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Arnaud Le Gall
Question N° 1863 au Ministère de l’europe


Question soumise le 4 octobre 2022

M. Arnaud Le Gall interroge Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le projet d'euro digital et la souveraineté européenne. En juillet 2021, la phase d'étude du projet d'euro numérique a été lancée par la Banque centrale européenne. Cette phase préliminaire avait notamment pour objectif de déterminer une stratégie de création et d'implémentation de l'e-€. Un pan entier de ce premier volet était consacré à la détermination des partenaires financiers et différentes offres de services. Le 16 septembre 2022, la BCE a communiqué sa feuille de route concernant la phase de tests de l'euro numérique. Cinq partenaires ont été désignés pour tester l'intégration de la technologie de l'e-€ au sein de prototypes développés par des entreprises. La Caixa Bank (Espagne), Worldline, spécialiste française du paiement, l'italienne Nexi et le consortium bancaire public EPI ont été annoncés comme parties prenantes de cette phase test. Finalement, l'entreprise américaine Amazon a été chargée par la BCE des paiements de commerce électronique dans le cadre de la fourniture de services frontaux. Cette phase, telle qu'annoncée par la BCE, pourrait prendre jusqu'à trois ans. Cette décision semble difficile à comprendre alors que l'Union européenne a annoncé depuis plusieurs années sa volonté de s'impliquer dans la régulation des géants du numérique non européens, avec pour objectif d'aboutir à une souveraineté numérique européenne. La France, sous le premier quinquennat Macron, s'était d'ailleurs saisie de la question en proposant Thierry Breton au poste de commissaire au marché intérieur en charge notamment de la mise en place d'un marché numérique et technologique « uni et souverain ». Plus récemment, durant la présidence française de l'Union européenne, une conférence nommée « Construire la souveraineté numérique de l'Europe » était organisée, dont le premier pilier reposait sur une Union européenne « puissance protectrice », au service de la sécurité de ses citoyens et dont la stratégie industrielle de données serait conçue pour résister à l'implantation d'acteurs extraterritoriaux monopolistiques. C'est donc un double-discours qui semble s'installer sur l'idée d'une souveraineté numérique européenne. D'un côté, on explique se saisir de la question des GAFAM et vouloir affirmer l'UE comme une puissance numérique forte et souveraine. De l'autre côté, on inclut Amazon, acteur privé, de nature commerciale et étasunien dans le cadre d'une phase test concernant l'opérationnalisation d'une monnaie numérique européenne. À terme, ce pourrait être les données bancaires de millions de consommateurs qui seraient gérées directement par une multinationale pouvant à tout moment jouer le rôle de bras armé des États-Unis d'Amérique. Occulter les risques soulevés par ce choix relève d'un mélange de naïveté et de complicité avec des intérêts incompatibles avec l'ambition affichée d'une « autonomie stratégique européenne ». L'émergence d'acteurs monétaires numériques étatiques est un enjeu géopolitique dépassant les seuls enjeux financiers et commerciaux. Comment justifier, dès lors, la volonté européenne de confier un pan essentiel du projet de monnaie numérique à une multinationale étasunienne ? Quelle est la position de la France sur ce projet ? Entend-elle contribuer à rompre avec une conception strictement monétaire de la monnaie, à l'heure où les grandes puissances l'utilisent aussi comme une arme géopolitique ? Enfin, il lui demande si elle compte, le cas échéant, utiliser les leviers à sa disposition pour empêcher un tel déni de souveraineté.

Réponse émise le 3 janvier 2023

Le renforcement de la souveraineté numérique européenne constitue le fil directeur de notre action depuis la publication de la stratégie numérique de février 2020. À ce titre, les premiers résultats législatifs européens démontrent notre volonté d'un rééquilibrage des rapports de force dans le domaine du numérique. Avec la loi sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) pour l'adoption desquelles la France a été motrice, la France a affiché son ambition et les capacités européennes face à l'impact de l'activité des très grandes plateformes sur l'espace et les marchés numériques. En matière de finances numériques, il est clair que la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de créer une monnaie numérique ne se limite pas à une simple adaptation technique. Tout d'abord, les choix technologiques et de développement apparaissent indissociables des conséquences politiques. À ce titre, la BCE a précisé la nature de cette phase, présentée comme une expérimentation reposant sur des simulations de paiements et des prototypes, qui ne devraient pas avoir de lien avec les systèmes qui composeront le réseau de paiement final. Si le recours à un acteur tel qu'Amazon comporte des avantages compte tenu des moyens et de l'expertise de cette entreprise, l'intégrité du réseau monétaire numérique qui sera finalement créé devra être assurée. Le traitement de ce risque devra se faire en conformité avec le respect des garanties d'indépendance de la BCE. Il ne revient pas au gouvernement français de porter une appréciation sur la décision de la BCE susceptible d'interférer avec son mandat et sa mission de maintien de la stabilité monétaire. Par ailleurs, ce choix porté sur Amazon doit s'accompagner d'une attention particulière au traitement des données par cette entreprise. À ce titre, l'Union européenne (UE) affiche également des progrès sur le plan de la protection des données. Des dispositions visant à lutter contre l'effet de lois étrangères de portée extraterritoriale sont désormais systématiquement intégrées dans nos législations sur les données ; ce fut le cas dans la loi sur la gouvernance des données (DGA) et cela le sera dans la future loi sur les données (Data Act). La récente adoption du règlement sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier (dit DORA) renforce encore les obligations imposées par les acteurs de la finance numérique y compris en matière de traitement des données. Par ailleurs, nous sommes très attentifs au renouvellement de l'accord transatlantique pour le transfert des données, alors que les autorités américaines ont transmis des garanties légales en cours d'examen au sein de l'UE. Le respect de la protection des données par les entreprises étrangères, en particulier les GAFAM, est une préoccupation centrale pour la réussite de la stratégie numérique européenne. S'agissant de ce contrôle, l'UE dispose d'outils permettant d'apporter des réponses en cas d'infraction de la part d'une plateforme active sur le marché européen. Nous devrons veiller à ce que ces instruments soient mobilisés en cas de dérives.

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