Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 15 novembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

M. Gérard Araud, que nous connaissons tous et avec lequel nous aurons le grand bonheur de discuter ce matin, est ambassadeur de France et il dispose d'un héritage extraordinaire car il a joué un rôle particulièrement précieux dans les affaires qui nous occupent. En effet, il a successivement exercé les fonctions d'ambassadeur en Israël, à l'Organisation des Nations Unies (ONU) et aux États-Unis.

Lorsque vous avez été en poste à Tel-Aviv, en tant que premier secrétaire de 1982 à 1984, puis en tant qu'ambassadeur de 2003 à 2006, vous avez été témoin de la construction de cette nouvelle organisation politique de l'État d'Israël. Vous avez également suivi les questions du Moyen-Orient au centre d'analyse et de prévision du ministère des affaires étrangères (CAP), entre 1984 et 1987.

Nous sommes particulièrement heureux de vous entendre en raison de votre compréhension de la dynamique interne à l'État hébreu. Comment analysez-vous les modifications structurelles, sous l'autorité actuelle du premier ministre d'Israël, par rapport à des positions antérieures, dont l'image emblématique était fournie par Yitzhak Rabin ? Comment en est-on arrivés à cette évolution du rapport d'Israël à son entourage ? Nous sommes convaincus que le 7 octobre n'est pas né de rien mais est la conséquence de nombreux facteurs, dont notamment les évolutions intérieures de l'État israélien.

Vous avez également été représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente de la France auprès des Nations Unies. J'ai toujours présente à l'esprit la formule du général de Gaulle au sujet de cette Organisation : l'organisation des nations unies, ou plutôt l'organisation des nations désunies ou, mieux encore, la désorganisation des nations désunies. Votre éclairage sur le fonctionnement du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations Unies sera extrêmement précieux. La communauté internationale, bien que plus internationale que communautaire, se matérialise dans les travaux de New York et vous êtes certainement particulièrement qualifié pour nous éclairer.

Enfin, l'évolution américaine est très difficile à saisir. Nous sommes évidemment très satisfaits du cours que M. Biden a donné à sa politique depuis son élection par rapport à celle du président Trump, ce qui ne veut pas dire que nous soyons tout à fait satisfaits de l'ensemble des décisions prises par l'administration américaine, notamment sur le plan économique et social. Nous constatons la vive concurrence avec l'Union européenne et la difficulté de celle-ci à faire face à cette nouvelle concurrence représentée par le plan américain. Sur le plan international, nous sommes tout de même sensibles aux efforts de M. Biden pour apporter de la modération dans ce conflit. Cependant, nous observons également les difficultés de la France à se distinguer de manière claire et cohérente par rapport à la politique américaine actuelle. Au-delà de la responsabilité que vous avez eue, votre regard sur la politique américaine et, par contraste, sur la politique européenne – voire sur l'absence de politique européenne – est important. Je suis un Européen convaincu mais j'ai l'habitude de dire que je ne suis pas pour autant un Européen heureux et je mesure chaque jour les insuffisances de notre politique.

Nous attendons de vous un éclairage sur ce qui s'est produit et sur les représentations que les Israéliens, à la fois le gouvernement et l'opinion publique, peuvent se faire de leur avenir. Nous attendons également de vous un examen précis de la situation. Je suis actuellement interpelé par l'incompréhension de la position structurelle de l'État israélien. Nous sommes en pleine discussion sur la trêve, le cessez-le-feu et d'autres considérations, mais nous avons une extrême difficulté à percevoir le concept géostratégique – et donc géopolitique – du gouvernement israélien lorsqu'il mène la guerre, qui constitue normalement une continuation de la politique par d'autres moyens. Nous observons la mobilisation de forces militaires importantes et les dégâts causés ici et là, notamment de manière terrible dans la bande de Gaza. Cependant, nous avons du mal, même si elle existe, à comprendre quelle est la vision finale que l'État israélien donne à ce conflit et comment il souhaite organiser structurellement ses relations avec son environnement. En tant qu'Européens, nous avons toujours promu la vision de deux États et nous avons plaidé en faveur d'une relation d'apaisement et de compréhension réciproque, dans laquelle les aspirations légitimes du peuple palestinien sont prises en compte pour assurer la sécurité et la sérénité durables d'Israël.

Actuellement, nous sommes à l'opposé de cette situation et il nous est difficile de définir notre position. J'ai évoqué brièvement votre carrière diplomatique mais j'aurais également pu mentionner votre carrière littéraire. Depuis que vous avez quitté vos fonctions d'ambassadeur, votre fécondité éditoriale est extraordinaire. Vos nombreux livres, notamment celui sur Kissinger et Nous étions seuls – qui m'a particulièrement touché –, témoignent d'une analyse approfondie. En tant que membre de cette vieille génération imprégnée de la mémoire de nos parents entre 1914 et 1945, je vous recommande vivement ce livre, chers collègues, car il aborde le problème fondamental de la solitude française.

En synthèse de ce propos liminaire, que veulent Israël et les États-Unis ? Qu'est-ce que ces derniers peuvent faire ? Que risquent-ils de ne plus faire si M. Trump était élu dans un an ? Qu'en est-il de cette malheureuse Europe qui balbutie des idées justes mais peine à les concrétiser en actes forts ?

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