La réunion

Source

La séance est ouverte à neuf heures vingt.

La commission auditionne M. Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président-fondateur de Sportitude-France.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite la bienvenue à monsieur Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France. Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public. Fondée en 1984 par Harlem Désir et Julien Dray, l'association SOS Racisme se fixe l'objectif de lutter contre le racisme, l'antisémitisme et, plus généralement, toutes les formes de discrimination et de promouvoir le vivre-ensemble.

Créée en septembre 2011, Sportitude a pour principale mission de mettre en avant les valeurs du sport par des actions de formation et de sensibilisation. Elle insiste sur la promotion de bonnes pratiques et du respect dans le sport. Une autre de ses missions est d'identifier et d'analyser, à l'occasion des manifestations sportives, notamment des matchs de football, tous les problèmes périsportifs – hooliganisme, violence, racisme, xénophobie, sexisme, homophobie, etc. – qui surgissent parfois aux abords et à l'intérieur des stades afin de proposer des réponses efficaces.

Nous souhaiterions tout d'abord recueillir votre analyse de l'ampleur des actes de racisme et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d'éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par SOS Racisme et Sportitude France dans le champ qui nous intéresse, et notamment l'accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics ?

Pourriez-vous nous donner des exemples précis de cas de racisme ou de discrimination que vous avez rencontrés dans le champ du sport et les réponses qui y ont été apportées ? Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre le racisme et les discriminations dans le sport : ministère des sports, fédérations sportives, Agence nationale du sport (ANS), délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), défenseur des droits, établissements d'enseignement et la justice ?

Quelle appréciation portez-vous sur l'action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? Les responsabilités de chacun sont-elles suffisamment claires ? Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter sanctionner les actes de racisme et de discrimination dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Hermann Ebongué prête serment.)

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Je suis secrétaire général de SOS Racisme et président de Sportitude, structure qui travaille spécifiquement dans le domaine du sport et qui est très axée sur les problèmes périsportifs. Elle n'intervient pas dans la pratique du sport en tant que telle, mais sur toutes les problématiques périphériques au sport. Ce qui m'a amené à créer cette association est le constat que les problèmes périsportifs ne sont pas assez traités par les fédérations et les instances sportives, qui mettent davantage l'accent sur le champ sportif, dont l'organisation est leur mission première, que sur l'extra-sportif.

Le périsportif et l'extra-sportif sont généralement très peu traités par les fédérations et tous ceux qui ont la charge de gérer le sport. Je pense qu'il y a un défaut de perception et de conception du sport dans sa globalité. Certaines fédérations ou certains dirigeants considèrent seulement le sport en se focalisant sur sa pratique alors que le sport englobe aussi tout ce qui tourne autour du sport. C'est la raison pour laquelle on constate qu'il y a moins d'investissement dans le périsportif s'agissant des problèmes que vous venez d'énumérer.

Très peu de fédérations, de clubs et d'instances sportives investissent dans les moyens humains et matériels pour répondre à ces problématiques qui sont liées à la pratique du sport.

Il s'agit donc d'intégrer cette problématique de lutte contre les discriminations et le racisme dans le logiciel du sport, dans toutes les dimensions du sport, y compris dans l'enseignement, en particulier dans les écoles de formation. Certes, les choses commencent un peu à changer mais toujours en réaction à des drames ou des problèmes. Devant des faits, il y a parfois un semblant de prise de conscience. Quand un fait de racisme ou de discrimination survient, l'écosystème sportif réagit, s'exprime et fait semblant de prendre conscience du problème mais ensuite, ça retombe jusqu'au prochain acte ou épisode.

L'arrivée d'Internet et des réseaux sociaux a beaucoup changé la donne. Auparavant, il était plus difficile de dévoiler de tels faits et de les médiatiser. Aujourd'hui, on arrive plus facilement à rendre ces problématiques accessibles, ce qui permet de les prendre en compte. En ce qui concerne le bilan en tant que tel, d'après mon expérience, étant donné que je suis à l'origine de la réduction de ces problèmes au Paris Saint-Germain, qui a connu beaucoup de problèmes de violence, de hooliganisme et de racisme entre différentes tribunes, le résultat du PSG est aujourd'hui à l'image du résultat global en France. Si on se compare à d'autres pays, en particulier l'Italie, ces mêmes problématiques se posent là-bas, mais il n'y a pas de réponse apportée.

La leçon à tirer de l'expérience du PSG c'est qu'on peut régler et surmonter ces problèmes. C'est une question de volonté, et non de moyens. En l'occurrence, je pense qu'il y a une volonté, une vision et les moyens nécessaires à mettre en place. La situation actuelle du Paris Saint-Germain n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a encore quelques années. Je pourrai vous envoyer un bilan chiffré qui démontre qu'au cours des treize dernières années, pendant lesquelles j'ai travaillé avec eux, ces problématiques de racisme, d'antisémitisme et de violence ont baissé de 97 % au sein de ce club.

La volonté du club de régler ces problèmes a fait suite à un drame, qui est finalement devenu une opportunité de changer les choses. Je crains malheureusement qu'il faille des drames pour amener les instances du sport et l'écosystème sportif à travailler en la matière. Il est regrettable que les problèmes ne soient jamais traités en amont dans le cadre d'un travail serein avec ceux qui connaissent le sujet.

Je constate effectivement qu'il y a plus de dénonciations et de problèmes qui sont mis en évidence. Malgré une certaine prise de conscience, il reste beaucoup à faire, notamment en termes de moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces problèmes. La meilleure manière de les éviter, c'est la prévention. Or, c'est en particulier sur ce point qu'il y a beaucoup de défaillances.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaitais revenir sur l'accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

C'est un problème qui concerne plus généralement toutes les associations, qu'il s'agisse de SOS Racisme ou de Sportitude. Il y a très peu de soutien public, ce qui témoigne du fait que ces problématiques sont insuffisamment prises en compte, notamment dans le sport.

Pour être concret, les actions de Sportitude et de SOS Racisme dans le champ du sport sont aujourd'hui uniquement soutenues par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il y a un accompagnement financier et humain avec la présence de différents délégués interministériels. Ils nous aident également dans la documentation, dans la recherche et dans la mise en œuvre des actions.

Seule la Dilcrah nous vient en aide. Ce n'est pas faute d'avoir sollicité d'autres instances sportives. Nous avons eu notamment maille à partir avec la Fédération française de football (FFF) car nous avons beaucoup dénoncé ce qu'il s'y passait. Je pense notamment aux déclarations de son ancien président : monsieur Le Graët, qui affirmait qu'il n'y avait pas de racisme dans le football. Cette phrase résume très bien l'esprit dans lequel cette fédération gère le sujet. Elle nous a répondu qu'elle travaillait déjà avec d'autres associations. Il n'y a pas non plus de soutien financier de la part du ministère des sports. Il en va de même de la Ligue de football professionnel (LFP), qui est délégataire d'une mission publique au même titre que la FFF. Je pense donc qu'il y a matière à travailler sur cet aspect-là.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous n'avez pas de contact avec l'ANS ou d'autres associations de lutte contre ces violences ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Non. En fait, les relations se sont tendues très rapidement avec l'ANS. Je pense qu'il s'agit d'un problème de conception de ces problèmes.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

L'ANS intègre les associations de supporters. Elle voit les associations de lutte contre le racisme et les discriminations comme des acteurs qui les empêchent de faire évoluer le supporterisme dans le sens qu'ils souhaitent. Ils nous jugent très critiques sur ces problématiques. Je me souviens d'une première réunion que nous avions eue avec eux en présence du délégué interministériel. Nous y avions notamment dénoncé la question de l'homophobie. Il y avait une véritable différence de conception de ces problèmes. La présidente de la Ligue de football professionnelle avait d'ailleurs déclaré que les chants homophobes relevaient du folklore des stades. La conception de l'ANS n'était pas éloignée.

Tandis que nous nous étions saisis de cette question avec beaucoup de gravité. Pour l'ANS, ça relevait du domaine de la liberté d'expression. Bien que nous soyons attachés à la liberté d'expression, nous pensons qu'il y a des limites à ne pas franchir. On ne peut pas nous faire entendre que les chants homophobes ne sont pas graves et qu'ils ne font pas de victime car ils ne visent personne en particulier.

Les échanges étaient vraiment tendus parce que nous ne voyions pas du tout les choses de la même manière. Nous avons eu une réunion extrêmement houleuse au cours de laquelle le délégué interministériel s'était levé. Nous insistions pour mettre un nom sur les problèmes afin de pouvoir travailler dans le sens de leur résolution. Les relations se sont donc tendues dès la première rencontre. C'est sans doute la raison pour laquelle nous n'avons jamais été reconvoqués ; et ce, en dépit des recommandations de la Dilcrah qui avait recommandé que les associations telles que SOS Racisme et Sportitude soient intégrées à l'ANS en sachant que SOS Racisme et Sportitude ont beaucoup d'expérience en la matière et un bilan.

Je suis extrêmement sollicité car on considère que la France a un modèle qui est celui du PSG. Je pourrais revenir sur le modèle qui a été mis en place au PSG. Pour régler ces problèmes, il faut investir dans l'humain et se doter des moyens nécessaires. Il faut aussi pouvoir sanctionner. La législation actuelle nous permet de répondre sur les plans pénal et disciplinaire, mais il faut aboutir à des sanctions. On n'a pas suffisamment travaillé pour identifier les personnes qui posent problème et prononcer des sanctions individuelles, ce qui éviterait des sanctions collectives en sachant que les sanctions collectives créent souvent une fausse solidarité.

C'est la raison pour laquelle Sportitude a mis en place un dispositif qui permet d'aller vers l'individualisation des peines. Beaucoup de supporters, qui pensaient qu'on venait les gêner dans leur activité, ont eu du mal à le comprendre. L'ANS considérait que nous allions mettre fin à des pratiques qu'elle jugeait normales. Certains d'entre eux n'avaient pas conscience de la gravité des choses. Pour cela, il faut écouter et comprendre la souffrance des gens. Toujours est-il que l'ANS ne nous a pas intégrés ni convoqués à ses réunions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Depuis cette première réunion, avez-vous recontacté l'ANS afin d'engager un travail avec eux ? Auriez-vous les comptes rendus des réunions auxquelles vous avez assisté et lors desquelles vous n'étiez pas d'accord ? À titre personnel, je pense qu'il y a bel et bien des victimes de l'homophobie. Le nier constitue un problème en soi. C'est la raison pour laquelle on a du mal à avancer aujourd'hui. Il est important de sanctionner, mais il y a encore un gros travail à faire en termes de prévention. S'il y a un désaccord sur la définition de l'homophobie et du racisme, il est difficile de travailler sur des actions de prévention.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Je pense pouvoir retrouver ces comptes rendus, notamment celui de cette réunion qui s'est tenue au ministère des sports.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous nous préciser la date de cette réunion-là ainsi que le positionnement et les propos des uns et des autres ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Il me semble que c'était en 2017. C'était à la suite de chants homophobes lors d'un match PSG-OM. Ces chants ont redoublé et déferlé après les dénonciations de la ministre de l'époque, Roxana Maracineanu, parce que les supporters n'ont pas apprécié la réaction des pouvoirs publics. Il s'est créé un rapport de force, tel un défi lancé, lors des matchs qui ont suivi. C'est ce qui a amené à la tenue de cette réunion.

En ce qui concerne les positions de chacun, nous étions sur la même ligne que la Dilcrah. D'ailleurs, je me rappelle que Frédéric Potier s'était beaucoup énervé. L'ANS avait plutôt tendance à relativiser les faits. La principale opposition venait de SOS Racisme, Sportitude et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). La position du délégué interministériel était à la fois claire et ferme.

