'Algérie ne peut pas faire beaucoup plus que ce qu'elle fait déjà. Le goulot d'étranglement que connaît le gaz est voué à perdurer. Nous nous retrouvons ainsi face à un défi d'ampleur, puisque nous avons besoin de gaz naturel dans la durée. En effet, nous avons besoin de gaz dans les secteurs électriques, industriels et résidentiels.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à un risque de désindustrialisation accélérée, parce que les industries énergo-intensives ne pourront bientôt plus continuer à produire en Europe (à cause des prix du gaz, des problèmes d'approvisionnement en gaz et des difficultés liées à l'électricité). Il s'agit d'un défi majeur. Le reste du monde n'est pas confronté aux mêmes crises que l'Europe. Or le marché est global. Par conséquent, les grands industriels risquent de se tourner vers les États-Unis, le Canada, les pays du Moyen-Orient, l'Egypte ou l'Algérie, pour délocaliser une partie de leur production.

Faut-il y voir un drame ? Il faut avoir conscience que si nous accélérons la transition énergétique, jamais nous ne dupliquerons le modèle économique que nous connaissions auparavant. Des transformations sont inévitables, que ce soit au niveau des comportements ou de l'outil industriel. A cet égard, la décarbonation d'industries en France n'a pas toujours de sens. Pour rester compétitives, certaines industries ont tout intérêt à s'installer ailleurs, où elles contribueront à la croissance économique. Une chose est sûre, la situation ne peut pas rester statique. De la même façon, la Chine ne pourrait pas décarboner son économie en conservant toutes les industries actuellement localisées sur son territoire. Une délocalisation des industries vers des pays riches en hydrocarbures (la République démocratique du Congo, par exemple) est indispensable.

Le problème tient au fait que tout cela risque de se faire dans un certain chaos. Il nous faut donc essayer d'anticiper et d'organiser ces mutations.

Permettez-moi, à présent, d'attirer votre attention sur la situation générale de sous-investissement dans laquelle nous nous trouvons. Les volumes d'investissement de l'industrie des hydrocarbures (majors pétrogazières mondiales, sociétés nationales d'hydrocarbures des pays émergents) ont diminué, pour se conformer à l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, alors même que la demande a continué de croître. A l'échelle mondiale et européenne, les efforts n'ont pas été suffisants pour réduire la demande. C'est la raison pour laquelle le prix du pétrole est actuellement très élevé et que notre dépendance à l'OPEP élargie se trouve renforcée.

De plus, nous n'avons pas suffisamment investi dans les énergies renouvelables, en particulier en Europe. Nous avons trop rapidement fermé les capacités fossiles (les centrales à charbon, par exemple) et les capacités nucléaires (en Belgique et en Allemagne, notamment), sans investir suffisamment dans les capacités alternatives. Les réseaux, les interconnexions et les capacités de stockage n'ont pas été assez développés, car les prix étaient bas et que personne n'a pris au sérieux le risque pris en termes de sécurité d'approvisionnement. Ainsi, en France, quel que soit l'avenir de notre filière électronucléaire, il nous faut à présent redoubler d'efforts en faveur des énergies renouvelables. Nous n'avons pas le choix. Nous payons actuellement le prix du sous-investissement de ces dernières années.

Les crises que nous connaissons sont vouées à durer. Un défi industriel et économique immense s'ouvre devant nous. Nous ne pourrons pas limiter l'hémorragie industrielle avec des prix du gaz et de l'électricité aussi élevés qu'actuellement. Subventionner largement les industries est fondamental à l'heure actuelle, mais la France ne pourra pas le faire dans la durée. Par ailleurs, nous n'économisons pas encore suffisamment d'énergie. Il faut impérativement renforcer la culture des économies d'énergie. Nous voyons encore trop souvent des comportements abusifs.

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Pouvez-vous nous dire plus précisément à quel moment notre perception de l'importance des enjeux géostratégiques, dans le domaine de l'énergie, s'est altérée ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Les dernières grandes mobilisations des gouvernements en relation avec les défis géopolitiques de l'énergie étaient liées aux problématiques d'approvisionnement en gaz russe, au moment des crises gazières de janvier 2006 puis janvier 2009 et des crises en rapport avec le Nord Stream 2. A l'époque, considérant que le gaz russe était indispensable, la réponse apportée a consisté à faire en sorte de laisser le Nord Steam 2 se construire, en faisant fi de l'avis des pays d'Europe centrale, mais tout en progressant sur le chemin de la transition énergétique. Nous nous rendons compte aujourd'hui que cette réponse était insuffisante.

Nous avons vu émerger un autre enjeu, celui de la dépendance croissante à la Chine pour la fourniture d'équipements et de services liés à la transition énergétique (photovoltaïque, éolien). Nous avons alors découvert les défis liés aux approvisionnements en minerais et métaux critiques, mais, entre 2010 et 2020, rien n'a été fait. La France s'est mise en alerte grâce au rapport Varin et à la mise en place prochaine de l'observatoire des métaux critiques, mais ce n'est que récemment que l'Union européenne a reconnu la Chine comme un rival systémique et que nous avons compris que nous étions en période de guerre industrielle. Celle-ci porte non seulement sur la microélectronique, les technologies spatiales, le nucléaire civil, mais aussi sur les technologies bas carbone (éolien, batteries, minerais et métaux). Comme en témoigne la loi sur la réduction de l'inflation, l' Inflation Reduction Act, votée début août au Congrès américain, les grandes puissances se mobilisent en faveur du découplage avec la Chine, pour ne plus dépendre de matériaux et d'équipements chinois pour leur système énergétique, pour renforcer et relocaliser les chaînes de valeur sur leur territoire et pour préserver, voire développer, l'emploi sur leur sol.

Nous avons essayé, ces dernières années, de faire changer la Chine. Nous avons voulu faire en sorte qu'elle réduise ses subventions, qu'elle respecte davantage nos règles et qu'une certaine réciprocité soit instaurée, mais force est de constater que nous n'y sommes pas parvenus. Les États-Unis ont donc décidé d'agir comme la Chine et de réduire leur dépendance. Ainsi, le jour où la Chine s'en prendra à Taïwan, les États-Unis seront en mesure de mettre en œuvre des mesures de représailles, sans se trouver trop en difficulté.

En Europe, la situation est plus compliquée. Les 27 pays membres ont des capacités, des intérêts et des dépendances différents. En outre, il est difficile d'avoir une stratégie aussi cohérente et aussi forte en période de récession. Ces dernières années, la Commission européenne présidée par Ursula Von der Leyen, dont Thierry Breton est membre, a posé les jalons d'une vraie politique industrielle, mais le reste du monde progresse beaucoup plus vite que nous et est capable de mobiliser des moyens plus importants. Cela dit, des progrès sans précédent ont été accomplis. Ainsi, la stratégie du Green Deal a été présentée voilà trois ans. Certes, des éléments méritent d'être clairement renforcés, mais la question est avant tout celle de la posture. Aux États-Unis, l'idée que cette guerre économique doit être menée, par tous les moyens, fait consensus au sein de la classe politique. Le vote de l' Inflation Reduction Act par le Congrès en est la preuve. Le même élan manque en France et en Europe. Par conséquent, les défis s'accumulent et il devient difficile de rattraper notre retard.

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Vous faites état d'une forme de naïveté européenne entre 2010 et 2020. Selon vous, comment la position européenne en matière énergétique se construit-elle ? Est-elle le résultat d'un consensus mou ou bien certains acteurs parviennent-ils à convaincre les autres ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

La Commission européenne est l'une des rares instances en Europe capable de penser le long terme, quand la plupart des gouvernements européens sont absorbés par la gestion des crises. La situation est différente s'agissant des autres grandes puissances. La Chine pense et agit à long terme, tout comme les États-Unis et le Japon.

La Commission européenne joue un rôle d'impulsion. Ensuite, un certain nombre d'États membres se mobilise, dont la France (le Président de la République a porté le sujet de l'autonomie stratégique), et ceux-ci doivent essayer de convaincre leurs partenaires. Or pour être convaincant, il faut être crédible dans sa propre ambition. Il est difficile pour un État de porter un sujet tel que celui de l'autonomie stratégique, alors qu'il est lui-même en retard sur ses objectifs de déploiement des énergies renouvelables. De plus, les pays membres de l'Union européenne n'ont pas les mêmes dépendances ni les mêmes besoins et les mêmes trajectoires de décarbonation.

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L'élaboration de la taxonomie européenne a été un processus excessivement complexe, alors que des décisions auraient dû être prises beaucoup plus tôt. En fait, la construction de notre vision du monde est nécessairement liée à la capacité d'un État ou un autre à imposer sa vision au niveau européen. Comment ces perceptions se construisent-elles à l'échelle européenne ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

L'Union européenne compte 27 États membres, dont les positions et les intérêts diffèrent. Néanmoins, le Parlement européen est capable de dégager des consensus forts. Grâce à lui, plusieurs dossiers de « Fit for 55 », paquet législatif visant à accélérer la décarbonation à l'horizon 2030, ont progressé. Ainsi, des décisions fortes sont susceptibles d'être prises à Bruxelles. En revanche, les conflits peuvent être virulents entre les États membres. L'Autriche et le Luxembourg sont profondément antinucléaires, par exemple.

D'après moi, la France a largement sous-investi les enjeux européens. Cela se ressent à tous les niveaux, y compris celui de l'information du grand public. Ainsi, en France, Bruxelles fait souvent figure d'épouvantail. En outre, nos médias sont sous-représentés à Bruxelles. En définitive, nous ne parlons pas assez et pas suffisamment en détail des enjeux européens. Par ailleurs, nos élites parlementaires et politiques manquent de culture européenne. Tel n'est pas le cas dans d'autres pays. Certains pays parviennent davantage à mettre les sujets qui les préoccupent sur le devant de la scène. En effet, leurs moyens étant plus limités, ils font en sorte de se mobiliser davantage.

