Intervention de Jean-Philippe Nilor

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir dans cette commission dans laquelle j'ai toujours souhaité siéger. J'ai l'honneur de vous présenter une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur une question qui concerne près de trois millions de nos concitoyens et concitoyennes vivant dans les territoires transocéaniques, dits d'outre-mer.

Ces territoires ont pour caractéristique commune d'être soumis à des aléas naturels, comme les risques sismiques ou les tsunamis. En raison de leur position géographique, très majoritairement en zone tropicale, ils subissent de manière intense l'aggravation du dérèglement climatique et sont exposés à un cumul des risques : un cyclone amplifié par le réchauffement climatique peut s'ajouter à un séisme ; si l'un et l'autre surviennent à intervalle rapproché, ils peuvent ravager un territoire.

À l'exception de la Guyane, tous les territoires transocéaniques sont insulaires ou micro-insulaires. Aux fréquents cyclones s'ajoutent le réchauffement des eaux et l'absorption de CO2 par les océans, qui fragilisent les barrières coralliennes et altèrent la chaîne alimentaire marine. La montée des eaux est une réalité ; le recul du trait de côte en Martinique et en Guadeloupe se constate exactement comme dans les Landes. Le régime des pluies évolue, et l'alternance des saisons sèches et pluvieuses n'est plus aussi régulière qu'auparavant.

Ces phénomènes se déroulent dans des territoires économiquement et socialement fragiles. Une large part des populations vit au-dessous ou à peine au-dessus du seuil de pauvreté. Une catastrophe naturelle peut détruire les rares biens que possède une famille. L'économie, qui repose sur quelques piliers – tourisme, pêche, agriculture –, peut être sévèrement affectée si l'outil de travail est détruit, si des terres sont inondées, si les infrastructures portuaires, aéroportuaires, hospitalières, scolaires et hôtelières sont touchées.

Les territoires de l'océan Pacifique, zone hautement sismique, sont de plus menacés par la montée des eaux. L'existence de l'archipel des Tuamotu pourrait ainsi être compromise, les îles Marquises apparaissant comme un refuge possible. L'altération de la pluviométrie diminue les ressources en eau potable et assèche les cocoteraies, ressource vitale pour les habitants.

Dans l'océan Atlantique, les Antilles subissent dépressions tropicales, tempêtes, cyclones et ouragans annuels de plus en plus violents et dévastateurs, qui causent de nombreuses victimes et provoquent des centaines de millions d'euros de dommages. La montée des eaux est également une réalité critique. La Martinique pourrait, par exemple, perdre 5 % de sa superficie d'ici à 2100 ; en Guadeloupe, 16 000 habitants installés près de mangroves sont potentiellement touchés par la montée des eaux. Les scientifiques alertent par ailleurs sur la survenue à tout moment d'un Big One, un séisme d'une magnitude de plus de 8,5 sur l'échelle de Richter. En Guyane, l'érosion des côtes est perceptible, et les risques de séisme, omniprésents.

Le réchauffement climatique entraîne également un risque de montée des eaux à Saint-Pierre-et-Miquelon, de l'ordre de 30 à 70 centimètres d'ici à la fin du siècle, menaçant des zones entières de submersion.

L'océan Indien, enfin, connaît une situation contrastée : Mayotte souffre de sécheresse, avec une crise historique de l'eau, tandis que La Réunion enregistre une pluviométrie historique et que son volcan, le Piton de la Fournaise, entre régulièrement en éruption.

On le voit, les risques sont réels et variés. Ils représentent un coût en vies humaines, portent atteinte aux conditions de vie et détruisent des champs, des habitations et des bateaux de pêcheurs, entre autres.

Une commission d'enquête doit porter sur des faits ou des services publics et en examiner la gestion. En l'espèce, les deux conditions sont remplies par la présente proposition de résolution. La commission d'enquête que nous vous proposons de créer se penchera sur l'évolution des catastrophes naturelles dans les territoires dits d'outre-mer et évaluera si la réponse de l'État et des autres acteurs – collectivités, assurances, entreprises publiques, établissements publics – chargés de la sécurité publique est à la hauteur des enjeux.

Il apparaît plus que légitime de s'interroger sur l'efficience des dispositifs en place dans chaque territoire, pour chaque bassin océanique ; de les évaluer de manière méticuleuse, en rendant compte de l'action de tous les acteurs impliqués – État, collectivités territoriales, société civile. Tous les signataires de la proposition de résolution, qui appartiennent à différents groupes politiques et se sont joints à moi dans une approche transpartisane, considèrent qu'il y a un grand intérêt et une urgence réelle à travailler sur la question.

Pour être recevable, une demande de commission d'enquête doit respecter trois éléments.

En premier lieu, elle doit porter sur des faits précis – en l'espèce, les risques qui menacent les territoires océaniques. Dans une note en date du 2 juin 2022, le Réseau Action Climat décrit l'ensemble des dommages pouvant en résulter en termes de vies humaines comme de santé mentale, ou leurs incidences sur la société et l'économie. Les catastrophes naturelles sont donc bien une préoccupation pour une large partie de la société.

En deuxième lieu, aucune résolution proposant une commission d'enquête ne doit avoir été adoptée et aucune commission d'enquête avoir travaillé sur le même sujet dans les douze derniers mois. C'est bien le cas pour cette proposition de résolution.

Enfin, le garde des Sceaux nous a indiqué par lettre du 14 novembre dernier qu'aucune poursuite judiciaire en cours ne recouvrait le périmètre de la commission d'enquête.

La demande de commission d'enquête est donc réglementairement recevable. Mais elle est aussi politiquement salutaire, car elle renvoie à l'essence même de la politique : l'organisation de la cité ne saurait ignorer la sécurité des biens, des activités et, surtout, des personnes. Une telle commission permettrait à l'ensemble des députés et à nos concitoyens de comprendre que les territoires dits d'outre-mer partagent les mêmes difficultés que l'Hexagone face aux risques naturels, mais avec des effets plus graves et plus dévastateurs.

Il est crucial d'analyser nos forces et nos faiblesses face à ces risques et de réfléchir collectivement à la manière de les anticiper, pour espérer réduire la vulnérabilité de ces territoires dans le cadre d'une véritable politique de mitigation.

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