Intervention de Muriel Lacoue-Labarthe

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de la direction générale du Trésor :

Je vous remercie de votre invitation à discuter de ces enjeux de politique commerciale, qui suscitent un intérêt important, particulièrement ces derniers mois. À ce titre, il me paraît particulièrement utile de vous exposer un point de vue technicien sur les relations commerciales et les accords commerciaux, leur organisation et leurs négociations. Ces accords se déroulent dans des cadres assez réglementés. Ils interviennent soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où s'appliquent des standards internationaux et des grilles de droits de douane puis nos règles internes de consommation, soit dans le cadre des accords bilatéraux, qui ajoutent au cadre de l'OMC des tarifs douaniers moins élevés, des facilitations en matière commerciale, éventuellement des contingents en matière de produits sensibles. Le bénéfice de ces droits de douane réduits et de cette facilitation du commerce est réservée aux produits originaires du pays tiers avec lequel se réalise cet accord commercial.

Vous savez aussi, en termes de cadre général, que la politique commerciale est une compétence de l'Union européenne depuis le traité de Rome, époque où nous nous sommes constitués en union douanière, ce qui signifie que nous avons un tarif extérieur commun. De fait, nous sommes en meilleure position de négociation quand nous arrivons unis, en Européens.

En premier lieu, l'agriculture dispose d'un traitement spécial dans le cadre que je viens de présenter, en raison des besoins de sécurité alimentaire et sanitaire. Le secteur est également très spécifique dans la mesure où un certain nombre de pays ne peuvent exporter que des produits agricoles. De fait, rares sont les zones du monde qui sont très industrialisées.

Au sein de l'OMC, le secteur agricole fait l'objet d'un accord spécifique qui encadre les politiques publiques en matière de commerce, mais aussi les types de soutien interne, c'est-à-dire les types de subventionnement en fonction de leur impact sur le commerce international. En réalité, la définition des soutiens au sein de l'OMC ressemble très fortement à la structure de la politique agricole commune (PAC) qui a été révisée au début des années 1990. Ainsi, toutes les subventions susceptibles d'avoir un impact sur le commerce international parce qu'elles encourageraient la surproduction ou parce qu'elles subventionneraient les exportations, sont à réduire ou à mettre sous plafond.

Au sein de l'Union européenne, le secteur agricole est très souvent traité de manière différenciée. Les produits agricoles importés en Europe sont soumis à des droits de douane en moyenne trois fois plus importants que ceux appliqués aux biens non agricoles, illustrant la volonté européenne de ne pas exposer de manière excessive les producteurs agricoles de notre continent à la concurrence internationale.

Cela vaut également pour la manière dont les accords de commerce sont négociés : lorsqu'un produit revêt une sensibilité particulière, il est soit exclu de la négociation, soit soumis à un traitement spécifique. Son importation est soumise à un contingent maximum annuel, avec des volumes limités. Les périodes d'ouverture et de mise en place de ces contingents et de ces droits de douane réduits peuvent être très progressives. En outre, ces contingents peuvent être segmentés. À titre d'exemple, on distingue un contingent de viande réfrigérée d'un contingent de viande congelée. Des clauses de sauvegarde spécifiques peuvent également être établies.

La France est extrêmement vigilante lors de ces négociations et nous avons eu gain de cause jusqu'à présent dans l'immense majorité des cas. Par exemple, en matière de viande bovine, les volumes cumulés des contingents dans les accords commerciaux soutenus par la France représentent moins de 1,3 % de la production européenne. Enfin, il existe un large éventail d'instruments de défense commerciale. Les clauses de sauvegarde permettent de remettre des droits de douane en cas d'un afflux subit menaçant de déstabiliser gravement le fonctionnement du marché européen.

En deuxième lieu, quel est le niveau de normes applicable aux produits agricoles qui entrent dans l'Union ? Le cadre général à l'importation s'applique aux produits qui entrent dans l'Union soit dans le cadre du commerce de l'OMC, soit dans le cadre des accords bilatéraux. Les produits animaux et végétaux importés doivent être sûrs, ne présenter aucun danger pour la santé des consommateurs, et tout produit qui est importé en provenance de pays tiers doit être conforme à la législation européenne. Au-delà de cette réglementation, chaque pays doit avoir été autorisé, filière par filière, à exporter vers l'Union européenne, à la suite d'un audit initial de la Commission européenne dont le résultat est soumis aux États membres.