A cet égard, un réinvestissement stratégique s'impose. Cela ne doit pas reposer uniquement sur le gouvernement. Les think tanks ont également un rôle à jouer. D'ailleurs, plusieurs pays européens poussent leurs think tanks à s'installer à Bruxelles, mais tel n'est pas le cas en France. L'IFRI existe avant tout grâce au mécénat de grandes entreprises françaises et étrangères, alors que nos concurrents bénéficient de financements importants de la part des États. L'influence se construit par l'intermédiaire de nombreux jalons. Pour être crédible à Bruxelles, un pays doit être capable de montrer qu'il met en œuvre les transformations pour lesquelles il plaide sur son propre territoire.

La France doit admettre que la décarbonation ne sera pas facile à mettre en œuvre, mais qu'il existe des opportunités industrielles formidables en lien avec les énergies renouvelables et qu'il faut aller au-delà de l'acquis nucléaire. L'Europe ne doit pas être considérée comme un problème, mais comme une solution. Malheureusement, nous n'en sommes pas encore là.

Nous entendons souvent dire que le marché européen est responsable des prix élevés de l'électricité. Néanmoins, il faut avoir conscience que les interconnexions avec d'autres pays européens permettent de sécuriser l'approvisionnement en électricité. La situation de crise que connaît l'Italie s'explique par le fait qu'elle ne parvient plus à importer d'électricité.

La plupart des formations politiques en Europe envoient à Bruxelles leurs meilleurs députés. Or en France, le fait de devenir député européen n'est pas considéré comme une réelle opportunité. Ce sujet fait partie de l'équation.

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L'idée que les politiques nationales ne subissent pas d'ingérences étrangères est en passe de s'effondrer. A cet égard, que pouvez-vous nous dire des mouvements antinucléaires ? Comment l'idéologie antinucléaire pénètre-t-elle le milieu des décideurs politiques européens, pour finir par s'y imposer ? Comment les mouvements antinucléaires sont-ils financés ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Lors de l'accident de Tchernobyl, en 1986, la panique s'est emparée de l'Allemagne. Les enfants ont été confinés, par peur des retombées radioactives, tandis que le discours tenu de l'autre côté du Rhin était différent.

Le mouvement pour la paix qui existe en Allemagne s'est d'abord opposé aux armes nucléaires, avant de s'emparer du sujet du nucléaire civil.

En Allemagne toujours, des mouvements écologistes pro-énergies renouvelables ont bénéficié de financements russes.

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Je vous communiquerai des éléments plus précis, issus notamment d'articles de presse, ultérieurement.

Le fait de financer des formations environnementales et de soutenir les mouvements pro-énergies renouvelables revenait à soutenir l'industrie gazière. En effet, plus le nombre de parcs éoliens et de centrales photovoltaïques en service augmentait, plus le gaz apparaissait comme la seule solution de flexibilité. La coalition d'Angela Merkel, qui a validé le Nord Stream 2, ne s'y est pas opposée, puisque la combinaison entre gaz et énergies renouvelables avait prouvé son intérêt.

Dans le reste de l'Europe, la conviction qu'un système reposant sur 100 % d'énergie renouvelable est possible est forte. Des financements chinois ou russes ne sont pas nécessaires pour aboutir à cette conclusion.

Il existe différents cas de figure. Il n'y a pas forcément lieu de chercher la trace d'un complot. Il est vrai que le mouvement antinucléaire est bien structuré, mais l'opinion publique est favorable au nucléaire. En Allemagne, une évolution est à l'œuvre : les derniers sondages d'opinion montrent que la majorité des Allemands est favorable à la prolongation des trois centrales nucléaires, compte tenu des circonstances.

Les opposants à quelque sujet que ce soit sont toujours mieux organisés que les autres, car ces derniers ne voient pas l'intérêt de se mobiliser et, car la structure de prise de décision donne davantage de poids à ceux qui se mobilisent plutôt qu'aux autres intérêts. Il faudra nécessairement améliorer ce cadre de gouvernance si nous voulons accélérer le développement des énergies renouvelables.

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Nous sommes preneurs d'éléments plus étayés au sujet de la façon dont des organisations russes ont pu financer des ONG antinucléaires. In fine, un certain nombre de décisions prises en France concernant le nucléaire ces dernières années est largement lié à la volonté de satisfaire une forme d'entente franco-allemande.

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De quelle façon l'accident nucléaire de Fukushima a-t-il affecté les stratégies énergétiques des pays européens ? Quelle a été l'ampleur du choc dans l'opinion et dans les décisions publiques ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Les conséquences ont été particulièrement importantes en Allemagne. En effet, la chancelière Angela Merkel a immédiatement décidé – sans aucune concertation – d'accélérer le calendrier de sortie du nucléaire allemand, sur la base de sondages d'opinion. L'opinion publique allemande y était très majoritairement favorable.

L'Allemagne, qui estimait que le gaz était une source d'énergie sûre, a vu dans le fait de sortir du nucléaire une opportunité industrielle liée aux énergies renouvelables. En outre, l'Allemagne a toujours considéré la Russie comme un défi sécuritaire. A cet égard, le fait de renforcer l'interdépendance économique avec la Russie était un moyen de la canaliser.

La Belgique, qui disposait de sept réacteurs posant des questions de maintenance et de sûreté, a également décidé de sortir du nucléaire à l'horizon 2025.

La Suisse a pris la décision de sortir du nucléaire, sans pour autant fixer d'échéance, du fait de l'enjeu que représentait la sécurité des approvisionnements.

Par ailleurs, les autorités de sûreté nucléaire des différents pays ont renforcé leurs exigences.

L'Europe centrale, quant à elle, a fait le choix, au fur et à mesure que le débat sur la décarbonation complète progressait, de miser sur le nucléaire existant et sur le nouveau nucléaire. Les pays d'Europe centrale et orientale ont compris que la décarbonation était inéluctable et que leur avenir industriel et économique dépendait de leur capacité à décarboner leur mix électrique. C'est la raison pour laquelle ils ont décidé de construire de nouvelles centrales nucléaires. La Pologne a des ambitions importantes en la matière. La République tchèque a décidé de prolonger ses réacteurs existants et d'en construire de nouveaux. La Slovaquie souhaite également construire de nouveaux réacteurs, tandis que la Roumanie a la volonté de prolonger le parc existant et de développer de petits réacteurs nucléaires modulaires. L'Ukraine ambitionne de construire de nouveaux réacteurs, grands et petits.

Ainsi, l'Europe se retrouve coupée en deux, avec une Europe centrale et orientale absolument pronucléaire. Avec le Brexit, la France a perdu un allié précieux qui partageait la même vision qu'elle au sujet du mix énergétique permettant d'assurer la sécurité des approvisionnements dans la durée. La France n'est pas exactement sur la même ligne que la Pologne ou la Hongrie, car certains principes fondamentaux de l'état de droit y posent question. En ce qui concerne les pays nucléaires tels que la Finlande et la Suède, il faut savoir que la Finlande est confrontée à des problèmes de construction de réacteur, ce qui nuit à notre crédibilité, notamment du fait du contentieux financier existant avec Areva. En Suède, la coalition au pouvoir comprend des formations politiques antinucléaires, qui se sont prononcées en faveur d'un arrêt du nucléaire à terme. Pourtant, il a finalement été décidé de réinvestir dans le nucléaire, la question du stockage ayant été traitée dans la durée.

La plupart des grands pays émergents continuent de s'intéresser fortement au nucléaire. En effet, jamais les panneaux solaires et les éoliennes ne pourront fournir de l'énergie à des mégalopoles de plusieurs dizaines de millions d'habitants. A ce titre, les gros réacteurs nucléaires sont particulièrement attractifs, notamment aux yeux de l'Inde, de la Chine ou d'autre pays d'Asie du Sud-Est.

Au-delà des enjeux de sûreté, la capacité de financement de ces technologies reste un sujet de fond. Compte tenu de l'augmentation des taux d'intérêt, l'accès au financement des pays émergents risque de devenir de plus en plus compliqué. Selon moi, les petits réacteurs nucléaires pourraient constituer une solution d'avenir, permettant de faire face au défi de la décarbonation et à la demande d'énergie, à condition que leur développement soit un succès.

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Sur quelles bases fondez-vous vos affirmations concernant les petits réacteurs modulaires (SMR) ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Le SMR est prometteur, sur le papier, mais il n'existe qu'à l'état de projet (70 projets dans le monde). Ces unités beaucoup plus petites seront nettement moins chères et plus facilement finançables. De plus, le design envisagé permettra de réduire structurellement les risques en termes de sûreté. Par ailleurs, ces unités présentent l'intérêt de pouvoir être produites en série, ce qui permet de réduire les coûts. Elles seront parfaitement adaptées pour se substituer à des centrales à charbon. Un SMR a une capacité allant de 140 à 170 mégawatts, quand une centrale à charbon représente 300 à 400 mégawatts. Une paire de SMR peut donc aisément remplacer une centrale à charbon déjà connectée au réseau électrique et déjà implantée à proximité d'un fleuve permettant son refroidissement. Enfin, le SMR pourra non seulement produire de l'électricité, mais aussi de la chaleur pour les industries et de l'hydrogène, ce qui n'est pas possible avec les réacteurs existants.

Le SMR est tout à fait prometteur, mais encore faut-il réussir son développement. La France s'y attelle et les Américains, les Canadiens et les Britanniques investissent fortement dans ce domaine. Compte tenu du découplage avec la Russie, nous aurons un concurrent de moins sur bon nombre de marchés. Quant à la Chine, elle a largement de quoi faire avec son marché intérieur pour ne pas convoiter les marchés étrangers. En effet, il faudrait, idéalement, que la Chine installe 200 gigawatts de capacités nucléaires dans les vingt ans à venir, pour amorcer la décarbonation du pays. Les Chinois en ont conscience et y consacreront des efforts. Toutefois, le problème qui se pose en Chine est celui de la place. Les zones côtières étant toutes occupées, il faudra installer ces réacteurs à l'intérieur des terres, où l'eau est moins disponible. Je suis néanmoins persuadé que la Chine saura relever ce défi. Si l'industrie chinoise se concentre sur le développement de réacteurs en Chine, notre industrie aura tout à y gagner.

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A quoi attribuez-vous le développement particulièrement dynamique des énergies renouvelables dans certains pays plutôt que d'autres ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Laissons de côté le discours consistant à dire que les pays du sud sont plus ensoleillés et que le vent est plus important dans les pays du nord.

Les Allemands ont rapidement vu dans les énergies renouvelables une opportunité industrielle, synonyme de création d'emplois et de valeur ajoutée. Par ailleurs, les pays les plus dynamiques en matière d'énergies renouvelables sont convaincus qu'un mix intégralement renouvelable est techniquement possible. Ils y voient une opportunité de réduire les coûts du système électrique, ce qui permettrait une décarbonation compétitive de l'économie.

En France, notre système électrique étant déjà bas carbone, les enjeux ne se posent pas dans les mêmes termes. En outre, nous n'avons jamais imaginé que nous pourrions être confrontés à un problème systémique s'agissant du parc nucléaire. Enfin, nous avons longtemps considéré que les énergies renouvelables étaient une bonne chose pour des pays tels que l'Allemagne ou le Danemark, mais que nous n'en avions pas besoin en France, notamment parce que notre système repose en grande partie sur le nucléaire.

Un tournant s'est produit quand deux industries majeures de cette chaîne de valeur ont choisi de s'implanter au Havre et à Saint-Nazaire, alors même que la France n'était équipée d'aucune éolienne offshore. Les promesses de créations d'emploi ont fait évoluer nos perceptions.

Nous n'avons pas suffisamment pris conscience que la transition énergétique ne pourrait pas se faire sans que les paysages, nos modes de vie et notre organisation économique et sociale soient affectés. Il serait bon que le débat gagne en maturité sur ce point.

De plus, nous n'avons pas assez saisi l'ampleur des opportunités économiques que les énergies renouvelables représentent. Nous disposons pourtant, en France, d'acteurs économiques majeurs, tels que Nexans (pose de câbles) ou les chantiers navals (fourniture de navires de pose). Il se trouve que la chaîne de valeur de l'industrie de l'éolien offshore est largement localisable, à la différence des panneaux photovoltaïques. Cette opportunité doit être saisie.

L'acceptation des populations et des différents groupes d'intérêt économique est un point crucial. Au Royaume uni, les capacités éoliennes offshore représentent plus de 12 gigawatts. Comment ce pays a-t-il réussi à développer de telles capacités, alors que la France n'y parvient pas ? De meilleurs mécanismes de concertation, la prise en compte des opportunités économiques et le consensus politique l'expliquent probablement. Voilà ce vers quoi nous devons tendre, pour lever les oppositions.

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En ce qui concerne les énergies renouvelables, vous évoquez la nécessité de renforcer la concertation et de faire émerger un consensus. Que pensez-vous du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui vise à réduire les procédures ? Qu'en est-il de l'acceptabilité des projets ?

Pouvez-vous nous fournir des éléments de comparaison quant au déploiement des énergies renouvelables en France et dans les pays voisins ? Par exemple, quelle est la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique allemand ?

De votre point de vue, la France est-elle performante en matière de diplomatie des métaux et terres rares ? Existe-t-il une initiative à l'échelle européenne ?

Vous avez déclaré que, compte tenu de la hausse de la demande d'énergie, les énergies renouvelables ne se substituent pas aux énergies fossiles, mais s'y additionnent. Dans ce cas, comment atteindre l'objectif de diminution des émissions de carbone à l'horizon 2030 et 2050 ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Ce dernier constat ne concerne pas l'Union européenne, mais le reste du monde. En Europe, nous assistons à un découplage entre croissance économique et baisse des émissions de gaz à effet de serre, grâce aux efforts produits en termes d'efficacité énergétique et à la désindustrialisation. La délocalisation des industries énergo-intensives a contribué à diminuer les émissions de CO2, tandis que le PIB continue à augmenter, grâce aux services et à d'autres secteurs, tels que l'agriculture, qui créent davantage de valeur.

Je pense que le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables va dans le bon sens, mais qu'il n'est pas suffisant. Le rythme annuel de déploiement des énergies renouvelables en Europe doit être multiplié par quatre, pour réduire notre dépendance au gaz russe dans le secteur de l'électricité, permettre l'accélération de l'électrification des usages, accompagner la croissance des nouveaux besoins et sortir du charbon.

En ce qui concerne le charbon, il ne faut pas avoir d'approche idéologique. Garder une centrale à charbon opérationnelle en réserve, pour assurer la sécurité des approvisionnements et la stabilité du système électrique en cas de crise, est absolument nécessaire. Il faut se montrer pragmatique. En revanche, il faut cesser d'utiliser le charbon quotidiennement pour produire de l'électricité.

Pour multiplier par quatre le rythme de déploiement des énergies renouvelables, il nous faut diviser par deux, voire par trois, le temps d'instruction des dossiers et de mise en chantier des projets d'énergies renouvelables. Un délai de six ou sept ans pour développer de grands parcs éoliens représente des coûts très élevés pour le développeur, ce qui conduit les grands groupes (Totalénergies, Engie, EDF, etc.), dont les objectifs sont globaux, à investir ailleurs, notamment aux États-Unis. De plus, une immobilisation de plusieurs années sur un projet empêche le développement d'autres projets, car les équipes sont mobilisées sur le premier d'entre eux.

L'accélération des procédures est une bonne chose, mais les moyens humains doivent être mis en adéquation. Ainsi, les ressources humaines des ministères, des préfectures et des tribunaux doivent être renforcées. Or, pour l'instant, il ne me semble pas que nous ayons pris la pleine mesure de ce défi.

De nombreux dispositifs sont mis en œuvre en Europe en faveur des énergies bas carbone, mais les États doivent accompagner et amplifier ce mouvement. Par exemple, les Projets Importants d'Intérêt Européen Commun (IPCEI) sont une dérogation aux aides d'État, mais force est de constater que les aides d'État sont extrêmement importantes en Allemagne et que tous les pays ne peuvent pas faire la même chose. Naturellement, les industriels allemands en tirent avantage. Le risque d'un tel système est de voir l'Europe se fragmenter.

Pour se prémunir de ce risque, il convient de se doter de leviers européens, de façon à permettre à des pays moins dotés (dont la France) d'accompagner ce mouvement. C'est la raison pour laquelle l'IFRI appelle de ses vœux un plan Schuman, pour sauver et développer nos industries. L'objectif d'un tel plan est non seulement de préserver nos industries et d'éviter une fragmentation européenne résultant d'une forme de « guerre » de subventions, mais aussi d'investir dans les sujets d'avenir. A ce propos, l'Union européenne s'est positionnée avec succès sur le segment des cellules de batteries. Des gigafactories seront développées et financées partout en Europe, y compris en France. Nous serons ainsi autonomes concernant les cellules de batteries ; nous ne dépendrons plus de la Chine sur ce point.

En revanche, nous continuerons à dépendre de la Chine pour ce qui est des métaux et des minerais, et de leur raffinage. C'est la raison pour laquelle une Alliance des matériaux critiques est en passe de se mettre en place à Bruxelles. Elle vise à mener des initiatives dans le secteur minier, en Europe et ailleurs. Cependant, cette ambition devra être accompagnée par des financements et des initiatives diplomatiques. Or nos relations avec l'Allemagne sont au plus bas actuellement. La France et l'Allemagne ont pourtant des intérêts communs à défendre. En effet, nous sommes tout autant vulnérables en ce qui concerne les enjeux liés à ces métaux. Il serait constructif de travailler avec les Allemands sur ce sujet, pour mobiliser des fonds, utiliser notre poids économique et diplomatique et obtenir des concessions minières dans des pays avec lesquels nous n'avons pas forcément l'habitude de travailler.

Les États-Unis mobilisent beaucoup plus d'argent que l'Europe et ont une véritable culture minière. Les activités minières y sont donc plus développées qu'en Europe. Néanmoins, l'exemple d'Imerys est tout à fait fabuleux. Il faut s'assurer de son succès, en l'accompagnant. Nous pourrions nous inspirer de ce qui se produit en Finlande depuis des années. La Finlande, chantre de l'environnement, souhaite atteindre la neutralité carbone bien avant la France, tout en étant un grand pays industriel. Il se trouve que l'activité minière y est très développée, même s'il est vrai que la Finlande est un pays beaucoup moins peuplé que la France. Nous avons tout intérêt à chercher à comprendre comment la Finlande a pu développer une activité minière acceptée par sa population, bien intégrée à l'environnement, et en impliquant tout l'écosystème local.

Par ailleurs, l'Europe se mobilise en faveur des gigafactories de production de cellules photovoltaïques (l'objectif est de fabriquer 30 gigawatts de capacités de production en Europe), mais aussi en faveur de l'hydrogène. Pour que ces initiatives portent leurs fruits, nous avons besoin d'une électricité décarbonée, dont les prix ne sont pas au niveau actuel, ainsi que d'un approvisionnement stable.

D'un point de vue historique, le reste du monde – celui-là même qui additionne des capacités de production d'énergie – a peu contribué au changement climatique et à la croissance des émissions de CO2. Le changement climatique est le fait des Européens, des Américains, de la Russie et, depuis 20 ans, de la Chine.

L'Inde et les pays d'Afrique sont encore dotés d'immenses capacités de centrales à charbon. Le premier enjeu est d'éviter d'en construire de nouvelles et il se trouve que nous nous approchons de cet objectif. Jamais aussi peu de nouvelles capacités « charbon » n'ont été construites dans le monde que cette année. Les pays qui en construisent encore, notamment la Chine, ont tendance à fermer de vieilles centrales pour les remplacer par des centrales beaucoup plus modernes et efficaces, donc moins polluantes. Aussi, le bilan climatique se révèle plutôt favorable.

Parallèlement, nous constatons des investissements massifs en faveur des énergies renouvelables. Cependant, la remontée des taux d'intérêt risque de priver un certain nombre de pays émergents d'accès aux capitaux.