L'avocat des groupes de supporters, qui était également présent lors de cette réunion, défendait les chants sur le terrain juridique. Il était plutôt sur le terrain du droit avec une confusion entre la liberté d'expression et la qualification des termes utilisés. Il affirmait que certains mots n'étaient pas de nature à recevoir la qualification d'homophobe. On en est arrivé à ce type de débats, qui existent encore à ce jour. Nous considérons pour notre part que ces termes relèvent d'une homophobie caractérisée sans équivoque. Je pense donc qu'il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de pédagogie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous été recontactés depuis cette réunion de 2017 ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Par l'ANS, non. Pourtant, j'ai connaissance de plusieurs réunions de l'ANS qui se tiennent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Demandez-vous à être associés à ces réunions ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Je vous avouerai que non. Par exemple, une réunion va se tenir dans quatre jours. D'ailleurs, je le sais par une personne active dans la lutte contre les discriminations qui doit intervenir ce jour-là. Elle m'a demandé de lui faire une note à ce sujet. Elle souhaite présenter le travail que j'ai effectué avec le Paris Saint-Germain.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Non. En fait, c'est une association qui est invitée, mais qui ne connaît pas forcément le sujet en profondeur.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Il faudrait que je regarde. Toujours est-il qu'elle estime que je connais suffisamment le sujet compte tenu de l'expérience et du bilan dont je dispose. Tout le monde sait que je travaille avec le PSG. Les instances du football suivent ces questions-là. Pour autant, il n'y a aucune volonté d'associer SOS Racisme et Sportitude.

La différence, c'est que nous sommes assez clairs en termes de positionnement sur ce qu'il convient de faire. Au-delà de la sanction, nous sommes assez exigeants sur les solutions à mettre en place. Il s'agit de traiter ces questions, non pas sous un angle biaisé, mais avec toute la gravité qu'elles requièrent. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur le fait qu'il y a une différence de conception de ces problématiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous évoquons un point très important. Il serait bien que nous ayons le procès-verbal de cette réunion, lors de laquelle on s'est interrogé sur le caractère raciste ou homophobe des termes employés. Ça nous permettrait de savoir qui prend la décision, notamment sur le caractère raciste ou homophobe de ces mots.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

En fait, ce qui est dramatique, c'est que personne n'a pris de décision lors de cette réunion. C'est le ministère des sports qui gère l'ANS. Le Dilcrah a menacé de quitter la séance. C'était extrêmement houleux. À un moment donné, je me suis même demandé à quoi pourrait bien servir cette réunion. Pour ma part, je n'ai pas eu le sentiment qu'une décision ait été prise.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Savez-vous s'il y a eu une évolution en six ans ? Existe-t-il quelque part une liste de termes qui sont considérés comme racistes ou homophobes ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Je pense qu'il y a des évolutions, notamment sur les questions liées au racisme. Je fais à nouveau référence au Paris Saint-Germain, qui était perçu comme le mouton noir et qui a beaucoup évolué. Beaucoup d'autres clubs ont suivi. Pour autant, il existe encore du racisme résiduel. En ce qui concerne l'homophobie, il y a un réel travail à accomplir. En sachant que ça tombe sous le coup de la loi. Certaines associations effectuent un travail pédagogique de sensibilisation. Je pense notamment à Yoann Lemaire et à Foot Ensemble. Il y a un début de prise de conscience de la part de certains supporters. Pour autant, le supporterisme en général a beaucoup de mal à évoluer sur la question.

Aujourd'hui, je pense qu'il est nécessaire d'investir massivement sur le volet de la conception, de la compréhension et de la conscientisation du public. L'Association nationale des supporters doit y travailler. Je crois qu'on peut y arriver. En revanche, ça requiert un travail sérieux, organisé, encadré et pédagogique. De toute façon, les choses vont obligatoirement évoluer. Il s'agit de sanctionner à titre individuel, et non à titre collectif. Les choses ont donc légèrement évolué depuis la réunion de 2017, mais il reste un gros travail à faire.

J'ai assisté à la dernière rencontre entre le PSG et l'OM il y a deux semaines. En fait, il y a eu un tsunami de chants. Ça a été repris par 20 000 spectateurs dans le stade ; et pas uniquement des ultras. Certains supporters, sous le coup de l'euphorie, ne se rendaient même pas compte de leur attitude. Je me suis interrogé sur ce dont j'ai été témoin. Les réactions se sont focalisées sur les groupes de supporters. Si on souhaite régler ce problème, il faut mobiliser l'ensemble des personnes qui constituent cet écosystème : les pouvoirs publics, le politique, les clubs, les fédérations, etc.

Dans un premier temps, je pense qu'il s'agit d'apporter des réponses pédagogiques. Il s'agit pour cela d'investir à court terme et à moyen termes. En réponse à cette difficulté de perception, de conception et de compréhension, il faut une campagne massive d'éducation et de sensibilisation. Aujourd'hui, la société ne tolère plus ce qui pouvait paraître acceptable il y a encore quelques années. Tout comme la société a évolué, le monde du sport et le supporterisme doivent le faire eux aussi.

Je pense que nous sommes tous d'accord pour faire évoluer les choses, mais c'est l'investissement en la matière qui fait défaut. Cet investissement doit être à la fois humain et matériel. Il faut notamment que des personnes en charge de ces sujets soient identifiées au sein des fédérations et des clubs. Il existe effectivement un référent des supporters, mais il ne s'agit pas d'un référent sur les problèmes de racisme, de hooliganisme, d'homophobie et des discriminations.

C'est la raison pour laquelle il faut chercher l'efficacité. Les instances sportives ne connaissent pas ces sujets. Ces questions ne peuvent pas être traitées par n'importe qui. En sachant que les origines ethniques ne dictent pas les connaissances en la matière. Il existe des associations qui connaissent profondément ce sujet. Il s'agit donc d'investir et d'interpeller tous les acteurs sur cette partie-là.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons évoqué le cas de l'US Orléans il y a quinze jours. Son entraîneur, Bernard Casoni, a été suspendu. Le sujet du club de basket-ball de Charleville-Mézières a également été soulevé au printemps dernier. Un joueur de Metz a été traité de « bonobo ». Dans l'actualité du jour, il en est encore question à Nancy. Savez-vous si ces cas sont plus fréquents dans certaines fédérations ? Pour mettre un peu d'optimisme dans tout ça, avez-vous connaissance de bonnes pratiques que vous auriez pu constater à l'international ?

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

L'expression de ces phénomènes touche effectivement davantage certaines disciplines sportives que d'autres. C'est notamment le cas dans le football. Je ne sais pas si c'est proportionnel au nombre d'adhérents et à la popularité de ce sport. Le football est aussi le sport le plus médiatisé. Je précise que c'est d'autant plus important dans le football amateur, qui est complètement délaissé. Je peux vous dire qu'il y a beaucoup de problèmes. Il suffit d'aller assister à un match le dimanche. Il faut absolument y apporter des réponses. Le football professionnel est un peu plus encadré. La manière dont les choses sont organisées nous permet de mettre en place des dispositifs pour lutter contre ces phénomènes.

En ce qui concerne les bonnes pratiques, je crois que nous avons déjà tout ici. Nous avons déjà des bonnes pratiques qui ont réussi. D'ailleurs, j'ai été sollicité par des clubs italiens et espagnols à la suite de la réussite du modèle mis en place au Paris Saint-Germain, dont le stade est aujourd'hui l'un des plus pacifiés d'Europe.

Ce modèle repose sur deux pieds. Le premier est la prévention. Elle est absolument nécessaire, tout comme la mise en avant des valeurs du sport. Au fond, il n'y a pas d'offre de modèles positifs sur la manière dont les supporters doivent se comporter. Au Paris Saint-Germain, il y a une campagne permanente sur les bonnes pratiques, les valeurs, etc. Ce n'est peut-être pas grand-chose, mais ça a son importance et son utilité.

Outre la sensibilisation et l'éducation, le deuxième élément du modèle mis en place est l'individualisation des sanctions. C'est un élément primordial. Aujourd'hui, j'ai mis en place un dispositif qui fait référence dans toute l'Europe. Il s'agit d'un dispositif d'identification des personnes qui posent problème dans un stade. Il faut les sanctionner dans une logique pédagogique. Le dispositif que j'ai mis en place permet aujourd'hui de rappeler à l'ordre toute personne commettant le moindre acte répréhensible au regard du règlement intérieur ou des conditions générales de vente.

Il s'agit aussi de favoriser une prise de conscience avant d'aller vers la sanction définitive, qui peut aller jusqu'à l'exclusion de l'individu. Il convient d'investir dans l'individualisation des sanctions. Il faut utiliser ce modèle à deux pieds. Je pourrais mettre à votre disposition de la documentation sur ce dispositif.

Nos militants sont formés et connaissent le sujet. Ils sont au milieu des supporters. C'est ce qu'on appelle « la commission d'observation et de surveillance des comportements dans le stade ». Une soixantaine de personnes se trouvent dans le stade, au milieu des supporters. Elles identifient les personnes qui peuvent poser problème et ce, afin d'éviter des sanctions collectives. Ça fonctionne très bien.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons devoir passer à l'audition suivante, monsieur Ebongué. Si vous vous souvenez d'autres sujets que vous auriez aimé évoquer, n'hésitez pas à revenir vers nous, notamment pour nous transmettre vos propositions. En sachant que la commission d'enquête restera à votre écoute. Nous vous remercions d'avoir accepté de remplacer votre collègue Dominique Sopo.

Permalien
Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France

Je vais essayer de vous envoyer le compte-rendu de réunion que vous m'avez demandé. Je vais également solliciter l'ANS afin qu'elle nous reconvoque. Je tiens à remercier cette commission pour le travail qu'elle effectue. Il a une grande importance, mais il s'agira également de mesurer le résultat des actions qui seront mises en place pour tenter de régler ce problème, qui est global.

La commission auditionne M. Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillons à présent monsieur Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, monsieur le ministre.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.

La Dilcrah est un organisme interministériel institué en 2012 pour concevoir, coordonner et animer la politique de l'État en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et, depuis 2016, la haine anti-LGBT. Elle est placée sous la tutelle de la Première ministre. Les activités de la Dilcrah comportent plusieurs axes majeurs : la conception de la lutte contre les discriminations, la coordination de l'action des différentes administrations dans ce domaine et le conseil auprès des ministères. Elle a vocation à être l'interlocutrice privilégiée des acteurs institutionnels et associatifs, de défense des droits de l'Homme et de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT.

Nous souhaiterions tout d'abord recueillir votre analyse de l'ampleur des actes de racisme et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d'éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Comment le milieu du sport se situe-t-il sur ce sujet en comparaison avec d'autres milieux ?

Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par la Dilcrah dans le champ qui nous intéresse et en lien avec les autres acteurs qui interviennent dans la lutte contre le racisme et les discriminations dans le sport : le ministère des sports, les associations, les fédérations sportives, l'Agence nationale du sport (ANS), la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le défenseur des droits, les établissements d'enseignement et la justice ?

Quelle appréciation portez-vous sur l'action de ces différents acteurs ainsi que sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les actes de racisme et de discrimination dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Le gouvernement a fait de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT une priorité, qui se traduit notamment par deux plans interministériels pluriannuels : le plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et le plan national d'action pour l'égalité des droits contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. Quels volets de ces plans peuvent apporter des réponses dans le champ qui intéresse notre commission ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Olivier Klein prête serment.)

