Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2024 à 21h30
Gouvernance de la sureté nucléaire et de la radioprotection - application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Cette majorité tente un tour de force : faire croire à ceux qui défendent une politique nucléaire ambitieuse qu'il faut réformer la sûreté nucléaire. Pourtant, les arguments contre la fusion des deux entités chargées de la gestion des risques nucléaires, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (lRSN), sont solides, à plus forte raison lorsqu'ils viennent de pronucléaires.

Le premier argument est simple : c'est celui de la stabilité. Vous nous dites que l'organisation duale n'est pas l'unique modèle au monde. Il est néanmoins partagé par plusieurs États – notamment la Belgique et le Royaume-Uni – et a fait la preuve de son efficacité. D'autres pays – les États-Unis, le Canada ou encore l'Espagne – ont fait le choix de modèles intégrés, qui ont eux aussi fait leurs preuves. Toutefois, aucun pays n'a jamais basculé du système dual vers un système intégré. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'un changement de structure comporte des risques, dont le premier est la désorganisation.

Le Gouvernement a un programme ambitieux en matière nucléaire : il entend prolonger d'au moins vingt ans les centrales existantes, mettre en service six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) et soutenir le développement de petits réacteurs modulaires (SMR). Nous avons toujours soutenu cette ambition, qui tend notamment à prolonger la durée de vie des réacteurs plutôt que de les fermer. Elle s'accompagnera nécessairement d'une augmentation de la charge de travail pour les autorités de sûreté nucléaire. Or la désorganisation du système au moment même où il doit faire face à un nouveau défi aura un effet contre-productif. Vous risquez in fine de ralentir la relance du nucléaire, d'autant que les salariés, en désaccord avec le projet de réforme, sont nombreux à envisager de quitter les rangs de l'organisation – certains l'ont d'ailleurs déjà fait. C'est un facteur inquiétant, sachant que la sûreté nucléaire repose avant tout sur l'expertise de femmes et d'hommes aux compétences rares.

Le risque zéro n'existe dans aucun domaine, et le nucléaire ne fait pas exception. Il ne nous semble pas raisonnable – c'est un euphémisme – de réviser le système de sécurité sous la pression de l'exploitant. Sans être alarmiste, je rappelle à ceux qui l'auraient oublié qu'au Japon, une trop grande connivence entre l'autorité de sûreté et l'énergéticien a conduit à l'accident de Fukushima, dont ce 11 mars marque le triste treizième anniversaire. Les dangers sont considérables ; il nous faut donc légiférer avec une main tremblante.

Le deuxième risque est celui d'une perte de confiance de la société civile envers l'atome. À force de « fluidifier » et de « simplifier », vous risquez tout simplement d'alarmer. Si le nucléaire a la cote ces dernières années, c'est parce que l'IRSN a su construire un discours et un dialogue rassurants pour nos concitoyens. En faisant disparaître cette institution qui joue un rôle pivot en matière de transparence, vous allez réveiller les inquiétudes. Or nous ne parviendrons pas à réaliser les investissements nécessaires sans une adhésion forte de la part des Français.

Le troisième et dernier risque est celui de faire croire qu'un vote au Parlement ne vaut rien, que la représentation nationale peut être retournée à l'usure. L'Assemblée nationale s'est déjà exprimée, en séance plénière puis en commission la semaine dernière, contre un projet de réforme de la sûreté nucléaire qu'elle considère comme injustifié. Si encore vous aviez étayé votre argumentaire ! Si seulement vous nous aviez fourni une justification légitime ! Mais, à nos « pourquoi », vous ne cessez de répondre par des « comment ».

La décision, annoncée un beau matin par le Président de la République, est dépourvue de base solide. Il semblerait qu'elle ait été prise sur le fondement d'un rapport de Daniel Verwaerde, que le rapporteur n'a pas obtenu ni même demandé.

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