Intervention de Xavier Boy

Réunion du jeudi 16 novembre 2023 à 9h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Xavier Boy, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA-SPP-PATS) :

Comme l'a dit Sébastien Delavoux, nous serons sans doute un peu plus « cash » que les autres personnes que vous avez auditionnées, car nous vous parlerons du terrain. Nous avons répondu par écrit à votre questionnaire et je vous remettrai à l'issue de l'audition ce document, dont je vais présenter un rapide résumé chapitre par chapitre.

Pour ce qui concerne, tout d'abord, la motivation et le recrutement, la Fédération autonome considère qu'il faut communiquer en direction des futurs candidats en montrant ce qu'est réellement le métier de sapeur-pompier, ou du moins ce que, pour de multiples raisons, il est devenu. La société a évolué et les services publics, d'une manière générale, se désengagent de leurs missions premières. C'est éminemment le cas des services de soins, mais cela vaut aussi pour les services de sûreté, les sapeurs-pompiers étant amenés à effectuer des missions de sécurité publique, notamment dans les situations d'ivresse manifeste. Le périmètre et le spectre de nos missions ont ainsi été modifiés : l'image du pompier sortant des flammes avec un enfant dans les bras, comme dans le film Backdraft, c'est beau pour l'affiche, mais ce n'est pas la réalité. Certains collègues qui nous rejoignent ne trouvent pas ce qu'ils pensaient trouver en venant exercer ce métier.

Nous revendiquons la professionnalisation et la séparation des missions réalisées par les techniciens du soin d'urgence et les techniciens du feu. Depuis la loi Matras, nous avons été autorisés, bien qu'il soit précisé que nous ne sommes pas des professionnels de santé, à pratiquer certains gestes techniques relevant de ces derniers, afin d'assurer une prise en charge plus efficiente des victimes. Comme nous l'écrivons dans la contribution que nous vous remettrons, cela ne doit pas avoir pour effet d'amplifier le désengagement des équipes médicalisées d'urgence des SAMU et des structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). En effet, si pour lever le doute en cas de douleur thoracique pouvant indiquer un accident cardiaque, le médecin régulateur qui pilote les moyens des SDIS par l'intermédiaire du 15 décide d'engager un vecteur sapeurs-pompiers au lieu d'un SMUR pour pratiquer un électrocardiogramme, le pompier de terrain que je suis ne peut pas vous garantir que cela sera aussi bien fait que si le médecin du SAMU était venu le faire. Nous refusons ces gestes, afin de ne pas détériorer l'activité des SMUR.

Pour ce qui est de la formation, nous constatons depuis de nombreuses années qu'elle s'adapte à la disponibilité de sapeurs-pompiers volontaires, ce qui tire son niveau vers le bas, alors qu'elle devrait devenir plus technique pour faire face aux nouveaux risques que vous évoquiez, madame la présidente, comme les risques technologiques liés à l'arrivée des véhicules hybrides à énergies alternatives, notamment des véhicules électriques. Pour éteindre l'incendie d'un bus électrique ou d'une voiture Tesla – vous en avez certainement tous vu en vidéo –, il faut plusieurs heures, voire près d'une journée, faute de moyens adéquats. Or, c'est sur le terrain, une fois que nous sommes confrontés au risque, que nous découvrons que nous n'avons pas les moyens d'agir efficacement. Il faut donc une formation dans les domaines les plus spécifiques, qu'il s'agisse du soin, du feu, des crises naturelles majeures comme les cyclones et tempêtes, ou des maladies nouvelles qui nous viennent souvent d'outre-mer et sont encore mal connues en métropole, comme le chikungunya ou la dengue – autant de risques nouveaux, face auxquels nous devons être outillés.