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Vous permettrez au jeune délégué interministériel que je suis de ne pas avoir toutes les réponses. Nous n'avons malheureusement pas d'éléments statistiques tels qu'évoqués dans votre question. Il est vrai que nous avons une réelle difficulté dans notre pays à quantifier la discrimination, que ce soit dans l'accès à l'emploi, au logement ou dans le sport.

Vous avez rappelé que la Dilcrah a deux plans pour feuille de route : le plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et le plan national d'action pour l'égalité des droits contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. La question du sport figure dans ces deux plans à différents titres. Il y a tout d'abord la question de la quantification, qui est mise en avant dans les deux plans. Il s'agit notamment de mesurer les phénomènes de racisme, d'antisémitisme et de discrimination, et ce dans tous les milieux.

Un premier objectif consiste à mieux s'investir dans le sport, qui devrait être un espace de bienveillance, de rencontre et de lutte contre les discriminations. Nous avons pu constater hier soir dans le match entre Nancy et le Red Star que des cris de singe sont descendus des tribunes. Nous avons également entendu, lors du match au Parc des Princes, des chants homophobes particulièrement virulents qui ont été repris par le stade de manière unanime et sans aucune réaction de l'arbitre et du délégué. Nous avons même constaté une forme d'indifférence. La Dilcrah et les ministres se sont saisis de cette affaire, mais on nous a expliqué que tout ça n'était que « du folklore et quelque chose d'anecdotique ».

C'est pourtant tout le contraire. Ça constitue un sujet majeur aujourd'hui. L'accès au sport, et notamment aux sports collectifs, est plus ou moins difficile pour les personnes en fonction de leur orientation sexuelle. Il y a une crainte de la réaction des coéquipiers et, lorsqu'on pratique le sport à un niveau plus important, des quolibets descendant des tribunes. Ce n'est donc pas qu'un effet d'image. Ça empêche un certain nombre de personnes de pratiquer le sport de leur choix.

C'est l'un des chantiers importants que la Dilcrah mène avec des partenaires. Il s'agit d'ouvrir le champ sportif en luttant contre les discriminations, et notamment celles qui sont liées à l'orientation sexuelle. Des fédérations se sont emparées de ce sujet-là, notamment la Fédération française de rugby (FFR), qui réunissait hier un symposium sur la question du genre et de l'orientation sexuelle dans le sport. Nous pouvons que constater que toutes les fédérations n'ont pas la même appréhension ni la même mobilisation sur ces phénomènes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pensez-vous à certaines fédérations en particulier ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

La Fédération française de rugby intervient beaucoup sur ce sujet. Nous avons un partenariat avec la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Est-ce depuis que la Fédération française de rugby a un nouveau président ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Non, c'était déjà le cas avant. Ils travaillent sur ce sujet-là depuis un certain nombre d'années. La Dilcrah soutient la Commission anti-discriminations et égalité de traitement (Cadet), qui travaille beaucoup sur ces questions d'orientation sexuelle dans le sport, et en particulier dans le rugby. Ce week-end, ils organisent un tournoi mixte à Marcoussis avec une remise des prix à La Concorde. Elle est assez exemplaire de la volonté de lutter contre le racisme et l'homophobie dans le sport.

Pour vous citer quelques chiffres, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de ce sondage Ipsos sur la LGBT-phobie dans le sport. Un Français sur deux a été témoin d'une situation homophobe ou transphobe dans le milieu sportif. 77 % des Français perçoivent le milieu sportif professionnel comme étant homophobe. Ce chiffre est de 75 % pour le milieu amateur. Une personne LGBT sur deux dit avoir été victime d'une situation LGBT-phobe dans le milieu sportif. Il y a donc un chantier extrêmement important à mener sur ces questions.

J'ai pu rencontrer la Cadet. Il serait extrêmement utile d'avoir ce type de commission dans un maximum de fédérations. Ça démontrerait la prise en compte de ce sujet-là par le milieu sportif. Ça permettrait également de mettre en place un certain nombre d'actions, notamment en termes de formation et de sensibilisation.

La question des discriminations et des comportements racistes, sexistes et LGBT-phobes se pose bien évidemment dans le sport professionnel, mais aussi dans le sport amateur et à différents niveaux. On le voit notamment dans nos villes, quand on installe des équipements de street workout, dans la manière dont les garçons s'approprient ces espaces dont les filles sont trop souvent exclues. Il y a donc différents sujets d'accès au sport, qu'il soit de compétition ou de loisir, auxquels il convient d'être attentif.

Compte tenu de l'approche des Jeux olympiques et d'autres événements sportifs majeurs, nous avons une obligation. Comme vous le savez, la loi a été renforcée en mai dernier avec des sanctions plus importantes et des amendes pouvant aller jusqu'à 45 000 euros. Il y a notamment des suspensions et des interdictions de pénétrer dans les stades après des propos racistes, discriminants ou homophobes.

La Dilcrah est également partenaire d'une maison des fiertés pendant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Il s'agit de permettre la visibilité des athlètes LGBT pendant cette période-là et d'accompagner le changement d'état d'esprit. En 2025, les EuroGames vont se tenir dans notre pays, à Lyon. Ce sera également un événement important pour le sport, et notamment le sport LGBT. Là encore, c'est l'occasion de montrer que nous sommes attentifs et ouverts sur ce sujet.

Il ne faut pas oublier la question des personnes trans et de leur accès au milieu sportif. Elle se pose aussi à travers des questions que je pourrais qualifier de terre-à-terre, mais qui sont indispensables. Ça concerne notamment les vestiaires et d'autres sujets qui sont encore trop peu pris en compte à ce jour. C'est parfois complexe, mais si on souhaite que les personnes trans trouvent leur place dans le milieu sportif, un certain nombre de questions doivent être prises en compte assez rapidement dans les installations sportives de nos villes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué l'absence de statistiques et d'éléments chiffrés sur lesquels se baser pour pouvoir travailler sérieusement sur la lutte contre les faits de racisme, d'antisémitisme ou d'homophobie dans le mouvement sportif. Néanmoins, pourriez-vous nous dire si certaines disciplines sportives sont plus touchées que d'autres ? Et ce, non pas au regard du nombre d'adhérents ou de la communication, mais plutôt en termes de faits qui passeraient sous les radars, que ce soit par manque de médiatisation ou par le faible nombre de plaintes déposées.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Vous avez raison. C'est ce que je qualifierais de « chiffres noirs ». Il existe une différence entre la réalité des faits et le nombre de plaintes. Nous le voyons notamment dans les comités opérationnels de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CORA) qui sont des lieux de travail sur les discriminations à l'échelle départementale. Nous n'avons donc pas de chiffres suffisamment clairs pour nous permettre d'affirmer que tel sport est plus touché que tel autre.

Au regard du nombre de licenciés et de spectateurs, il est certain que le football constitue un sujet. Sur la question du racisme descendant des tribunes, même si la soirée d'hier vient me contredire, les règles qui ont été appliquées par les délégués, la suspension du match, le message du speaker et si les faits se réitèrent, la possibilité d'arrêter le match définitivement ont eu un rôle utile. On le voit notamment en ce qui concerne les chants homophobes, même si ce sujet reste entier.

Nous le voyons également avec les opérations menées par la ligue. Je pense aux brassards arc-en-ciel. Un certain nombre de joueurs ont refusé de jouer ou ont « inventé » des blessures lors de ces soirées. La ligue souhaite poursuivre ces opérations, que je juge importantes. Un groupe de travail spécifique a été mis en place récemment avec le ministère des sports sur la question du football et de l'homophobie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lors de son audition, SOS Racisme a évoqué un travail qui a été avorté avec l'ANS il y a quelques années. Et ce, en raison de nombreuses difficultés rencontrées lors de la première réunion. Avez-vous des partenariats de travail avec le ministère des sports, l'ANS, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), etc. ? Nous avons beaucoup évoqué la question des sanctions. Finalement, on pèche peut-être sur le volet préventif.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Tout à fait. L'enjeu est vraiment un travail de partenariat entre le ministère des sports, le ministère de l'égalité et des luttes contre les discriminations, la Dilcrah et les fédérations pour avancer sur la question de la prévention et de la formation. À la Dilcrah, nous travaillons sur des formations de gendarmes, de policiers et de magistrats. Nous devons pouvoir participer à des opérations de sensibilisation des dirigeants sportifs ; et ce, en partenariat avec les clubs. Il faut le faire à tous les échelons, et pas uniquement avec les grands clubs professionnels. Ces chantiers interministériels se mettent en place.

Dans le cadre du plan sur le racisme et l'antisémitisme, il est prévu que l'ensemble des sanctions soit publié chaque année afin d'avoir une meilleure connaissance des comportements de cette nature dans le sport. Le cabinet d'Amélie Oudéa-Castéra réunit avec nous les fédérations dans le cadre de ce plan. La Dilcrah a été intégrée dans le groupe de travail sur les discriminations que le ministère des sports a créé. Il y a également un travail qui est effectué avec les supporters. J'ai participé à une réunion avec les clubs de supporters, sous l'égide de la ministre, il y a quelques jours.

Nous croyons en la nécessité des role models, qu'il s'agisse de sportifs, d'arbitres, de journalistes sportifs, etc. D'ailleurs, c'est repris dans les deux plans. Pour paraphraser Daniel Riolo, un journaliste sportif bien connu, « c'est le moment de faire un reset sur ces sujets », notamment dans le football. Il s'agit de faire en sorte qu'il y ait une prise de conscience de la gravité de ce que certains perçoivent comme « du folklore ou quelque chose d'anecdotique ». C'est grave pour le sport et l'image du sport. C'est plus grave encore pour ceux qui perçoivent ces insultes au plus profond d'eux-mêmes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais revenir sur la notion de chiffres noirs, notamment sur le racisme, les discriminations et l'homophobie. En fait, c'est un peu mitigé. Nous avons le sentiment qu'on en parle beaucoup plus. C'est notamment très visible dans le football, où chaque acte raciste ou homophobe dans les stades est médiatisé. Qu'est-ce qui explique selon vous qu'on ne parvienne pas à traiter l'ampleur de ce phénomène ? Les statistiques dont nous disposons aujourd'hui sont sous-estimées par rapport à la réalité des faits.

L'objectif de notre commission d'enquête est de travailler sur les failles et les dysfonctionnements qui expliquent qu'on n'ait pas réussi à traiter ces sujets depuis de nombreuses années. Vous avez notamment évoqué les sanctions, qui sont parfois très lourdes. Malgré cela, les actes de racisme et d'homophobie perdurent. N'a-t-on pas pris la mesure de l'ampleur de ce phénomène ? Le travail n'est-il pas assez poussé au niveau des fédérations ? Quelle est la faille et où se trouve-t-elle ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Les failles sont multiples. Il y a tout d'abord beaucoup de non-dits des victimes. Certaines personnes préfèrent aussi se priver de pratique sportive plutôt que de prendre le risque d'être discriminées. La fédération sportive LGBT multiplie la création des clubs safe en son sein, ce qui démontre le besoin d'avoir ces lieux de neutralité et de tranquillité. Je pense qu'un gros travail de sensibilisation doit être mené et déployé à la fois sur le racisme, l'antisémitisme et la LGBT-phobie. Il faut mener des campagnes en la matière auprès des fédérations sportives, et pas uniquement des plus grandes.

