Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur :

Voilà plus de trente ans, avec la loi du 2 juillet 1990, le législateur réformait en profondeur l'administration des postes et des télécommunications et créait deux personnes morales de droit public distinctes, La Poste et France Télécom. Deux décennies plus tard, la loi du 9 février 2010 transformait La Poste, dont les activités s'étaient entre-temps diversifiées à mesure que diminuait la place occupée par la distribution du courrier, en une société anonyme à capitaux publics ayant le caractère d'un service public national. À ce titre, La Poste remplit quatre missions d'intérêt général : le service universel postal, une contribution à l'aménagement et au développement du territoire, le transport et la distribution de la presse, et l'accessibilité bancaire. Son personnel relève d'une pluralité de statuts, fruit des évolutions qu'a connues l'entreprise depuis le début des années 1990 : fonctionnaires régis par des statuts particuliers, représentant un peu plus de 30 % des 170 000 collaborateurs que compte la maison-mère, agents contractuels de droit public et, surtout, salariés, qui représentent un peu moins de 70 % des effectifs.

L'histoire de La Poste explique qu'elle se caractérise par un régime original de représentation du personnel et qu'elle soit encore dotée d'instances inspirées de celles qui existent dans la fonction publique : 145 comités techniques locaux (CTL), qui connaissent des questions de représentation collective du personnel ; 407 commissions administratives paritaires (CAP), qui connaissent des questions touchant à la situation individuelle des fonctionnaires ; 317 commissions consultatives paritaires (CCP), qui connaissent des questions touchant à la situation individuelle des agents contractuels et 632 comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), semblables, à quelques réserves près, à ceux qui étaient installés dans les entreprises privées avant la réforme de 2017. En outre, un conseil d'orientation et de gestion des activités sociales (Cogas) définit la politique et assure la gestion et le contrôle des activités de cette nature relevant de la société.

Enfin, La Poste comprend une commission d'échanges sur la stratégie, chargée d'informer les organisations syndicales des perspectives d'évolution la concernant et de recueillir leurs analyses sur les orientations stratégiques du groupe, ainsi qu'une commission de dialogue social, qui permet d'assurer une concertation avec les mêmes organisations syndicales sur les projets d'organisation de portée nationale ou sur des questions d'actualité, et de les informer. La première ne se réunit toutefois plus depuis qu'un nouveau comité de dialogue social stratégique groupe, créé par accord du 21 juin 2017, assume les fonctions qui lui étaient dévolues. Du reste, c'est le droit syndical de la fonction publique qui s'applique par principe à tous les personnels de La Poste.

J'en viens aux raisons qui justifient que le Parlement examine la présente proposition de loi. Les mandats des membres des CHSCT et des comités techniques arrivent à leur terme le 31 janvier 2023, c'est-à-dire dans moins de trois mois. Or, la loi rend applicables à La Poste les dispositions du code du travail relatives aux CHSCT jusqu'au prochain renouvellement des instances uniquement et, en l'état actuel des choses, prohibe que les prescriptions touchant aux comités sociaux et économiques (CSE), puissent y produire des effets. Ainsi, sans intervention du législateur, ces instances seront à très court terme dépourvues de base légale pour remplir leurs missions, ce qui ne saurait être envisagé. Les sénateurs ont donc pris l'initiative de déposer le texte que la commission des affaires sociales examine aujourd'hui.

L'article 1er, tout d'abord, proroge les mandats des membres des CHSCT et des comités techniques de La Poste jusqu'à la proclamation des résultats des élections aux CSE qui vont être mis en place, et au plus tard jusqu'au 31 octobre 2024, au lieu du 31 juillet 2024 comme le prévoyait l'article dans sa rédaction initiale.

