Intervention de Jean-Pierre Farandou

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF :

Je suis venu chaque année depuis ma nomination devant l'Assemblée nationale ; c'est en revanche la première fois que je m'exprime devant vos deux commissions réunies. J'en suis honoré et cela prouve tout l'intérêt que vous portez à la SNCF et au mode ferroviaire.

Il s'agit d'un moment important pour moi et pour le groupe SNCF. Nous travaillons beaucoup pour de telles auditions car il est essentiel de pouvoir vous rendre compte de l'action que je conduis à la tête de cette entreprise publique depuis plus de quatre ans.

Vous souhaitez que je revienne sur les investissements en matière de matériel roulant, de réseau et d'infrastructures ferroviaires, ainsi que sur les difficultés auxquelles nous avons dû faire face au cours de ces derniers mois.

Les difficultés de la ligne Clermont-Ferrand-Paris ont été les plus reprises dans l'actualité, mais nous savons que d'autres lignes sont également concernées. Plusieurs membres de votre assemblée s'en sont émus à juste titre et ont exprimé leur préoccupation face à ces problèmes de qualité de service.

En tant que président-directeur général de la SNCF, je n'en suis pas fier. J'ai une pensée pour tous les voyageurs qui ont pu être pénalisés par ces dysfonctionnements et qui ont eu à subir, pour certains, des retards très importants.

Je dirai tout d'abord que ces lignes font partie intégrante de l'ADN de la SNCF, même si elles sont difficiles à exploiter. Ce sont des radiales structurantes qui relient les territoires à la capitale et qui relient les territoires entre eux. Je crois bien sûr au rôle d'aménageur du territoire que la SNCF et le ferroviaire peuvent jouer à travers ces lignes. Je rappelle qu'elles sont aussi gérées par l'État à travers le concept et le contrat de trains d'équilibre du territoire, ou Intercités.

Le groupe SNCF doit être au service des territoires et des Français qui y vivent, et à l'écoute de leurs besoins. Il n'y a pas de lignes délaissées, de SNCF de seconde zone ou de voyageurs de seconde zone.

Nous avons tous conscience que ce sont des sous-investissements historiques dans le matériel roulant, comme dans les infrastructures, qui ont entraîné sur ces lignes la situation dégradée que nous connaissons aujourd'hui.

Nous avons bon espoir que la situation s'améliore, des décisions ayant été prises pour ces deux composantes majeures de l'exploitation ferroviaire. L'État a décidé que la SNCF allait investir près d'un milliard d'euros dans les lignes et 500 millions d'euros dans les matériels roulants. La situation devrait donc s'améliorer pour la ligne Clermont-Ferrand-Paris, mais aussi pour la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Un schéma directeur a été adopté et il est très régulièrement suivi. Avec des matériels neufs et une infrastructure rénovée, nous aurons enfin les conditions d'une qualité de service retrouvée.

Les travaux prendront d'autant plus de temps que des recours ont été engagés, qui conduisent à les retarder ; en outre, nos constructeurs ont également pris du retard. Les travaux de la ligne Clermont-Ferrand-Paris ne seront achevés qu'en 2026 et nous devons donc tenir dans l'intervalle.

Pour y parvenir, nous prendrons en compte les facteurs géographiques. Sur une distance de 140 kilomètres entre Montargis et Nevers, l'espace est dépourvu d'installations ferroviaires ; il d'agit d'un espace de fragilité car il traverse des zones forestières importantes. Or dans ces zones, le risque de percuter un animal qui arrêterait un train est réel et le changement climatique accroît les risques d'inondation et de chutes d'arbres sur les lignes. Il faut savoir que ces causes externes représentent quand même 60 % des causes des grands retards.

Par conséquent, nous avons décidé de traiter les lignes comme les lignes à grande vitesse, en déployant des clôtures qui permettront d'assurer leur protection longitudinale. Nous commencerons par la ligne ParisClermont-Ferrand sur un tronçon d'environ 20 kilomètres.

Nous avons aussi des accords avec des fédérations des chasseurs qui octroient des dérogations pour permettre aux associations locales de nous aider à réguler les populations de sangliers le long de la ligne.

L'ancienneté du matériel roulant est également problématique. Il faut mieux prévenir les pannes et améliorer la maintenance, notamment en renforçant les chaînes de traction électrique dont le dysfonctionnement a causé le très grand retard du 19 janvier. Nous devons aussi améliorer le temps d'intervention et nous renforcerons donc les moyens de secours, notamment à Nevers avec des locomotives de secours qui pourront intervenir plus rapidement. Les moyens humains seront également renforcés.

Ce plan puissant doit nous permettre de tenir en attendant l'arrivée de la solution plus structurelle que j'ai évoquée, à savoir un matériel neuf et des travaux importants sur la ligne.

Au-delà de ces lignes dont la situation est compliquée, je voudrais rappeler quelques chiffres. 15 000 trains circulent chaque jour, dont principalement des TER et des Transiliens. La régularité, indicateur clé de qualité, se situe au-dessus de la moyenne européenne, aux alentours de 90 %, soit un niveau correct et satisfaisant qui se stabilise dans le temps. Cela n'empêche pas que nous puissions connaître de mauvaises périodes et je pense notamment aux conséquences des événements climatiques qui ont pu entraîner des retards importants dans toute la France en fin d'année.

