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Katiana Levavasseur
Question N° 7612 au Ministère de la justice


Question soumise le 25 avril 2023

Mme Katiana Levavasseur appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur le fléau de la conduite sous emprise de stupéfiant et sur le manque de sévérité de la justice envers les conducteurs sous l'influence de ces produits illicites. Selon les données du ministère, ce sont environ 600 personnes qui décèdent chaque année en France dans des accidents liés à la consommation de drogue. À noter que ce chiffre, déjà tragique, ne prend pas en compte l'outre-mer mais concerne seulement la métropole. La Sécurité routière rappelle ainsi que la conduite sous l'emprise du cannabis multiplie par deux le risque d'être responsable d'un accident mortel et qu'un accident mortel sur cinq implique un conducteur positif aux stupéfiants. Si, dernièrement, plusieurs accidents ont remis sous le feu des projecteurs ce sujet difficile et les lourdes conséquences qu'entraînent ces conduites inconscientes, il ne faut pas attendre que ces drames soient médiatisés pour rappeler la dangerosité de cette pratique, son immoralité et son illégalité. Ce sont des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants qui perdent la vie et des familles entières qui doivent porter le deuil de leurs proches. Et ces drames se poursuivront encore dans les mois et années à venir si aucune mesure, forte et concrète, n'est mise en oeuvre pour lutter contre ce fléau. Dans cette optique, il serait opportun de commencer par appliquer les peines infligées aux auteurs d'accidents de la route sous l'emprise de drogue à leur juste niveau. De fait, selon les statistiques de 2021, 70% des peines prononcées pour blessures involontaires par conducteur sous l'emprise de stupéfiants concernent de la prison avec sursis, 10 % des auteurs impliqués dans des accidents sous l'emprise de drogue ou d'alcool, avec blessures, sont condamnés à une peine de prison ferme et seulement 60% des auteurs impliqués dans des accidents mortels sont condamnés à une peine de prison ferme. Et même dans ce dernier cas, le nombre d'années de prison ferme à effectuer reste dérisoire. C'est ainsi qu'en début d'année, une jeune femme âgée a été condamnée à 7 ans de prison par le tribunal correctionnel de Draguignan pour avoir fauché une famille qui était en vacances dans le Var, tuant un enfant de 7 ans et mutilant son grand frère de 9 ans, qui a dû subir une amputation. Les investigations avaient démontré que la conductrice avait plus de 2 grammes d'alcool dans le sang et conduisait sous l'emprise du cannabis. Il faut également mentionner que de nombreuses peines restent aménageables et que les peines prononcées ne sont pas toujours appliquées dans leur entièreté. La lutte contre les stupéfiants doit être une priorité du ministre de la justice. Interpellée par de nombreux citoyens de sa circonscription mais également de toute la France, elle souhaiterait connaître les intentions, ainsi que les mesures, qu'il entend entreprendre pour lutter, plus efficacement, contre le fléau de la conduite sous emprise de stupéfiant.