Le deuxième enjeu est d'éviter que les nouvelles infrastructures industrielles qui seront construites dans ces pays pour accompagner l'urbanisation (cimenteries, aciéries, etc.) fonctionnent au charbon, car cela reviendrait à verrouiller des émissions de gaz à effet de serre dans la durée.

Le dernier enjeu consiste à investir pour fermer les centrales à charbon en activité, bien avant la fin de leur durée de vie technique, et développer les systèmes alternatifs. Nos entreprises pourront participer à cet effort d'investissement. Les émissions sont globales. Bien sûr, nous devons faire autant d'efforts que possible chez nous pour les réduire, mais les opportunités peu coûteuses pour diminuer les émissions sont ailleurs, c'est-à-dire dans les pays émergents. Ce mouvement peut bénéficier à nos industriels et à nos acteurs énergétiques. Cette piste mérite d'être envisagée de façon plus approfondie.

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Je suis élu de la région Grand Est, où les éoliennes sont très présentes. Le territoire est également doté de nombreux méthaniseurs. Or je constate que ces nouvelles unités de production d'énergie soulèvent une problématique d'acceptation sociale. La solution ne serait-elle pas de faire en sorte que davantage de valeur reste sur les territoires, au bénéfice des collectivités locales et des habitants ? Par exemple, si la population locale payait moins cher son électricité ou son gaz, elle serait probablement plus encline à accepter l'implantation d'une éolienne ou d'un méthaniseur.

Par ailleurs, j'observe que certaines régions, telles que les Hauts-de-France et le Grand Est, sont devenues de véritables eldorados pour les développeurs du secteur éolien, qui y implantent des éoliennes à tort et à travers. Ce phénomène a provoqué des réactions relativement fortes et la constitution d'associations anti-éoliennes. Je pense qu'une meilleure répartition des éoliennes sur le territoire serait souhaitable. Qu'en pensez-vous ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

Vous avez parfaitement raison. L'Allemagne compte plus de 85 000 mâts éoliens installés, quand la France en a à peine plus de 8 000. L'Allemagne est pourtant plus peuplée et son territoire est plus petit que celui de la France. Nous avons donc une certaine marge de progrès. En Allemagne, les énergies renouvelables fournissent 45 % de l'électricité. Cette proportion est nettement moindre en France.

Il s'avère que l'acceptabilité de ce type d'infrastructure est bien meilleure quand les populations locales sont impliquées financièrement dans les projets (sous forme de crowdfunding, de dons de parts d'une société aux municipalités concernées, etc.). Je pense qu'il faut agir dans cette direction.

La répartition des éoliennes sur le territoire est un sujet important, qui se pose également en Allemagne, d'ailleurs. Là-bas, les éoliennes sont surtout concentrées dans le nord du Pays, tandis que la Bavière, qui dispose de centrales nucléaires sur son territoire, n'en accueille pas. En ce qui me concerne, je pense que nous devrions implanter bien davantage d'éoliennes en mer, qu'elles soient fixes ou flottantes. Les objectifs en la matière mériteraient d'être considérablement renforcés dans la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). S'agissant des éoliennes flottantes, nous pourrions tout à fait acquérir un leadership industriel et exporter notre savoir-faire. Malheureusement, nous n'avons quasiment aucune éolienne en mer, hors le parc récemment mis en service, alors que nous sommes confrontés à des difficultés pour mener à bien les projets à terre. J'espère que nous exploiterons rapidement l'immense potentiel qui existe en mer. Il faut néanmoins avoir conscience que nous aurons également besoin de multiplier le nombre d'éoliennes à terre. Parallèlement, je suggère de développer les parcs photovoltaïques au sol, dans les friches industrielles ou le long des autoroutes, par exemple.

Le potentiel des méthaniseurs doit également être renforcé. Les prix du gaz sont voués à rester élevés, même s'ils ne se maintiendront pas aux niveaux records que nous connaissons actuellement. A cet égard, le biométhane est une solution tout à fait attractive.

Il faut effectivement tendre à un meilleur partage de la valeur, à garantir l'équilibre entre les territoires et à tirer parti du potentiel en mer.

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J'ai le sentiment que nous sommes parvenus à un point de non-retour en matière d'acceptabilité sociale. Dans les Hauts-de-France, le conseil régional finance même les frais de justice des associations anti-éoliennes. Comment est-il possible de faire prendre conscience aux populations que nous ne nous en sortirons pas sans développement massif des énergies renouvelables, alors même que ces technologies suscitent des oppositions extrêmement vives ? A quoi bon adopter un projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables si, sur le terrain, nous nous heurtons à des associations s'y opposant, soutenues par des responsables politiques ?

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega, Directeur du Centre Énergie & Climat de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI)

La culture doit évoluer. Vos travaux y concourent. Cela ne peut toutefois pas se faire du jour au lendemain. Il ne faut pas jeter la pierre aux populations qui s'opposent à l'implantation d'éoliennes, mais il est parfaitement absurde de prôner le démontage des éoliennes ou de soutenir financièrement des contentieux. Il serait bon d'élaborer un cahier des charges d'un projet mené de façon optimale, de façon à comprendre pourquoi certains projets se passent sans encombre. Il est également important de donner la parole aux acteurs qui sont favorables à de tels projets, de façon à créer un dialogue.

Il serait malheureux que nous attendions de subir des coupures d'électricité à grande échelle pour en tirer des enseignements et comprendre à quel point nous avons besoin de telles solutions. Soit nous acceptons des coupures d'électricité à répétition, comme le vivent de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, soit nous parvenons à réduire notre demande d'énergie (ce qui est parfaitement irréaliste), soit nous acceptons le développement des énergies renouvelables.

La culture doit évoluer. Je me réjouis de vos travaux, car ils y contribueront. A l'échelle de l'IFRI, nous souhaitons nous déplacer de plus en plus souvent dans les territoires, pour mettre en avant ces grands enjeux systémiques, que nous ne pouvons pas ignorer. Nous sommes déjà intervenus dans le cadre d'un projet de construction d'EPR au Bugey, dans l'Ain. Cette expérience fut très enrichissante, car si ce type d'infrastructure suscite également des oppositions, les maires des communes concernées et la plupart des participants manifestent de l'intérêt pour le projet. Le plus important est que ces projets soient conduits dans la concertation et en toute transparence. La transparence est la clé d'un bon débat public.

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Je vous remercie pour votre disponibilité. Nous pourrons poursuivre nos discussions en dehors de la présente audition.

La commission auditionne ensuite M. Thomas Courbe, Directeur général des entreprises et Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

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Bonjour à toutes et à tous. Monsieur Courbe, merci beaucoup d'avoir accepté l'invitation de notre commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Les premiers cycles d'auditions de notre commission d'enquête, qui se clôturent avec votre audition, avaient pour objet de poser un cadre et de questionner le sujet de la souveraineté ainsi que la façon dont les administrations et les ministères abordent ce sujet, tant sur le plan prospectif que sur la planification.

Nous vous remercions, Monsieur le directeur général et commissaire, d'avoir accepté de venir vous exprimer devant la commission d'enquête à un moment où les difficultés croissent, puisque l'on évoque désormais la délocalisation d'entreprises qui serait due à la situation énergétique de la France ou de l'Europe, ce qui laisserait à penser que les industriels estiment que cette situation va perdurer ou s'aggraver. Vous avez été auditionné le 25 novembre 2021 dans le cadre de la commission d'enquête constituée au sein de notre Assemblée, consacrée à la problématique de la désindustrialisation. Vous y aviez évoqué le plan France 2030 et souligné l'enjeu d'une autonomie stratégique des approvisionnements, essentiellement, à l'époque, des produits de santé, et cette fameuse liste des produits critiques établie par l'Union européenne. Dans le cadre du décret du 24 janvier 2011, un comité pour les métaux stratégiques avait été créé. La commission d'enquête a entendu la semaine dernière le préfet de Maistre, représentant le secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale. En tant que commissaire à l'information et à la sécurité économique, vos fonctions ont également une dimension interministérielle. Le SGDSN est rattaché au chef de gouvernement et le commissariat au ministre chargé de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Y a-t-il une logique dans cette organisation et dans le dialogue entre vos institutions ? Enfin, les investissements étrangers constituent-ils une menace dans le secteur énergétique au niveau national et européen ? Autant de questions pour diriger le propos liminaire dont nous vous laissons la liberté.

Avant cela, il me revient de vous demander de bien vouloir prêter serment au regard de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires.

(M. Thomas Courbe prête serment.)

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Merci beaucoup Monsieur le président, Monsieur le rapporteur et Mesdames et Messieurs les députés. Merci pour votre invitation sur un sujet évidemment majeur pour le pays.

La responsabilité principale de la définition de la politique énergétique revient bien sûr au ministère de la Transition écologique, mais nous y contribuons tant la politique énergétique et la politique industrielle sont liées. La crise énergétique actuelle, en particulier, démontre que notre dépendance aux énergies fossiles importées rend notre tissu économique vulnérable. Il existe ainsi un lien assez direct entre la souveraineté industrielle et le déploiement de filières de production énergétique bas carbone et souveraine.

Dans ce propos introductif, avant de répondre aux deux sujets que vous avez évoqués, je reviendrai autour de quatre grandes idées. Premièrement, notre politique énergétique a un impact direct sur notre compétitivité industrielle, autour de deux types d'actions. D'abord, nous intervenons dans la conception de la politique énergétique pour assurer à nos entreprises industrielles en particulier et nos entreprises en général un approvisionnement stable et attractif en matière énergétique. Ensuite, de manière conjoncturelle, face à la hausse des prix de l'énergie, nous apportons des réponses permettant de maintenir autant que possible la compétitivité de l'approvisionnement énergétique des entreprises.

Par ailleurs, nous contribuons à la conception de l'indépendance énergétique dans le contexte de la transition énergétique, autour de deux grandes actions : d'une part les actions de soutien à l'offre, pour faire émerger une offre française capable de répondre à nos besoins d'équipement en matière de production d'énergie bas carbone, qu'il s'agisse d'énergie renouvelable ou nucléaire, ou encore de la sécurisation des matériaux critiques pour ces capacités de production, et d'autre part les actions sur la demande, pour inciter l'industrie à se décarboner. La souveraineté industrielle et la souveraineté énergétique passent par la décarbonation.