Au-delà du sport professionnel, un travail doit être effectué très en amont, y compris dans le sport amateur et de loisir, à l'intérieur des collectivités locales avec l'accompagnement de ces clubs. Nous pensons que les fédérations devraient mettre en place des modules de sensibilisation et de formation de leurs dirigeants sur les questions liées aux discriminations. Même si certains clubs le font, ces sujets sont insuffisamment abordés dans le monde sportif.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La cellule Signal-Sports, qui est issue du ministère des sports, permet d'effectuer des signalements liés aux violences sexistes et sexuelles (VSS). Disposez-vous d'une plate-forme de signalement ou est-il possible d'utiliser Signal-Sports ? Comment communiquez-vous en la matière ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Nous pensons justement que la cellule Signal-Sports pourrait être étendue aux questions des discriminations et des actes homophobes. Au lieu de réinventer un dispositif, il serait plus simple d'utiliser celui qui existe déjà. Il s'agit de dépasser la question évidemment nécessaire des violences sexistes et sexuelles dans le sport en permettant à cette cellule de prendre en compte également les actes de haine, de racisme, d'antisémitisme et de LGBT-phobie. C'est plutôt notre position.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous mené des actions dans certains domaines qui seraient déclinables dans le sport ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Je ne voudrais pas mettre trop en avant la Fédération française de rugby et l'organisation de la Coupe du monde, mais à travers la Cadet, ils disposent d'une commission qui est vraiment très utile et qui devrait se décliner dans d'autres instances sportives. Par ailleurs, la fédération de roller derby, qui est toute petite puisqu'elle compte à peine 400 membres, a mis en place un certain nombre d'actions. Leur exemplarité est assez intéressante. Leurs actions pourraient probablement être reproduites ailleurs.

Il a été dit hier en symposium qu'un certain nombre d'universités travaillent avec les étudiants en sciences et techniques des activités sportives et sportives (Staps) sur les questions de discrimination. Je pense que les professeurs d'EPS ont probablement une responsabilité éducative sur ces sujets-là. Leur travail peut aussi être utile dans le monde sportif hors milieu scolaire.

Madame Léovanie Das, chargée de mission Lutte contre la haine anti-LGBT + à la Dilcrah prêté serment.

Permalien
Léovanie Das, chargée de mission Lutte contre la haine anti-LGBT + à la Dilcrah

En termes de bonnes pratiques, nous formons notamment les policiers et les gendarmes. Je pense qu'il y a avant tout un grand manque de formation des acteurs, des arbitres et des entraîneurs qui pourraient avoir un rôle très important. Dans le domaine de la culture, il existe des aides conditionnées à la parité, à la lutte contre les discriminations, etc. Dans le domaine du sport, on pourrait tout à fait conditionner des aides financières à la mise en place de formations, à la lutte contre les discriminations, etc. La formation est primordiale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous disiez précédemment qu'il serait intéressant d'élargir la cellule Signal-Sports. Avez-vous évoqué cette suggestion auprès du ministère des sports ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Ça fait partie des échanges que nous avons actuellement avec eux, mais je n'ai pas de réponse pour l'instant. En sachant que je ne suis là que depuis trois semaines. Quoi qu'il en soit, j'échange beaucoup sur l'actualité des chants homophobes avec Bérangère Couillard et Amélie Oudéa-Castéra. Elles ont la volonté de s'emparer de ces sujets et de trouver des moyens d'action. C'est la raison pour laquelle nous préconisons l'utilisation de ce dispositif, qui commence à bien fonctionner. Il s'agirait de lui donner plus de moyens afin de signaler les discriminations et les sanctionner.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il serait intéressant d'avoir un suivi de cette demande ainsi que de la réponse du ministère. On saurait ainsi si les moyens sont donnés à la cellule Signal-Sports pour répondre aux attentes.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Nous continuerons à échanger avec vous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais revenir sur la question de la prévention et de l'image véhiculée, y compris au niveau des fédérations. Vous avez beaucoup évoqué le travail qui est fait dans le rugby. Ne pensez-vous pas que la sélection d'un sportif - en l'occurrence, Bastien Chalureau - qui a été condamné pour violences racistes avant cette Coupe du monde vient mettre à mal tout le travail effectué et l'image que le sport peut renvoyer ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

C'est bien évidemment quelque chose qui interroge. Je vous ai dit tout à l'heure à quel point je croyais aux role models. Il est important qu'ils soient présents sur le terrain, dans les stades et parmi les dirigeants. Pour autant, étant donné qu'une procédure judiciaire est toujours en cours et que je ne suis ni juge ni sélectionneur, je ne pourrais pas vous en dire davantage. Laissons la présomption d'innocence courir jusqu'à son jugement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Oui, mais il y a appel. Il a déjà été condamné. Peut-on encore parler de présomption d'innocence lorsqu'il y a eu une première condamnation ? Je crois au rôle prescripteur des sportifs de haut niveau parce qu'ils jouent un vrai rôle auprès de la jeunesse. Outre le fait qu'elle ait choqué beaucoup de monde, la sélection d'une personne condamnée pour des faits aussi graves n'alimente-t-elle pas le sentiment d'impunité ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Je ne peux pas être en contradiction avec ce que je vous ai dit depuis le début. Comme tout un chacun, les sportifs ont effectivement une responsabilité dans la lutte contre les discriminations, le racisme, l'antisémitisme, la violence et la haine anti-LGBT. Pour autant, même si la procédure est en appel, je n'ai pas à me prononcer sur des faits qui font l'objet de procédures en cours. Chaque fédération doit montrer l'exemple dans ses actes.

Depuis que je suis délégué interministériel, j'ai le sentiment que la Fédération française de rugby prend ces sujets à bras le corps. J'ai pu constater une nouvelle fois hier que des sportifs, quelle que soit leur orientation sexuelle, évoluaient dans un cadre bienveillant, de réflexion et de progression de l'intégration et de l'inclusion dans le sport. Par conséquent, je continue à penser que la FFR est exemplaire ; en tout cas, dans sa volonté de prendre en compte ces questions-là sans tabou.

Nous avons notamment entendu hier les témoignages émouvants de personnes trans qui ont relaté leurs difficultés à entrer dans le monde sportif. Il y a des clubs de rugby inclusifs. Je crois qu'ils ont déjà abattu un certain nombre de tabous. Pour être un peu trivial, on ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain parce qu'un joueur dont le jugement est en cours a été sélectionné.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le mot « enculé » est-il selon vous un terme raciste et homophobe lorsqu'il est prononcé dans un stade de football ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Oui. D'ailleurs, ça a fait l'objet d'une discussion assez byzantine sur la sémantique homophobe lors d'une rencontre avec les clubs de supporters.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Oui, mais pas directement ces dernières semaines. Nous avons eu des contacts après les chants homophobes lors des matchs au Parc des Princes et à Lille. Nous avons activé l'article 40 à trois reprises puisque c'est une prérogative de la Dilcrah. Et ce, afin de mettre un coup d'arrêt à ce type de comportements.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous pose la question puisque monsieur Hermann Ebongué nous a fait état d'une réunion dont il serait ressorti que le terme « enculé » n'était pas considéré comme homophobe ; du moins, pour l'ANS.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Il me semble qu'il fait référence à une réunion qui s'est tenue il y a plusieurs années. Je pense qu'il n'y a aucun sens à regarder les mots pour les qualifier ou les disqualifier. Les chants que nous avons entendus descendre des tribunes sans aucun acte de rupture par le délégué, l'arbitre ou le speaker étaient homophobes. J'ajoute que le terme « enculé » fait selon moi partie du vocabulaire homophobe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Existe-t-il un endroit où des décisions sont prises sur les termes qui peuvent être considérés comme racistes et homophobes ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

À ma connaissance, il n'y a pas de lieu où on listerait les termes qui sont acceptés ou acceptables. Notre responsabilité consiste à mettre un coup d'arrêt à ce type de comportements. Il s'agit d'instaurer un espace de bienveillance et de neutralité. Les supporters amènent aussi de la chaleur, de la couleur et de la bonne humeur dans un stade. Je fais allusion aux images du match de rugby Écosse-Irlande de samedi soir. On peut soutenir son équipe sans insulter l'autre ni le discriminer et sans blesser ceux qui écoutent. Au-delà de la bêtise de ces chants, ils sont blessants. Ils freinent notamment l'accès au sport de certaines personnes eu égard à leur orientation sexuelle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au-delà d'êtres blessants, pensez-vous que les propos racistes et homophobes constituent un délit ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Oui, bien évidemment. C'est la raison pour laquelle la Dilcrah a activé l'article 40. Nous verrons ce que le procureur décide. Quoi qu'il en soit, les délits doivent être sanctionnés. Lorsque c'est tout un stade qui chante, il s'agit de définir la responsabilité. La tribune d'Auteuil, dont les chants homophobes entendus au Parc des Princes provenaient, a fait l'objet d'une interdiction pour un match et un match avec sursis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous un travail commun et des échanges avec le CNOSF et sa commission chargée de lutter contre les discriminations ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

À ma connaissance, non. Dans le cadre de réunions pluridisciplinaires entre la Dilcrah et le ministère, je pense qu'il y aura des temps spécifiques avec le CNOSF.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un travail a-t-il été réalisé précédemment avec le CNOSF ?

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Non, je ne crois pas.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

N'hésitez pas à nous recontacter dans l'éventualité où vous souhaiteriez nous transmettre ultérieurement des informations en lien avec cette commission d'enquête.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Si tel est le cas, nous vous les ferons remonter très rapidement. Quelle est l'échéance de cette commission ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les auditions se déroulent jusqu'à la mi-novembre.

Permalien
Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Ça nous laisse donc encore un peu de temps pour le faire en cas d'oubli ou d'erreur. Merci.

La commission auditionne dans le cadre d'une table ronde, ouverte à la presse, des associations luttant contre les violences sexuelles :

- M. Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble (en visioconférence)

- Mme Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS), Mme Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente, et M. Boris Sanson, membre du conseil d'administration

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillons à présent monsieur Yoann Lemaire, en visioconférence, président de l'association Foot Ensemble, ainsi que Mme Marielle Vicet et Mme Marie Laurendeau-Petit et M. Boris Sanson, respectivement présidente, vice-présidente et membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Le 20 juillet dernier, nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Aux termes de ces statuts, l'association Stop aux violences sexuelles, créée en 2013, a pour objet la mise au point d'une stratégie d'éradication des violences sexuelles assortie d'un plan d'action, d'outils d'information et de prévention, de création de partenariats, d'organisation de réunions, séminaires et conférences. Elle met en œuvre des programmes de formation variés faisant état de connaissances juridiques, sociologiques, scientifiques, de prévention en périnatalité, en psychiatrie, en sexologie, sur les violences sexuelles ainsi que sur ce même sujet dans le monde de l'entreprise.

Fondée en 2016, l'association Foot Ensemble a pour objet la lutte contre les discriminations dans le monde du football. Sur son site Internet, l'association juge les actions de prévention et de sensibilisation insuffisantes et ambitionne ainsi « de pallier ce manque en produisant un grand nombre d'outils - formations, sensibilisations, films, séquences vidéo, jeux interactifs, documents et actions pédagogiques - adaptés à tous les publics ». En 2017, M. Yoann Lemaire a réalisé un film documentaire intitulé « Footballeur et homo : au cœur du tabou », dans lequel il échange sur l'homophobie avec différents interlocuteurs.

Nous souhaiterions tout d'abord recueillir votre analyse de l'ampleur des violences et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d'éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par vos associations dans le champ qui nous intéresse, et notamment l'accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de cas que vous avez rencontrés dans le champ du sport et les réponses qui y ont été apportées ?

Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport ? Je cite le ministère des sports, les fédérations sportives, l'Agence nationale du sport (ANS), la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, le défenseur des droits, la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, les établissements d'enseignement et la justice.

Quelle appréciation portez-vous sur l'action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? Les responsabilités de chacun sont-elles suffisamment claires ? De manière générale, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les violences sexuelles et les discriminations dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Yoann Lemaire, Mme Marielle Vicet, Mme Marie Laurendeau-Petit et M. Boris Sanson prêtent serment.)

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je me présente devant vous en tant que professionnelle puisque je suis docteur en psychopathologie et en psychanalyse. Je suis formée en psycho-criminologie et en victimologie. Je suis consultante, superviseure et victimologue en cabinet. Je pourrai donc également parler à ce titre-là en ce qui concerne ma pratique. J'ai fait une thèse de doctorat sur la thématique des violences sexuelles en institution. En avril 2019, j'ai été auditionnée en tant que spécialiste de ces questions par la mission commune d'information du Sénat sur les politiques de lutte contre les infractions sexuelles sur les mineurs dans les institutions.

Nous sommes très honorés d'être auditionnés à l'Assemblée nationale dans le cadre de cette commission dont nous saluons la mise en place. L'association nationale Stop aux violences sexuelles (SVS) créée en 2013 porte un projet de santé publique qui se décline selon quatre modes opératoires : informer, former, prévenir et guérir.

Nous informons par voie de presse et par conférence. Nous formons tous les professionnels, les victimes et les proches. Nous préconisons un travail en réseau et la pratique de la pluridisciplinarité. Au sein du même dispositif SVS, nous formons des acteurs de structures juridiques et de signalement, des brigades de police et de gendarmerie, des acteurs de justice, des avocats, des médecins, des sages-femmes, des thérapeutes, du personnel de santé, du personnel éducatif, des assistants sociaux, des enseignants, etc.

Nous faisons de la prévention en milieu scolaire et en périnatalité afin de prévenir les enfants de l'existence de comportements anormaux de la part de certains adultes. Il s'agit de repérer tous modes d'action qui vont empêcher la survenue d'un comportement problématique. Et ce, afin de diminuer la réitération des faits. Enfin, nous cherchons à guérir les personnes victimes, mais aussi les auteurs de violences sexuelles afin de lutter contre ce fléau.

Il s'agit avant tout d'orienter les personnes qui en font la demande vers des conseils juridiques et des soins. Il s'agit de former les soignants et les professionnels à l'accompagnement des personnes victimes, mais aussi des auteurs de ces violences. L'ambition de notre association est de créer une plate-forme SVS dans chaque département. Environ 25 départements sont dotés de plates-formes aujourd'hui. Des médecins, des sages-femmes, des infirmières, des thérapeutes, des éducateurs, des avocats et d'anciens cadres de police s'impliquent bénévolement dans ce mouvement. Car il y a des milliers de victimes. SVS organise par ailleurs des assises internationales sur la question des violences sexuelles.

Je souhaiterais maintenant situer le cadre sociétal. Nous vivons dans une société qui est gangrenée par les violences sexuelles. Il y a tout un système qui favorise les violences sexuelles, qui pervertit et qui souille à tous les niveaux et dans tous les domaines au sein de la société. Lorsque la tête est malade, c'est toute l'institution qui en pâtit. La pédocriminalité et le trafic d'enfants sont le fait de réseaux internationaux avec des implications et des complicités au plus haut niveau, et en particulier au niveau politique et institutionnel. Le monde sportif n'en est bien évidemment pas épargné puisque c'est quelque chose de tentaculaire.

S'il y avait une véritable volonté politique, je pense que des mesures concrètes auraient été prises depuis longtemps pour supprimer l'accès aux films pornographiques pour les mineurs. En l'absence de lutte énergique, l'industrie du porno, le trafic d'enfants et les réseaux pédophiles se développent en toute impunité. L'impulsion doit bien évidemment venir de nos dirigeants au plus haut niveau.

Au sein de mon cabinet, j'accompagne des enfants, des adolescents et des adultes qui ont été exposés précocement à des films pornographiques, voire à des ébats de leurs parents ou d'autres adultes. On mesure insuffisamment les dégâts psychiques que ce type d'exposition entraîne chez les enfants. Il y a une véritable omerta qui s'explique par un système. Ce sont des processus complexes et systémiques. Cette problématique suinte de partout.

Les prédateurs savent repérer parmi leurs proies un enfant qui a parfois été victime de maltraitance et d'abus d'autorité dans le milieu familial ou de harcèlement scolaire. Ce dernier a honte et ne peut rien dire. En ce qui concerne le sport, les lieux des agressions se trouvent au niveau de l'Éducation nationale, mais aussi des sport-études, dans les clubs sportifs, les vestiaires. Dans les piscines, ce sont les bassins et les vestiaires. On le retrouve lors de séjours au ski ou à la campagne, lors de la pratique sportive ou scolaire, lors de déplacements ou rencontres interclubs avec l'animateur sportif ou l'entraîneur. On le retrouve dans toutes les pratiques sportives ou artistiques : la danse, la musique, etc.

Le problème, c'est que les recherches sur cette problématique sont encore beaucoup trop rares aujourd'hui. Dans la majorité des cas de viol et de pédophilie, il y a une absence de réponse judiciaire. La position de certains magistrats n'est pas à la hauteur. Par exemple, je cite : « Ce n'est pas parce que votre fille a été agressée sexuellement qu'elle doit aller voir un psy. Ma fille a été agressée, mais elle n'a pas consulté un psy ». Ce magistrat dénigrait la demande d'une mère quant à ses deux filles agressées sexuellement.

Ce sont des agressions des plus vulnérables, chez certains enfants qui sont le plus souvent physiquement et moralement incapables de poser des limites, incapables de se protéger des personnes dont les agissements sont pervers. Les enfants sont en quête de la reconnaissance de l'adulte, dont ils dépendent psychiquement. C'est ce dernier qui l'autorise à passer des étapes, l'évalue, analyse ses compétences, ses progrès et pointe ses limites. Néanmoins, la contrainte peut s'exercer bien au-delà des prérogatives de l'entraîneur.

Le prédateur va utiliser la pratique sportive pour arriver à ses fins. Cela passe par une emprise mentale et une emprise sur le corps par le biais du sport. Et ce, pour atteindre l'emprise sexuelle. En ayant autorité de droit ou de fait, l'adulte peut aisément exercer des pressions et soumettre l'enfant. Confrontés aux pédocriminels, ces mineurs sont victimes de chantage, de menaces ou de manipulation. Ils sont victimes d'atteintes psychiques et corporelles graves, qui vont jusqu'au viol.

Il est important de comprendre que les agressions sexuelles atteignent gravement le développement affectif, intellectuel et social de l'enfant. Elles détruisent son être. Une altération des facultés intellectuelles entraîne par exemple des capacités de discernement amoindries. Hautement manipulable lorsqu'il peut être menacé de mort, l'enfant vit un enfer psychique, se replie sur lui-même et développe nombre de symptômes. Il peut parfois y avoir également des menaces de mort sur les parents de l'enfant victime. Outre la personne victime, les violences sexuelles impactent également tous les membres de la famille, y compris l'entourage des auteurs.

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Oui. En termes d'exemple, un pédocriminel peut parfois agresser des enfants dans diverses institutions : les institutions sportives, les écoles, les centres de loisirs, l'entraîneur d'un club de football, l'animateur d'un camp de jeunes, etc. Et ce, sans éveiller le moindre soupçon. Ça représente une dizaine de structures spécialisées dans la prise en charge d'enfants. La personne dont il est question a été jugée et condamnée pour viols et agressions sexuelles sur 60 enfants âgés de 3 à 14 ans. Il a été condamné à 19 ans de réclusion criminelle. Un prédateur peut aussi nuire dans différentes structures et institutions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans quelle structure sportive ce prédateur est-il entré ? Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Il était entraîneur dans un club de football. Il travaillait en même temps dans un centre de loisirs et dans des écoles, c'est-à-dire dans différentes structures. En fait, il y a eu des victimes dans toutes les structures. Ça représente 60 enfants au total.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'objet de cette commission est d'identifier les failles et les dysfonctionnements qui font qu'il ait pu y avoir 60 victimes. Pourriez-vous nous préciser la temporalité des faits ? On constate souvent qu'un entraîneur a changé d'endroit et a réitéré les mêmes faits pendant plusieurs années. Dans d'autres cas, ça s'étend sur quelques mois. Lorsque ça dure plusieurs années, ça démontre une faille claire de la part des dirigeants, qui n'ont pas agi.

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je n'ai plus les années en tête, mais je pourrai vous transmettre ces éléments. Ces agressions sexuelles et ces viols se sont effectivement déroulés sur plusieurs années et ce, sans éveiller le moindre soupçon.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque cette affaire a été jugée, personne n'avait su ce qui se passait ?

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Un enfant a commencé à parler. Ses parents se sont inquiétés. Ça a permis de remonter toute la chaîne. Beaucoup d'enfants ont été auditionnés. Ils se sont progressivement rendu compte que ça concernait un nombre d'enfants considérable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet entraîneur a-t-il rejoint ce club local dans le cadre d'une première expérience ?

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je ne sais pas précisément où il a commencé. Il était à la fois dans les écoles, dans les centres de loisirs et dans les clubs sportifs. Il a également été animateur de camps de jeunes. Il a travaillé dans une dizaine de structures pendant une dizaine d'années.

Permalien
Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je suis médecin gynécologue et sexologue. Je suis à la retraite depuis 2018. J'ai fait mes études de médecine à une époque où on n'entendait absolument pas parler des violences sexuelles. J'ai découvert les violences sexuelles à travers la pratique gynécologique. C'était essentiellement chez des femmes, mais je voyais également des hommes dans le contexte de maladies sexuellement transmissibles ou de problèmes d'infertilité. Pour autant, il n'était pas encore question chez les hommes de personnes qui auraient eu à subir des violences sexuelles. C'était encore plus tabou chez les hommes que chez les femmes. J'ai enfin entendu parler de ce problème en suivant des études de sexologie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À quelle époque avez-vous fait vos études de sexologie ?

Permalien
Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

C'était à la fin des années 1980 et au début des années 1990. J'ai rejoint l'association Stop aux violences sexuelles en 2017. Auparavant, j'allais au congrès international francophone sur l'agression sexuelle, qui se déroulait tantôt au Québec et tantôt en France depuis 2001. J'ai appris beaucoup de choses grâce aux Québécois, qui étaient beaucoup plus en avance que nous. Leur réseau comportait aussi bien les agents de probation que les magistrats, les avocats, les éducateurs, les médecins, les psychologues, etc.

J'ai également travaillé avec des personnes qui intervenaient dans le milieu carcéral auprès des auteurs de violences sexuelles. Je pense notamment à la regrettée Maryvonne Desbarats et au docteur Marie-Laure Gamet, qui a écrit un ouvrage sur les violences sexuelles chez les mineurs. J'ai travaillé au CHU d'Angers, dans le centre d'orthogénie, dans le service de gynécologie et en pédiatrie, en tant que médecin référent pour la Maison des adolescents du Maine-et-Loire.

C'est là que j'ai découvert les violences sexuelles subies par des adolescents, garçons ou filles, dont certaines étaient le fait d'auteurs mineurs. Ça concernait en particulier des garçons qui découvraient leur homosexualité. Ils étaient des victimes potentielles pour les prédateurs puisqu'ils trouvaient rarement des personnes de leur âge pour partenaires. Ils utilisaient des sites de rencontre par le biais desquels ils étaient très souvent victimes de prédateurs.