Réponse émise le 19 septembre 2023

Le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre la délinquance routière. La lutte contre la conduite après usage de stupéfiants, incriminée par les dispositions de l' article L.235-1 du code de la route, est une priorité de politique pénale. Toute personne reconnue coupable de ce délit encourt deux ans d'emprisonnement et 4 500 euros d'amende, mais également huit peines complémentaires, dont la suspension pour une durée de trois ans au plus ou l'annulation du permis de conduire. En 2022, le délit de conduite après usage de stupéfiant faisait l'objet de 79 651 affaires poursuivables et d'un taux de réponse pénale de 98,9%. 10 125 procédures étaient diligentées sous la forme d'alternatives aux poursuites, soit un taux de 12,8%. Ce délit entrainait le prononcé de 58 818 condamnations, dont 20,6% d'entre elles amenaient au prononcé d'une peine d'emprisonnement. Cette mobilisation est encore plus forte lorsque ces infractions sont liées à une consommation d'alcool ou de produits stupéfiants, laquelle met gravement en danger nos concitoyens lorsqu'elle occasionne des accidents dont les conséquences peuvent s'avérer dramatiques. Selon le bilan définitif de l'observatoire national interministériel de la sécurité routière publié le 31 mai 2023, 3 550 personnes sont décédées en 2022 sur les routes de France métropolitaine ou d'outre-mer, contre 3 219 personnes en 2021. Selon ce même bilan, l'alcool et les stupéfiants figurent, aux côtés de la vitesse, parmi les trois principaux facteurs comportementaux enregistrés par les forces de sécurité intérieure s'agissant des personnes présumées responsables d'un accident mortel. Les drames subis sur nos routes, renforcés par de tels comportements, imposent une mobilisation de chaque instant et des réponses pénales fermes et dissuasives. Les peines aujourd'hui encourues par un conducteur de véhicule terrestre à moteur tiennent d'ores et déjà compte de la dangerosité induite par une consommation d'alcool ou de stupéfiants en cas d'accident. Ces dernières vont jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour des blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois commises par un conducteur se trouvant sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants (article 222-19-1 du code pénal), et jusqu'à dix ans d'emprisonnement (peine maximale pour une infraction de nature délictuelle) et 150 000 euros d'amende s'agissant d'un homicide involontaire commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur en présence d'au moins deux circonstances aggravantes (article 221-6-1 du code pénal). Dix peines complémentaires sont également prévues par les dispositions de l'article 221-8 du code pénal, la peine complémentaire d'annulation du permis de conduire étant obligatoire dès la présence d'une seule circonstance aggravante. Les juridictions disposent ainsi d'un arsenal législatif renforcé pour sanctionner les auteurs de ces infractions. Dans les limites fixées par la loi, les juridictions déterminent alors la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur, et de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 du code pénal (article 132-1 alinéa 3 du code pénal). Le prononcé d'une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut intervenir « qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » (article 132-19 alinéa 2 du code pénal). Au regard de la particulière gravité des infractions commises par conducteurs de véhicule terrestre à moteur, plus de huit personnes sur 10 étaient malgré tout condamnées en 2021 à une peine principale d'emprisonnement en répression de blessures involontaires par conducteur sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants. Le taux de poursuite des délits simples et aggravés d'homicide involontaire par conducteur s'élevait quant à lui à 92,5 %. En cas de condamnation, le taux de peine d'emprisonnement prononcé était de 97 % pour un quantum moyen d'emprisonnement ferme de 22 mois. En cas d'homicide involontaire par conducteur d'un véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants, l'intégralité des personnes reconnues coupables de ces faits était condamnée à une peine d'emprisonnement en 2021. Au cours de l'année 2022, 64 % des peines prononcées à l'encontre de ces auteurs étaient en outre des peines d'emprisonnement ferme, contre 53 % en 2015. Le nombre de peines de substitution prononcées, telles qu'énumérées aux articles 131-5 et suivants du code pénal, en tant que peine principale était quasi-nul (1 par année). Les juridictions judiciaires, dans les décisions ainsi rendues au cours des années passées, démontrent une conscience réelle de la gravité des drames subis sur les routes. En outre, depuis la loi dite « Perben 2 » du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui a notamment inscrit comme principe directeur de la politique pénale en matière d'exécution des peines, à l'article 707 du code de procédure pénale, la nécessité d'assurer la mise à exécution des peines de manière effective et dans les meilleurs délais, plusieurs réformes ont modifié le droit des peines et les procédures d'exécution pour répondre à cet objectif. Ainsi, la loi n° 2019-2022 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 assure l'effectivité des peines d'emprisonnement ferme lorsqu'elles sont prononcées, en prévoyant que toutes les peines d'emprisonnement de plus d'un an sont systématiquement exécutées en détention. Par ailleurs, les peines d'emprisonnement comprises entre 6 mois et 1 an ne sont pas automatiquement examinées par le juge de l'application des peines, dans la mesure où elles peuvent faire l'objet d'un mandat de dépôt immédiat ou différé. Enfin, il y a lieu de rappeler que les aménagements de peine, lorsqu'ils sont prononcés, tels que la détention à domicile sous surveillance électronique, sont des modalités d'exécution des peines d'emprisonnement qui tendent à la réinsertion des personnes condamnées et à la prévention de la récidive, conformément aux principes généraux posés par l'article 707 du code de procédure pénale. Ces aménagements de peines garantissent également la protection des droits de la victime et de la partie civile : l'inexécution des obligations et interdictions auxquelles la personne condamnée est soumise durant le temps de l'aménagement de sa peine peut être sanctionnée par l'incarcération de l'intéressé (articles 707, 712-16-1 et D.49-64 du CPP). En 2022, 192 auteurs condamnés à une peine d'emprisonnement aménageable pour une infraction principale d'homicide involontaire par conducteur de véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants ou de blessures involontaires par conducteur de véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants ont vu leur peine mise à exécution. 7 d'entre eux ont été maintenus en détention ou placés en détention à l'audience (tableau ci-dessous). Au 1er janvier 2023, on comptait 100 personnes condamnées et détenues pour une infraction d'homicide involontaire ou de blessures involontaires commis par conducteur sous l'empire d'un état alcoolique ou après usage de stupéfiants. On en dénombrait 115 au 1er janvier 2022 et 101 au 1er janvier 2021 (source : infocentre pénitentiaire). Mode de mise à exécution des peines aménageables pour les blessures et homicides involontaires par conducteur en état d'ivresse ou après usage de stupéfiants.


 

2020-2022

2020

2021

2022

Peines de 6 mois et moins

Peines de plus de 6 mois

Total

309

225

150

192

192

Maintien en détention

10

8

7

15

7

Placement en détention à l'audience

8

9

6

Incarcération après jugement

44

20

24

31

9

Aménagement ab initio

93

79

32

55

85

Aménagement "723-15"

154

109

81

91

91

Reliquat négatif

0

5

5

0

0

Champ : France

Source : Ministère de la justice/SG/SEM/SDSE, fichier statistique Cassiopée
L'arsenal législatif permet ainsi de concilier les impératifs de réinsertion nécessaire des personnes condamnées et de protection des intérêts de la société par une appréciation concrète des situations par les juridictions de jugement, amenées à prononcer des aménagements de peine ab initio, et par les juridictions de l'application des peines. Pour garantir la pleine effectivité de ces dispositions, une circulaire de politique pénale en matière routière a été diffusée le 20 juillet 2023 aux procureurs généraux et procureurs de la République, afin de rappeler la nécessité d'apporter des réponses pénales fermes en cas d'infractions révélant ce type de comportements graves et dangereux pour nos concitoyens, mais également d'accompagner dans la durée les victimes et leurs proches ayant eu à subir de tels drames. La circulaire diffusée par le ministre de la justice préconise le renforcement de la coordination entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative et appelle à des réponses pénales systématiques, rapides et dissuasives en cas d'atteintes portées aux forces de l'ordre ou lorsque les faits s'inscrivent dans un parcours de délinquance notoire. Le garde des Sceaux encourage en outre le prononcé de la peine complémentaire de confiscation du véhicule afin de lutter contre la récidive. Une série de mesures a enfin été annoncée par la Première ministre à l'issue du Comité interministériel de sécurité routière qui s'est tenu le 17 juillet 2023. A travers les 38 mesures présentées, le gouvernement vise à améliorer l'éducation routière des plus jeunes, renforcer les contrôles d'aptitude à la conduite et sanctionner plus sévèrement les conduites addictives. Outre la systématisation de la suspension du permis de conduire, le durcissement du retrait de points en cas de conduite sous l'emprise de stupéfiants, la délictualisation du grand excès de vitesse, la création d'un délit de désignation frauduleuse du conducteur du véhicule, le gouvernement a annoncé la consécration d'un délit d'homicide routier, réclamé de longue date par les associations de victimes de la route afin de remplacer le délit d'homicide involontaire par conducteur d'un véhicule. Des actions sont en cours afin de mettre en œuvre ces mesures et de faire évoluer rapidement le droit pénal routier.

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