La compétitivité énergétique est un élément majeur de notre politique de réindustrialisation. Nous l'avons vu avant la crise avec une compétitivité importante de l'énergie en France, en particulier de l'électricité. Au second semestre 2021, nous avions ainsi un prix moyen de l'électricité facturé à 77 euros par mégawatt/heure en France, contre 131 euros en Allemagne, 161 euros en Italie et 123 euros en Espagne. Nous avons également des politiques de compensation carbone pour les industriels les plus énergo-intensifs. Ce dispositif spécifique, voté tous les ans, permet la compensation partielle du prix du quota carbone. Il bénéficie à 500 entreprises chaque année. Nous aurons également des enjeux de moyen terme, avec par exemple la redéfinition du cadre de la régulation du nucléaire historique, dans le cadre de la fin du dispositif ARENH en 2025.

De manière conjoncturelle, nous essayons d'agir sur la compétitivité de l'énergie en période de crise, autour de plusieurs actions : la décision du gouvernement d'augmenter le plafond de l'ARENH de 20 térawatts/heure a eu un effet significatif sur le maintien de la compétitivité de l'énergie pour les entreprises. Nous mettons en outre en œuvre un plan de résilience qui permet depuis juillet d'apporter des aides d'urgence aux entreprises pour compenser en partie la hausse du coût de l'énergie. Ces aides sont mises en place dans un cadre réglementaire négocié avec la Commission européenne, qui permettra d'apporter dans les prochains jours des aides plus importantes et accessibles aux entreprises, afin de leur permettre de compenser la hausse du coût de l'énergie et de maintenir leur production.

Nous menons également une action en matière de transition énergétique, d'abord du point de vue du soutien à l'offre, considérant que les enjeux de souveraineté passent aussi par le fait que la France dispose des capacités de production d'équipements pour produire de l'énergie bas carbone ou renouvelable. Nous consacrons notamment dans le plan France 2030 4 milliards d'euros à l'émergence de filières de production en France, qu'il s'agisse de filières renouvelables, d'hydrogène ou de la filière nucléaire. Pour l'ensemble des énergies renouvelables, le plan France 2030 consacre un milliard d'euros d'investissements afin d'accompagner l'émergence d'une filière de production d'équipements photovoltaïques, qui manque encore largement en France. Nous avons un objectif de 10 gigawatts de production annuelle de cellules et de modules de panneaux photovoltaïques. Par ailleurs, le soutien à l'émergence d'une filière d'éolien flottant doit permettre d'atteindre nos objectifs de 2 gigawatts de production d'éoliennes flottantes. Sur l'hydrogène, nous avons également un plan en cours de mise en œuvre, qui a déjà été initié dans le cadre de France Relance, à hauteur de 1,3 milliard d'euros. France 2030 prévoit 1,9 milliard d'euros supplémentaires, qui permettra, à horizon 2030, d'installer 6,5 gigawatts d'électrolyse en France pour produire de l'hydrogène bas carbone, en vue de répondre aux besoins de transition énergétique de manière souveraine. Par ailleurs, nous avons 10 projets qui doivent permettre de développer en France les capacités de production de la chaîne de motricité lourde hydrogène, afin de disposer des capacités de produire en France les équipements dont nous aurons besoin, en particulier pour les poids lourds, les trains, le secteur naval, etc. Nous avons une action similaire dans la filière nucléaire, en particulier sur les questions d'innovation. Dans le cadre de France 2030, nous soutenons des projets de développement de réacteurs innovants, notamment de type SMR, ainsi que des actions d'innovation sur l'ensemble de la chaîne de valeur nucléaire, en particulier au niveau de la gestion des déchets.

Nous menons également une action sur l'amont de nos politiques, qui vise à sécuriser l'ensemble des intrants les plus stratégiques, pour permettre une souveraineté dans ces politiques, avec un accent particulier sur les métaux critiques, qui sont indispensables à la transition écologique. Nous mettons en œuvre un certain nombre d'actions dans ce domaine pour renforcer la capacité de production primaire ou secondaire de ces métaux stratégiques en France, notamment les aimants permanents, qui sont indispensables pour la transition écologique, à la fois pour les générateurs d'éoliennes et pour les moteurs électriques. Nous nous fixons l'objectif de couvrir, au niveau européen, 30 % des besoins de manière domestique, à la fois par des productions primaires et secondaires. Enfin, dans le domaine des batteries, qui sont une composante essentielle de la transition écologique, entre 2019 et aujourd'hui, nous avons développé dans un cadre européen une chaîne de valeur de production de batteries, avec trois grandes giga-factories en France de production de batteries, et en menant une action à la fois sur l'amont et les métaux critiques nécessaires à leur production et sur l'aval, en termes de recyclage de ces batteries.

Enfin, nous agissons sur la demande afin de décarboner l'industrie. Il s'agit à la fois d'assurer la transition écologique de l'industrie et d'en augmenter la souveraineté. Nous allons ainsi modifier une partie des intrants de l'industrie pour remplacer des énergies fossiles importées par de l'électricité produite en France. Nous constatons déjà l'évolution du mix énergétique utilisé par l'industrie. 40 % de l'énergie finale consommée par l'industrie est aujourd'hui électrique, alors que l'électricité est à 90 % décarbonée. Entre 1990 et aujourd'hui, nous avons vu une baisse de 22 à 10 % de la consommation énergétique de l'industrie s'agissant du pétrole et de 11 à 3 % pour le charbon. Ce mouvement de réduction de nos dépendances énergétiques est ainsi très marqué, et nous cherchons à l'accélérer par cet effort de décarbonation de l'industrie que nous avons engagé en 2019 et qui a conduit à établir des feuilles de route de décarbonation de l'industrie, notamment dans les quatre filières qui représentent 60 % des émissions. Nous avons apporté des financements à un certain nombre de projets de décarbonation, à la fois dans le cadre du plan de relance et de France 2030. Dans le cadre du plan de relance, nous avons financé pour 1,2 milliard d'euros d'aides 240 projets de décarbonation qui ont permis de réduire les émissions de l'industrie de 4,7 millions de tonnes, soit 5 % de réduction. Au total, avec les financements intervenus dans le cadre de France Relance et de France 2030, notre industrie française est sur la trajectoire pour atteindre l'objectif qui avait été fixé dans la stratégie nationale bas carbone de réduction de 35 % des émissions de l'industrie en 2030. Cette transition est possible et, dans le cadre du paquet européen «  Fit for 55  », l'ambition a été rehaussée, notamment dans le cadre d'une nouvelle stratégie nationale bas carbone, avec pour l'industrie comme les autres secteurs un nouvel objectif plus élevé de réduction des émissions, auquel nous pourrons contribuer. Sur la décarbonation de l'industrie, le Président de la République a récemment réuni les 50 sites les plus émetteurs pour fixer les objectifs.

Sur les questions de sécurité économique et d'investissement direct étranger, notre action est indissociable de notre politique de souveraineté industrielle. Celle-ci doit ainsi s'accompagner d'une politique de sécurisation des actifs stratégiques. Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation forte de la menace sur nos entreprises stratégiques. Depuis 2019, nous avons rehaussé le niveau de sécurisation de nos actifs stratégiques, en partageant en interministériel, dans le cadre d'un comité qui se réunit au SGDSN, la liste des entreprises stratégiques que nous souhaitons protéger. Avec l'ensemble des acteurs, nous menons une veille régulière de ces actifs et identifions les menaces, qui sont nombreuses. Nous enregistrons environ 50 menaces par mois sur des actifs stratégiques. Nous apportons une réponse de nature variable. L'une d'entre elles intervient lors d'une acquisition par un acteur étranger d'entreprises stratégiques, qui se fait pour partie dans le cadre du règlement sur les investissements étrangers en France, que nous mobilisons régulièrement et qui permet soit de refuser l'investissement, soit d'y apporter des conditions qui permettent, en dépit de l'acquisition, de maintenir la capacité de production en France.

Sur la question de savoir si nous devons considérer les IDE comme une menace, nous comptons environ 1 600 investissements étrangers en France tous les ans, dont 200 environ font l'objet d'un contrôle. La France est le premier pays européen en termes d'investissements étrangers, ce qui démontre qu'il est possible de concilier une politique d'attractivité et un contrôle particulier.

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Merci beaucoup Monsieur le directeur général. J'ai deux questions. S'agissant d'abord de la place de la lutte contre les vulnérabilités au sein des administrations de l'Etat, nous avons fait, au cours de ce cycle d'auditions, plusieurs observations. D'abord, l'outil de mesure du ministère de la Transition écologique sur la question des vulnérabilités est inexistant. Cette notion commence à émerger, dans le domaine statistique, mais n'a jamais fait l'objet d'une définition. Par ailleurs, à l'occasion de l'audition du préfet directeur du SDSN, celui-ci nous a précisé que les plans de crise des secteurs étaient redescendus, en 2015, dans les ministères concernés. Le ministère technique reste ainsi en charge de la construction du scénario. En 2011, avec la création du comité sur les méthodes stratégiques, nous voyons pourtant que cette préoccupation arrive au niveau central. Les signaux sont donc quelque peu contradictoires. Comment cette préoccupation a-t-elle évolué au sein de votre administration, au cours des dix dernières décennies ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Merci Monsieur le Président. Cette question de la gestion des vulnérabilités doit s'entendre d'abord au niveau des chaînes de valeur stratégiques, qui sont critiques pour le fonctionnement du pays. Nous avons structuré cette politique de réponse aux vulnérabilités depuis quelques années. Nous avons engagé ces travaux en 2019, qui ont été accélérés par la crise. L'Union européenne, à l'occasion de la crise du Covid, a accepté d'adopter une vision beaucoup plus offensive de la question. Depuis 2019, nous identifions beaucoup mieux les secteurs stratégiques et les chaînes de valeur qui y sont associées, en particulier de la part sous la présidence française de l'Union européenne, en mars 2022. Le sommet de Versailles a ainsi permis aux chefs d'Etat et de gouvernement européens de fixer six secteurs particulièrement stratégiques, dans lesquels l'Union européenne souhaite se doter des moyens de production en Europe d'une partie des besoins associés. Il s'agit de l'électronique, de la santé ou encore des moyens de production de l'énergie. Dans ces secteurs, où des produits critiques sont clairement identifiés, nous déployons des actions pour agir sur la réduction des vulnérabilités sur l'ensemble de la chaîne de valeur, à la fois pour produire en Europe et en France une partie de ces produits et pour maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur, jusqu'aux intrants, qui sont soit énergétiques soit d'une autre nature. Ces intrants critiques sont à présent mieux identifiés, à la fois au niveau européen et français. Nous disposons ainsi de listes de produits critiques et d'intrants critiques. Par exemple, sur les métaux stratégiques, nous disposons d'une liste de 30 métaux particulièrement critiques sur lesquels l'Union européenne et la France déploient des actions de réduction des vulnérabilités.