L'article 2 assujettit La Poste, à compter de la même échéance, à l'application des dispositions du code du travail relatives à la représentativité syndicale, à la négociation collective et aux institutions représentatives du personnel (IRP), sous réserve des adaptations justifiées par la présence de fonctionnaires dans l'entreprise. Disparaîtront donc, à la faveur de la réforme, le comité technique national, les CTL, les CHSCT, la commission d'échanges sur la stratégie, la commission de dialogue social et le Cogas, les prérogatives de ces différentes structures ayant vocation à revenir au CSE central et aux CSE d'établissement. Seront conservées, en revanche, les CAP et les CCP.

Enfin, l'article 3 permet à La Poste, à titre transitoire, de s'appuyer sur un ensemble de dispositions du code du travail aux fins de conclure des accords portant sur l'organisation des élections et la détermination du fonctionnement et des attributions des futurs CSE.

La transformation du cadre juridique du dialogue social à La Poste paraît justifiée, à l'heure où ses IRP n'ont plus d'équivalent dans le droit commun du fait de la suppression des CHSCT et de la disparition très prochaine des comités techniques dans la fonction publique, et où les salariés comptent pour plus des deux tiers de ses effectifs. Elle est d'autant plus compréhensible que les filiales du groupe – La Banque postale, La Poste Immobilier et Mediapost, pour ne citer qu'elles – relèvent du code du travail et sont dotées de CSE.

Le nouveau système devra toutefois tenir compte des spécificités d'une entreprise qui exerce un grand nombre d'activités sur tout le territoire et qui emploie encore près d'un tiers de fonctionnaires. La loi le prévoit expressément. Ainsi, la création d'un conseil des questions statutaires, sur le modèle retenu chez Orange, est le gage d'un traitement des problématiques les intéressant dans des conditions appropriées.

Au demeurant, le maillage territorial des IRP de demain devra permettre de répondre au besoin de proximité entre les personnels et leurs représentants. Pour des raisons parfaitement légitimes, les organisations syndicales y attachent une très grande importance. Il est évident, de surcroît, que la question revêt une sensibilité particulière alors que le nombre d'élus est appelé à diminuer.

La Poste doit prendre toute la mesure des enjeux qui s'élèvent en la matière. À cet égard, il est rassurant qu'elle envisage la création de près de 900 représentants de proximité, qui serviront de relais entre les élus et les agents. Il est tout aussi positif qu'elle admette la nécessité de l'installation d'un CSE dans chacun des départements ultramarins, de même qu'en Corse, où le risque d'éloignement des IRP suscite des inquiétudes compréhensibles chez les agents.

Cela étant dit, il me semble utile de souligner que la question du périmètre des CSE doit relever de la négociation collective, et non pas de la loi. Je ne crois pas, en effet, qu'on puisse raisonnablement envisager que la loi définisse le nombre d'instances qu'une entreprise, fût-ce La Poste, doit mettre en place.

Comme vous le savez, les discussions entre la direction et les organisations syndicales ont déjà débuté et un accord de méthode sur le projet de création des nouvelles instances a recueilli la signature de la majorité de ces organisations. Il est normal que les positions des parties divergent sur certains points, mais il est bon qu'elles ne soient pas figées. Je crois pouvoir dire que tel est le cas, ainsi que tendent à le démontrer les récentes évolutions de l'entreprise sur le nombre de CSE à installer dans les territoires ultramarins.

Pour conclure, je tiens à insister sur le fait que la proposition de loi fait œuvre utile en adaptant le régime de la négociation collective de La Poste à sa physionomie contemporaine, tout en laissant aux acteurs du dialogue social un temps suffisant pour préparer la transformation majeure qui s'annonce.

Je remercie le Sénat de s'être saisi de ce sujet et les sénateurs, à commencer par la rapporteure Brigitte Devésa, d'avoir enrichi le texte en commission et en séance publique. Je remercie également les organisations syndicales et la direction de La Poste pour la qualité des échanges que nous avons eus lors des auditions préparant cette proposition de loi et le projet de rapport qui vous a été adressé dernièrement.

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