Quant aux concours, je souscris pleinement aux propos de mon collègue de la CGT et me contenterai d'apporter quelques précisions. Les besoins annuels en termes de nouveaux sapeurs-pompiers professionnels au grade de caporal sont identifiés et annoncés par les SDIS. Or ces chiffres, purement déclaratifs car fixés en fonction du budget des SDIS plutôt que des besoins opérationnels, sont sous-estimés du fait du recours aux sapeurs-pompiers volontaires, pour qui l'engagement est une activité, et non pas un métier comme pour les sapeurs-pompiers professionnels, et que l'on peut donc ainsi ne pas considérer comme des travailleurs. Les emplois permanents identifiés par les SDIS et qui nécessiteraient des pompiers tous les jours, en tout temps et à toute heure, sont donc remplis par des sapeurs-pompiers volontaires en garde postée. Le besoin n'étant pas identifié comme un besoin de professionnels, le manque d'effectifs professionnels pousse à recourir à des sapeurs-pompiers volontaires, et cette professionnalisation du volontariat éloigne de nos rangs des sapeurs-pompiers volontaires qui ne s'étaient pas engagés pour cela.

Il faudrait par ailleurs inverser le calendrier des épreuves. En effet, l'expérience du dernier concours, où les épreuves écrites précédaient les épreuves sportives, a montré que les candidats qui avaient réussi l'écrit n'avaient pas les capacités physiques nécessaires pour accomplir les missions de sapeurs-pompiers. Ces épreuves ne sont, du reste, pas les plus pertinentes. Notre organisation syndicale a défendu au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale l'idée qu'il ne fallait pas confondre l'accès à la filière sapeurs-pompiers, qui est un accès à la fonction publique, avec un accès aux métiers du feu. De fait, il devrait exister dans notre filière plusieurs métiers, ce qui permettrait également d'offrir des possibilités d'aménagement de fin de carrière pour de sapeurs-pompiers usés ou abîmés par le travail ou par la vie.

Le concours de caporal, qui est le premier concours de sapeurs-pompiers, est organisé à une date unique par des centres d'examens dans des zones différentes, de telle sorte que les candidats inscrits sur les différentes listes d'aptitude sont cantonnés à celle de leur zone et que les chances de réussite n'y sont pas égales. Ainsi, pour le dernier concours, le taux de réussite par rapport aux inscriptions était de 4,7 % à Bordeaux, pour la zone du Sud-Ouest, contre 1,9 % en région parisienne. Il y a là quelque chose à revoir, d'autant plus qu'un candidat ayant passé le concours à Montpellier ne pourra pas être candidat à un poste en Essonne, car il ne sera pas inscrit sur la liste d'aptitude ayant fait l'objet d'une convention entre son SDIS et l'organisateur. Pour éviter ces coûts supplémentaires, en effet, les recruteurs qui connaissent des vacances de postes ne recrutent pas dans des zones différentes de celle avec laquelle ils ont conclu un partenariat avec le SDIS. Les avis de vacance sont d'ailleurs très clairs à cet égard et indiquent d'emblée aux candidats issus d'autres zones qu'ils ne seront pas recrutés et ne doivent donc pas se présenter – ce qui est assez surprenant.

En outre, et comme cela a été dit, l'administration n'assure guère de suivi de la liste d'aptitude et n'est pas en mesure de dire si un lauréat a été recruté ou non.

Nos missions ont changé et nous sommes aujourd'hui des sauveurs de la détresse sociale. Nous constatons malheureusement la dégradation de la société et sommes victimes de violences. Des mesures sont prises pour nous protéger, comme des caméras-piétons ou des caméras installées à bord de nos engins, ainsi que des gilets pare-lame anti-agression, mais mieux vaudrait que nous ne soyons pas confrontés à ce genre d'interventions, du moins lorsque l'appel permet de déterminer le contexte que nous trouverons.

J'en viens à ce qui peut démotiver le sapeur-pompier une fois qu'il a été recruté. Au début, la DGSCGC nous expliquait que la jeune génération, dite « post-it », testait un peu tout. Nous, pompiers de terrain, nous rendons compte que ceux qui partent ne sont pas les jeunes sapeurs-pompiers qui viennent de rejoindre nos rangs, mais ceux qui ont perdu le sens de leur travail. Étant supplétifs de tous les services publics, nous ne voyons plus le sens de ce que nous faisons et sommes confrontés à des conflits de valeurs. On nous demande de faire des choses qui ne relèvent pas de nos missions, alors que nous savons en outre que si nous les faisons, nous ne serons plus disponibles pour répondre à une mission qui supposerait précisément que nous le soyons. C'est très difficile à vivre pour un pompier.