Nous avons également un enjeu de mesure. Nous mettrons en place dans les prochains jours l'observatoire des métaux critiques, qui constituera un outil très précis d'identification des vulnérabilités et d'anticipation d'éventuelles tensions d'approvisionnement sur certains de ces métaux. Certains intrants critiques peuvent en effet être stratégiques sans être nécessairement en tension d'approvisionnement. Dans notre politique industrielle, nous avons en outre un panel de réponses que nous apportons pour réduire ces vulnérabilités. Il en existe trois grandes catégories : la sécurité d'approvisionnement avec les doubles sources (qui permettent d'être moins dépendant des sources uniques, et pour lesquelles nous avons engagé dès 2020 des actions dans trois filières, dont les filières aéronautique et santé, pour inciter les entreprises à développer de nouvelles sources d'approvisionnement, comme pour le titane), le stockage, qui est aujourd'hui peu développé, et enfin la relocalisation en France de capacités de production sur tous ces produits stratégiques sur l'ensemble de la chaîne de valeur (batteries, pour lesquelles nous avons financé dans France 2030 un projet de mines de lithium qui doit permettre d'alimenter la production des constructeurs français à hauteur de 700 000 véhicules électriques). Dans France 2030, nous avons consacré un volet spécifique aux métaux stratégiques, dotés de 500 millions d'euros en capacité de financement. De notre point de vue, depuis trois ans, nous déployons une véritable politique, à la fois au niveau national et européen, de réponse à ces vulnérabilités. Une partie importante de ces réponses doit être apportée au niveau européen. Nous devons également raisonner sur l'établissement et le renforcement des chaînes de valeur à ce niveau, ce que nous faisons à la fois sur la batterie et sur l'électronique.

Le comité pour les métaux stratégiques que vous évoquiez a été un outil utile, en tant que lieu d'échange entre les acteurs publics et privés sur ces questions de vulnérabilités. L'observatoire que j'évoquais, qui sera prochainement mis en place, constitue une seconde étape, plus opérationnelle et plus systématique, qui permettra de reprendre ces objectifs d'identification et de réduction de nos vulnérabilités, avec un outil sans doute plus efficace.

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L'observatoire des métaux stratégique est donc une forme de continuité du comité pour les métaux stratégiques, créé en 2011.

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

En effet. Le comité pour les métaux stratégiques est un outil de coordination entre les acteurs publics et privés. L'observatoire va permettre d'approfondir cette coordination pour constituer un outil de mesure très précis sur l'état de criticité des différents approvisionnements, des vulnérabilités et des risques de tension, avec une fonction d'anticipation essentielle dans ce domaine.

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Entre 2011, date de la création de ce comité, et la remobilisation publique sur ces préoccupations, 10 ans se sont écoulés sans modification majeure dans le pilotage public de cette question des métaux stratégiques. Ce constat est-il exact ? Cette préoccupation a-t-elle été mise entre parenthèses ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Il me semble qu'un réel changement est intervenu dans la nature et l'intensité des tensions d'approvisionnement entre 2011 et 2020. Nous avons constaté dès 2018-2019 des tensions fortes sur les médicaments, en particulier les principes actifs qui sont actuellement produits en quasi-totalité en Asie. Le gouvernement avait d'ailleurs commandité une mission à Monsieur Biot, qui avait émis un certain nombre de propositions pour réduire ces vulnérabilités. Avec la Covid, nous avons matérialisé des enjeux de souveraineté et d'autonomie stratégique qui ont conduit à toutes les politiques que j'évoquais. En sortie de crise de Covid, nous avons constaté des tensions d'approvisionnement et des vulnérabilités, par exemple dans le secteur électronique, qui ont eu un impact important sur un certain nombre de chaînes de valeur, notamment automobiles, en Europe. Ces vulnérabilités étaient beaucoup plus fortes qu'elles ne l'étaient dans la décennie précédente. Il y a donc objectivement une évolution dans l'intensité des vulnérabilités et des tensions d'approvisionnement, pour des raisons diverses, qui sont spécifiques à chaque secteur. Dans l'électronique, par exemple, il existe une sous-capacité de production par rapport à l'augmentation de la demande, qui est bien documentée et crée, de manière structurelle, des difficultés d'approvisionnement. C'est pourquoi, en France et en Europe, nous avons lancé des actions pour doubler notre capacité de production. Vous avez pu voir, en juillet, l'annonce du projet à Crolles, qui permettra, entre GlobalFoundries et STMicroelectronics, de doubler notre capacité de production sur ce site. Sur les principes actifs pour les médicaments, ces tensions d'approvisionnement, particulièrement identifiées en 2018 et 2019, étaient plutôt liées à la concentration très forte de la production en Chine et en Inde, qui a conduit à des difficultés d'approvisionnement en Europe quand les politiques d'achat de ces pays ont changé. Objectivement, ces tensions se sont donc accélérées ces dernières années, ce qui a conduit à une réponse plus forte depuis trois ans qu'elle ne l'a été au cours des décennies précédentes.

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Nous observons un mouvement de retour vers l'énergie nucléaire en Europe et dans le monde, avec un choix quasi monotechnologique sur l'usage d'uranium enrichi, ce qui risque in fine de générer des tensions, alors que la France s'engage elle aussi dans un choix de renouveau de sa filière nucléaire, toujours sur la même technologie de l'uranium enrichi. Suivez-vous ces éléments ? Quelles sont vos préconisations en la matière ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Une partie importante de cette question échappe à mon champ de compétence et entre dans celui du ministère de la Transition énergétique. En parallèle des annonces par le Président de la République à Belfort en février sur le nouveau programme nucléaire, un effort a été engagé dans le cadre de France 2030 sur le soutien à l'innovation et à la R&D s'agissant des réacteurs alternatifs. De nombreuses grandes puissances nucléaires travaillent sur le modèle du SMR.

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En matière de criticité des intrants, pour le SMR, il s'agit vraisemblablement d'uranium enrichi.

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Tout à fait. Par ailleurs, nous avons engagé des soutiens à la recherche et développement de projets basés sur des technologies différentes. Nous intégrons le fait que les cycles de développement, dans le nucléaire, sont particulièrement longs, ce qui conduit nécessairement à un décalage entre les projets d'innovation et la mise en œuvre. Un effort est quoi qu'il en soit consenti sur des types de réacteurs alternatifs, y compris des technologies de fusion, qui font partie des perspectives potentielles dans le domaine. Cet effort d'innovation et de diversification des technologies existe donc bel et bien.

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Nous allons longuement recevoir le CEA et aurons des échanges sur ce sujet. Je suis toutefois preneur d'éléments de documentation émanant de votre administration sur ce sujet. Entre la recherche à long terme et la possibilité d'imaginer à moyen terme des technologies industrialisables, les temporalités ne sont pas les mêmes. C'est la raison pour laquelle je pose la question de l'uranium enrichi. Le projet Astrid permettrait de mobiliser de l'uranium appauvri, ce qui nous donnerait des assurances sur la disponibilité des matières utilisées qui sont déjà stockées.

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Nous sortons de mon champ de compétence, et je préfère ne pas trop m'engager sur ce sujet.

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Merci Monsieur le directeur général pour votre introduction et pour ces premières réponses. Ma première question porte sur l'état du ministère et de l'administration que vous avez découvert en prenant vos responsabilités à la tête de la Direction générale des entreprises en 2018, à la fois sur les sujets que nous avons évoqués, en termes de mesure de la capacité à estimer la vulnérabilité de certains approvisionnements, et sur la capacité à répondre de façon rapide et efficace, en termes de protection de nos investissements et de nos technologies critiques.

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Les actions que j'ai décrites permettront de renforcer considérablement notre capacité de mesure. Nous avons également une contrainte : les stratégies d'approvisionnement des entreprises sont couvertes par le secret commercial et constituent pour elles des enjeux de différenciation. Nous l'avons vu pendant la crise des composants électroniques. Nous avons ainsi constaté, dans la reprise économique qui a suivi la première phase de Covid, que les entreprises étaient très réticentes à partager des informations sur leurs approvisionnements, leurs contrats, leurs difficultés à satisfaire leurs besoins, etc. Ceci est légitime, puisqu'elles s'inscrivent dans une compétition. Nous devons donc articuler des stratégies individuelles d'entreprises qui restent de leur responsabilité avec une action collective, que nous avons beaucoup développée depuis trois ans sur l'identification des vulnérabilités. Comme je l'ai évoqué, nous avons lancé des travaux au sein des filières. Il s'agit du bon niveau d'action pour l'Etat, sans entrer dans les stratégies d'approvisionnement d'une entreprise en particulier. Celui-ci nous avait permis, dans la filière aéronautique par exemple, trois ans avant la guerre en Ukraine, d'identifier la sensibilité du titane comme intrant, dont une partie de la chaîne de valeur se situe en Russie, et d'engager des actions de diversification. Un des enjeux de notre politique de réduction de nos vulnérabilités est de la mener produit par produit. Sur le titane, nous avons identifié à la fois la mesure de la vulnérabilité et un certain nombre d'actions, qui ont été lancées à ce moment pour réduire cette vulnérabilité, notamment sur des questions de diversification des sources. Depuis, d'autres actions, de recyclage notamment, ont été assurées. Ces actions de recyclage permettront de réduire de 30 à 50 % notre dépendance à l'étranger en matière de titane. L'intensification de l'effort sur la mesure s'est produite avec l'intensification des tensions d'approvisionnement, qui étaient moins significatives par le passé. La capacité de réponse que vous évoquez, face à cet accroissement récent des tensions, a été massive. Une rupture très forte apparaît en l'espèce, en particulier sur l'effort de relocalisation et la production primaire ou secondaire de ces intrants. Les actions conduites depuis trois ans pour relocaliser les produits critiques, et en particulier les intrants critiques, sont sans commune mesure avec ce qui avait été fait dans le passé pour répondre à ces enjeux. Ceci est lié à la fois à l'accroissement de ces tensions et à des volontés politiques très fortes, au niveau politique et européen, d'apporter une réponse soutenue à ces sujets.