Parmi les effets des violences sexuelles sur la santé, même si c'est plus général que le milieu sportif, on peut constater de gros problèmes de santé qui se découvrent progressivement : des maladies auto-immunes, des troubles gynécologiques qui sont parfois la conséquence directe d'agressions sexuelles, des infections sexuellement transmissibles et des grossesses issues de viols. J'en ai vu un certain nombre au centre d'IVG d'Angers. Il y a également des pathologies relevant de grossesses qui n'allaient pas à terme, des pathologies diverses et variées, des pathologies intestinales, etc. Ce sont autant d'éléments qu'on pouvait remonter. Le docteur Violaine Guérin a notamment mené une étude sur ces pathologies.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons eu l'occasion d'auditionner des victimes. Ces dernières nous ont fait part d'un certain nombre de dysfonctionnements. Elles nous ont dit qu'il leur avait été difficile de parler dans un premier temps. Elles n'avaient pas forcément les personnes ressources. En sachant que cette commission d'enquête devra aboutir à la formulation de propositions, aussi bien sur le volet préventif que sur celui des actions à mettre en œuvre en termes de sanctions.

Vous avez évoqué la question des psychologues. Selon vous, que serait une prise en charge à la hauteur pour les victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) ? Y a-t-il systématiquement une prise en charge psychologique de la victime aujourd'hui ? Est-ce que ça devrait devenir obligatoire ?

La semaine dernière, nous avons auditionné des structures qui accueillent des mineurs et de jeunes majeurs dans le cadre de la pratique sportive. Il nous a semblé que la notion de consentement n'était pas forcément claire pour certaines personnes. Pensez-vous qu'il y aurait des dispositifs à renforcer en matière de prévention et de formation, en particulier sur le consentement ? La situation des sportifs est très spécifique. Lorsqu'ils sont détachés de leur foyer et de leur famille, cette éducation sexuelle ne se fait pas. Ne serait-il pas utile de renforcer les dispositifs d'éducation au sein des structures sportives qui accueillent des mineurs ?

Permalien
Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

L'éducation au consentement des personnes mineures, que ce soit vis-à-vis d'un adulte ou d'un autre mineur, est une préconisation qui me paraît essentielle. Une loi a été votée sur ce sujet en 2021. Pour autant, c'est un sujet complexe.

Permalien
Boris Sanson, membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je suis kinésithérapeute et thérapeute manuel. J'ai été champion olympique à Pékin. J'ai fait partie de l'équipe de France pendant sept à huit ans. J'ai commencé l'escrime dans un petit club à Bordeaux, puis j'ai intégré l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), à Paris. Je me suis formé par la suite à la prise en charge thérapeutique. Pendant mon parcours, j'ai été approché par un médecin endocrinologue-gynécologue qui souhaitait travailler sur la réparation des victimes de violences sexuelles.

Pour ma part, je trouve aberrant que nous en soyons encore en 2023 à devoir traiter ce problème, qui me semble totalement sociétal. 20 % de la population est touchée par les violences sexuelles. Le monde du sport est en avance et même précurseur en la matière. Il y a un public d'enfants, d'adultes, d'agresseurs et d'agressés. En revanche, ça ne se résume pas au sport et je remercie le sport qui a le mérite de prendre en charge cette démarche-là. J'espère qu'elle va s'étendre à l'ensemble de la société.

Ce problème n'existe pas depuis les dernières années, mais depuis bien plus longtemps. Si la prise en charge avait été gérée de la même manière que pour la Covid, les choses auraient évolué beaucoup plus rapidement. Vous faites votre travail, mais je ne sais pas si cette commission va porter ses fruits. Certes, il y a des lacunes sur le retour d'informations et la libération de la parole, mais le monde du sport s'est inscrit dans cette démarche. Le CNOSF et les fédérations sont impliquées. Il y a des lacunes comme vous avez pu le constater.

En fait, les agresseurs ont un maillage qui leur permet de continuer à pratiquer leurs loisirs et détruire la vie d'enfants et de futurs adultes. Avec le médecin et un maître d'armes, nous avons créé des ateliers thérapeutiques. On considérait que l'approche psychologique était très intéressante, mais ils ont été agressés physiquement. Nous avons donc utilisé le monde du sport, et en particulier de l'escrime avec le sabre, parce qu'on a une protection, une tenue et une arme. C'est une approche de transversalité de l'agression. On peut donc se protéger et défendre. Il y a des outils qui permettent de se réparer dans le corps.

Dans les ateliers thérapeutiques, qui ont été créés en 2011, nous avons essayé d'apporter une sorte de cadre de réparation. Il existe des ateliers avec des thématiques différentes. SVS a essayé de travailler sur la réparation. En tant que maître d'armes et ancien champion, j'ai jugé la translation du monde de l'escrime sur la réparation très pertinente. Les ateliers se tiennent avec des thérapeutes certifiés et expérimentés dans la prise en charge des violences sexuelles.

Un homme sur six et une femme sur quatre ont été violentés sexuellement. Même si ça ne se voit pas forcément, ce sont tout de même des gens qui ont souffert. Par contre, on constate des traumatismes graves au niveau de la santé. Dans mon parcours, j'avais deux ateliers par mois. On parle souvent d'agressions faites par des hommes sur des enfants ou des femmes, mais il y a aussi des femmes qui agressent des enfants, qu'il s'agisse de garçons ou de filles. Ce n'est donc pas l'apanage des hommes. Il y a vraiment une prise en charge globale à mettre en œuvre au sein de la société.

Je me suis occupé de personnes qui ont été agressées et qui avaient des pulsions très fortes d'agression de leurs enfants. Dans le processus de réparation, on permet à ces personnes-là de traiter leurs traumatismes. Ils sont parfois en état de sidération ou de peur. En tant que sportif, il y a toujours l'enjeu de la performance et de l'épanouissement. Il y a aussi la volonté de gagner et de faire plaisir à son entraîneur. Il existe une forme de pression émotionnelle et psychologique qui peut être utilisée par les entraîneurs. Les enfants sont en construction et se développent par leurs acquis. Lorsqu'une agression fait partie de l'acquis, le futur est beaucoup plus compliqué.

L'idée de SVS était de randomiser les frais médicaux. Un patient qui aborde sa réparation est souvent allé consulter un très grand nombre de thérapeutes. À un moment donné, il se retrouve coincé. Sans pour autant avoir un effet magique, les ateliers thérapeutiques fonctionnent plutôt très bien. L'idée était de faire en sorte que les frais médicaux soient remboursés par la sécurité sociale car c'est d'utilité publique. Pour autant, c'est infime par rapport au nombre de personnes qui sont agressées.

Parfois, j'ai lu que des gens qui veulent témoigner se rendent à la gendarmerie, mais leurs propos ne sont pas toujours très bien entendus. Les victimes sont à nouveau victimes de ne pas pouvoir s'exprimer, étant rappelé que le pouvoir de l'agresseur est quelquefois plus important que celui de la victime. Dans ce cas, la victime se fait « violer » deux fois : dans son espace mental et dans sa relation à la société.

Dans le cadre de ces ateliers thérapeutiques, nous essayons d'amener les victimes à ne plus se sentir victimes, à se réparer et, pour certaines personnes, à ne pas transmettre la situation d'agression. Il y a notamment des ateliers en milieu carcéral avec des agresseurs. Ces derniers ont bien souvent été agressés eux-mêmes. En fait, si on coupait la situation d'agression, on couperait la situation d'agresseur et d'agressé. C'est la base.

Il y a notamment une personne qui m'a marqué très fortement. Lors d'une séance, il m'a révélé avoir violé ses deux enfants. Sa femme était également suivie dans un autre atelier thérapeutique. Il était complètement en souffrance, même si ça ne constitue pas une excuse. Je l'ai écouté en tant que thérapeute. Il a été agressé lorsqu'il était petit et son corps est resté marqué. Dans ses pulsions débordantes, il se retrouve à agresser, mais il n'est pas du tout dans la réalisation de quelque chose d'agréable pour lui. Il a fait preuve de franchise et je n'étais pas dans le jugement. Il s'est livré à la police, a été jugé et s'est engagé dans l'atelier thérapeutique. Il est en train de purger sa peine.

Un autre cas est intéressant. J'ai rencontré en prison un homme de 30 ans qui était papa d'une petite fille. Lors du braquage d'une banque, il a demandé une fellation. Or, il faut savoir que son grand-père l'avait forcé à lui faire une fellation et qu'il avait déjà vécu un braquage. Si ces choses-là avaient été réparées pendant sa jeunesse, il ne serait pas en prison et s'occuperait de sa fille aujourd'hui. Nous pouvons donc parler d'un système qui est complètement gangrené. S'il y avait vraiment une volonté réelle et forte de la part des pouvoirs publics, nous n'aurions pas à en discuter une nouvelle fois.

Pour moi, qui m'occupe des victimes, c'est difficile à la fois consciemment et inconsciemment. C'est vraiment un traumatisme et une souffrance totale. C'est une explosion des repères de confiance envers la société et l'humain car les victimes ne se sentent pas du tout soutenues. Il existe plusieurs associations et tout le monde essaie d'apporter sa pierre à l'édifice. Je suis notamment intervenu auprès du ministère des sports. C'est très compliqué. L'Éducation nationale devrait être un des éléments moteurs de la prise en charge des enfants.

Avant que les enfants découvrent la sexualité, il s'agit déjà d'apporter un cadre sain. C'est quelque chose de primordial puisque ce sont les générations qui vont construire notre futur. En sachant qu'il s'agit d'un problème tentaculaire. Un enfant agressé peut être un futur agresseur. Outre le manque de confiance, la culpabilisation est également un élément très fort. L'atelier thérapeutique permet donc de travailler sur la réparation non seulement auprès des enfants, mais également auprès des agresseurs. Nous obtenons de très bons résultats.

Je reviens sur les résultats de la randomisation souhaitée par le médecin qui a créé ces ateliers. Les frais médicaux sont très élevés parce que ces personnes essaient de s'en sortir. Cela coûte cher à la société. Après les ateliers, on constatait une réelle évolution et des frais médicaux beaucoup moins importants. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient réparés et qu'ils prenaient beaucoup moins de médicaments, d'arrêts maladie, etc. Parmi les autres outils utilisés, on trouve également l'équithérapie. Ceci dit, c'est pour moi proprement incroyable qu'il faille encore faire un travail sur ce sujet en 2023 !

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Notre association lutte contre les discriminations, et en particulier contre l'homophobie dans le milieu du sport et notamment du football car nous sommes tous footballeurs au sein de l'association. Nous nous inscrivons dans une démarche globale de citoyenneté. On parle des discriminations, du racisme, de l'homophobie et du sexisme. On prend également des cours avec des théologiens parce que les traditions, les cultures et les religions dans le sport amènent parfois beaucoup d'homophobie et de sexisme.

Nous sommes partenaires de la Ligue de football professionnel (LFP) et de la fédération française de football (FFF). Dans la mesure où c'est très compliqué et difficile avec la FFF, il me serait difficile de vous dire exactement où nous en sommes aujourd'hui. Nous essayons d'intervenir au sein des clubs professionnels, tant auprès des joueurs professionnels que des jeunes dans les centres de formation. Nous intervenons également dans le milieu amateur afin de parler de ces sujets avec les jeunes, les éducateurs et les dirigeants.

