Intervention de Sébastien Philippe

Séance en hémicycle du vendredi 19 janvier 2024 à 9h00
Essais nucléaires en polynésie française : indemnisation des victimes directes indirectes et transgénérationnelles et réparations environnementales

Sébastien Philippe, enseignant-chercheur :

L'État était bien au courant des conséquences possibles des essais nucléaires atmosphériques en Polynésie française. En 1966, le traité d'interdiction partielle des essais nucléaires interdisant de procéder à des explosions nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace extra-atmosphérique ou sous l'eau avait déjà été signé par le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Union soviétique. Ce traité répondait à une demande de l'opinion internationale de cesser d'exposer les populations aux particules radioactives dispersées lors des explosions. Avant d'être conduits en Polynésie, les essais français menés en Algérie étaient d'ailleurs sous-terrains afin de limiter les retombées. Ainsi, quand les essais ont été déplacés en Polynésie française, l'État était au courant qu'il exposait les populations et il a décidé de mener ces essais en connaissance de cause. La première année notamment, il attendait de voir quelles seraient les réactions de l'opinion publique nationale et internationale pour éventuellement poursuivre les essais en l'absence d'opposition majeure.

Dès le premier essai conduit en 1966 – je vous remercie d'avoir rappelé cet épisode –, la communauté qui vit aux îles Gambier, qui font partie des îles les plus proches de Mururoa, a été exposée à des retombées radioactives sans en avoir été informée. Les habitants attendaient la venue d'un ministre pour la célébration des premiers essais. Après le départ de celui-ci, on les a laissés poursuivre les festivités alors que les sols, les sources d'eau potable et les aliments étaient contaminés. En 1966, un médecin militaire a recommandé dans un rapport de minimiser les chiffres pour ne pas perdre la confiance de la population et éviter qu'elle ne se rende compte qu'il y avait eu un raté dès le départ.

En 1971, ce même médecin, alors chef du département chargé d'étudier la contamination des produits alimentaires en Polynésie française, a expliqué à la télévision qu'il n'y avait aucun problème et a prétendu que les aliments analysés par ses équipes étaient exempts de toute contamination. La même année, après l'essai Encelade, l'État a laissé pendant des semaines des familles de l'île de Tureia boire de l'eau de pluie contaminée par des éléments radioactifs alors que les services de contrôle de l'État mesuraient la contamination des sources d'eau potable et dosaient les éléments radioactifs dans la thyroïde des enfants de moins de 7 ans présents sur l'île. Nous disposons de la liste de ces personnes et, dans le cadre de notre enquête, nous avons retrouvé les membres de ces familles : même s'il ne s'agit pas d'une étude épidémiologique, beaucoup d'entre eux ont développé des cancers de la thyroïde. Donc l'État savait, avant et pendant la conduite des essais, et, aujourd'hui encore, il est au courant de cet héritage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion