Intervention de Arnaud Gossement

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Arnaud Gossement, avocat :

La médiation est un point de désaccord entre ma consœur et moi. Pour moi, ce qui fait perdre du temps, ce sont l'appel, la cassation, les autres recours. Peut-être perdra-t-on un peu de temps du fait de la médiation, mais, au moins, on se parlera. J'ai dans mes dossiers des exemples de contentieux qui ont pris fin grâce à une médiation, dans l'éolien et dans la méthanisation. Se parler permet parfois de dissiper des malentendus et des fantasmes. « L'autre en face, il veut juste me faire perdre mon projet » ; « Eux, ils font ça pour l'argent, c'est une société privée », etc. Avec la médiation, l'aspect humain entre en jeu : on se rend compte qu'en face, il y a des gens, qu'on peut même prendre un café, se détendre un peu. Cela donne des résultats.

La médiation nous fera gagner du temps. On n'y parviendra pas en supprimant le passage par le tribunal administratif pour aller directement devant la cour administrative d'appel, puisque celle-ci est elle-même engorgée. De plus, les associations, soumises au ministère d'avocat, arrivent déjà mécontentes devant le juge. Bref, on exacerbe les passions alors que notre rôle d'avocats est aussi de les canaliser, d'en faire du droit – comme vous, législateur.

Dans le cas du barrage de Caussade – un exemple terrible – c'est un peu différent. Évidemment, l'État doit respecter les décisions de justice. Il peut même arriver, dans certains cas extrêmes, que le concours de la force publique soit refusé pour l'exécution d'une décision de justice. Dans l'affaire du Teknival de Marigny – première application de la Charte de l'environnement – le préfet n'a pas souhaité exécuter la mesure d'interdiction. Mais la responsabilité de l'État a ensuite été recherchée, comme elle le sera probablement dans l'affaire du barrage de Caussade.

J'aimerais en revanche citer un exemple tiré de l'actualité qui est vraiment un cas pratique pour vous. Dans cette histoire, rien ne va ! Le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'autorisation – environnementale, j'imagine – de construire une route qui, en réalité, est déjà terminée depuis un an. Je n'ai qu'un article de presse, mais j'ai hâte de lire le jugement.

Le juge s'est prononcé longtemps après la demande. On dit que la justice est trop longue, mais prendre du temps est important : la vérité judiciaire ne se forme pas comme un objet sort d'un distributeur. D'abord, le temps permet d'apaiser les esprits. Souvent, au début d'un procès, les parties sont remontées à cran et, parfois, certains avocats exacerbent aussi les passions. Le temps permet aussi, au fil des écritures, de discriminer les questions superflues des vraies questions et, bien souvent, peu avant l'audience, c'est l'essentiel qui reste ; et c'est fréquemment ce mémoire-là qui sera discuté à l'audience. De ce fait, il y a des cas où, malheureusement, le juge se prononce après coup.

N'attendons donc pas tout du juge. Organisons les choses différemment en amont, au cours de la procédure de planification et d'autorisation. Pourquoi pas aussi un contrôle du juge en amont ? Il existe dans le code minier une prévalidation par une cour administrative d'appel, uniquement sur le plan de la légalité externe, de l'autorisation de travaux donnée à un exploitant. Je n'en ai pas de bilan, mais l'idée est de permettre au juge d'intervenir tout de suite concernant des questions – de motivation, de compétence, de procédure – qui peuvent être réglées rapidement. Il reste ensuite les questions de fond, qui demanderont un peu plus de temps. Mais il y aura eu une première réunion entre les parties devant le juge.

Nous sommes en régime de séparation des pouvoirs. Si on décide qu'il faut juger en dix mois, que se passera-t-il si ce n'est pas le cas ? On va priver un avocat de produire un mémoire ? On va empêcher d'intervenir une partie qui voulait le faire ? L'exécutif n'a aucun moyen pour dire au Conseil d'État qu'il est trop long !

Cela fait des années que j'entends parler de ces histoires de délais. Je viens d'avoir un dossier à l'audience au tribunal administratif de Marseille, trois ans après avoir déposé la requête pour mon client ; il s'agit d'un projet d'énergie renouvelable qui a été suspendu pendant toute la procédure. Les confrères sur place m'ont dit que j'avais de la chance : pour eux, c'est plutôt quatre ans. Ce n'est pas que les juges ne veulent pas : c'est une question de moyens, d'hommes et de femmes que vous mettez à disposition. La justice n'a pas les moyens de ses missions. Ce sont des sous qu'il faut, pas des textes !

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