Intervention de Charlotte Caubel

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 13h30
Délégation aux droits des enfants

Charlotte Caubel, secrétaire d'État :

Madame Laure Lavalette, j'ai moi-même saisi le ministre de la santé et de la prévention concernant ce site qui me paraît totalement inadapté. Je suis un peu gênée par la présence du logo du Gouvernement à côté de tels contenus. Je n'en dirai pas plus.

Les flux migratoires qui reprennent nous amènent un certain nombre de familles et de jeunes filles enceintes pour des raisons parfois indépendantes de leur volonté. Il ne peut pas y avoir de solution pérenne car le flux est continu. Il faut sans cesse augmenter le nombre de solutions d'hébergement, ce qui est très difficile. Jamais autant de places d'urgence et de structures mère-enfant n'ont été créées, mais au moins un quart des bénéficiaires ne peuvent pas en sortir car, étant en séjour irrégulier, ils n'ont pas la possibilité d'accéder à un logement. La situation n'est satisfaisante pour personne.

Les arguments qui vous sont opposés concernant l'âge des enfants ne correspondent pas du tout aux consignes données il y a un an et rappelées il y a quelques semaines en matière d'hébergement d'urgence des familles. Sur le fondement de ce que vous m'avez dit, je reprendrai chaque dossier sarthois et je rappellerai les préfets concernés.

On sait très bien que les familles passent plus facilement les frontières et qu'il est plus compliqué de les prendre en charge. Il est certes absolument inacceptable qu'un enfant soit dans la rue mais, je le répète, il ne s'y trouve pas nécessairement depuis huit mois. Ces enfants arrivent et sont pris en charge au fur et à mesure, en fonction des moyens disponibles, qui ne sont pas suffisants. On peut toujours faire mieux, il faut faire mieux mais, je vous en prie, ayez conscience que nous faisons face à un flux continu et que cela suppose le développement continu de solutions.

S'agissant des mineurs non accompagnés, c'est le même problème qui se pose. Après une diminution du nombre d'enfants pris en charge liée à la crise sanitaire et au fait qu'un certain nombre d'entre eux, arrivés à l'âge de la majorité, sont parvenus à s'insérer, il s'avère que les flux reprennent massivement. Toutes les places disponibles étant occupées, les départements courent après la création de places.

On constate une explosion concomitante de quatre types de placement : celui des tout-petits, du fait de l'hospitalisme, de l'efficacité de la politique des 1 000 premiers jours et d'une meilleure détection des violences ; celui des enfants de tout âge victimes de violences ; celui des adolescents à la santé mentale dégradée, ce qui renvoie à la politique du handicap ; celui des mineurs migrants, parfois arrivés avec leur famille. Sur tous ces sujets, nous devons travailler avec le ministère de la justice.

Je l'ai dit, les départements courent après les places alors qu'ils n'en ont jamais construit autant. À Marseille, deux pouponnières sont en construction. Jamais il n'y a eu, en France, autant d'enfants protégés : plus de 300 000 enfants sont suivis et près de 200 000 sont placés. Nous poursuivons toujours la même logique, celle du placement à tout prix ; or on ne peut pas continuer de construire autant d'hébergements d'urgence et de structures de placement pour les enfants en danger. Il faut travailler autrement : j'aimerais donc favoriser la prévention et l'accompagnement des familles installées dans notre pays depuis plus longtemps.

J'en arrive à la question de la formation des professionnels. Nous avons diffusé la formation de la Ciivise, en lien avec Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargé des professions de santé, Prisca Thévenot pour les structures dites périscolaires et Gabriel Attal pour l'éducation nationale – cette formation est déjà sur Éduscol. Des référents seront institués dans chaque ministère afin de structurer encore mieux la politique menée en la matière, au-delà de la lutte contre les violences sexuelles. Surtout, nous avons déjà mis en œuvre une préconisation de la Ciivise : la création du 119 pro, un numéro à la disposition de tous les professionnels, y compris des professionnels de santé que certaines situations mettent effectivement en difficulté. Enfin, nous attendons l'adoption de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, qui prévoit, en matière de responsabilité et de protection des médecins, un alignement des dispositions relatives à la dénonciation de violences sur enfant ou sur personne âgée sur celles relatives à la dénonciation de violences conjugales. Nous avons en effet besoin du monde médical pour mieux repérer et signaler les violences. Il n'empêche que l'éducation nationale reste le premier pourvoyeur de signalements. Une dynamique existe, entretenue par le renforcement des cellules départementales de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (Crip) voulu par mon prédécesseur et que nous prolongeons.

