Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mercredi 20 décembre 2023 à 8h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Madame Brulebois, en ce qui concerne les CCS, notre stratégie nationale a été annoncée en Conseil national de l'industrie par Roland Lescure et moi-même à la fin du premier semestre. Complétée et précisée dans la stratégie française pour l'énergie et le climat, elle fera l'objet de soutiens financiers en fonction d'une double logique : les CCS sont réservés aux secteurs où les émissions sont les plus difficiles à réduire et où il n'existe pas d'autre solution ; ils peuvent aussi représenter une solution de transition, le temps de mettre en place les filières hydrogène. Pour créer les infrastructures nécessaires, notamment dans la région de Dunkerque, je vais signer un accord avec la Norvège, le pays européen le plus avancé dans ce domaine.

En tenant un One Water Summit avec le Kazakhstan, nous voulons rééditer ce qui a été fait lors des sommets internationaux consacrés aux forêts ou aux mondes polaires et glaciaires : former des coalitions de pays afin de répondre de manière complète à une préoccupation majeure d'un point de vue climatique, en sortant de la seule problématique de baisse des émissions de gaz à effet de serre – car cela nous ferait passer à côté d'une partie des sujets. En matière de transition énergétique et écologique, l'eau représente un enjeu géopolitique et existentiel majeur, d'où l'intérêt d'associer un pays comme le Kazakhstan à la démarche. Pour être attractives et efficaces, nos initiatives réunissent toujours des pays du Nord et des pays du Sud. Constatant que le sommet sur les forêts a été suivi d'effet, nous ne pouvons qu'espérer le même sort au sommet sur l'eau.

En ce qui concerne le charbon, monsieur Adam, la coalition bâtie par le Président de la République a été élargie à la faveur de cette COP 28. Les membres du G7 se sont engagés, fortement encouragés par la France, à assécher les financements publics du charbon. Nous voulons désormais tarir les financements privés. Nous voulons aussi élargir la coalition des pays qui s'engagent à ne plus ouvrir de nouvelles centrales à charbon. Enfin, nous voulons trouver les modalités d'accompagnement des pays qui ferment ces centrales car, comme nous avons pu le constater dans les cas français de Cordemais ou de Saint-Avold, il est alors nécessaire de prendre de coûteuses mesures sociales et économiques. Si elles ne sont pas simples à réaliser en France, de telles reconversions sont encore plus difficiles dans des pays en développement et très endettés. Nous devons apporter des solutions et ne pas nous contenter de « y'a qu'à, faut qu'on » moralisateur.

S'agissant de l'hydrogène naturel, j'ai signé les premières autorisations d'exploration, afin d'évaluer les volumes et la qualité de la matière première présente sur le territoire. Si nous trouvons de l'hydrogène blanc en quantité importante, nous pourrons espérer que l'extraction se fera à un coût compétitif et permettra d'alimenter nos filières industrielles. Ce serait une très bonne nouvelle, même si ce n'est pas une énergie renouvelable. L'option défavorable serait que l'exploration contribue à dégager du méthane, l'un des gaz les plus nocifs en matière de réchauffement climatique. À ce stade, nous nous en tenons donc à des explorations très contrôlées. D'aucuns sont très optimistes. Mon expérience de ministre m'incite à penser qu'il n'y a jamais de martingale, de solution miracle qui réponde à tout. Si l'hydrogène pouvait devenir une source d'énergie complémentaire, ce serait déjà bien. Quoi qu'il en soit, le Président de la République soutient les recherches d'hydrogène blanc.

Le décret sur l'agrivoltaïsme suscite beaucoup d'interrogations, notamment s'agissant de la souveraineté agricole. Rappelons qu'il est écrit dans la loi que le développement de l'agrivoltaïsme ne doit pas nuire aux rendements agricoles – au contraire. Non seulement nous avons pris un engagement à ce sujet, mais, le cas échéant, le juge serait amené à se prononcer en ce sens. Ce décret vise à faire en sorte que ce développement soit fait de manière ordonnée et équilibrée, mais il ne peut pas aller plus loin dans le partage de la valeur car le législateur ne l'a pas permis. La question des baux ruraux – qui entre dans la formation de ce partage de la valeur – n'est pas traitée par la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. C'est un angle mort de la loi, où se rencontrent les questions énergétiques et agricoles.

La loi est bien rédigée car elle précise que l'agrivoltaïsme doit améliorer les rendements agricoles, mais elle peut être interprétée, voire contournée, ce qui provoque l'inquiétude légitime de certains acteurs. Vous avez prévu un avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, et nous avons travaillé avec les chambres d'agriculture pour bien encadrer le système. Il reste que le bail rural est rémunéré quelques centaines d'euros pour une exploitation agricole, alors que certains opérateurs escomptent tirer quelques milliers d'euros par hectare en faisant paître des moutons sous une installation de panneaux photovoltaïques. Cela pose un problème d'équilibre auquel nous devons remédier.

La délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire permet au Gouvernement de suivre pas à pas l'état de préparation de la filière nucléaire, la montée en compétences de notre pays en lien avec l'Université des métiers du nucléaire, et l'évolution des procédures nucléaires et de tous les chantiers. Cette délégation nourrit les travaux du Conseil de politique nucléaire et suit le projet de réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), qui contribue à renforcer notre connaissance et notre excellence dans ce domaine.

En matière d'offre de formation, je travaille en effet avec Sylvie Retailleau : 40 millions d'euros vont être consacrés à des formations de niveau bac professionnel à bac+5, notamment en Normandie. Nous avons créé un passeport nucléaire, qui consiste ajouter des heures de formation spécifiques dans certains BTS ou bacs professionnels afin de leur donner cette coloration : vous aurez ainsi des chaudronniers ou soudeurs nucléaires par exemple.

