Intervention de Nadège Abomangoli

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2024 à 9h00
Commission d'évaluation de l'aide publique au développement — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNadège Abomangoli :

Les discussions du jour ont déjà eu lieu il y a trois ans : en juillet 2021, notre assemblée s'est exprimée sur le projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nul n'avait voté contre ce texte. Cette loi comprenait de nombreuses lacunes – raison pour laquelle le groupe La France insoumise s'était abstenu –, mais elle avait le mérite de fixer un cadre de travail et d'analyse pour la politique française d'aide publique au développement.

Parmi les avancées de 2021 figurait la création de cette commission d'évaluation qui, trois ans plus tard, n'a toujours pas commencé ses travaux – c'est le sujet principal du présent débat. Cette instance, indispensable, permettra de dresser chaque année un bilan clair de l'APD française, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il s'agira donc d'un contrôle politique et non comptable, comme l'avait confirmé le rapporteur Berville en 2021. La proposition de loi du président Bourlanges réaffirme ainsi l'esprit de la loi.

Dans un monde post-pandémique aux économies ébranlées, traversées par des crises, des conflits armés et des phénomènes climatiques toujours plus extrêmes, dans un monde où les inégalités explosent, la solidarité entre les États et entre les peuples reste une nécessité.

De notre côté, nous soulignons d'ores et déjà les impasses de l'APD, comme l'utilisation exacerbée des emprunts au détriment des dons, ce qui nous paraît problématique. La France est championne d'Europe en la matière. Or cette politique peut contribuer à l'endettement de pays déjà fragilisés – c'est un comble pour l'aide publique au développement. Nous déplorons aussi la faible inclusion d'acteurs économiques des pays bénéficiaires, alors que l'APD est susceptible de renforcer les logiques de domination qui caractérisent notamment les relations de la France et des États du continent africain.

Voilà certaines de nos critiques à l'égard de l'APD française ; elles n'ont rien à voir avec celles formulées par les autres groupes, dont on a eu quelques exemples dans les interventions des orateurs qui se sont exprimés avant moi.

Nous avons pourtant cosigné cette proposition de loi avec eux, parce que son seul objectif est de faire respecter le Parlement. Les atermoiements qui ont permis de reporter indéfiniment – ou du moins jusqu'à aujourd'hui – la création de la commission d'évaluation illustrent une nouvelle fois le mépris affiché par le Gouvernement à l'égard de la représentation nationale. Nous avons déjà subi vingt-trois fois le recours à l'article 49.3 sur des textes majeurs pour la vie de nos concitoyens – rien de moins que la réforme des retraites, qui brisera la vie de millions de personnes, ou encore le budget de la nation et le budget de la sécurité sociale.

On nous a empêchés de voter ; voici maintenant que, par des manœuvres dilatoires, un texte pourtant voté à la quasi-unanimité risque de ne pas être appliqué dans son intégralité ! Il est heureux de constater qu'aujourd'hui, au-delà des rangs Insoumis, les soutiens du Gouvernement se lèvent pour défendre le Parlement. Dès lors, nous leur donnons rendez-vous lorsqu'il s'agira de s'opposer une nouvelle fois à l'article 49.3.

Avant même que l'installation de la commission d'évaluation soit effective, nos attentes à son endroit sont élevées. Elle doit tout d'abord tirer le bilan de l'APD à l'aune des engagements internationaux de la France et des principes de solidarité édictés par la loi de 2021.

Par ailleurs, le succès de ses travaux nécessite la présence d'ONG au sein du collège d'experts. Ce sont des acteurs de terrain incontournables, au fait des réalités locales et des besoins primordiaux des peuples soutenus.

Enfin, il nous paraît central que la commission exige le respect de l'objectif de financement de l'APD à hauteur de 0,7 % du RNB d'ici à 2025. Cet engagement, adopté par l'assemblée générale de l'ONU il y a cinquante ans, devait à l'origine être honoré par la France en 1980. Malgré l'adoption de cet objectif, le Gouvernement l'a modifié en catimini cet été : le Cicid, qui fixe les grandes orientations de l'APD, a repoussé cette cible de 0,7 % à 2030. C'est un décalage incompréhensible et inacceptable.

Au regard de ces urgences, nous ne pouvons plus attendre : nous ne laisserons pas passer une interprétation de la loi qui mettrait les parlementaires à l'écart de tels débats. Nous sommes de bords politiques distincts et nos conceptions de l'aide publique au développement divergent fortement. Malgré cela, nous souhaitons montrer notre attachement à notre rôle de législateur – ce dépassement nous honore et nous voterons ce texte avec vigueur.

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