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Je vous remercie, mais je reviens à ma question sur l'état du ministère et des capacités, à la fois en ressources humaines et en technologies. Quelles causes voyez-vous à cette forme de moindre sensibilité, également européenne, et y compris dans l'appareil administratif et la capacité de l'Etat à appréhender ces questions d'indépendance et de souveraineté dans les 20 à 30 dernières années ? Vous êtes arrivé à la tête d'un service que vous avez réorganisé, justement, dans l'optique de mieux répondre aux attentes des entreprises et d'appréhender cette notion de réindustrialisation. Est-ce à dire que l'appareil administratif de l'Etat, et en particulier du ministère de l'Economie et des Finances, avait été progressivement désensibilisé et avait perdu en compétences, en ressources et en capacité à se projeter sur les questions industrielles et énergétiques ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Je pense que les enjeux de réindustrialisation et de politique industrielle volontariste sont portés, en France, par le ministère auquel j'appartiens, depuis de nombreuses années. Les objectifs existaient, étaient bien identifiés, mais se heurtaient en partie au cadre européen, qui ne permettait pas d'avoir la politique industrielle que nous mettons en œuvre aujourd'hui. Dans la décennie précédente et auparavant, nous avons eu des politiques transversales favorables à la politique industrielle, en matière de compétitivité prix et hors prix, par exemple sur la réduction du coût du travail. Des outils de politique industrielle transversale étaient donc déjà déployés, avec cet objectif d'ambition industrielle.

Les nouveautés, dans le quinquennat précédent, ont trait au fait que cette politique industrielle ait pu être accrue par des actions plus verticales, avec la logique d'identifier des secteurs stratégiques et de mener des actions spécifiques qui permettront de renforcer la capacité de production en France de ces produits et équipements stratégiques. Il s'agit d'une réelle innovation, permise en partie par l'évolution du cadre européen. Cet outil incarne une révolution de la politique industrielle européenne, dans le cadre des IPCEI (programmes européens d'intérêt commun), puisque la Commission européenne a autorisé les Etats membres à financer, d'une manière qui n'était pas possible précédemment, des capacités de production en Europe. Nous mobilisons ces outils pour répondre à des enjeux tels que ceux de l'agenda de Versailles. Ces outils n'existaient pas auparavant et ont permis une action beaucoup plus forte. La volonté politique préexistait donc, mais a été renforcée lors du quinquennat précédent et a bénéficié d'un contexte européen favorable, qui préexistait d'ailleurs à la crise de Covid. En effet, en matière de batteries, la première démarche de stratégie industrielle européenne a été engagée dès 2019. La France et l'Allemagne, en particulier, avaient publié un manifeste pour la politique industrielle européenne, qui est à l'origine de ce renouveau.

Enfin, s'agissant des ressources et de l'expertise, il est exact de dire que nous avons, depuis 2018-2019, une politique industrielle beaucoup plus affirmée et des moyens beaucoup plus forts, à la fois dans le plan de relance et dans France 2030, avec un cadre européen qui permet de mobiliser ces moyens financiers. L'Etat a ainsi une capacité d'action beaucoup plus forte qu'auparavant en matière de politique industrielle. Ces moyens plus importants sont sans doute associés à une attractivité plus forte et une capacité, pour une direction comme la mienne, à recruter une expertise encore plus pointue pour mettre en œuvre ces politiques.

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Je vous remercie. J'en viens à une question sur la filière nucléaire, dans sa totalité. Dans quel état la trouvez-vous en arrivant à vos fonctions ? Comment évolue-t-il ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Nous objectiverons l'état de la filière nucléaire par un audit qui sera lancé prochainement, que nous copilotons avec la direction générale de l'Energie et du Climat et qui permettra, au début du nouveau programme nucléaire, de bénéficier d'un état des lieux très précis de la filière.

Dans la filière, un certain nombre de points d'attention ont été identifiés depuis ma prise de fonctions, sur des sujets maintenant bien documentés, en termes de ressources humaines et de formation. Nous avons commencé à apporter un certain nombre de réponses, en lien avec la filière nucléaire, pour adapter l'outil de formation et renforcer l'effort de formation, par la création de l'université des métiers du nucléaire, la création de bourses nucléaires, un plan de développement de l'emploi et des compétences permettant de mieux adapter l'outil de formation aux besoins des entreprises, etc. France 2030 comprend également un volet important de formation pour les métiers d'avenir. Nous avons commencé à apporter un certain de nombre de réponses concrètes et opérationnelles aux difficultés rencontrées en matière de ressources humaines dans la filière.

Un autre point d'attention porte sur les sous-traitants. Nous avons en effet identifié des fragilités chez un certain nombre de sous-traitants de la filière nucléaire. Nous avons commencé à apporter des réponses, notamment à l'occasion du plan de relance, en 2020, en finançant l'amélioration et la modernisation de l'outil de production d'un certain nombre de sous-traitants du secteur nucléaire. 90 % des entreprises de la filière nucléaire sont des PME, qui ont d'autres clients pour 30 à 40 % d'entre elles, notamment l'automobile et l'aéronautique. Des actions ont ainsi permis de les diversifier, pour renforcer leur résilience dans la durée. Nous poursuivons cette action. Dans le cadre de la politique de filière, nous avons également un certain nombre d'engagements des grands donneurs d'ordres sur la solidarité avec leurs sous-traitants.

Il s'agit des deux principaux sujets d'attention, auxquels nous avons cherché à apporter des réponses, sur la filière nucléaire. Le troisième sujet est celui du renouveau de l'effort d'innovation.

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Je vous remercie. Pourriez-vous préciser les différents domaines d'activité des sous-traitants et revenir sur le chiffre que vous citez concernant ceux qui ont également pour clients l'automobile et l'aéronautique ? A l'aune des multiples crises que traversent ces deux secteurs, quel regard portez-vous sur le risque auquel sont exposés ces sous-traitants ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Le choc du Covid a, pour ces entreprises, été amorti par l'ensemble des dispositifs d'aide d'urgence, qui ont permis au tissu économique de sortir de cette crise dans de très bonnes conditions, puisque nous avons vu sur l'année 2020 une augmentation de 3 % du bénéfice des PME et une baisse historique du nombre de défaillances. Les différents plans de relance et les perspectives dans le cadre de France 2030 sont autant de réponses à ces fragilités objectives que vous évoquez, qui sont liées, dans l'automobile, à la transition vers l'électrification. Il est vrai qu'une partie des sous-traitants nucléaires qui sont également fournisseurs de l'automobile le sont pour partie dans la métallurgie et pour partie dans des domaines qui seront impactés par la transition. Nous menons des actions directes de soutien financier à l'investissement dans ces entreprises, afin de les consolider. S'agissant de l'aéronautique, ces entreprises rencontrent effectivement des challenges liés aux évolutions du marché et à l'impact de la crise du Covid sur le marché. Les cycles de reprise sont très différents de ceux de l'automobile, qui verra une transition, d'ici 2030, vers l'électrique. Le plan de relance aéronautique et l'action menée sur l'avion vert dans France 2030 apporteront une partie de la relance face à ces évolutions de marché, qui sont importantes et auront nécessairement un impact sur ces chaînes de sous-traitants. Nous essayons ainsi, notamment sur l'investissement, d'assurer une modernisation de l'outil productif. Un effort important porte également sur les ressources humaines et les compétences qui, dans ces trois secteurs, restent l'un des freins principaux à leur développement.

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Sur la question des ressources minières, quel est votre éclairage sur un possible nouvel inventaire minier, le dernier datant des années 1970, qui serait susceptible de donner une idée plus précise de nos ressources ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Il s'agit d'un sujet de préoccupation européen. Pendant la présidence française de l'Union européenne, nous avons consacré le conseil compétitivité informel de janvier à cette question de la politique européenne en matière de sécurisation des ressources minières et des politiques pouvant être menées sur le sujet. Nous avons partagé, au niveau européen, l'enjeu de sécuriser pour l'Europe les ressources minières comme un élément essentiel de notre souveraineté et de notre politique industrielle. Nous devons y répondre de trois manières : sécuriser les ressources minières à l'étranger, ce qui suppose un certain nombre d'actions, y compris au niveau national, notamment un fonds d'investissement qui permettra d'investir dans des mines à l'étranger pour sécuriser des approvisionnements en France, conduire une action de recyclage (titane, terres rares lourdes, aimants permanents), et enfin assurer l'activité minière en Europe, y compris le raffinage. Plusieurs réflexions ont été conduites sur cette question. L'ensemble des Etats membres de l'Union européenne partage le sujet de l'acceptabilité de l'activité minière en Europe et le caractère limité de cette acceptabilité, ce qui suppose de conduire un travail important pour renforcer cette acceptabilité. Parmi les actions identifiées, la réalisation d'un référentiel de responsabilité sociale et environnementale des mines au plus haut niveau d'exigence a été évoquée. Cet enjeu ne doit pas être sous-estimé. L'importance des deux premiers leviers d'action, sans doute plus rapides à mettre en œuvre, ne doit donc pas être négligée. Nous avons en outre d'importants potentiels en Europe. Le projet de mine d'Imerys, annoncé il y a quelques semaines, répond à une partie importante de nos besoins de production de batteries en France. Nous avons donc des solutions qui nous permettront de répondre, de façon parfois très significative, à nos besoins.

