Intervention de Nicolas Thierry

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Thierry, rapporteur :

Je suis heureux de vous soumettre une proposition de loi sur les PFAS, ces substances que vous connaissez peut-être mieux sous le nom de polluants éternels. Commençons avec un constat éloquent : il y a un peu plus de cinquante ans, cette réunion n'aurait pas eu de sens. Les substances dont nous allons discuter, ces molécules constituées de carbone et de fluor, sont le produit, extrêmement récent à l'échelle de l'humanité, de la créativité de quelques industriels du XXe siècle. Nos parents ou nos grands-parents ne risquaient pas, dans leur jeunesse, de trouver dans le commerce une poêle, un imperméable ou un rouge à lèvres garnis de PFAS. Ils avaient pourtant toutes et tous le loisir de cuisiner des omelettes, de marcher sous la pluie ou de se maquiller. Garder ce constat à l'esprit nous permettra d'aborder sereinement nos débats et d'examiner avec un regard plus aiguisé les dispositions que j'ai l'honneur de soumettre à votre sagacité.

Le terme de PFAS désigne un ensemble de familles de substances chimiques qui regroupent chacune plusieurs combinaisons d'atomes que l'on ne trouve pas à l'état naturel. Il existe aujourd'hui environ 12 000 de ces polluants éternels. Ils ont en commun une chaîne d'atomes de carbone et de fluor qui leur confère des propriétés très recherchées dans l'industrie. Les PFAS sont stables sous de très fortes chaleurs, imperméables, repoussent les graisses et ont des propriétés antitaches et antiadhésives – chacun pensera à certaines poêles de cuisson, mais il y a des centaines d'autres exemples.

Le revers de ces qualités, c'est que ces composés ne se dégradent pas, ou très peu, dans l'environnement. Ils s'infiltrent dans les sols, dans l'eau, dans l'air et dans les tissus organiques – ceux des hommes, des animaux et des plantes. Les PFAS sont donc à l'origine d'une pollution systémique, dans certains cas éternelle. Il est donc impossible, pour nous comme pour tous les êtres vivants, d'échapper à une exposition croissante à ces substances : plus on en produit, plus on est exposé. Ces polluants éternels ont même été retrouvés dans le sang d'ours polaires, ce qui témoigne de leur mobilité. Aucun territoire sur la planète n'est épargné. Or, une fois dans l'organisme, il est difficile de s'en débarrasser : leurs propriétés chimiques les mettent hors de portée de l'action des enzymes qui devraient les dégrader et favoriser leur élimination.

Cette exposition subie, massive, est extrêmement grave car ces substances présentent un risque sérieux pour la santé. Les risques pathologiques les plus importants, documentés par de nombreuses études scientifiques, sont une altération de la fertilité, des maladies thyroïdiennes, des taux élevés de cholestérol, des lésions au foie, des cancers du rein et des testicules, une réponse réduite aux vaccins ou de faibles poids à la naissance. Nous faisons donc face à un problème sanitaire d'une gravité inédite. La portée de ce scandale, et je mesure l'ampleur de la comparaison, est de l'ordre du désastre du chlordécone et des ravages de l'amiante.

Sans anticiper sur les débats que nous aurons ce matin, et au vu de ce constat, je crois que nous pourrons nous accorder pour dire que le texte que je vous propose est mesuré et raisonnable. Ses dispositions s'inscrivent dans la continuité de travaux entrepris par plusieurs de nos collègues : dans le cadre de notre commission, d'abord, avec la table ronde sur les PFAS organisée par le président Zulesi en début d'année dernière, mais aussi avec la proposition de loi de David Taupiac, qui constitue, à ma connaissance, le premier texte soumis à la représentation nationale sur les polluants éternels – nous n'avons pu, malheureusement, en achever l'examen en séance publique. Je relève enfin, hors de notre commission, le rapport sur le sujet que le député Cyrille Isaac-Sibille a remis au Gouvernement il y a quelques semaines.

La première mesure que je vous propose d'adopter vise à limiter à la source la pollution aux PFAS, en décidant de restrictions à leur utilisation échelonnées dans le temps, selon la disponibilité des alternatives. Je proposerai par amendement d'agir dès 2026 sur les usages pour lesquels ces alternatives existent : les produits destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, les cosmétiques, le fart et les textiles. Et je proposerai de poser pour 2027 le principe de l'interdiction des PFAS, sauf pour les cas où leur usage serait essentiel.

Certains me rappelleront qu'un projet de restriction des PFAS est en cours au niveau européen. Si ce projet est nécessaire, il n'est pas suffisant. Je le soutiens pleinement, mais je ne m'en contente pas. La procédure sera longue. Lorsque l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) aura terminé son travail, en 2026 ou en 2027, la proposition de restriction sera soumise aux États membres : qui peut prédire quelle sera alors la position de chacun de nos partenaires européens ? Je vous propose donc, tout comme le député Isaac-Sibille dans les recommandations 10 et 11 de son rapport, de prendre des mesures anticipées, au niveau national, pour protéger la santé de nos concitoyens.

Sur les premières restrictions, j'ai la volonté de trouver un compromis, compte tenu des auditions que nous avons eues et des positions exprimées par les différents groupes politiques. Même si je reste pleinement convaincu qu'il faut agir vite et largement pour couper le robinet de la pollution, j'ai déposé un amendement de compromis que nous examinerons au début de la discussion, qui vise à ne cibler que les produits identifiés dans le rapport de Cyrille Isaac-Sibille. J'espère que nous pourrons nous rejoindre sur cette rédaction.

Deuxième mesure, je propose que dès la promulgation de la loi, les PFAS soient pris en compte dans le contrôle sanitaire de la qualité de l'eau potable. Cette disposition va au-devant de la réglementation actuelle et de la directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Elle permet de ne pas attendre le 1er janvier 2026 et rend obligatoire la recherche de l'ensemble des PFAS détectables. La mesure pourrait également inciter les laboratoires d'analyse à approfondir les techniques permettant de détecter de nouveaux PFAS – je vous rappelle que le droit européen ne nous obligera à rechercher qu'une vingtaine d'entre eux. La liste européenne, incomplète, n'inclut pas par exemple le TFA (acide trifluoroacétique) pourtant retrouvé massivement autour de Salindres, dans le Gard.

Le deuxième article introduit une redevance assise sur les rejets de PFAS dans l'eau, afin que les industriels à l'origine de la pollution contribuent financièrement à la dépollution, en vertu du principe pollueur-payeur. J'insiste sur le coût que va représenter la pollution aux PFAS pour nos collectivités. Dès l'entrée en vigueur du contrôle de la présence des PFAS dans l'eau, nombre de nos communes connaîtront des dépassements de la norme réglementaire. Nos collectivités devront alors consentir des investissements massifs pour traiter l'eau. La redevance que je vous propose est un premier levier pour anticiper ce mur d'investissement. J'espère que nous serons nombreux à nous retrouver sur cette disposition, déjà suggérée dans l'excellent rapport d'information de nos collègues Yannick Haury et Vincent Descœur sur l'adaptation de la politique de l'eau au défi climatique.

Nous avons l'occasion d'engager aujourd'hui une avancée dans la lutte contre les toxiques qui empoisonnent nos vies. Je sais que nous sommes observés, que certains attendent beaucoup de cette proposition de loi et j'espère que nous saurons être à la hauteur. Sur ces sujets, chaque année de perdue se compte, hélas, en vies humaines.

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