Intervention de Manuel Domergue

Séance en hémicycle du mercredi 17 janvier 2024 à 21h30
Le sans-abrisme réceptacle des échecs des politiques publiques

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre :

L'objectif du plan « logement d'abord », s'il était à la hauteur de ses ambitions, serait, in fine, de réduire le nombre de places d'hébergement. Cependant, force est de constater que nous n'y sommes pas. Même avec la meilleure volonté du monde, je pense que dans les mois et les années à venir, il n'atteindra pas ses objectifs. Il faut donc se résoudre à augmenter à la fois le budget du plan « logement d'abord » et du logement en général, ainsi que celui de l'hébergement. Pourquoi ? Parce que, sinon, des personnes dorment dans la rue.

Ensuite, d'un point de vue juridique, l'État est obligé d'héberger toute personne sans abri en situation de détresse qui appelle le 115. Logiquement, nous ne devrions même pas avoir un débat budgétaire sur ce sujet. L'État devrait débloquer les moyens suffisants pour ouvrir le nombre de places d'hébergement nécessaires afin que, chaque soir, personne – ou presque personne – ne se voie opposer un refus par le 115. Évidemment, ce n'est pas le cas.

Par ailleurs, heureusement que les 120 millions d'euros que vous avez évoqués sont arrivés ! En définitive, il n'était pas si surprenant que le Gouvernement finisse par céder ; nous savons bien que les gouvernements successifs, malgré une fermeté affichée, ont tous dû lâcher quelque chose face à la pression populaire, médiatique et politique qui s'exerce – heureusement qu'elle existe ! – lorsqu'arrivent le froid et les premiers morts. Ils ne peuvent pas rester les bras ballants et se contenter de dire : « On a fait ce qu'on a pu ».

Le ministre du logement a expliqué que ce montant de 120 millions d'euros représentait l'équivalent de 10 000 places, tout en précisant que cela ne signifiait pas que 10 000 places seraient créées. Qu'est-ce que cela veut dire ? Nous ne le savons pas. Il n'y a plus de ministre du logement : le cabinet ne répond pas, pas plus qu'il ne répond à la presse ni aux parlementaires. Ce que nous avons cru comprendre, c'est qu'il y aurait bien des places supplémentaires. C'est heureux, parce que cela signifie que l'espèce de tabou consistant à dire que le Gouvernement n'irait pas au-delà de l'ouverture de 203 000 places d'hébergement, comme l'a martelé Mme Borne, puis tout le monde après elle – alors que Patrice Vergriete lui-même, à son arrivée au ministère du logement, considérait qu'il fallait davantage de places d'hébergement, avant d'être recadré et de déclarer que nous n'irions pas au-delà de ce chiffre ; pourquoi 203 000 et non pas 204 000 ? –, cette forme de tabou, disais-je, est tombée. Le Gouvernement a compris qu'il fallait faire davantage. Toutefois, combien de places supplémentaires ? Nous ne le savons pas.

Certes, la somme de 120 millions d'euros est intéressante et permettrait de faire davantage. Le problème, c'est qu'en loi de finances de 2024, il manque 200 millions dans les crédits du programme 177 Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, ne serait-ce que pour égaler ce qui a été dépensé en 2023, donc pour financer au cours de l'année 2024 les 203 000 places d'hébergement généraliste actuellement ouvertes. Il manque 200 millions, j'insiste ! Comme chaque année, le budget du programme 177 est insincère et, à la fin de l'année, il faut trouver quelques millions supplémentaires. Sauf qu'entre-temps, cette situation génère une politique de stop and go : lorsqu'on s'aperçoit qu'on a trop dépensé, on demande aux associations, durant l'été, de réduire la voilure pour entrer dans le budget. Par conséquent, ces 120 millions serviront-ils à faire des choses supplémentaires ou simplement à boucler le budget, en fonction de l'objectif actuel ? C'est encore trop flou et ce n'est pas satisfaisant.

D'ailleurs, il n'est pas normal que des amendements parlementaires aient été présentés, votés et retoqués et que, deux semaines après, les mêmes montants soient octroyés par le ministre. C'est signe, me semble-t-il, d'un problème démocratique.

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