Intervention de Laurent Grandin

Réunion du mardi 24 octobre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Laurent Grandin, président d'Interfel :

En introduction, je voudrais rappeler que la filière fruits et légumes frais est engagée de longue date dans la transition écologique, qu'il s'agisse de démarches de productions fruitières ou légumières intégrées, du label Haute Valeur environnementale (HVE), de l'agriculture biologique et des nombreuses initiatives privées inspirées de ces concepts. À ce sujet, certains acteurs de la filière ont même instauré des dispositifs d'autocontrôle, avec le concours de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Les normes CE concernant les seuils de résidus de pesticides sont parmi les plus exigeantes au monde. Il suffit de les comparer au Codex Alimentarius pour vérifier ce point. Pour rappel, les normes CE sont respectées par notre filière à hauteur de 98 %, et 50 % des produits sont sans résidus décelés. Des progrès considérables ont donc été accomplis depuis une dizaine d'années. Les alternatives déployées sur le terrain produisent des résultats très concrets et mesurables.

Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, nous a appelés à coconstruire avec ses services un plan de souveraineté. Annoncé lors du Salon de l'agriculture, ce travail a réuni les équipes du ministère et les équipes de l'ensemble de la filière présentes au sein d'Interfel. Je rappelle que cette structure regroupe quinze familles, représentant entre 80 et 90 % de la production de fruits et légumes en France.

Les professionnels ont considéré que la protection des cultures constituait le premier levier pour réduire les produits phytosanitaires, mais aussi les risques en général dans l'agriculture. Les 100 millions d'euros qui devraient être consacrés chaque année aux agroéquipements, cofinancés par le secteur public et les professionnels, doivent permettre de protéger les filières, les vergers, et d'invertir, notamment dans les serres fermées décarbonées. Le fait est que ces serres permettent de lutter beaucoup plus facilement contre les prédateurs. La filière doit s'adapter en permanence à l'arrivée de nouveaux prédateurs. Les serres contribuent aussi à réduire les impacts des aléas climatiques tels que la grêle et le gel. Le plan inclut également le développement de la robotisation, pour remédier au manque de main-d'œuvre et réduire le recours aux herbicides.

Par ailleurs, des discussions sont en cours au niveau européen sur l'amélioration du matériel végétal. En tout état de cause, nous pensons que la réduction des produits phytosanitaires requiert plusieurs actions combinées. Dans cette perspective, la sélection de plantes présentant une meilleure résistance ou tolérance aux maladies, aux prédateurs et aux évolutions climatiques constitue une piste très prometteuse.

J'insiste sur l'intérêt des serres. Il faut savoir que les serristes les plus avancés ont quasiment supprimé les produits phytosanitaires de leurs cultures. L'attention se porte souvent sur la décarbonation de la production agricole, et c'est tout à fait légitime. Cependant, on oublie souvent de mettre en avant les aspects vertueux de ce modèle. Je rappelle que 90 % des tomates françaises sont produites dans des serres chauffées.

Dans le cas du plan de souveraineté, qui a été élargi à la question des produits phytosanitaires, nous avons validé la proposition gouvernementale identifiant 75 molécules susceptibles de disparaître. Cela faisait dix ans que nous réclamions ce travail. Il va de soi que les financements et la méthodologie seront des éléments déterminants. Un arbre de décision a été élaboré afin d'évaluer notre situation par rapport aux 75 molécules en question. Nous demandons toutefois de prévoir un pas de temps suffisant, d'être attentif aux surtranspositions et aux décisions unilatérales qui impactent durement nos filières. Nous demandons aussi de ne pas supprimer des molécules sans disposer de solution alternative. Ainsi, cette année, nous nous sommes trouvés démunis face à la drosophila suzukii : la Fédération nationale de la pêche en France a annoncé avoir perdu 50 % de sa récolte en 2023.

Je voudrais aussi rappeler qu'au niveau européen, l'utilisation des produits phytosanitaires classés cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) de niveau 1 est passée de 1 000 à 50 tonnes en cinq ans. Sur la même période, l'utilisation de CMR 2 est passée de 15 000 à 8 000 tonnes. Ces chiffres émanent du ministère de l'agriculture et de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire, l'Efsa. Nous ne prétendons pas que tout est parfait et nous sommes résolument engagés à poursuivre nos efforts, mais le fait est que des améliorations très significatives ont été accomplies.

Nous devons donc privilégier des solutions combinatoires. Nos instituts de recherche travaillent ainsi sur des insectes stériles, qui permettraient de réduire la pression sur les cultures, de mieux la réguler. Il faut également financer la recherche appliquée et veiller au transfert. Aujourd'hui, la recherche fondamentale est plutôt bien dotée en France. La recherche appliquée semble emprunter la même voie, sous réserve que les appels à projets soient publiés dans les délais prévus. En revanche, la problématique du transfert perdure ; il convient de déployer les moyens nécessaires.

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