Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du mardi 9 avril 2024 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian :

Depuis que Judith Godrèche a eu le courage de prendre la parole, à la suite de la sortie de son documentaire Icon of French Cinema, son témoignage sur l'emprise et les violences sexuelles qu'elle a subies en tant qu'actrice mineure suscite de vives réactions dans le milieu du cinéma et la société française. Ce témoignage n'est pourtant pas le premier : en 2019, Adèle Haenel dénonçait déjà les agressions et le harcèlement sexuels qu'elle avait subis, alors qu'elle était mineure, de la part du réalisateur Christophe Ruggia ; aux États-Unis, en 2017, le mouvement MeToo était lancé par l'actrice américaine Alyssa Milano, qui appelait alors à témoigner sur les réseaux sociaux. Je salue le courage de ces femmes, et de tant d'autres, qui osent prendre la parole et parfois déposer plainte, bien des années plus tard.

Les femmes n'ont pas attendu 2024 pour dénoncer les violences dont elles sont victimes, dont l'enfant qu'elles étaient a été victime, mais qui les entendait alors ? Qui prenait la peine de les écouter ? Quand, à la fin des années 1980, un réalisateur célèbre de 39 ans affiche une relation avec une jeune fille de 14 ans, on sait que c'est illégal, mais on ne dit rien. Quand en 1995, Judith Godrèche publie Point de côté, roman dans lequel elle relate une relation d'emprise avec Benoît Jacquot, qu'elle vient de quitter, et les violences qu'elle a subies, cette fois la victime parle : on sait et on ne fait rien.

Sept ans après le début de l'affaire Weinstein, aux États-Unis, le cinéma français et, avec lui, la société tout entière sont enfin sommés de regarder la réalité en face. Certaines voix de la profession et du milieu intellectuel s'élèvent actuellement, pour faire leur autocritique, mais c'est l'industrie du cinéma qui doit désormais se remettre en question. Trop longtemps, des hommes puissants se sont cachés derrière leur qualité d'artiste pour abuser d'enfants au vu et au su de tous. Dans le documentaire Les ruses du désir : l'Interdit, du psychanalyste Gérard Miller, lui aussi accusé de violences sexuelles, Benoît Jacquot assume en 2011 d'être hors la loi. Il dit que c'était interdit : « Je n'avais pas le droit » [...] « Faire du cinéma est une sorte de couverture [...] pour des mœurs de ce type-là ». « Dans le Landerneau cinématographique, on peut sentir une certaine [...] admiration pour ce que d'autres aimeraient bien pratiquer aussi. » Ces propos nous glacent le sang. Leur auteur les a pourtant prononcés, alors, dans l'indifférence générale et la plus grande impunité. Une telle romantisation de la transgression, de l'artiste qui franchit les limites du tabou et de l'interdit a mis sous silence la situation de nombreux enfants dans le milieu du cinéma et du spectacle vivant. Cela nous a empêchés de voir les situations de violence psychologique et parfois physique et sexuelle qui ont cours dans les conservatoires, écoles supérieures et écoles privées d'art dramatique.

En 2021, le lancement du hashtag MeTooThéâtre sur les réseaux sociaux a amené de nombreuses personnes à témoigner contre les méthodes employées par certains enseignants, mais la route reste longue et il est temps de faire la lumière sur les violences pour construire, avec les acteurs du cinéma, du spectacle vivant et de la mode un cadre qui permette d'accueillir la parole des victimes et surtout qui protège les enfants et les jeunes en formation. En tant que membres de la représentation nationale, il est maintenant de notre devoir de nous saisir pleinement de cette question par la création d'une commission d'enquête, pour que toute la lumière soit faite et que plus jamais un seul enfant, un seul jeune ou aucune femme ne subisse une situation de violence dans un tournage, une école ou sur une scène de théâtre.

« Depuis quelque temps je parle [...], mais je ne vous entends pas » a dit Judith Godrèche lors de la cérémonie des César. Pour que son courage, que leur courage, à toutes celles et ceux qui ont parlé, ne soit pas vain et qu'il mène, par la prise de conscience collective et le travail parlementaire que nous conduirons, à la protection des mineurs contre toute forme de violence, lançons maintenant, et résolument, cette commission d'enquête. Je remercie grandement Francesca Pasquini de l'avoir proposée, ainsi que toutes celles et ceux qui ont pris des initiatives dans ce domaine.

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