Intervention de Pascale Boyer

Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Boyer, rapporteure :

La réapparition du loup dans certaines régions des pays de l'Union, la dynamique démographique de sa population et les pertes subies par les éleveurs ont relancé le débat sur l'ajustement du niveau de protection du loup ainsi que l'accompagnement des éleveurs.

En réponse à la mobilisation des eurodéputés qui ont voté une résolution du Parlement européen le 24 novembre 2022, avec une majorité de 306 pour et 255, mais aussi des représentants professionnels du monde agricole, des parlementaires et des élus locaux, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a annoncé le 4 septembre 2023 une campagne d'actualisation des données sur les populations de loups dans l'Union européenne.

Sur la base de cette étude publiée en décembre 2023, une proposition de révision de la Convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage en Europe a été publiée, à destination du Conseil de l'Europe, le 20 décembre 2023 par la Commission qui suggère de faire passer le statut de protection des loups de « strictement protégé » à « protégé ».

L'avis politique que nous allons examiner aujourd'hui poursuit trois objectifs principaux :

– proposer un ajustement des textes à l'état de conservation de l'espèce ;

– mieux accompagner les éleveurs, et c'est le plus important, améliorer leur qualité de vie ;

– promouvoir une véritable coordination européenne.

Ma conviction profonde est que la France doit, sur ce sujet sensible, promouvoir une solution d'équilibre qui assure la coexistence des loups et du monde agricole, en particulier de l'agropastoralisme dont nous avons connaissance aujourd'hui des grandes difficultés rencontrées.

Alors pourquoi proposer, dans un premier temps, une réforme des textes en vigueur ?

Je précise, pour que les choses soient bien claires, qu'il ne s'agit pas de revenir sur le principe même de la protection du loup mais de donner les moyens nécessaires aux éleveurs pour les protéger et pour protéger leurs troupeaux. Il s'agit de proposer un ajustement du statut de protection du loup au sein de la Convention de Berne et de la directive « Habitats » en fonction de l'état de conservation de l'espèce. Ne faisons pas de caricatures, les éleveurs ne sont pas des tueurs de loups. Et ils souffrent que leurs demandes qui sont justifiées dans un tel contexte soient très largement brocardées. Ils ont, au contraire et surtout, besoin d'un fort soutien des pouvoirs publics.

La Convention de Berne a été adoptée le 19 septembre 1979 lorsque les loups avaient disparu en Europe occidentale. Or la situation a radicalement changé.

L'étude publiée en 2023 par la Commission européenne établit la présence de loups dans tous les pays membres de l'Union européenne, à l'exception de l'Irlande, Chypre et Malte. On comptabilise 20 300 loups et l'étude confirme la croissance exponentielle de la population.

S'y ajoute la question de l'hybridation chien-loup, phénomène difficilement quantifiable, sujet moins prégnant en France, mais qui est particulièrement présent dans certains pays de l'Union européenne comme l'Italie, la Grèce, la Croatie et l'Espagne.

Estimant que « l'état de conservation de l'espèce est indéniablement positif », l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature a révisé la liste rouge des espèces en danger en 2022 afin de placer les loups dans la catégorie des espèces de « préoccupation mineure ».

En France selon l'Office français de la Biodiversité, l'effectif estimé à la sortie de l'hiver 2022-2023 est de 1 104 individus. En cinq ans, la population lupine a plus que doublé (430 loups en 2018) et l'expansion géographique est exponentielle, puisque des loups sont présents notamment en Bretagne et dans le Languedoc. D'autres territoires sont en voie de colonisation et ces territoires sont peu ou pas préparés à la présence du loup, ce qui crée des tensions entre les différentes parties prenantes et déstabilise les modèles d'élevages pratiqués souvent depuis la nuit des temps.

Toutes les études disponibles soulignent la même tendance positive de la conservation de l'espèce.

Il faut évidemment se féliciter que les mesures de protection des loups aient rempli leur objectif pour protéger l'espèce. Mais, il faut amplement reconnaître que le dynamisme démographique de leur population entraîne des conflits croissants avec les éleveurs.

Depuis de très nombreuses années, les attaques de loup contre les troupeaux se multiplient. Les loups sont responsables de la mort de 65 500 bêtes chaque année en Europe dont 73 % de moutons et chèvres, 19 % de vaches et 6 % de chevaux et ânes.

L'Italie, l'Espagne et la France sont les trois pays les plus impactés par les attaques de loups (entre 10 000 et 14 000 bêtes tuées chaque année en moyenne). Selon les derniers chiffres disponibles, plus de 12 000 animaux ont été victimes de prédation en France en 2022. Ce chiffre concerne les ovins/caprins mais aussi les bovins et les équins.

Face à l'intensification des attaques, les appels à une modification de la réglementation et à l'accompagnement des éleveurs se sont multipliés. Je ne les citerai pas toutes mais je mentionnerai une des plus récentes : la résolution du Parlement européen du 24 novembre 2022. La Suisse, pays n'appartenant pas à l'Union européenne, certes, mais qui est également fortement touchée, a elle aussi, de son côté proposé, à trois reprises une modification de la Convention de Berne, l'Italie, la Roumanie, la Suède ont plusieurs fois souhaité aborder le sujet en Conseil Agriculture et pêche de l'Union européenne.

En réponse, à ces demandes successives, Mme Ursula von der Leyen a annoncé en septembre 2023 une campagne d'actualisation des données sur les populations de loups.

