Intervention de Thierry Mariani

Réunion du lundi 16 octobre 2023 à 10h30
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Thierry Mariani, ancien ministre :

Au risque de vous décevoir, j'ai été ministre des transports un peu moins de deux ans et j'ai succédé à M. Dominique Bussereau, qui est un spécialiste du ferroviaire. Il avait pris ce sujet à cœur tandis que le Gouvernement m'avait donné d'autres priorités.

Ma première mission a consisté à terminer la réforme des ports. Il y a eu cinq semaines de grève et c'est la période pendant laquelle on a transféré le personnel de quasi-fonctionnaires aux sociétés de manutention privées. Aujourd'hui, la situation des ports s'est tout de même redressée et ils sont désormais concurrentiels.

Ma deuxième priorité était le lancement de quatre lignes de TGV pour les voyageurs.

En 2011 a été ouvert à la concurrence interne le cabotage des autocars sur les lignes internationales. À l'époque, la SNCF défendait farouchement un certain nombre de lignes. Dix ans plus tard, on voit que les autocars se sont généralisés. Telle était la troisième priorité.

La quatrième était le service garanti dans l'aérien. Même si cela semble d'une autre époque, j'ai évité à mes successeurs de se retrouver avec 10 000 personnes s'entassant dans les aéroports. Désormais, comme vous le savez, un préavis individuel permet aux compagnies aériennes de prévenir les passagers afin d'éviter la loterie.

Le cinquième point était la relance du tunnel Lyon-Turin. Je pense qu'il sera important pour l'avenir du fret ferroviaire. À mon arrivée, il n'y avait pour ainsi dire plus d'accord avec les Italiens. C'est donc à mon initiative que des accords ont été signés le 30 janvier 2012. Ces derniers ont permis de relancer ce projet en revoyant notamment toutes les clés de financement.

Le fret ferroviaire n'était pas le sujet brûlant, d'autant plus que, de notoriété publique, c'était un peu « l'homme malade » du ministère des transports. Néanmoins, nous avions lancé les assises du ferroviaire pendant six mois afin de réformer ce secteur et l'ouvrir à la concurrence. Il y avait en l'occurrence un vrai spécialiste du transport le sénateur Francis Grignon, que je vous conseille d'auditionner parce qu'il a beaucoup travaillé sur le fret ferroviaire. Il a présidé un groupe de travail sur l'avenir du fret ferroviaire constitué en septembre 2009, conformément au souhait du président de la commission de l'économie et du développement durable du Sénat. Ce groupe travaillait en étroite relation avec nous. Son rapport a été rendu public en octobre 2010.

Prenant acte des résultats peu probants enregistrés par le fret ferroviaire lors des dernières années, notamment par l'activité fret de la SNCF, ce rapport constatait le déclin continu du fret ferroviaire en France depuis trente ans. Il révélait par ailleurs que l'avenir du fret ferroviaire était directement lié au monde routier. Il affirmait également que l'érosion des parts du marché du fret ferroviaire par rapport aux autres modes devait être endiguée en tirant profit notamment de la reprise économique constatée à l'époque dans le secteur des transports.

Dans le prolongement des pistes de progrès identifiées dans le cadre de l'engagement national pour le fret ferroviaire, ce rapport proposait trois grands axes de travail.

Premièrement, renforcer la qualité de service des opérateurs ferroviaires en rendant plus performants les corridors de fret afin de faire émerger un réseau ferroviaire européen compétitif, en substituant une logique de la demande au bénéfice des chargeurs à la logique de l'offre qui était privilégiée et en prévoyant que les utilisateurs du mode routier versent une compensation aux entreprises ferroviaires exploitant des lignes de fret de faible trafic, essentiellement de wagon isolé, dans une perspective d'aménagement du territoire.