Il s'agit notamment de briser le tabou de l'homosexualité et de l'homophobie dans le sport. Si ce dernier est facteur d'inclusion, il génère aussi de l'exclusion sociale. Lorsqu'un homosexuel annonce son homosexualité, quelle que soit la taille du club, ça entraîne forcément des problèmes, que ce soit avec les adversaires, le public ou les coéquipiers. C'est donc un sujet très compliqué.

Ça fait plusieurs années que nous sommes une association experte sur l'homophobie auprès de la FFF. La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) joue ce rôle pour tout ce qui est racisme. Nous essayons de faire des outils pédagogiques pour eux : des livrets à distribuer, des serious games, des formations pour les coachs et les éducateurs, des ateliers à distance, etc. Il s'agit de repérer l'homophobie et le harcèlement dans une équipe.

Malgré le nombre d'outils que nous pouvons leur fournir, on se rend compte qu'ils ne parviennent pas à les diffuser assez largement dans le milieu amateur. Ça signifie qu'un joueur, un coach ou un président de club au fin fond de la France sera difficilement informé de l'existence de ces outils pour essayer d'avancer sur ce sujet et d'en parler. Beaucoup d'éducateurs nous disent qu'ils ne sont pas aptes à parler d'homophobie. En sachant qu'il n'y a pas de formation pour les entraîneurs. Ça constitue un vrai problème.

Nous avons des retours sur des cas d'homophobie. Ça concerne surtout de jeunes homosexuels en difficulté et qui ne veulent pas que ça se sache. Pour autant, ils ne sont pas forcément nombreux. Ce serait un mensonge de dire que des milliers de jeunes nous contactent ou contactent les autres associations. Je précise que nous sommes en lien avec d'autres associations, qui disposent également de plates-formes. Soit les garçons et les filles arrêtent la pratique du sport, soit ils le cachent et en parleront beaucoup plus tard.

Dans un centre de formation, il se dit qu'un joueur est homosexuel car un entraîneur le sait et quelqu'un a vu des choses. Pourtant, lorsque j'ai fait un atelier avec son équipe pour évoquer la lutte contre l'homophobie, le garçon en question a tenu des propos homophobes. C'était sans doute pour lui une manière de prouver aux autres qu'il ne l'était pas.

En ce qui concerne la FFF, je pense que le départ de Noël Le Graët était sans doute la meilleure chose qui puisse se produire ; du moins, sur le sujet de la lutte contre l'homophobie et les discriminations. Il ne s'y intéressait absolument pas. Ses équipes devaient avoir de grandes difficultés à mettre en place des actions. Nous allons voir ce que le changement va apporter, même si ça me paraît un peu long. Leur plan sur la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations devrait être présenté dans quelques jours. Quoi qu'il en soit, ils auraient tout à gagner en étant plus sérieux sur le sujet.

Nous travaillons davantage avec la LFP, auprès de laquelle nous menons un grand nombre d'actions. Nous intervenons notamment au sein des centres de formation dans le cadre de l'Open football club, le Fondaction du football, qui fait l'objet de nombreuses demandes depuis plusieurs années. Les clubs professionnels savent qu'il y a en particulier beaucoup de problèmes d'homophobie et de sexisme. Il nous est même compliqué de répondre à la demande. Il y a également une demande importante au niveau des joueurs professionnels. Nous parlons avec eux de la nécessité de lutter contre l'homophobie, des enjeux et des axes d'amélioration. Il n'y a qu'en France que ça existe.

Nous formons également le top management, c'est-à-dire la direction du club. Ils comprennent eux aussi qu'il y a des choses à faire sur ce sujet complexe. Il n'y a toujours pas de coming out dans le milieu du football professionnel. Il y en a très peu dans le milieu amateur. Toujours est-il que le milieu du football professionnel essaie de comprendre et nous ouvre les portes des clubs même s'il y a un déficit d'investissement notamment en personnes ressource dans les clubs pour gérer ces problématiques. Il faut beaucoup d'actions. Il faut une exemplarité du milieu professionnel.

Vous avez mentionné tout à l'heure le documentaire que j'ai pu réaliser avec Michel Royer. Nous avons souffert pour concrétiser ce projet. Personne ne souhaitait parler. C'était très tabou. Les clubs ne nous répondaient pas. On était alors en 2017-2018. Antoine Griezmann a finalement accepté, mais compte tenu de la difficulté pour des professionnels de parler de ce sujet, il a simplement dit que l'homophobie n'était pas bien et qu'il fallait être ouvert d'esprit.

J'ai été très déçu de ma rencontre avec les joueurs de l'équipe de France à Clairefontaine avant la Coupe du monde au Qatar. C'était un projet de trois ans afin de montrer l'exemplarité des Bleus et qu'ils disent « non à l'homophobie ! » En l'occurrence, seuls trois joueurs ont accepté. Nous y sommes donc allés pour rien. Hugo Lloris a notamment tenu des propos très surprenants lors de cette interview. Il n'en est rien sorti de bon. D'ailleurs, la FFF n'a jamais diffusé ce petit clip. C'est terrible ! Le but était pourtant d'en faire un objet pédagogique et nécessaire afin d'aider les jeunes en souffrance et montrer l'exemple à ceux dont le comportement est parfois homophobe.

Il y a également un réel besoin d'apporter du soutien aux victimes. Il s'agit tout d'abord d'intervenir pour essayer de décrypter l'homophobie et repérer de potentielles victimes. Je pense qu'il faut absolument démultiplier les actions de terrain. Il faut pour cela que la FFF intervienne davantage auprès des districts, des ligues et des petits clubs amateurs. Il est nécessaire d'avoir du concret, c'est-à-dire des outils pour mieux former et en parler avec les jeunes.

À titre personnel, je pense que ça fonctionne. Depuis trois ans, nous menons une enquête pour la LFP au sein des centres de formation avec le Fondaction du football. On mesure ainsi l'acceptabilité de l'homosexualité chez des jeunes de 12 à 18 ans. On recense à peu près 1 600 participants. On se rend compte qu'il est crucial d'en parler. L'âge charnière où l'homophobie est la plus présente se situe entre 15 et 16 ans. Les jeunes de 13 à 14 ans sont beaucoup plus réceptifs. J'en déduis qu'il faut commencer très tôt, c'est-à-dire dès les centres de pré-formation ou chez les catégories U13 dans le milieu amateur. Ça a forcément un lien avec des formes de bizutage et de harcèlement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous nous préciser les termes qui posaient problème dans l'intervention d'Hugo Lloris ? Par ailleurs, bien que le football professionnel soit plus visible, le football amateur, qui compte des centaines de milliers de licenciés, a été beaucoup mentionné lors des différentes auditions. Considérez-vous qu'il y a aujourd'hui un manque d'actions préventives, au-delà de sanctions dont on n'entend pas souvent parler ? Est-ce lié à un manque de volonté de la part des dirigeants des fédérations ou des clubs ? Ou alors, s'agit-il plutôt d'une question de moyens et de dispositifs mis en place pour faire de la prévention contre le racisme, les discriminations et l'homophobie ?

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

S'agissant des sanctions, nous intervenons auprès des groupes de supporters des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Il est donc intéressant d'avoir une version un peu différente. En ce qui concerne le clip, le site Arrêt sur images a obtenu les vidéos. En fait, j'ai trouvé qu'il n'y avait aucune implication. Le plus important est de qualifier l'homophobie. Pour eux, c'est simplement frapper des gays dans la rue.

En revanche, Hugo Lloris a dit que le fait de tenir des propos homophobes n'était pas de l'homophobie. D'ailleurs, ça l'a fait rire. Ça ne le choque pas. Au contraire, ça le motive pour la confrontation. Il a tenu ces propos face caméra. Je lui ai demandé si, en tant que capitaine, il avait déjà entendu des joueurs parler de leur homosexualité. Il m'a répondu que c'était de l'ordre de l'intime et qu'on n'avait pas à le faire. Pourtant, il a déjà parlé de sa femme et de ses enfants.

On constate qu'il y a une méconnaissance totale du sujet. Ça ne les concerne pas. Ils s'en foutent ! En fait, ils étaient simplement là pour jouer au football et participer à la Coupe du monde au Qatar donc on n'en parle pas. C'était flagrant ! Il y a tout de même des joueurs qui s'investissent, mais il se peut que la FFF ou d'autres leur demande de ne pas trop s'impliquer parce qu'il se pourrait qu'ils aillent jouer demain au PSG ou dans un pays où l'homosexualité est interdite. Ils remballeraient ainsi leur morale…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qui inviterait les joueurs à ne pas trop s'investir dans la lutte contre l'homophobie ?

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Je ne saurais pas vous répondre précisément. Il pourrait s'agir de leurs avocats, de leurs agents ou de la personne de la communication qui les accompagne. En tout état de cause, la communication de la FFF n'a absolument pas fait son travail à l'occasion de ce clip. En l'occurrence, ils ont fait le minimum syndical en demandant à trois joueurs de s'exprimer. L'un d'eux a dit n'importe quoi et les deux autres ont fait les choses vite fait, bien fait. Le fait est que le clip n'a jamais été diffusé. Je pense que le service de communication a bloqué les choses. On va m'engueuler de vous le dire. J'assume mes propos parce que ce n'est pas normal. Ça signifie qu'il y a tout de même un problème.

Il y a un point important sur lequel un travail reste à faire. Dans le football professionnel ou amateur, il y a par ailleurs de plus en plus d'interprétations des religions. Aujourd'hui, je travaille avec des imams. J'ai notamment interviewé l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Il faut arrêter de se protéger derrière des religions, quelles qu'elles soient. Beaucoup de choses disent n'importe quoi. On entend dire que l'homosexualité est interdite. Le pédé il ne prend pas sa douche avec nous, il dégage. On constate qu'ils interprètent les choses à leur façon les traditions, les cultures et l'éducation. Il faut absolument mettre le doigt dessus parce que c'est un problème qui monte très rapidement. Heureusement, dans les clubs professionnels, des référents socio-éducatifs sont là pour gérer les jeunes. Ils essaient notamment de les faire grandir sur tous ces sujets de société.

En ce qui concerne la prévention, je pense effectivement qu'il y a un manque de moyens. Il y a également un manque d'unité. Nous sommes partenaires de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Nous avons des relations avec le ministère des sports, mais très peu de contact avec le ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je trouve qu'il manque une unité.

Lorsque Laura Flessel était ministre, le ministère des sports rencontrait souvent les associations pour articuler les actions et les moyens des uns et des autres. Elle m'avait notamment aidé financièrement pour réaliser un film avant de trouver un diffuseur. Il faut se réunir pour trouver des outils pédagogiques et définir des plans d'action. Or, c'est quelque chose qui manque aujourd'hui. Chacun fait ce qu'il peut de son côté et il n'y a personne au-dessus pour coordonner les plans d'actions.

Il est évident qu'il manque des moyens de prévention. Vous devriez demander à la FFF quel budget elle a consacré à la lutte contre les discriminations ces dix dernières années. Je pense que la réponse nous surprendrait. Il est donc grand temps de s'y mettre. En ce qui concerne la sanction, il faut savoir si le ministère de l'intérieur et celui de la justice font leur travail convenablement. Après, je sais bien qu'il manque des moyens et que tout est difficile. On sait tous que c'est très compliqué lorsqu'il y a des propos racistes ou homophobes dans un stade.

Les clubs professionnels font souvent un travail remarquable. Il serait intéressant que vous auditionniez les directeurs de la sécurité des stades, que je rencontre souvent. Ils font un travail énorme pour retrouver les images et identifier les auteurs de propos racistes et homophobes. Par contre, lorsqu'elles sont soumises à la préfecture ou aux services de police, les sanctions liées au racisme ou à l'homophobie restent rares.

