Intervention de Elyes Jouini

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Elyes Jouini, professeur des universités en économie et mathématiques, titulaire de la chaire Unesco « Femmes et Science » à l'Université Paris Dauphine :

. – Je crois que la baisse du nombre de filles dans les filières informatiques peut être liée à l'image véhiculée vis-à-vis de ces métiers, mais ce n'est pas un hasard. Dans les années 1980, l'informatique était une discipline de service. Elle devient aujourd'hui une discipline reine, un enjeu de pouvoir. Comme par hasard, les femmes s'en retrouvent évincées, de manière indirecte, via des stéréotypes colportés. Nous devons nous poser des questions sur les rapports de force et les enjeux de pouvoir.

Permettez-moi de vous conter une anecdote. Lorsque je suis arrivé en classe préparatoire, nous y faisions encore du dessin industriel ou du dessin technique. Comme la jeune fille évoquée plus tôt, je ne parvenais pas à voir dans l'espace. À la première difficulté, mon professeur me dit : « Non, mais c'est normal, vous les Maghrébins, vous ne voyez pas dans l'espace. » À partir de ce moment-là, j'ai arrêté de m'investir dans cette discipline, je me suis reporté sur d'autres. Cette matière n'était pas la plus importante en prépa, donc cela ne m'a pas porté préjudice. Il n'en reste pas moins qu'il est très facile d'enclencher des mécanismes de censure en disant : « Ce n'est pas fait pour moi, je passe à autre chose. »

Par ailleurs, les filles ont tendance à chercher des filières ou formations pluridisciplinaires. Elles s'investissent plus uniformément. Nous le constatons dans le secondaire : une fille bonne en français est très souvent aussi bonne en maths, en histoire, en langue, etc., alors que les garçons présentent des profils plus pointus. Ainsi, les filles auront plus le choix. Si elles se voient limitées par leurs capacités en maths ou en informatique, pour quelque raison que ce soit, elles ont la possibilité de se reporter vers d'autres types d'études. C'est moins le cas des garçons.

Offrir des filières mixtes, qui proposent de la pluridisciplinarité, est une manière de les attirer. Ces filières correspondent en outre à des besoins de la société. De plus, prendre en compte ces compétences dans les critères de sélection est aussi un moyen d'attirer plus de filles.

Je l'indiquais plus tôt, je rentre de Toulouse. J'y discutais avec des enseignants de l'Insa (Institut national des sciences appliquées), qui accueille 40 % de filles, plus que dans les autres Insa du territoire. Dans ses critères de sélection, l'école prend en compte les notes de mathématiques, de physique, mais aussi de langue, de français. La pondération n'avantage pas les filles, mais permet une pleine prise en considération de leurs compétences. Ainsi, nous devons peut-être réfléchir à nos critères de sélection. Il est trop facile de se dire « on a juste pris les meilleurs, et tant pis, ça n'était que des garçons, on va faire avec. »

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