Il ne faut pas non plus oublier SNCF Réseau, avec énormément de chantiers ouverts chaque année (1 600 en 2024). Ces travaux préparent le réseau de demain, même s'ils peuvent perturber la circulation.

Parmi les autres motifs de satisfaction, le groupe SNCF (La SNCF ferroviaire et ses filiales, dont Geodis et Keolis) affiche des résultats positifs pour la troisième année consécutive. C'est une bonne nouvelle pour les Français qui n'ont plus à compenser de pertes. La réforme est efficace d'un point de vue économique puisque depuis sa mise en œuvre, le groupe SNCF ne perd plus d'argent.

De plus, il faut souligner que cet argent gagné est réinvesti dans le ferroviaire par le groupe public, y compris l'argent gagné par Geodis en Chine ou par Keolis en Australie. Cette solidarité, introduite par la loi de 2018, opère notamment par le biais du fonds de concours qui y est dédié.

Ces investissements portent sur les infrastructures mais aussi sur le matériel roulant. Nous manquons de TGV et nous avons donc décidé de commander 115 nouvelles rames. Alstom peine cependant à nous livrer dans les délais et nous devrions les réceptionner fin 2025 au lieu de fin 2023. Néanmoins, dès qu'elles arriveront, nous pourrons augmenter les capacités et les fréquences de circulation.

L'engouement des Français pour le train doit également être souligné. Nous sommes parfois surpris du taux de croissance de la fréquentation, qui s'établit à +4 voire +6 % par an, contre +2 % auparavant. Cette croissance très forte de notre fréquentation pose bien sûr des problèmes de taux d'occupation, puisque notre parc est limité.

Cette croissance ne concerne pas uniquement les TGV et la longue distance. Les TER affichent des croissances spectaculaires, parfois liées aux politiques tarifaires conduites par les régions et décidées par les conseils régionaux.

Geodis s'est très bien portée pendant la phase du Covid, mais la situation s'est compliquée depuis fin 2023 sous l'effet du tassement des échanges internationaux lié notamment à une conjoncture économique dégradée en Allemagne ou en Chine. En revanche, le chiffre d'affaires de Keolis croît de près de +7 %.

Le fret (Rail Logistics Europe) a connu une année 2023 compliquée en raison des grèves liées à la réforme des retraites en début d'année et d'une conjoncture internationale mal orientée. La discontinuité imposée par la Commission européenne, qui consiste à réduire de manière volontaire l'activité de Fret SNCF, a également pesé sur l'activité.

Le rôle d'une entreprise publique est aussi de se projeter et d'envisager le temps long. Les investissements d'aujourd'hui représentent la qualité de service de demain. Si nous avions investi, il y a dix ou quinze ans, sur les lignes Paris-Clermont-Ferrand, Paris-Limoges ou Paris-Briançon, nous n'aurions pas aujourd'hui de problèmes de qualité de service. C'est en investissant aujourd'hui sur ces lignes que nous aurons demain une bonne qualité de service.

La capacité à inscrire le ferroviaire et l'activité de la SNCF dans le temps long est absolument essentielle pour éviter de rencontrer des difficultés dans cinq ou dix ans. Je rappellerai d'ailleurs que le plan stratégique de la SNCF a été validé par l'État fin 2023. C'est un plan de développement à dix ans.

La réforme de 2018 a été l'acte I de l'assainissement financier du ferroviaire et de la SNCF. La reprise de la dette de SNCF Réseau par l'État à hauteur de 35 milliards d'euros a permis au groupe SNCF de se remettre sur une trajectoire positive, de réinvestir dans l'infrastructure et de se préparer à la concurrence qui arrive. L'acte II, c'est le développement. Le moment est venu, au nom de la transition écologique et de l'aménagement des territoires, d'offrir des solutions alternatives au tout-voitures ou à l'avion. Le ferroviaire est la bonne réponse, pour les voyageurs comme pour les marchandises.

Le plan stratégique prévoit par conséquent d'investir durablement dans l'infrastructure et le matériel pour permettre le développement du trafic et assurer un rebond du fret ferroviaire. Nous n'avons pas l'intention d'abandonner le fret ferroviaire, mais bien au contraire, de développer cette activité.

Le plan stratégique vise également le développement des filiales Geodis et Keolis. La France et les entreprises françaises ont besoin de logisticiens puissants. Je rappelle que lorsque la France a connu des problèmes de masques pendant le Covid, c'est Geodis qui est allée chercher des masques en trouvant des fournisseurs en Chine et qui, quand l'État français a fait appel à elle, est parvenue à les faire venir en France en une semaine. Il est très important pour la souveraineté de notre pays de disposer d'un logisticien contrôlé par la puissance publique.

Concernant le réseau, il faut se souvenir que la Première ministre Mme Élisabeth Borne a annoncé il y a environ un an un plan d'avenir pour les transports d'un montant de 100 milliards d'euros d'ici à 2040.

Cette somme doit être consacrée pour les deux tiers au développement, soit la construction de lignes et de nouveaux projets.

Parmi ces derniers, il convient de mentionner les services express régionaux métropolitains (SERM) qui offriront à nos concitoyens vivant autour des grandes métropoles une vraie alternative à la voiture. Ces projets multimodaux devront combiner le ferroviaire avec le vélo, les bus, les cars, les voitures ou encore les voitures électriques. Les collectivités locales doivent être les moteurs de ces projets.

La relance des lignes à grande vitesse est aussi une priorité, qu'il s'agisse de Bordeaux-Toulouse, de la ligne nouvelle Provence Côte-d'Azur, ou encore de Roissy-Picardie.

Le fret est également inscrit dans les nouveaux projets avec l'amélioration des accès ferroviaires au tunnel sous les Alpes ou le contournement fret de l'agglomération lyonnaise, indispensable pour développer le trafic ferroviaire entre la Méditerranée et le Nord de l'Europe.

Un tiers du plan d'avenir sera par ailleurs consacré à la régénération du réseau. Un énorme effort de rattrapage a été réalisé grâce à la loi de 2018 et au financement qui a été consenti, puisque nous sommes passés de 1 milliard d'euros par an à presque 3 milliards consacrés à cette régénération. Ce n'est cependant pas encore suffisant et nous devons être capables d'arriver à 4, voire 4,5 milliards d'euros dans les prochaines années. Les efforts sont réels, puisqu'est prévue une contribution supplémentaire de 2,3 milliards d'euros entre 2024 et 2027, mais ils doivent être poursuivis et ancrés dans la durée. Le Parlement pourra peut-être d'ailleurs y travailler et voir comment il serait possible de sécuriser les investissements en matière de régénération du réseau.

J'ajouterai que le matériel roulant ne se limite pas au TGV. Je suis très fier que la SNCF travaille sur des projets comme Draisy (matériels régionaux très innovants, plus légers et électriques) ou Flexy (un engin mi-voiture, mi-train permettant de combiner desserte routière et desserte ferroviaire).

Concernant les relations sociales, j'ai la conviction que le dialogue est nécessaire. Les bons résultats de l'entreprise viennent des cheminots et j'ai beaucoup de respect pour tous les métiers cheminots dont nous avons besoin pour produire le service ferroviaire attendu par les Français. Ils sont au rendez-vous. Souvenez-vous que nous avons transformé des TGV en hôpitaux pour transférer des malades de l'Est de la France vers le Sud-Ouest. Nous avons également transformé des TER en trains de marchandises pour approvisionner en eau, nourriture et médicaments des villages coupés du monde lors des crues et des inondations qui ont touché les Alpes-Maritimes.

J'essaie de respecter un principe d'équilibre entre les enjeux économiques et sociaux, avec un retour vers ces derniers lorsque la situation économique est satisfaisante. C'est ce que nous avons fait pendant les trois ans de forte inflation, avec une augmentation de la masse salariale de la SNCF de +20 % (+1,5 milliard d'euros). Cependant, le social doit aussi tenir compte de l'économique. Les revendications exprimées doivent rester acceptables.

Le second principe que j'essaie d'appliquer est le refus que les questions catégorielles l'emportent sur les enjeux généraux. Je suis le président de tous les cheminots et lorsqu'une revendication est trop spécifique et trop catégorielle, j'aime bien la placer dans un ensemble plus vaste pour ne léser personne. C'est un principe de cohésion et d'équité sociale que j'essaie de mettre en place et que je partage très largement avec les organisations syndicales de l'entreprise.

Je voudrais aussi citer nos actions en matière d'écologie et de protection de l'environnement. Nous avons décidé l'année dernière que la SNCF deviendrait un producteur d'énergie électrique en installant massivement des panneaux solaires. Ainsi, en 2030, nous devrions produire entre 15 % et 20 % de l'électricité que nous consommons et en 2050, je pense que la SNCF peut être autosuffisante grâce à 10 000 hectares de panneaux solaires. C'est le cap que nous nous sommes fixé. Or si la SNCF, qui est le plus gros consommateur d'électricité, devient autosuffisante, ce sera autant de moins qu'EDF aura à fournir. C'est très important pour la souveraineté de notre pays.

Par ailleurs, nous avons arrêté l'usage du glyphosate depuis fin 2021. Nous recyclons également tout notre ballast et nos rails, et nous avons installé une filière de recyclage des vêtements professionnels à Amplepuis, dans le Rhône.

Enfin, nous avons réussi la Coupe du monde de rugby ; les Jeux olympiques représentent le challenge de cette année. Au risque de vous surprendre, je suis confiant. La SNCF sera au rendez-vous sur le plan technique et les cheminots sont motivés.

En conclusion, je souhaite que l'entreprise publique SNCF, qui appartient aux Français et à l'État français, soit utile au pays et utile aux territoires. Je pense que nous le sommes, et qu'il y a encore beaucoup à faire. Le ferroviaire, c'est le temps long.

Sur tous ces sujets, j'aurai besoin de vous, j'aurai besoin du Parlement pour poursuivre l'effort engagé pour que la SNCF soit utile au pays.

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