Deuxièmement, le rapport préconisait d'améliorer l'organisation du système ferroviaire en garantissant l'indépendance de la direction et de la circulation ferroviaire au sein de la SNCF, en donnant la priorité aux embranchements et aux connexions avec les grands ports maritimes et le canal Seine-Nord Europe, en favorisant la création de voies de raccordement reliant le réseau ferré national et les sites d'entreprise, éventuellement par des subventions publiques, et en encourageant l'implantation des opérateurs ferroviaires de proximité.

Troisièmement, eu égard à l'engagement financier de l'État de 7 milliards d'euros dans le cadre de ce programme, il s'agissait de sanctuariser le financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF) en accélérant notamment la mise en place de la taxe poids lourds. En outre, la question du relèvement du montant des péages ferroviaires acquittés par les trains de marchandises pouvait être étudiée. C'étaient les préconisations de l'époque, mais les agendas électoraux ont fait qu'une autre majorité s'est installée et a choisi une autre politique.

Mes rapports avec M. Guillaume Pepy et les responsables de la SNCF étaient excellents. En revanche, ils étaient difficiles avec le responsable du fret de l'époque. Disons que M. Blayau avait des idées difficiles à remettre en cause.

Pour ce qui est du Parlement européen, je ne suis pas à la commission des transports. Néanmoins, je me suis un peu renseigné auprès de mes collègues. Si vous souhaitez connaître la position de la formation à laquelle j'appartiens, je vous conseille d'auditionner M. Philippe Olivier, notre spécialiste en la matière. Nous demandons l'application d'une clause de sauvegarde pour le marché du fret ferroviaire français, comme cela existe déjà pour le transport routier : le règlement européen du 25 octobre 1993 relatif à l'accès au marché du transport routier prévoit qu'en cas de perturbation grave du marché intérieur, un État a la possibilité de demander l'application de cette clause. En l'état actuel des choses, un tel dispositif n'existe pas pour le rail. Or, compte tenu des engagements climatiques de la France dans la réduction des émissions liées au transport imposée par Bruxelles, et vu le rôle stratégique du train dans le report modal, il est clair que si la France est en plus contrainte de se démunir de sa branche Fret SNCF, elle doit demander à Bruxelles l'aménagement d'une clause spécifique pour assurer la pérennité de son marché de fret ferroviaire. À notre avis, la France ne peut pas être perdante des deux côtés.

La deuxième proposition est la mise en place d'un moratoire visant à permettre à l'État d'organiser une nouvelle entité qui remplacera Fret SNCF et surtout de pérenniser la position de cette entité sur le marché concurrentiel européen. Ce moratoire doit permettre de laisser le temps à l'État de renégocier avec Bruxelles les conditions d'accès au marché de compagnies concurrentes qui exploiteront des lignes en France, en tenant compte du contexte conjoncturel et organisationnel du lancement de la nouvelle structure française.

Une jeune structure, même soutenue par l'État, peut mettre un certain temps avant d'être totalement opérationnelle. Elle sera dépendante dans les premiers temps de certains délais administratifs et légaux pouvant l'empêcher de fonctionner à plein immédiatement après son lancement. Je pense bien évidemment aux délais de certification, de mise aux normes, d'audit, etc. Face à elle, les concurrents étrangers du rail sont des entreprises historiques et institutionnelles dans le paysage ferroviaire européen. Ils sont installés économiquement et jouissent d'une certaine assise sur le marché. Il ne serait donc pas équitable d'opposer un jeune challenger français en phase de lancement à de pareils mastodontes sur le marché.

Notre troisième proposition consiste à mettre en place une clause miroir dans le dispositif concurrentiel imposé par la Commission européenne. Alors que la libéralisation du fret ferroviaire imposé par Bruxelles oblige la France à perdre des lignes en laissant 20 à 30 % de son activité de fret ferroviaire à des compagnies étrangères concurrentes, il faut pouvoir assurer à la France qu'elle pourra compenser en récupérant du trafic et des lignes de fret auprès des autres pays européens.

Comme vous l'aurez compris, le fret ferroviaire n'était pas la principale priorité à l'époque. Le drame du ministère des transports, c'est que les secteurs sont tellement nombreux qu'il y a des priorités partout.

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