Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 11 mars 2024 à 16h00
Protection des enfants victimes de violences intrafamiliales — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Après une semaine historique placée sous le thème des droits des femmes, nous commençons celle-ci sous le thème de l'enfance, pour parachever une avancée majeure dans la protection de nos enfants. Vous le savez, la protection de l'enfance, comme celle des femmes, constitue l'une des priorités du Gouvernement. Aussi, je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un compromis dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire (CMP).

Il faut dire que le texte était presque arrivé à maturité puisque seul l'article 1er faisait encore l'objet d'un débat entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Cet article, dans la rédaction qui est aujourd'hui soumise à vos votes, modifie l'article 378-2 du code civil afin d'étendre le mécanisme de suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné. Désormais – enfin ! –, nous appliquerons un principe de précaution pour l'enfant : dès lors que son parent sera poursuivi pour crime ou agression sexuelle sur sa personne, aucun risque ne sera pris et l'enfant n'aura plus aucun contact avec son agresseur présumé jusqu'à l'éventuelle décision de non-lieu du juge d'instruction ou jusqu'à la décision de la juridiction pénale.

Certains ont pu penser qu'une telle suspension portait une atteinte trop importante aux droits parentaux du parent poursuivi, d'autant plus que la nouvelle écriture supprime l'obligation faite au procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) dans les huit jours suivant la suspension. Il n'en est rien, puisque le parent mis en cause a la possibilité de demander au juge aux affaires familiales la mainlevée de la suspension dès le lendemain de son application. S'il ne formule pas cette demande, c'est la démonstration de son désintérêt pour l'enfant. S'il la formule, c'est l'occasion pour lui de démontrer à un juge sa capacité à assurer le bien-être et la sécurité de sa progéniture. L'écriture à laquelle vous avez abouti permet donc d'atteindre nos objectifs de protection de l'enfant en amont de la décision pénale : je ne peux que m'en féliciter.

Je veux ici saluer l'esprit de responsabilité et d'ouverture de Mme la rapporteure Santiago et de l'ensemble des groupes politiques de la majorité et de l'opposition qui ont œuvré à ce compromis. Vous avez su trouver, dans le cadre de la commission mixte paritaire, la voie de passage qui permet l'adoption de ce texte au plus vite. L'article 2, en revanche, a très rapidement fait l'objet d'un large consensus. Cet article élargit les modalités de retrait de l'autorité parentale ou de ses attributs pour renforcer la protection de l'enfant en cas de condamnation de l'un de ses parents, pour une infraction commise sur son enfant ou par son enfant. Un dispositif à triple détente – si je puis m'exprimer ainsi – est ainsi mis en place.

Le premier dispositif concerne les infractions les plus importantes : lorsque le parent est condamné pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse sur son enfant, le juge pénal aura désormais l'obligation d'ordonner le retrait total de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si le juge ne décide pas le retrait total de l'autorité parentale, il ordonnera alors le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Il s'agit d'une avancée importante puisqu'en l'état du droit positif, ce retrait n'est qu'une simple faculté pour le juge, quelle que soit l'infraction ayant donné lieu à la condamnation.

Le second volet du dispositif concerne tous les délits commis sur l'enfant, autres que l'agression sexuelle incestueuse. En cas de condamnation, le juge pénal aura l'obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité.

Le troisième et dernier volet concerne le cas du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis par son enfant. En cas de condamnation, le juge pénal aura la possibilité d'ordonner le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de son exercice.

Je le dis et le redis ici devant vous : ces deux premiers articles, ainsi que l'article 3, qui intègre dans le code pénal les dispositions que l'article 2 introduit dans le code civil, constituent une avancée majeure en matière de protection des enfants. De même que la protection des droits des femmes revêt une dimension universelle, les droits des enfants méritent d'être promus et défendus par-delà nos frontières. Aujourd'hui, la France s'engage résolument pour protéger les plus petits d'entre nous. Elle rejoint l'Espagne et l'Italie dans le peloton de tête des pays les plus protecteurs des enfants ! J'irai même au-delà. Une fois ce texte entré en vigueur, notre législation sera la plus complète et la plus protectrice d'Europe, voire du monde, parce qu'elle prévoit dès le début de l'enquête une suspension automatique de l'exercice des droits parentaux sans intervention préalable du juge, et parce qu'elle contraint ou autorise le juge pénal à se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice pour toutes les infractions, de manière proportionnelle à leur gravité.

Mesdames et messieurs les députés, nous pouvons être fiers de la qualité des travaux parlementaires et des échanges qui furent les nôtres car ils ont démontré, si besoin était, notre engagement commun, transpartisan et total au service de la protection de l'enfance, au-delà de toutes nos différences. Ce texte, n'en doutons pas, est très attendu par nos concitoyens, parce qu'il renforce la protection des plus vulnérables d'entre nous, parce qu'il est de notre devoir de protéger l'enfant victime de son parent agresseur et parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l'enfant peut grandir en paix et en sécurité.

Après ce vote qui, je l'espère, nous rendra fiers, la France sera à la pointe du combat pour la protection de l'enfance, comme elle l'était la semaine dernière pour la protection des droits des femmes. Décidément, la France des droits des femmes, la France des droits des enfants, la France des droits humains rayonne en ce mois de mars !

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