L'analyse de la Commission européenne a été rendue publique le 20 décembre 2023. Elle souligne une tendance positive de l'état de conservation de l'espèce ainsi qu'une augmentation des dommages causés au bétail par les loups. En conséquence, une proposition de révision de la Convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage en Europe a été publiée le 20 décembre par la Commission qui suggère de faire passer le statut de protection des loups de « strictement protégé » (annexe II) à « protégé » (annexe III) de la Convention de Berne. Selon la Commission, cette modification de la convention semble « appropriée au regard des tendances récentes de l'état de conservation de l'espèce » tout en « maintenant un niveau de protection suffisant ».

Il ne s'agit pas bien sûr, de revenir sur le principe même de la protection du loup mais d'en ajuster les modalités. Mais faute d'une réglementation adaptée et d'un soutien apporté aux éleveurs, nous courrons le risque de voir décliner l'agropastoralisme et l'élevage extensif, ainsi que des abattages illégaux de spécimen de cette espèce protégée.

Vous l'avez donc compris, la demande est que le statut de protection du loup vienne s'ajuster à l'état de conservation de l'espèce en s'appuyant sur les dernières données scientifiques officielles.

La modification du statut de protection aurait des conséquences qu'il faut savoir anticiper. Dans l'hypothèse d'une réforme de la réglementation, il faudra veiller à améliorer et harmoniser au niveau européen les méthodes de comptage.

J'aborde le deuxième point qui me semble être le plus important.

Cet avis vise à alerter les autorités nationales et européennes sur la nécessité de mieux accompagner et soutenir les éleveurs qui se trouvent en grande difficulté.

Nous aurons gagné lorsque nous aurons réellement amélioré la qualité de vie des éleveurs et des bergers. J'en suis réellement persuadée.

Parce que les éleveurs et les bergers ont besoin de retrouver de la sérénité dans leur travail et dans leur vie familiale. J'ai rencontré de nombreux éleveurs qui venaient de subir une ou plusieurs attaques successives. Leur désarroi va au-delà des pertes subies. L'état psychologique dans lequel ils se trouvent est absolument troublant lorsqu'ils retrouvent une partie de leur cheptel disséminé ou agonisant. C'est le travail de plusieurs mois qui est alors détruit. Ce sont des troupeaux qu'il faut reconstituer, des bêtes qu'il faut soigner quand elles peuvent être sauvées, des bêtes qu'il faut abattre parce qu'elles ne pourront survivre. Certains éleveurs sont même obligés de faire appel aux services de l'Office Français de la Biodiversité pour stopper l'agonie de leurs animaux car leur état psychologique ne leur permet pas d'effectuer ces actes d'euthanasie. Sans compter que les animaux qui ont survécu gardent souvent des séquelles irréversibles : avortement, baisse de la lactation et j'en passe.

Alors, parce que les éleveurs et les bergers participent eux aussi à la protection de la biodiversité, à l'entretien des paysages, à la prévention des risques d'incendies, ils doivent être entendus et soutenus.

C'est donc un appel que nous lançons au soutien aux éleveurs et à leurs bergers. Car indépendamment du changement de statut de protection du loup, il est absolument essentiel d'améliorer le quotidien des éleveurs en soulignant les difficultés croissantes auxquelles ils doivent faire face.

La prédation des troupeaux par les loups vient s'ajouter à d'autres difficultés, comme le changement climatique, les problèmes financiers dus entre autres à la hausse des matières premières et de l'énergie, l'évolution des milieux, l'évolution du regard sociétal vis-à-vis de l'élevage, les conditions d'exercice difficiles, les conflits d'usage dans les espaces naturels dus à la présence des chiens de protection des troupeaux, les éleveurs se sentent très souvent démunis et incompris face à la prédation et je le répète, il faut bien évidemment mesurer l'impact financier, mais aussi et surtout l'impact psychologique consécutif à la perte de leurs bêtes.

Le triptyque – clôtures, bergers, chiens – doit rester la pierre angulaire de l'accompagnement des éleveurs, mais ces derniers doivent être davantage soutenus. L'utilisation de nouvelles technologies, tels les colliers satellites, doit être expérimentée et financée, avec les fonds destinés à la protection des troupeaux. Voici les demandes qui doivent trouver une réponse concrète :

– le reste à charge des éleveurs pour financer les mesures de prévention doit être au maximum limité, et il est impératif de simplifier les démarches administratives aussi bien pour le financement des moyens de protection que pour les indemnisations des pertes ;

– il faut renforcer le financement des mesures de protection et d'indemnisations pour les bovins et les équins ;

– il faut donner les moyens d'accompagnement aux territoires non encore colonisés, mais qui risquent de l'être rapidement ;

– les programmes LIFE, programmes européens, pour améliorer la cohabitation doivent être intensifiés et évalués ;

– il faut accélérer la structuration de la filière des chiens de protection des troupeaux et légiférer sur le statut du chien de protection des troupeaux ;

– il faut souligner que le financement des mesures de prévention et de protection pèse beaucoup trop sur le ministère de l'agriculture au détriment des autres mesures de financements dédiées aux agriculteurs.

Je terminerai mes propos en abordant le 3ème point : notre pays doit jouer un rôle moteur dans la coopération transfrontalière. Le loup n'a pas de frontières. Nous devons nous organiser collectivement. C'est pourquoi je me suis rendue à Bruxelles et en Italie, pour promouvoir une approche européenne du sujet. J'ai pu constater, en rencontrant les syndicats agricoles et des élus italiens, que le problème se pose dans les mêmes termes de l'autre côté des Alpes et que les éleveurs italiens demandent le même accompagnement que chez nous.

Comme vous l'avez compris, je souhaite que nous parvenions à une solution équilibrée qui garantisse à la fois la protection des troupeaux et la protection du loup, et que les éleveurs puissent cohabiter sereinement avec les grands carnivores.

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