C'est la même chose dans le milieu amateur. Il faut que les clubs sachent qu'il y a des interdictions administratives de stade. Certaines personnes se rendent dans les stades de niveau amateur pour y tenir des propos racistes et homophobes. Il existe des solutions, mais très peu de gens en sont informés. C'est donc un problème auquel il convient de remédier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous dites qu'il y avait auparavant une coordination avec les associations et une feuille de route sur le rôle de chacun dans les différents domaines. Avez-vous des relations de travail avec l'ANS et le CNOSF ? En sachant que la création de l'agence a complexifié la gouvernance du mouvement sportif. Par ailleurs, connaissez-vous la cellule Signal-Sports du ministère des sports ? Aucun de vous ne l'a mentionnée, ce qui est intéressant en soi.

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Vous avez raison. Il faut savoir que le Centre national pour le développement du sport (CNDS) nous avait soutenus dans la réalisation de ce documentaire ; et ce, sous l'impulsion de la ministre des sports. Sachez que je vais avoir mon premier rendez-vous avec l'ANS par visioconférence la semaine prochaine. Je n'avais pas de relations avec eux auparavant. Nous avons été soutenus financièrement une fois pour des kits pédagogiques, mais nos propositions ne les ont pas intéressés les deux années suivantes. Sous l'impulsion du ministère des sports, nous avons la semaine prochaine notre premier rendez-vous avec l'ANS. J'ajoute qu'il ne faut pas confondre cet organisme avec l'autre ANS, qui est l'Association nationale des supporters, avec laquelle nous travaillons.

En ce qui concerne le CNOSF, je n'ai ni partenariat ni projet avec eux. Nous nous sommes rencontrés une fois lors d'un colloque intéressant où tout le monde a parlé d'homophobie. C'était il y a un an et demi. Depuis lors, je n'ai pas vu de plans d'action ou peut-être avec d'autres associations. Étant donné que nous intervenons beaucoup auprès de la FFF et de la LFP, je suis un peu surpris que le CNOSF ne nous contacte pas. Ils ont peut-être des projets énormes avec d'autres associations. Je le regrette. Je suis un peu surpris qu'à quelques mois des Jeux olympiques, on n'ait pas un plan d'action très clair sur la lutte contre les discriminations. Le CNOSF pourrait donner une impulsion et secouer les fédérations. En sachant que c'est tout aussi complexe dans les autres sports. En ce qui concerne la cellule du ministère des sports, j'en ai entendu parler, mais je ne la connais pas. Je ne sais pas si les milieux professionnel et amateur ont cette information-là. Pour ma part, je ne peux pas parler d'une chose sans en avoir connaissance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je précise que cette cellule ne traite pas des questions de discriminations, de racisme et d'homophobie. Pensez-vous qu'un élargissement de cette cellule à ces sujets irait dans le bon sens ?

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Oui, bien évidemment. Ceci dit, au lieu de démultiplier les initiatives, il me paraît préférable de s'assurer que les informations sont correctement remontées. Autrement, on n'arrivera à rien ! Le gouvernement a effectivement un rôle à jouer pour avoir un retour sur les discriminations dans le sport. La FFF nous parle d'un observatoire du comportement. À titre personnel, je n'y crois pas trop. On nous dira qu'il y a toujours très peu d'homophobie.

L'ancien président de la FFF avait déclaré qu'il n'y avait pas de problèmes d'homophobie ni de racisme dans le football. L'actuel président a tenu des propos semblables il y a quelques mois dans Le Parisien. À un moment donné, il s'agit d'être sérieux ! Ces problèmes existent et ce, beaucoup plus qu'on ne le pense. Que ce soit l'homophobie ou le racisme, tout est dans l'intention. On a encore entendu des cris de singe dans un stade. Les supporters s'en sont pris à un joueur de couleur noire. Il n'y a donc aucun doute sur l'intention raciste.

Tandis que pour l'homophobie, il y a souvent une banalisation des injures. Certains joueurs ou supporters utilisent des termes homophobes tels que « tapette » sans en comprendre le véritable sens. Pour eux, ce n'est pas de l'homophobie puisque dans leur esprit une « tapette » est une personne peureuse et ce n'est pas destiné aux homosexuels. Il convient donc de leur expliquer que c'est de l'homophobie. C'est en cela qu'il y a une différence entre ces problèmes, même si toute forme de discrimination est grave.

Quand un arbitre met un carton rouge à un joueur pour des propos homophobes sur le terrain, la logique est de suspendre le joueur pour 11 matchs pour comportement à caractère discriminatoire. Il y a également un travail de formation et de réparation à effectuer au niveau des commissions de discipline qui jamais ne relèvent le caractère discriminatoire de ce type de propos qui sont qualifiés d'injures. Au lieu de prononcer une suspension pour plusieurs matchs, tout comme pour Kévin N'Doram, le joueur du FC Metz, on pourrait demander aux joueurs de faire une réparation afin de comprendre que leurs propos étaient homophobes. Il y a un travail intéressant à faire sur ce sujet avec les commissions de discipline. Il ne faut pas oublier qu'un juge pourrait considérer que ce n'est pas de l'homophobie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelles sont vos relations avec le ministère des sports ? Votre association Foot Ensemble est-elle subventionnée ?

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Oui, nous percevons des subventions de la part du ministère des sports depuis plusieurs années et de la Dilcrah. On verra ce qu'il en est de l'ANS la semaine prochaine. Je précise qu'il n'y a pas de salariés au sein de notre association. C'est simplement pour la création d'outils pédagogiques et les déplacements afin de se rendre dans une multitude de clubs sportifs.

Nous intervenons également dans les collèges et les lycées. Il s'agit de sensibiliser les jeunes par le biais du football, grâce à des vidéos d'Antoine Griezmann, etc. Même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec certaines de leurs propositions, les relations que nous entretenons avec le ministère des sports sont cordiales. À la suite des polémiques, le cabinet nous a répondu et la ministre nous a reçus.

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Je fais référence aux chants homophobes entendus lors du match PSG-OM. Ça a été médiatisé et nous sommes intervenus auprès des supporters. Nous avons rencontré les supporters du Stade de Reims la semaine dernière. C'est un sujet qui est compliqué en ce moment.

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Ce n'est pas une critique. Je pense que la ministre est dans son rôle en dénonçant l'homophobie et le racisme. Il faut effectivement agir. À titre personnel, je suis défavorable aux arrêts de matchs et autres sanctions collectives. Il faudrait plutôt individualiser les sanctions. Un travail doit être effectué pour responsabiliser les groupes de supporters. Il vaut mieux identifier les supporters qui posent problème plutôt que de fermer toute une tribune, voire tout un stade.

Quant à l'interruption des matchs, j'y étais vraiment favorable lorsque la LFP y a eu recours en 2019. Le problème, c'est qu'il y a eu une escalade avec une série de matchs interrompus en raison des provocations des supporters. C'était finalement devenu contre-productif. Pour ma part, je préfère la pédagogie et les interventions auprès des acteurs du terrain. J'ajoute que j'ai trouvé la prise de position de la ministre au Qatar à la fois intéressante et courageuse.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'adresse maintenant aux autres intervenants. Connaissez-vous la cellule Signal-Sports ?

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Pour ma part, j'en ai eu connaissance lors de la préparation de cette audition. En revanche, ce n'était pas le cas auparavant. À mon sens, il serait pertinent de mener des réflexions au-delà du sport. Il pourrait par exemple y avoir des observatoires régionaux pour toutes les institutions, pas seulement dans le sport. Ça permettrait de répertorier tous les établissements qui ont été confrontés à ce type de problématiques, y compris les structures sportives et les autres établissements et structures accueillant des mineurs. C'est en tout cas un point qui me semble important pour la protection de l'enfance.

Permalien
Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

En ce qui me concerne, j'ai également appris l'existence de cette cellule Signal-Sports lors de la préparation de cette audition.

Permalien
Boris Sanson, membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Je ne la connaissais pas non plus. Nous avons des circuits courts de prise en charge. On oriente vite vers les thérapeutes qui entrent rapidement en contact avec les associations etc.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous pour ce qui vous concerne des liens de travail avec l'ANS et le CNOSF ?

Permalien
Boris Sanson, membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Nous allons justement essayer de mener un travail de confiance avec eux. Nous essayons de redynamiser l'association en repartant sur des bases où on recrée du lien avec toutes les structures. Nous verrons alors comment les choses évoluent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il serait intéressant que vous puissiez nous envoyer des propositions à mettre en œuvre afin d'améliorer le volet préventif et celui des sanctions. Et ce, qu'il s'agisse du sujet des VSS ou du racisme, des discriminations ou de l'homophobie. Nous commençons à percevoir l'étendue des failles et des dysfonctionnements. Nous souhaitons y remédier en apportant des solutions très précises afin que ça ne se reproduise plus ou en tout cas le moins possible. Il s'agit d'y travailler sur le court terme, le moyen terme et le long terme. Au-delà de la justice, il y a les fédérations, les clubs amateurs et professionnels ainsi que les associations.

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Nous allons vous remettre un document sur les mesures pour agir efficacement dans le secteur du sport. Il date de 2020, mais il reste bien évidemment d'actualité. Nous y avons travaillé au sein de SVS. Nous vous remettons également un document chiffré sur les violences sexuelles en France. Il a été conçu et réalisé par Muguette Dini, ancienne sénatrice et actuelle présidente de SVS Rhône.

Permalien
Boris Sanson, membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Au terme des échanges, j'ai l'impression que beaucoup de choses existent, mais sans être connues. Ça part un peu dans tous les sens. Il serait intéressant de recentraliser tout ce qui existe pour agir. Il serait plus simple de porter un projet avec une véritable colonne vertébrale. J'ai pu constater que certaines associations n'avaient pas les mêmes approches et défendaient leur pré carré alors qu'il s'agit de problématiques globales. Le rôle de l'État serait donc peut-être de mettre en place une charte de bienséance et de bien-pensance afin que toutes les associations puissent s'exprimer dans un cadre sain. Or, ce n'est pas le cas actuellement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'un d'entre vous souhaite-t-il ajouter autre chose ?

Permalien
Yoann Lemaire, président de l'association Foot Ensemble

Monsieur Sanson a tout à fait raison. Il faut centraliser les actions. Il y a effectivement quelque chose à faire du côté des associations, qui sont nombreuses et dont certaines souhaitent garder une forme de monopole, qui veulent faire des médias, voir des ministres. Leur action sur le terrain s'en trouve moins pertinente. Je souhaite vraiment que la Fédération française de football se mette sérieusement au travail sur ce sujet. Pour cela, il faut des moyens et de l'humain.

Même si je ne suis pas spécialiste de la question des violences sexuelles, il me paraît évident que les agresseurs vont plus facilement vers le sport pour être auprès de jeunes. Il y a donc une grande vigilance à avoir en la matière. Même si on y trouve des gens formidables, le sport est tout de même un milieu très compliqué, qui peut être un facteur d'exclusion et de violences physiques, sexuelles et mentales.

Permalien
Marielle Vicet, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS)

Sur le plan du droit, il y a effectivement un énorme travail à faire au vu du nombre d'absences de suites données à des signalements. Je pense qu'il y a sans doute un sujet de formation et d'information au niveau des parquetiers et des magistrats. Seul 1 % des signalements aboutissent à une condamnation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

N'hésitez pas à revenir vers cette commission d'enquête si vous souhaitez ajouter des informations qui nous concernent. Merci à vous quatre.

La séance s'achève à douze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, Mme Sabrina Sebaihi