Les enjeux relatifs à l'enfance et à sa protection sont sans doute plus forts dans les outre-mer qu'en Hexagone. Je pense notamment aux effets de la distance, à la création de dispositifs spécifiques, au nécessaire soutien des professionnels, à l'accueil du petit enfant. Le renforcement de la politique des 1 000 premiers jours y est très important. Je m'attarderai sur les situations spécifiques de deux territoires.

Vous avez évoqué les problèmes auxquels est confrontée Mayotte, qui sont exponentiels. Nous envisageons une reprise de compétences en matière de gestion des enfants migrants, voire plus si affinités. Une mission est menée conjointement par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Inspection générale de l'administration (IGA) et l'Inspection générale de la justice (IGJ) afin de déterminer ce que nous devons faire des enfants dits errants – c'est à dessein que je n'emploie pas l'expression « mineurs non accompagnés », qui n'a pas grand sens à Mayotte. Il est aussi essentiel de renforcer la prévention et d'aider les maternités. Je dois rencontrer le ministre délégué chargé des outre-mer pour en parler. En tout cas, une enveloppe spécifique est dédiée à ce sujet au sein de mon budget.

La situation est plus compliquée en Guyane, qui connaît un certain nombre de problèmes similaires mais est aussi peuplée par des populations dont l'implantation sur le territoire est plus ancienne. Des gamins assez bien insérés rencontrent des difficultés de régularisation à leur majorité. Les questions de l'accompagnement et de l'accueil du petit enfant sont aussi prégnantes. De nombreuses crèches doivent être construites. Une planification est entreprise par le ministre délégué chargé des outre-mer. Un prochain comité interministériel des outre-mer permettra d'y adapter les mesures de notre plan de lutte contre les violences faites aux enfants.

Dans l'ensemble des outre-mer, 10 000 nouvelles solutions d'accueil des petits enfants seront offertes d'ici à 2030 ; 4 000 places de crèches seront créées d'ici à 2027 ; cinquante centres sociaux supplémentaires ouvriront.

Le ministère de la justice a mis en place un processus de retour d'expérience pour tous les infanticides. À la suite de chacun de ces drames, l'ensemble des acteurs se réunissent, de la justice aux services sociaux en passant par l'école. J'évoquerai avec le Garde des sceaux la nécessité de repérer et de conduire ces retours d'expérience de manière un peu spécifique lorsque les enfants concernés sont porteurs d'un handicap. Il ne faut pas minimiser ces faits : la vie de ces enfants a autant de valeur que celle des autres enfants et que celle des adultes. J'ai parfois le sentiment que le meurtre d'un enfant paraît moins important que celui d'un adulte. Certaines violences, que je n'ose qualifier de gratuites, sont commises dans le cadre de séparations qui se passent mal. Je suis outrée quand j'entends raconter à la radio, comme une fleur, qu'une personne a tué ses deux enfants plutôt que de les remettre à leur autre parent. De tels faits me révulsent ! Ces crimes tout à fait tragiques montrent que l'adulte se sent possesseur de l'enfant ; ils illustrent l'épuisement dont nous avons souvent parlé.

Je termine en évoquant le sujet de l'éducation affective, et sexuelle dans un deuxième temps. Le ministre de l'éducation nationale a confirmé le mandat donné par son prédécesseur au Conseil supérieur des programmes, chargé de définir, en cette matière, un véritable programme. Qui dit programme dit contenus ; qui dit contenus dit professeurs ou équipes pédagogiques responsables de les dispenser.

Il nous paraît indispensable de stabiliser le contenu par âge et de commencer l'éducation affective assez tôt. Cela ne concerne pas, je le répète, l'éducation sexuelle, qui ne doit pas démarrer avant le primaire et devrait même plutôt être dispensée à partir du secondaire, bien qu'il faille aussi tenir compte du fait qu'un gamin sur trois arrivant en sixième a déjà visionné du porno en ligne. La Ciivise n'a pas du tout approfondi la question des violences sexuelles entre pairs, un problème lié à celui de l'inceste.

Le Conseil supérieur des programmes, composé d'un certain nombre de personnalités, a entendu beaucoup de monde, y compris moi-même. L'objectif est d'adopter des contenus consensuels, travaillés avec toutes les familles. Avec le ministre de l'éducation nationale, nous sommes convenus d'aller à l'essentiel sans nous perdre dans des considérations plus larges par lesquelles nous voudrions répondre aux demandes et régler les problèmes de tout le monde. L'essentiel, c'est que les enfants soient capables de se protéger en étant conscients, dès le plus jeune âge, que personne n'a le droit de toucher à leur intimité : comptez sur moi pour que cela soit une priorité !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion