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Antoine Léaument
Question N° 4950 au Ministère de l’intérieur


Question soumise le 24 janvier 2023

M. Antoine Léaument alerte M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur l'interpellation de Samuel Legris, doctorant en sociologie, alors qu'il collectait des données pour ses recherches. Cette interpellation porte atteinte à la liberté de la recherche, à la confidentialité des données mais aussi au droit fondamental de manifester. Le 10 décembre 2022, Samuel Legris - doctorant en sociologie de l'université de Pau et des Pays de l'Adour (UPPA) - a été interpellé de manière « préventive » alors qu'il se rendait à une manifestation « contre la vie chère » à Montpellier. Ce déplacement était réalisé dans le cadre de sa thèse intitulée « Une sociologie des mouvements populaires contemporains : les mobilisations anti-pass en France ». L'université lui avait accordé un ordre de mission pour réaliser sa collecte de données. Il a finalement été interpellé alors qu'il faisait du co-voiturage, avec les trois participants à son terrain d'enquête, qui étaient des « Gilets jaunes ». Tous les quatre ont été placés en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures. Samuel Legris est convoqué pour une composition pénale ce 19 janvier 2023, pour les faits suivants : « avoir à Montpellier (Hérault), le 10/12/2022, en tout cas sur le territoire national et depuis un temps n'emportant pas prescription, participé sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destruction ou de dégradation de biens, avec cette circonstance que les faits ont été commis lors d'un déroulement de manifestation sur la voie publique ». Cette situation interroge M. le député sur trois points. Le premier, sur l'atteinte à la réalisation de collecte de données dans un exercice universitaire et ainsi, professionnel. Le Gouvernement a-t-il si peu de respect pour la recherche du pays qu'il se permet de mettre en garde à vue, puis de convoquer un doctorant ayant un ordre de mission ? Comme la liberté de la presse, il s'agirait d'entamer la réflexion sur une garantie juridique de la liberté de recherche. Le deuxième est l'accès des services de police à des données confidentielles sur les enquêtés. En effet, Samuel Legris indique que la police lui a pris son carnet de notes durant la garde à vue. Or celui-ci contient des informations confidentielles concernant les personnes sur lesquelles porte son enquête sociologique ; il s'agit d'informations que les enquêtés n'auraient sans doute pas données s'il s'était agi de les présenter à la police. Aussi, de la même manière que la question de la liberté de recherche est posée, celle de la protection des sources l'est aussi par cet évènement. Le troisième, enfin, sur la répression policière qui agit en amont de tout acte répréhensible pénalement. La France insoumise s'est toujours opposée à ces interpellations « préventives » réalisées notamment depuis la naissance du mouvement des « Gilets jaunes ». M.le ministre de l'intérieur persiste pourtant à porter atteinte au droit de s'exprimer, de militer, de s'opposer. M. le ministre, comme trop souvent, est en opposition avec la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. En effet, l'article 11 de cette Déclaration dit que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Par sa décision n° 2019-780 DC du 4 avril 2019, le Conseil constitutionnel considère que le droit d'expression collective des idées et des opinions découle de cet article. Le droit de manifester est donc bien un droit fondamental, que M. le ministre semble, dans la situation présentée ici, bafouer largement. La situation vaut bien sûr pour les trois « Gilets jaunes » concernés, mais aussi pour Samuel Legris dont le seul tort aura été d'avoir voulu faire son travail de chercheur dignement.

Réponse émise le 22 août 2023

L'infraction prévue et réprimée par l'article 222-14-2 du Code pénal tend à sanctionner le regroupement de plusieurs personnes, en vue de la préparation d'actes visant à la commission de certaines infractions, à savoir les violences aux personnes, destructions et dégradations. Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de ce délit (DC, 25 février 2010, n° 2010-604). Il a notamment jugé que « ses éléments constitutifs, formulés en des termes qui ne sont ni obscurs ni ambigus, ne sont pas, en eux-mêmes, de nature à mettre en cause le droit d'expression collective des idées et des opinions », et que les peines prévues étaient proportionnées. S'agissant des poursuites engagées, en application de l'article 40-1 du Code de procédure pénale, il appartient au procureur de la République d'engager les poursuites, lorsqu'il estime que les faits portés à sa connaissance constituent une infraction. La décision d'orientation pénale prise dans le cadre de cette affaire relevait donc de l'autorité judiciaire, sur laquelle le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer n'a aucune autorité. Par ailleurs, Monsieur Samuel LEGRIS a été convoqué par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une composition pénale. Le ministère de l'Intérieur et des Outre mer ne saurait commenter une telle décision. Concernant le carnet de notes de Monsieur Samuel LEGRIS, appréhendé par les policiers au cours de sa garde à vue, les données contenues dans celui-ci sont protégées par le secret de l'enquête, prévu par l'article 11 du Code de procédure pénale ; elles ne pourront pas être utilisées dans un autre cadre que l'enquête précitée, sous peine de sanctions pénales. Enfin, les officiers de police judiciaire agissent, dans le cadre des enquêtes pénales, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.

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