Intervention de Général d'armée François Lecointre

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général d'armée François Lecointre, Grand chancelier de la Légion d'honneur :

Le président de la SNEMM a effectivement, à plusieurs reprises, attiré mon attention sur les plaintes de ceux qui, d'abord, considéraient qu'il y avait moins de médailles militaires qu'avant, et ensuite, qu'ils avaient des difficultés à accéder à la rouge.

Il n'est pas vrai que le nombre de médailles militaires diminue. Proportionnellement, il y a en a plus qu'à l'époque de l'armée de la conscription. En revanche, nous avons été une armée très engagée en opérations extérieures. Le contingent n'évoluant pas de façon très importante, voire diminuant quelque peu, nous avons arrêté de donner des médailles militaires à l'ancienneté parce que l'on a donné des médailles militaires à des gens qui étaient cités au combat. Le fait d'être cité au combat a asséché une partie des médailles qui, auparavant, étaient dévolues à des sous-officiers anciens, adjudant, adjudant-chef arrivant en fin de carrière. Je le regrette, et en même temps, je ne trouve pas qu'il soit anormal de récompenser des gens cités, prioritairement, que des gens ayant simplement le mérite de l'ancienneté.

L'ordre national du Mérite est une très très belle décoration. Je trouve absolument scandaleux que des gens la déprécient. Pour qui se prennent-ils ? Il se trouve que j'ai commencé par avoir « la rouge » au feu. J'étais très jeune. Ensuite, on m'a remis « la bleue », qui était la décoration de mon père, sous-marinier qui avait commandé un SNLE, qui n'avait pas eu « la rouge » et qui est mort jeune. J'étais tellement fier qu'on me remette la bleue que je trouve presque choquant d'entendre « Oh, ce n'est que la bleue ! ».

Ensuite, des critères très sévères et très précis permettent d'éviter des injustices ou des différences de traitement. Le nombre de citations, l'ancienneté, le nombre de séjours sont pris en compte pour décider de promouvoir quelqu'un de la médaille militaire à l'ordre national du Mérite dans un premier temps, à la Légion d'honneur dans un deuxième temps, si des mérites nouveaux le justifient. Je n'en suis pas choqué. De même que le fait de passer directement de la médaille militaire à la Légion d'honneur soit rare, pour des gens qui ont eu des citations importantes, me paraît tout à fait normal. Je rappelle que la médaille militaire est placée avant l'ordre national du Mérite dans la hiérarchie des décorations nationales. Ayant été une armée très engagée, nous avons plus de jeunes combattants qu'avant qui ont la médaille militaire.

Par ailleurs, je considère qu'il y a eu une déviation, une « perversion » entre guillemets. La médaille militaire, c'était la Légion d'honneur des sous-officiers et des militaires du rang. Les hommes que j'ai perdus en ex-Yougoslavie, qui sont morts au combat en montant à l'assaut, ont eu la médaille militaire, pas la Légion d'honneur. Quand je suis arrivé au cabinet du ministre comme colonel, à l'époque du président Sarkozy, des revendications demandaient que les militaires du rang et les sous-officiers reçoivent la Légion d'honneur, comme les officiers. Or, les officiers n'avaient pas la médaille militaire.

Depuis, on donne la médaille militaire et la Légion d'honneur aux sous-officiers et aux militaires du rang qui sont morts au champ d'honneur. De ce fait, on donne plus aux sous-officiers et surtout, on a dévalorisé la médaille militaire. Avant, elle était la plus haute distinction qui puisse être donnée à un officier, c'est la médaille des maréchaux de France. Il faut avoir commandé une armée devant l'ennemi pour en être décoré quand on est un officier. Je rappelle que Foch ne portait que la médaille militaire, comme le maréchal Pétain et le maréchal Joffre. Dans ce cas, on la porte avant la Légion d'honneur. Il n'y a malheureusement plus d'officiers en activité qui aient la médaille militaire, mais elle était une décoration absolument magnifique. Nous devons faire attention à ce qu'elle ne soit pas dévalorisée.

Enfin, le travail d'un grand chancelier est de lutter constamment contre les bonnes idées qui veulent créer de nouvelles décorations, de nouvelles occasions de port, ce qui risque de brouiller le sens de notre action. Je ne suis pas favorable au port de l'autre côté d'une décoration, même lors d'une cérémonie, qui est possible pour les compagnons de la Libération, qui sont une exception.

Je suis souvent allé en Afrique, où les décorations se transmettent de père en fils. En Côte d'Ivoire ou au Gabon, nous invitions tous les anciens combattants aux cérémonies du 11 novembre. Nous avions des messieurs vénérables absolument extraordinaires, qui avaient été tirailleurs sénégalais, qui avaient fait la Première Guerre mondiale, des anciens couverts de gloire et d'honneur qu'on respectait infiniment. Nous voyions aussi de très jeunes gens qui venaient au buffet de la cérémonie et qui portaient les décorations parfois de leur arrière-grand-père. C'est une tradition africaine, mais je ne pense pas qu'il faille qu'elle devienne une tradition nationale française.

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