Intervention de Nathalie Sonnac

Réunion du mercredi 20 décembre 2023 à 15h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Nathalie Sonnac, professeure à l'université Paris-Panthéon-Assas, ancien membre du CSA :

Netflix, Disney et Amazon ont investi cette année 345 millions d'euros dans la création française. En 2021, Netflix avait investi 17 milliards d'euros dans le monde. Par comparaison, les grands groupes français (France Télévisions, TF1, M6, Canal +) ont investi sur six ans 6 milliards d'euros. Aujourd'hui, ces chaînes publiques et privées sont évidemment en concurrence sur le marché de l'attention. La présence de ces plateformes conduit à une inflation des coûts : un groupe doit proposer des contenus attractifs pour pouvoir générer l'audience de ses chaînes.

Finalement, ce modèle économique est très semblable à celui employé par Émile de Girardin en 1836, quand il lançait La Presse. Celui-ci considérait ainsi que s'il vendait son titre de presse à un prix couvrant son coût de production, celui-ci serait beaucoup trop élevé pour être accessible au plus grand nombre. Or l'information est un bien atypique, un bien public qui répond au principe de non-rivalité et de non-exclusion. Quel que soit le mode de distribution, cette information coûte cher à produire. Dans le cadre de son enquête annuelle sur la confiance des Français dans les médias, le journal La Croix a mené une expérience intéressante, sur une vingtaine d'articles, pour savoir combien valait une information. Il apparaît qu'une vingtaine d'articles ont nécessité une douzaine de journalistes, seize rédacteurs, dont trois étaient payés à la tâche. Cela correspondait à 300 heures de travail cumulées et un coût de 15 000 euros.

Pour faire face à ces coûts, les médias, d'abord la presse, puis la radio et la télévision, sont allés chercher une seconde source de financement : la publicité. Celle-ci permet non seulement de couvrir les coûts de production, mais aussi de continuer à investir et donc de bénéficier de deux revenus : un revenu publicitaire et un revenu en provenance des lecteurs, en kiosque ou par abonnement. Finalement, le but du jeu dans cette économie à deux versants (two-sided market) consiste à faire jouer des interactions entre ces deux côtés du marché. La télévision s'est elle aussi emparée du modèle, en poussant la logique plus loin et en décidant que son prix d'accès, son contenu à l'information ou au divertissement serait gratuit. Dans ce cas, un seul côté du marché est sollicité pour couvrir le coût de production, celui des annonceurs, qui achètent du temps et de l'espace de diffusion publicitaire.

Ce modèle économique de marché à deux versants est exactement celui des plateformes, qui l'appliquent dans le monde numérique. Dans ce cas, les effets de réseau prennent le relais, pour concerner des millions, voire des milliards d'utilisateurs, qui intéressent donc encore plus les annonceurs. De leur côté, les utilisateurs n'ont plus besoin de payer un prix d'accès, puisque la publicité financera l'intégralité de leur consommation. Mais désormais, ce sont eux qui sont devenus le produit.

Les effets de réseau croisés des externalités entre les lecteurs et les annonceurs permettent aux médias d'obtenir des gains, en étant un intermédiaire incontournable. Les plateformes jouent sur des tailles d'audience immenses. Plus elles proposeront des services, plus elles seront attractives pour le consommateur et donc pour l'annonceur. Pour y parvenir, elles utilisent notamment des algorithmes d'intelligence artificielle.

En résumé, la question du modèle économique est vraiment au cœur des enjeux de votre commission. Si le modèle économique de nos médias traditionnels, quels qu'ils soient, vacille, les plateformes prendront le relais. Or aucune de ces plateformes n'a aujourd'hui pour mission de produire une information de qualité.

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