Madame Boyer, je comprends et partage votre inquiétude concernant la montagne. Ceux qui sont proches des côtes s'inquiètent légitimement du retrait du trait de côte, tandis que les montagnards constatent que le réchauffement climatique affecte plus fortement leur territoire que d'autres. C'est pour cela qu'il faut agir, en développant aussi bien les énergies renouvelables que le nucléaire. On peut parfois s'inquiéter de la transformation des paysages sous l'effet d'équipements contestables, mais leur transformation fondamentale est due au dérèglement climatique. Il faut donc aider les territoires à affronter la situation, en essayant d'anticiper les investissements le plus possible pour avoir à subir le moins possible l'impact du dérèglement climatique.

Monsieur Maquet, je vous confirme que nous soutenons la demande d'EDF de recourir davantage à des contrats de long terme, non seulement pour améliorer la prévisibilité de ses recettes mais aussi pour permettre au consommateur d'anticiper le montant de ses factures. À un moment où le prix moyen de l'électricité se rapproche de 80 euros le mégawattheure, on mesure l'importance de mettre des volumes d'électricité sur le marché en 2026, 2027, 2028 et si possible en 2029, de façon à donner cette visibilité et à permettre à chacun d'avoir accès à de l'électricité peu chère.

En matière d'énergie marémotrice, nous soutenons le projet FloWatt. Avec un prix de 250 à 270 euros, cette énergie est loin d'être compétitive, ce qui est normal en phase de développement. Il faut prendre un risque industriel en considérant la valeur propre de cette énergie. Quant à la géothermie marine, elle permet déjà de refroidir et réchauffer l'hôpital de La Réunion. D'autres projets sont en cours d'examen. Nous en sommes à un stade d'accompagnement en recherche et développement, avant industrialisation et massification de la solution, en attendant qu'elle soit vraiment compétitive.

L'économie circulaire fait bien partie des objectifs de la COP 28, madame Tiegna. Outre l'accord chapeau, il y a en effet des centaines de pages qui reflètent l'énorme travail accompli par la présidence pour concilier tous les objectifs dans un texte unique.

Monsieur le député Taite, si j'ai fait preuve d'arrogance, veuillez m'en excuser. Il me semble cependant qu'il est intéressant de relever les incohérences de certains discours politiques. C'est la raison pour laquelle je n'ai évoqué que des faits et des chiffres. Lorsqu'on me dit que les émissions de gaz à effet de serre augmentent en France, j'indique qu'elles baissent de 4,6 %. Quand on prétend soutenir les énergies renouvelables, je relève qu'il faudrait voter pour le texte visant à accélérer leur développement. J'espère que mon propos n'a pas dépassé cette pensée.

La réforme du marché européen de l'électricité est d'application directe puisqu'il s'agit d'un règlement. Quant au calendrier de la programmation pluriannuelle de l'énergie, il est lié à la loi de souveraineté énergétique qui sera présentée dans les prochaines semaines. La stratégie française pour l'énergie et le climat ayant été soumise à la concertation, chacun peut s'exprimer. Ce sera un débat de l'année 2024.

Monsieur Descoeur, vous m'interrogez sur la production d'énergie hydroélectrique. La commission des affaires économiques a entendu M. Luc Rémont, le PDG d'EDF, qui est en discussion avec la Commission européenne. Malgré des avancées, le scénario final n'est pas ficelé.

Cette semaine, monsieur Thiébaut, je vais annoncer un deuxième volet du plan géothermie – je ne suis pas sûre qu'il fasse la une des journaux, compte tenu de l'actualité… Les deux facteurs de blocage sont clairement identifiés : la structuration de la filière industrielle et les compétences, notamment en forage. Il faut néanmoins accélérer le mouvement.

C'est durant le précédent quinquennat d'Emmanuel Macron, monsieur Thierry, que la sortie des énergies fossiles a été décidée. Nous ne donnons plus de permis d'exploration et de production dans les énergies fossiles. C'est une sacrée prise de responsabilité puisque, comme le mentionnait votre collègue guyanais, cela veut dire que la Guyane se prive d'argent facilement gagné – car il n'y a peut-être pas beaucoup de pétrole en métropole, mais il y en a dans les territoires ultramarins ! Mais nous respectons la loi. Quant à la Gironde, je ne vois pas à quelle décision vous faites référence. À ce stade, il n'y en a pas. La loi prévoit une sortie des gisements existants d'ici à 2040. Il faut permettre aux gestionnaires – qui ont signé leur contrat en 1965 pour les premiers et qui l'ont renouvelé en 2010 – de le faire en bon ordre, et notamment de remettre en état, ce qui suppose les financements afférents.

Vous avez raison de mentionner les petites îles, monsieur Nadeau. Les Tuvalu, par exemple, comptent 10 000 habitants, ce qui fait peu au regard des 8 milliards d'êtres humains qui peuplent la planète. Or elles ont été décisives dans la conclusion de l'accord : elles ont été à la manœuvre avec les Européens pour former une coalition de 130 pays, en embarquant les pays ambitieux d'Amérique latine, une partie des pays d'Afrique, dont ce choix peut entrer en conflit avec la nécessité du développement économique, le Bangladesh et les pays les moins développés. Pour ces pays, le changement climatique revêt une importance existentielle : ils sont confrontés à la disparition potentielle de leur pays, ce qui est très violent. Nous soutenons ces pays. Le Président de la République, en lien avec l'île de la Barbade, a soutenu l'initiative de Bridgetown et le pacte de Paris pour les peuples et la planète.

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