Intervention de Philippe Berta

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Berta, rapporteur pour avis (Recherche) :

En 2023, le budget de la recherche s'inscrit, une fois encore, dans une trajectoire ascendante, bien différente de ce que l'on a constaté au cours des années 1990 et 2000. La trajectoire définie par la LPR est scrupuleusement respectée en dépit de la crise sanitaire que nous vivons depuis plus de deux ans et une réelle dynamique s'est enclenchée depuis son entrée en vigueur.

En 2023, le budget du ministère progressera de près de 1,1 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2022, hors financements issus du plan de relance et de France 2030. Depuis 2017, ce budget a augmenté de 3,6 milliards d'euros. Les crédits alloués à la recherche s'élèveraient à 12,29 milliards d'euros en autorisations d'engagement dont 4,22 milliards pour l'action Recherche du programme 150 et 8,07 milliards en autorisations d'engagement pour le programme 172. Cette hausse importante, qui confirme la montée en puissance de la trajectoire budgétaire fixée dans la LPR, vise aussi à compenser de manière pérenne le coût de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique. Les avancées sont donc nombreuses. En matière de ressources humaines, on note l'amélioration de la rémunération et des carrières des personnels, qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels, sous statut de droit public ou de droit privé, et 650 postes vont être ouverts. Oui, la recherche doit retrouver son attractivité !

L'ANR poursuit sa montée en puissance avec un financement toujours plus important et des appels à projets toujours plus nombreux. Les universités et les organismes de recherche voient eux aussi leur budget augmenter. Alors que moins de 10 % des projets étaient financés par les appels d'offres de l'ANR il y a quelques années, quelque 25 % le sont en 2022. L'approche est globale : les grands équipements scientifiques sont améliorés et l'ouverture de la science à la société est poursuivie.

Cependant, la situation actuelle préoccupe car l'inflation galope et les coûts de l'énergie explosent. Il ne faudrait pas que tous les efforts réalisés ces dernières années et cette année encore soient absorbés par ces dépenses, ramenant le financement de la recherche à son niveau antérieur à la LPR.

De plus, investir dans la recherche ne servira à rien si la population ne s'intéresse plus du tout à la science. La culture scientifique dans notre pays reste très faible, du jeune âge au sommet de l'État. En sciences, en matière technologique, sanitaire ou industrielle, les Français ne connaissent et ne comprennent que peu ou plus le monde qui les entoure. La crise sanitaire a accéléré et accentué ce phénomène, les indicateurs l'attestent. Même si nos concitoyens continuent majoritairement de faire confiance à la science, la crise du covid et sa gestion médiatique ont mis cette relation à mal : la confiance envers la science et les scientifiques est en chute de 25 % en France ; il n'y a rien de comparable à cela dans les autres pays européens.

Sans prétendre être exhaustifs, il nous est paru utile de dresser l'état des lieux de la culture scientifique et de proposer quelques lignes programmatiques. L'audition de multiples acteurs – organismes de recherche, acteurs et associations, Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI), fondations industrielles, académies, universitaires… – a révélé la solidité de l'engagement de chacun. Le premier élément considéré fut de nature organisationnelle. Le CNCSTI, créé en 2012 et chargé de l'élaboration et du suivi de la stratégie nationale, est sans pilote depuis 2019. Il semble urgent de redéfinir le rôle du Conseil et sa composition, de lui assurer une présidence, de lui donner de nouveaux moyens dans le cadre d'une stratégie interministérielle forte associant enseignement supérieur et recherche mais aussi éducation, culture, santé, industrie, économie, agriculture, ministère de la mer, numérique, Europe. On est bien loin d'une branche du ministère de la Culture : tous se doivent d'être impliqués dans cette grande priorité nationale.

Les effets du transfert de cette compétence aux régions par la loi « Fioraso » de 2013 doivent être évalués. Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale doivent aussi être acteurs de la culture scientifique – par exemple quand il existe un musée d'histoire naturelle dans leur région et que des associations œuvrent pour la culture scientifique.

Cette organisation nationale rénovée et dotée de moyens nouveaux doit coordonner tous les acteurs institutionnels, associatifs ou privés et irriguer l'ensemble du territoire, chaque établissement scolaire et, dès l'enseignement primaire, permettre de consolider les compétences scientifiques des enseignants, compétences renforcées par la voie de la formation continue ou par la multiplication des actions dans les Inspé, ou encore d'encourager les filles et les femmes à emprunter les chemins de la science. La généralisation et l'amplification des activités de la fondation La Main à la pâte contribueraient à une solution future.

Ne pouvant les énumérer toutes, nous ne mentionnerons que quelques propositions. Je souligne pour commencer que bâtir une culture scientifique demande de forger des fondations culturelles objectives et symboliques, solides et partagées. Donner une nouvelle ambition à la Fête de la science est essentiel pour créer un récit scientifique national ; pourquoi ne pas la fusionner avec la Semaine de l'industrie, en collaboration avec divers media et France Télévisions, eux-mêmes formés à la méthode scientifique ? Cette opération de grande envergure doit sortir des villes universitaires afin d'irriguer l'ensemble de nos territoires, outre-mer compris.

Il est aussi urgent de doter le sommet de l'État d'un Haut Conseil à la science dont les membres incontestés pourraient être nommés par les diverses académies. Les recherches, le progrès scientifique et les innovations de rupture doivent être portés à la connaissance de celles et ceux qui sont aux responsabilités, au plus haut de l'État, et eux-mêmes doivent être formés à l'esprit scientifique.

Nous devons encourager les sciences humaines et sociales et les sciences fondamentales à travailler ensemble : l'innovation et la démocratie sont les conditions sine qua non du progrès humain. Le politique doit en prendre toute la mesure. C'est de notre richesse nationale et de notre santé qu'il s'agit, et aussi de l'avenir d'une humanité confrontée à des enjeux majeurs d'ordre environnemental et climatique. Á la transition énergétique et aux pandémies la démocratie trouvera des solutions par la science ; sinon, le pire est à craindre. Pour ces raisons et parce que la science est notre chance, vous aurez compris, chers collègues, que je vous aurais recommandé de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission.

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