Intervention de Julia Cagé

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 10h30
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Julia Cagé, professeure associée en économie au sein du département d'économie de l'Institut d'études politiques de Paris :

J'ai cité Canal+ parce que la chaîne a agi ainsi à plusieurs reprises, et ouvertement. Maxime Saada et d'autres dirigeants ont plusieurs fois déclaré que si le groupe n'obtenait pas sa baisse de TVA, si on lui imposait telle obligation, s'il devait souffrir d'un changement de la chronologie des médias, il quitterait la TNT. Lors du dernier renouvellement d'ailleurs, il a choisi une autorisation de trois ans alors qu'elle aurait pu être plus longue, pour bien montrer que la situation était temporaire.

D'autres chaînes pourraient tenir un même discours si le régulateur décidait de modifier les règles relatives au pluralisme, à la concentration ou à la gouvernance, en particulier s'agissant de l'indépendance des rédactions.

La bonne réponse serait que les critères qui pourraient être modifiés ne s'appliquent pas aux éditeurs uniquement s'ils diffusent sur la TNT, mais indépendamment des modalités de diffusion, en tout cas dès lors que la chaîne touche un certain nombre de citoyens – il n'y a peut-être pas d'intérêt à réguler une chaîne qui a une audience de trois personnes et demie. Je parle de citoyens et non de téléspectateurs car ils ne sont pas forcément touchés directement, à travers le canal de la télévision, mais aussi indirectement, sur internet – on sait très bien désormais mesurer les audiences numériques. Les efforts à réaliser sur le plan législatif doivent donc s'appliquer, en plus de la TNT, aussi à une diffusion over the top (OTT) qui passerait par une box internet ou par une offre triple play.

Les raisons sont doubles. La première est de ne pas céder au chantage actuel, qui me paraît profondément malsain puisqu'il affaiblit l'Arcom, y compris pour ce qui est de la sincérité des discussions qui auront lieu au moment du renouvellement des autorisations. Ensuite, si l'on veut introduire des changements importants à la loi de 1986 – on a un peu traîné : depuis quarante ans, on s'est contenté d'en toiletter certaines parties – il faut garder à l'esprit que les changements des modalités de consommation et les innovations technologiques seront majeurs et nombreux dans les années à venir. On parle aujourd'hui de triple play, d'OTT et de Smart TV, mais il faudra peut-être ajouter des mots complètement nouveaux à notre vocabulaire pour décrire les pratiques de consommation des contenus audiovisuels de demain.

Je pense donc que le législateur doit partir d'un seuil minimal d'audience totale et adopter la même démarche que l'Union européenne avec le DSA et le DMA pour la régulation de ce qu'on appelle les très grandes plateformes. Autrement dit, il faut essayer d'arrêter de définir des parts de marché ou ce qu'est un marché, ce qu'on ne sait pas faire aujourd'hui, notamment dans l'audiovisuel. On se souvient ainsi des débats très longs qui ont eu lieu à propos du projet de fusion entre TF1 et M6 pour déterminer s'il s'agissait ou non du même marché publicitaire. En termes d'audience, on pourrait se demander de la même façon si TF1 et M6 doivent être considérées de la même façon que YouTube, ou comme des plateformes ou des réseaux sociaux qui diffusent également des contenus audiovisuels.

Il faut une régulation qui s'applique à l'ensemble des éditeurs diffusant des contenus audiovisuels au-delà d'un certain seuil d'audience, à définir collectivement. C'est la meilleure manière de ne pas céder au chantage et d'éviter que les discussions sur la réattribution des fréquences audiovisuelles ne soient faussées.

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