Le modèle du certificat sanitaire applicable aux produits animaux ou végétaux est établi au niveau européen. Des audits réguliers sont conduits dans les pays tiers qui sont habilités à l'export, pour vérifier la qualité des contrôles effectués par les autorités locales et s'assurer que les obligations sont bien respectées. Enfin, à l'entrée dans l'UE, les animaux, les végétaux et les produits sont soumis à un contrôle systématique des autorités nationales au niveau des points de contrôle frontaliers. Ces points de contrôle doivent disposer d'installations spécifiques agréées par la Commission et de personnels compétents pour effectuer les analyses éventuelles de ces produits, en plus du contrôle documentaire.

Nous travaillons également à compléter le cadre réglementaire, pour pouvoir également contrôler certaines méthodes de production dans les pays tiers. Lorsqu'elles ont un impact sur la santé publique ou sur l'environnement dans l'Union européenne, nous sommes habilités à réglementer les importations en direction de l'Union. Par exemple, l'interdiction des produits animaux ayant bénéficié d'hormones de croissance est établie dans l'Union depuis assez longtemps. La même procédure d'interdiction des antibiotiques dans l'alimentation animale en tant qu'accélérateurs de croissance, déjà appliquée pour la production en Europe, sera étendue aux produits importés. L'utilisation d'antibiotiques contribue en effet à favoriser l'antibiorésistance, laquelle constitue un problème mondial de santé publique.

Un dernier exemple concerne le règlement sur la déforestation : les produits importés dans l'Union ne doivent pas contribuer à accélérer la déforestation dans les pays de production, aux termes d'un règlement déjà adopté et qui entrera en vigueur au titre des fameuses « mesures miroir » qui s'appliquent à toutes les importations. Un travail de persuasion est également cours aussi auprès de nos homologues européens.

En dernier lieu, de nombreuses filières agricoles françaises voient leur bonne santé économique dépendre de leur capacité à exporter, à accéder à des marchés tiers. Aujourd'hui l'excédent commercial agricole et agroalimentaire varie chaque année entre 6 et 10 milliards d'euros et se réalise essentiellement avec les pays tiers. Les secteurs qui sont particulièrement portés par la croissance de leurs exportations sont les vins et spiritueux, les produits laitiers, les fromages et poudres de lait, les viandes porcines. La volaille de chair trouve aussi son équilibre, puisque nous importons du blanc mais exportons des ailes et des cuisses.

De façon générale, l'exportation permet d'améliorer la valeur ajoutée perçue par les agriculteurs et par l'industrie agroalimentaire. Le cabinet Asterès a indiqué dans une étude qu'une hausse ou une baisse de 10 % d'activité à l'export implique ou une hausse ou une baisse de 11,5 % du bénéfice, de 6,6 % du ratio capitaux propres sur dette et de 4,9 % de la masse salariale. En résumé, les exportations vers les pays tiers ont un impact sur les emplois en France.

Le sujet de la dépendance aux intrants doit être mentionné : les pays susceptibles de nous fournir en engrais et en alimentation animale veulent intégrer d'autres productions dans les accords. Nous devons donc établir un équilibre général, une forme de synthèse des différents intérêts en présence. La négociation d'un accord bilatéral nous permet de disposer d'un canal privilégié pour réduire les barrières à l'accès aux marchés tiers et mettre en place une relation commerciale privilégiée, qui offre une croissance plus stable et mieux encadrée des exportations. Elle permet, en particulier pour les produits agricoles, de valoriser les indications géographiques et de gagner une place dans les marchés tiers, comme en témoigne la mise en place de l'accord bilatéral entre l'Union européenne et le Japon.

La relation entre l'agriculture et le commerce se fonde à la fois sur une rentabilité plus élevée pour les filières à l'export et sur un équilibre qui s'efforce de bien préserver les filières les plus sensibles d'une exposition trop forte à la concurrence internationale. Cet équilibre nous conduit à soutenir certaines négociations et, éventuellement, à refuser d'autres résultats de négociation.

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