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Quelles seraient les conditions de réalisation d'un inventaire minier ? Est-ce une question de disponibilité des entreprises, de compétences, de capacités de recherche ou de technologies ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Il s'agit d'une compétence de la Direction générale de l'Aménagement, du Logement et de la Nature. Nous travaillons activement avec cette direction pour assurer la cohérence entre nos actions, en particulier l'aval de la mine, où nous avons une responsabilité forte.

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Depuis le début de l'audition, vous évoquez beaucoup la chaîne de valeur, pour conclure sur l'incompétence de votre direction sur l'amont de la chaîne de valeur. N'y a-t-il pas un lien entre cette décorrélation et l'incapacité que nous avons, en France, à travailler sur l'acceptabilité d'un certain nombre d'activités sur notre territoire ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Je ne le crois pas. Il peut sembler incohérent que l'amont de la chaîne de valeur soit piloté par une direction et le reste par une autre. En réalité, nous travaillons très étroitement, au quotidien, avec cette autre direction, et dans de très bonnes conditions. Pour l'un des projets importants de recyclage avec les partenaires industriels, nous menons une négociation conjointe au quotidien, pour assurer une cohérence complète de l'ensemble de nos actions. La coordination peut être une réponse satisfaisante à cette question. S'agissant de l'acceptabilité, il s'agit moins d'une question d'organisation administrative que de tenue du débat public, à la fois au niveau national et européen.

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L'organisation administrative n'est censée exister que pour répondre à un projet politique. Placer la mine dans une direction chargée du logement et de la nature plutôt que dans une direction chargée d'industrie et de souveraineté correspond à un choix politique.

Mes collègues ont-ils des questions ?

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Merci Monsieur le président. Monsieur le directeur général des entreprises, merci pour votre contribution. De manière plus générale, je souhaite vous remercier pour votre investissement auprès de nos entreprises. Vous avez largement participé à la réussite de la politique industrielle du précédent quinquennat, dans la mise en place des mesures d'urgence, de France Relance et de France 2030. Vous avez été à l'écoute des petites et des plus grandes entreprises. Aujourd'hui, comme vous l'indiquez, la souveraineté énergétique est le facteur essentiel de la souveraineté économique de la France. Or nos entreprises sont très inquiètes, notamment dans le Jura. Des entreprises qui connaissaient une croissance inédite ont aujourd'hui des craintes eu égard à leur facture énergétique.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait préconisé, en janvier, de rehausser le plafond de l'ARENH à 150 térawatts/heure. Le dernier relèvement du plafond fut un soulagement. Que pensez-vous de cette mesure ? Par ailleurs, les mesures que nous avons prises dans le cadre du bouclier industriel semblent très peu accessibles à beaucoup de nos entreprises, notamment du secteur de la transformation.

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Nous ne sommes pas ici en commission des affaires économiques ni en commission du développement durable, mais en commission d'enquête sur les raisons de la perte de la souveraineté énergétique de la France. J'entends que nos travaux s'inscrivent dans un cadre politique et d'actualité. Je vous propose néanmoins de formuler des questions qui soulèvent l'objet de notre commission d'enquête.

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Nous avons des actions de court terme et de moyen terme. Sur le moyen terme, il s'agit des actions qui doivent permettre la réforme du marché de l'électricité, en particulier en Europe, qui nous semble être la solution pour décorréler le prix du gaz et de l'électricité au niveau européen. La France a fait un certain nombre de propositions, y compris avec des impacts de court terme. Un débat européen intense se tient entre les Etats membres et la Commission. Nous maintenons l'effort pour obtenir des mesures concrètes et efficaces sur ce sujet au niveau européen. Au niveau national, nous mettons en place un dispositif avec à la fois le tarif régulé pour les TPE et certaines PME, l'amortisseur pour les PME qui n'ont pas accès à ce tarif et, pour les entreprises de taille plus importante, des aides dans un guichet déjà ouvert depuis juillet et qui permettra de renforcer l'accessibilité de l'aide. Les mesures mises en place dans ce guichet doivent bénéficier à beaucoup plus d'entreprises. Nous resterons attentifs à l'effet de ce guichet et au fait qu'il réponde bien aux besoins.

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Monsieur le directeur, j'entends l'objectif de décarbonation et la fin des moteurs thermiques. Compte tenu de nos difficultés en matière d'approvisionnement électrique, comment s'inscrit le phasage entre cette mutation de l'industrie automobile et la montée en puissance de notre production ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Nous avons eu de nombreuses négociations pendant la présidence française de l'Union européenne. L'objectif du passage à l'électrique est incontestable, dans notre politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons deux enjeux : d'une part produire en France 2 millions de véhicules électriques, d'autre part faire en sorte que la production énergétique permette d'alimenter tous ces moteurs électriques. C'est ce que prend en compte la trajectoire énergétique sous-jacente aux annonces du Président à Belfort, en février. Les scénarios de RTE incluent l'électrification du parc automobile et permettent de dimensionner l'augmentation de la capacité de production électrique qui doit être réalisée en France.

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Nous voyons que nous avons besoin de batteries, comme vous l'avez répété. Le BRGM nous indique que nous avons la réserve la plus importante, en matière de métaux, sur le Massif central. Vous avez indiqué que les investissements dans les mines font l'objet d'un programme européen. Que pensez-vous du développement d'une industrie minière nationale dans le Massif central ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Ma réponse sur les compétences des administrations n'avait pas vocation à opposer les administrations, mais je respecte les champs de compétence de chacun. Cette question est du ressort d'une autre direction que la mienne. Je ne peux que répéter qu'une réflexion européenne est en cours sur le sujet et que l'objectif des Etats membres est de renforcer l'acceptabilité de l'activité minière en Europe. Ceci me semble aller dans le sens que vous évoquez. Concernant l'ouverture de mines en France, je ne peux répondre.

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En tant que directeur général des entreprises, qu'en pensez-vous ? Serait-il pertinent de lancer ce chantier national sur notre sol, pour préserver notre souveraineté notamment économique, compte tenu de l'évolution du coût de l'électricité ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Notre politique de réindustrialisation et de souveraineté sur le plan industriel dépend en partie de la compétitivité de notre énergie, et notamment de notre électricité. La volonté de maintenir une compétitivité élevée de cette électricité, en particulier pour les industriels les plus consommateurs, est donc très claire. Il existe un certain nombre de dispositifs, comme la compensation carbone, et nous travaillons sur d'autres évolutions pour maintenir cette compétitivité.

S'agissant des mines, ce sujet revêt différentes dimensions. Sur le plan économique, il est dans notre intérêt de pouvoir développer une activité minière en complément de la sécurisation de projets de mines à l'étranger et du recyclage, qui a également un intérêt en termes d'économie circulaire et de gestion des déchets.

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Vous avez précisé que le changement de paradigme d'intervention de l'Etat sur les questions de souveraineté économique a été permis par un changement récent du cadre européen, qui est plus ouvert à l'intervention directe des Etats dans l'économie. Pour autant, sur le plan énergétique, nous ressentons des contradictions fortes au niveau européen, y compris dans les mécanismes qui se mettent en place. Quels efforts mesurez-vous dans la capacité à obtenir de l'Union européenne des règles qui permettent à la fois des interventions dans le milieu économique, en respectant des stratégies énergétiques distinctes entre les pays, qui doivent néanmoins rester compatibles ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Vous avez parfaitement résumé la situation. L'évolution que nous avons obtenue dans la politique industrielle doit à présent se traduire sur le plan du fonctionnement du marché de l'énergie. Sur cette question, il existe en Europe des visions et des modèles de production hétérogènes, ainsi que des intérêts divergents. La France a pour sa part 90 % d'électricité décarbonée. Nous avons un intérêt à conduire une réforme du marché de l'énergie permettant de mieux corréler les prix avec les coûts de production, lesquels sont très compétitifs en France. Cela ne sera pas l'intérêt d'autres Etats membres. Les intérêts des Etats sont aujourd'hui plus divergents qu'ils ne l'étaient sur la politique industrielle, où nous avons pu obtenir des décisions rapides.

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Nous avons démontré tout au long de l'audition le lien entre l'amont et l'aval, pour l'évaluation des risques et pour apprécier le degré de souveraineté. Le prix et la compétitivité sont en grande partie obtenus par la standardisation des technologies, qui semble antinomique avec la définition d'un panier pluraliste sécurisant sur le plan des vulnérabilités et de la souveraineté. En amont, les stratégies, notamment sur l'énergie, tendent à aller vers la diversité. Pour autant, nous n'entendons pas ce discours en aval, où nous observons un basculement vers le moteur électrique comme monotechnologie. Ce pari ne risque-t-il pas de créer une nouvelle vulnérabilité, au-delà des enjeux de matière et d'approvisionnement ?

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Thomas Courbe, directeur général des entreprises et commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique, au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

L'enjeu technologique sur le véhicule électrique réside moins dans le moteur, qui est très bien maîtrisé et sur lequel les marges de progrès sont limitées, que dans la batterie. Sur la batterie, plusieurs choix technologiques se poursuivent. De nombreux travaux de développement portent ainsi sur de nouvelles technologies, pour passer par exemple de technologies liquides à des technologies solides, qui auront de meilleures performances. Ce débat sur la technologie que vous évoquez, qui est réel, portera sur la batterie.

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Merci beaucoup pour votre disponibilité et pour avoir répondu à nos questions.

La séance s'achève à 12 heures 10.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, Mme Danielle Brulebois, M. Vincent Descoeur, M. Francis Dubois, M. Raphaël Schellenberger, M. Lionel Vuibert.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.