Ainsi – et ce n'est que l'un des plus éloquents des nombreux exemples que je pourrais citer –, pendant les deux à huit heures qu'elle passe à attendre avec son ambulance dans le sas d'un hôpital, une équipe de pompiers n'est pas disponible pour sauver une vie. Ce sont là des éléments de démotivation pour nos jeunes recrues. Je ne me considère pas comme étant très vieux, mais je constate une différence avec la jeune génération, marquée par l'immédiateté de l'« effet Amazon » et pressée de vivre tout de suite ce qu'elle désire. Lorsqu'ils deviennent sapeurs-pompiers professionnels, nos jeunes collègues prennent conscience qu'ils vont travailler avec des sapeurs-pompiers volontaires qui sont considérés de la même manière qu'eux, et qui même, alors qu'ils ne sont pas reconnus comme des travailleurs, les commandent parfois. Après avoir fait des efforts personnels et réussi un concours, tout s'arrête et ils constatent que s'ils étaient restés sapeurs-pompiers volontaires, ils s'épanouiraient sûrement mieux. Cette perte de sens contribue à la démotivation et à la perte de nos effectifs.

Pour ce qui est du statut et de la rémunération, nous avons demandé, lors d'une séance du CSFPT en juin 2021, la rénovation de notre filière pour la rendre novatrice et attractive, avec la création des différents métiers que j'évoquais tout à l'heure.

En matière de retraite, les sapeurs-pompiers devront accomplir deux années supplémentaires, ce qui, comme nous l'avons exposé devant les ministres chargés de ce dossier, relève du suicide. Pour un sapeur-pompier, en effet, c'est déjà beaucoup que de travailler jusqu'à 55 ans. Après 55 ans, c'est dangereux ; à 57 ans, c'est extrêmement dangereux et, au-delà de 57 ans, ce n'est plus possible. Puisqu'il n'existe pas plusieurs métiers, je pourrai être encore à 57 ans au poste de porteur de lance que j'occupe aujourd'hui, à 43 ans, et on me demandera encore de faire la même chose qu'à 20 ans. Il faut donc développer différents métiers au sein de notre filière.

Le temps de travail participe aussi à l'attractivité de notre métier. Vous n'ignorez pas que les sapeurs-pompiers professionnels sont les seuls fonctionnaires de France à qui on impose un régime d'équivalences permettant à un employeur de les faire travailler pendant vingt-quatre heures d'affilée en ne leur décomptant que dix-sept heures de rémunération. Ce temps de travail de vingt-quatre heures n'est pas seulement néfaste pour la santé des agents qui y sont soumis : il est aussi en totale contradiction avec tous les discours exaltant le pompier héroïque que nous entendons lors des commémorations de fin d'année, notamment à la Sainte-Barbe, ou lorsque nous sommes engagés sur des missions ou des catastrophes de grande importance. Plus que cette bienveillance, nous demandons une reconnaissance de chaque jour, qui suppose que l'on cesse de nous imposer ce temps de travail hors norme et dangereux.

À propos du financement, je ne souscris pas entièrement à la position de mon collègue d'Avenir Secours quant au « fléchage » de la TSCA, abordé par plusieurs des personnes que vous avez auditionnées. Quant à la taxe touristique, nous partageons le point de vue exprimé : lorsqu'un département reçoit beaucoup de touristes et crée donc des risques supplémentaires, une réflexion sur sa contribution s'impose.

Quant à savoir comment les sapeurs-pompiers collaborent avec les autres acteurs de la sécurité civile et quel regard nous portons sur la répartition des compétences entre ces acteurs, les organisations syndicales ne sont pas assez informées pour vous répondre à ce propos.

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