Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 29 avril 2024 à 15h00
Débat d'orientation et de programmation des finances publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Il signale l'échec de votre politique passée car, après avoir surestimé le niveau de la croissance dans la loi de finances pour 2024, voilà que vous proposez une trajectoire profondément revisitée, six mois seulement après l'adoption de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Même si, à l'époque, les oppositions vous avaient refusé leur vote pour des raisons diverses, toutes s'accordaient sur le manque de crédibilité d'une telle trajectoire. « Manque de crédibilité », c'est d'ailleurs le terme utilisé par le Haut Conseil des finances publiques ; il est plus fort que celui d'« insincérité » car il traduit votre incapacité à atteindre vos propres objectifs et votre refus d'anticiper une conjoncture économique pourtant largement annoncée – y compris dans ces murs.

Mais c'est surtout la logique que vous suivez qui perd toujours plus en crédibilité. Non, il n'est pas crédible de fonder votre budget pour 2024 sur une prévision de croissance à 1 %, quand aucun organisme ne voit la France à plus de 0,8 %. Pire, les annulations de crédits, dans une période de reflux de l'activité économique, auront un effet récessif sur lequel s'accordent tant le Haut Conseil des finances publiques que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lequel prévoit une perte de 0,2 point de PIB en 2024.

Il n'est pas crédible non plus d'annoncer que le déficit public passera d'un très optimiste 5,1 % du PIB fin 2024 à 2,9 % en 2027, même pour rassurer Bruxelles, compte tenu des nouvelles contraintes décidées pour forcer les pays de la zone euro à intensifier la doxa austéritaire.

Mais qu'importe, au fond : ce qu'il faut scruter, ce n'est pas tant ce chiffre que le chemin permettant d'y parvenir. La règle d'or comme la dette vous servent de prétexte pour baisser les dépenses publiques et pour attaquer notre système de protection sociale. Rappelons, une fois encore, que notre pays n'est pas au bord de la faillite ; ramenée sur huit ans, soit la durée moyenne de nos emprunts, notre dette ne représente qu'un peu plus de 13 % du PIB. Notre pays – et même notre administration publique à elle seule – a des actifs dont la valeur est autrement plus importante que son déficit. Les marchés savent donc qu'il offre un placement sûr : lors de la dernière émission de bons du Trésor, il y a eu deux fois plus de demande que d'offre, et ce à un taux d'intérêt inférieur à l'inflation. Certes, la charge de la dette s'accroît, mais elle ne passera que de 1,7 % à 2,6 % du PIB, au maximum, en 2027. Bref, il n'y a pas péril en la demeure.

S'il est nécessaire de ne plus la laisser aux mains du marché, comme ce fut fait au moment du covid, la dette est surtout un épouvantail dont vous vous servez pour justifier votre politique. Comme partout en Europe, celle-ci nous emmène dans le mur ; même les plus lucides des partisans du système le disent. À défaut d'écouter le président de la commission des finances, prêtez attention aux propos de Mario Draghi ! « Notre organisation, notre processus de décision et nos financements, affirme-t-il, sont conçus pour le monde d'hier », qu'il décrit de la manière suivante : « [notre] approche […] de la compétitivité [a été] de baisser les coûts salariaux les uns par rapport aux autres, avec une politique budgétaire procyclique. Cela a eu pour effet d'affaiblir notre demande domestique et de saper notre modèle social. » C'est ainsi que l'ancien directeur de la Banque centrale européenne s'exprime, inquiet qu'il est de voir l'Europe décrocher par rapport aux autres blocs économiques, notamment les États-Unis.

Cet état des lieux conduit certains, même en Allemagne, à reconsidérer la nécessité de revenir au carcan austéritaire. Une telle politique ne se contente pas d'affaiblir les pays européens dans la concurrence internationale : non seulement elle ne répond pas aux besoins des populations, mais elle va aggraver leur situation. À force de couper dans la dépense publique, votre action a des effets désastreux sur notre modèle social et nos services publics. Vous affirmez avoir brisé le chômage de masse ? L'Insee annonce l'inverse pour fin 2024. Et à quel prix ! Je rappelle qu'environ 1 million de personnes sont considérées comme des travailleurs pauvres, tandis que le nombre de CDI reflue. En outre, vous prévoyez de dégrader la situation de ceux qui ont le moins : après avoir attaqué le système de retraite, c'est au tour de l'assurance chômage. Or, en vous attaquant à ces revenus, vous allez affaiblir la consommation populaire.

Plus grave, cette politique nous fait rater la bifurcation écologique, pourtant vitale. Vous ne cessez d'affirmer que le budget pour 2024 est historiquement vert ; c'est du greenwashing. En ce domaine, et vous le savez, il est nécessaire d'investir environ 34 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2030 ; pour 2024, 3 milliards de crédits étaient initialement prévus, mais ils ont été annulés. La marche, déjà très haute, se révélera infranchissable après les coupes de 50 milliards prévues pour la période 2025-2027.

Enfin, votre politique en faveur des plus riches, détenteurs du capital, n'est plus supportable. Il ne s'agit pas tant d'augmenter les impôts que d'arrêter de si mal – et si injustement – les baisser.

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