Intervention de Sandrine Rocard

Réunion du jeudi 21 septembre 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Sandrine Rocard, directrice générale de l'Agence de l'eau Seine-Normandie :

Le bassin Seine-Normandie est le bassin de la Seine, de ses affluents et des fleuves côtiers normands. C'est un bassin fortement urbanisé, qui rassemble 30 % de la population française, dont une large partie est concentrée sur l'agglomération parisienne. Le territoire est fortement industrialisé mais c'est aussi – on le sait un peu moins – un bassin très agricole : 60 % de sa surface est agricole. L'agriculture est ainsi la première activité en termes d'occupation des sols ; nous y trouvons majoritairement de grandes cultures, en particulier de céréales. Il existe aussi une activité d'élevage dans les têtes de bassin à l'amont et en Normandie, mais cette activité est plutôt en perte de vitesse, la surface en herbe du bassin étant en recul. Tout cela génère évidemment différents types de pression sur la ressource en eau et sur nos milieux aquatiques, pression à la fois quantitative et qualitative.

Je reviens peut-être sur les grandes missions des agences, puisque mes collègues n'en ont pas forcément parlé de façon exhaustive. Nous exerçons un certain nombre de grandes missions en lien avec les comités de bassin, à commencer par la surveillance et la connaissance des milieux aquatiques. C'est un élément important pour étayer nos politiques publiques. Je cite également la planification – avec l'élaboration des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux pour nos bassins –, la gestion des redevances, qui sont nos recettes essentielles, et la mise en œuvre de dispositifs d'intervention financière et d'accompagnement technique et financier des maîtres d'ouvrage du bassin, en particulier des collectivités, mais pas seulement. Tous ces champs d'activité de l'agence de l'eau sont mobilisés dans le cadre de la lutte contre la pollution des eaux, qui est l'une de nos priorités historiques, parmi d'autres aujourd'hui.

Nous avons accompli des progrès très importants dans l'amélioration de la qualité des eaux par le passé, surtout grâce à la forte diminution des pollutions ponctuelles qui proviennent des industries, des stations d'épuration et du secteur domestique. Il est beaucoup plus difficile de réduire de la même façon les pollutions diffuses qui sont essentiellement d'origine agricole. C'est pour nous, comme pour les bassins Adour-Garonne et Loire-Bretagne, une problématique majeure.

Pour vous donner quelques chiffres concernant la situation du bassin au regard des problématiques qui nous intéressent aujourd'hui, le résultat de la surveillance que l'on effectue sur nos cours d'eau et nos nappes souterraines montre que 26 % de nos cours d'eau sont déclassés, c'est-à-dire considérés comme en mauvais état au sens de la réglementation européenne, du fait de la présence de pesticides. C'est également le cas pour 61 % de nos nappes souterraines, sachant que la moitié de l'eau potable sur le bassin provient de ces nappes. Un enjeu particulier se dessine ainsi au sujet des nappes souterraines. Ces résultats n'ont pas beaucoup évolué. Depuis 2019, il n'y a pas eu de progrès mesurable, pas d'aggravation non plus.

Ce n'est pas neutre parce que si nous ne faisons rien collectivement, la situation pourrait se dégrader davantage. À l'évidence, un problème persistant de qualité de l'eau de nos cours d'eau et de nos nappes se pose, en raison de ces pollutions diffuses. Les principaux polluants détectés sont des pesticides – les herbicides en particulier – et des nitrates. Cela soulève de nombreux enjeux que vous connaissez : enjeux sanitaires pour les utilisateurs agricoles et la population ; enjeux environnementaux au regard de l'impact sur la biodiversité ; et enjeux économiques. Pour ne citer que le secteur de l'alimentation en eau potable, il y a un enjeu fort autour des mesures curatives qui doivent être prises par les collectivités afin d'assurer l'alimentation en eau potable. Cela suppose des traitements poussés et l'ouverture de nouveaux captages, de nombreux captages devant être abandonnés en raison d'un niveau de pollution trop élevé.

Face à cette situation, les agences de l'eau utilisent tous les leviers dont elles disposent afin de protéger la ressource en eau en amont. Je pourrai, au cours de l'audition, faire un bilan plus précis, à la fois quantitatif et qualitatif, des outils déployés par l'agence. Pour vous en faire un petit résumé, on a beaucoup d'aides en direction du secteur agricole et des collectivités pour essayer d'améliorer la qualité de l'eau et de réduire la pression en produits phytosanitaires.

Vous évoquiez le programme Écophyto. La majeure partie de nos aides se fait en dehors de ce programme. Sur le bassin Seine-Normandie, nous consacrons environ 70 millions d'euros par an dans le cadre de notre onzième programme d'intervention (2019-2024) au secteur agricole, à des mesures qui contribuent à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. C'est l'ordre de grandeur que l'on peut retenir. Il s'agit pour nous d'une forte montée en puissance, puisque nous étions plutôt aux environs de 30 millions par an lors de notre programme précédent. Nous avons poussé certaines mesures, comme le soutien à l'agriculture biologique, car on sait que les résultats sont là, en termes d'efficacité environnementale. C'est aussi le développement aval des filières à bas niveau d'intrants pour s'assurer que les cultures puissent trouver des débouchés par la suite. Nous utilisons un nouvel outil, celui du paiement pour service environnemental, qui s'est fortement développé, y compris sur ces problématiques de réduction d'utilisation des produits phytosanitaires.

En termes de perspectives, je pense qu'on a des marges d'amélioration de nos dispositifs d'intervention. Il nous faut être capables de dégager des priorités de financement puisque notre capacité financière n'est pas infinie. La priorité s'entend dans les deux sens. Il s'agit d'abord de bien se concentrer sur les territoires qui présentent des enjeux particuliers. Parmi ces territoires, nous trouvons les aires d'alimentation de captages. C'est aussi une priorité en termes d'ambition des mesures que l'on finance pour obtenir un résultat environnemental avéré. Enfin, nous devons mieux articuler collectivement les différents outils dont nous disposons. C'est une combinaison d'outils qui permettra de venir à bout de ce problème. L'outil d'intervention financière des agences doit être complémentaire des outils réglementaires ou fiscaux, par exemple. Tout cela doit se faire dans le cadre d'une gouvernance adaptée, avec la nécessité de bien partager les enjeux au niveau territorial sur ces problématiques.

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