Intervention de Thibault Malausa

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 14h20
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Thibault Malausa, chercheur de l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) :

Mon objectif, dans ces sept minutes, va être de présenter de façon générale le panorama du biocontrôle. La définition publiée sur le site du ministère en charge de l'agriculture est la suivante : « Le biocontrôle est un ensemble de méthodes de protection des végétaux basées sur l'utilisation de mécanismes naturels ». C'est extrêmement large. La façon dont je présente l'ensemble des stratégies de biocontrôle, qui vont en réalité au-delà des produits et des intrants, consiste en général à poser deux questions.

Premièrement, qui contrôle ou régule les ravageurs adventices ou pathogènes ? Cela peut être des macro-organismes (insectes, araignées, acariens, nématodes) ou des micro-organismes (bactéries, virus, champignons). Cela peut aussi être des plantes de contrôle, des plantes de services. Cela peut être des substances jouant le rôle de médiateurs chimiques, des kairomones, des phéromones ; tout ce qui va régir les interactions à l'intérieur d'une même espèce ou entre les espèces.

Enfin, dans notre définition française du biocontrôle, on parle de « substances naturelles », d'origine animale, végétale ou minérale, le minéral étant vraiment très spécifique à notre définition nationale.

La deuxième question consiste à savoir comment on utilise ces différents régulateurs. Cela peut être sous forme d'intrants, sous forme de produits ; dans ce cas ils seront produits par une industrie, puis commercialisés par un distributeur, et atteindront l'utilisateur.

Mais l'on peut aussi utiliser des organismes et substances déjà présents dans l'environnement, comme le fait le biocontrôle par conservation. Par certaines pratiques, en ajoutant certaines ressources, certains intrants, on va moduler l'activité des organismes déjà présents. Ce type de biocontrôle sort déjà partiellement du champ des produits.

On a également le biocontrôle par acclimatation qui a pour objectif de restaurer un cortège ennemi naturel qui aurait été perdu lors d'une invasion biologique. Une espèce invasive arrive sur notre territoire sans son cortège d'ennemis naturels. On va aller chercher dans son aire native les ennemis naturels qui vont être à la fois spécifiques et efficaces pour les introduire en France.

Enfin, il y a la lutte autocide, qu'on travaille en France sous la bannière du biocontrôle. On utilise le ravageur contre lui-même, par exemple en le stérilisant, en lâchant des grandes quantités de mâles stériles qui vont entrer en compétition avec les mâles naturellement présents. L'opération va perturber la reproduction et faire chuter les niveaux de densité des populations.

Sur le plan technique, le biocontrôle a le potentiel pour remplacer tout ce qui est insecticides et mollusquicides, même si ce n'est pas forcément à très court terme. Cela devient un peu plus compliqué pour les fongicides et surtout pour les herbicides. Pour ces derniers, nous sommes très loin du compte.

A combien se monte l'effort public et privé en faveur du biocontrôle au niveau national ? J'avais réalisé une étude sur une base de données de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) entre 2017 et 2021. Elle révélait un niveau de subventions sur projets situé entre 5 et 10 millions d'euros par an, sans doute de l'ordre de 20 millions d'euros si l'on inclut les cofinancements, les coûts complets, les salaires publics et privés. On serait donc à peu près à 20 millions d'euros, avec un ratio qui serait de 50/50 entre recherche académique et recherche appliquée, ce qui fait environ 10 millions d'euros par an d'efforts d'innovation et à peu près l'équivalent en développement de méthodes.

Pourquoi le biocontrôle n'est-il pas complètement au niveau des attentes en termes de diminution d'usage des pesticides ? D'abord, l' innovation pool, le tirage par la demande est en panne. C'est quelque chose de très classique sur des innovations qui doivent s'intégrer dans un système très dominant, particulièrement figé dans le cadre des pesticides. Le parallèle est intéressant et même perturbant avec l'automobile électrique, par exemple. Si on lit des articles scientifiques de sociologie de l'innovation sur le biocontrôle et sur l'automobile électrique, on constate que l'on se trouve quasiment dans la même situation. En raison du système agricole et alimentaire, des infrastructures, le biocontrôle est systématiquement pénalisé par rapport à des pesticides classiques. Par ailleurs, il existe une carence importante au niveau de l'aval des filières, le biocontrôle étant peu valorisé à ce stade. De ce fait, les acteurs de l'innovation n'ont pas complètement leur destin en main, de la recherche jusqu'à l'agriculteur. Ce ne sont pas ces gens-là qui détiennent la clé, les choses se jouent à un niveau plus aval.

On a une tendance, notamment en France, à ne penser que produits lorsqu'on pense biocontrôle. Finalement, quand on considère le champ des possibles pour l'agriculteur, les produits sont une partie de la solution, mais ce n'est pas uniquement cela. On déploie à peu près 90 % des efforts sur les produits. Il faut absolument diversifier. Les services et les stratégies de régulation de type biocontrôle par conservation et acclimatation facilitent l'intégration des produits. C'est un énorme angle mort dans tous les pays, et notamment en France.

Il y a aussi une problématique avec notre manière de concevoir l'innovation, selon une logique très top-down en France, héritée des systèmes agrochimiques : le laboratoire trouve la molécule ou l'organisme, l'industriel qui s'en saisit et on essaie de la faire adopter à l'agriculteur. Il faut arriver à innover avec les acteurs, à mettre l'agriculteur au centre du jeu, à valoriser son savoir-faire.

En termes de grande priorités, je dirais qu'il faut transformer, diversifier et utiliser l'ensemble des leviers du biocontrôle. Il faut aller jusqu'au marché, pour inclure l'aval. Par ailleurs, il faut parvenir à mettre en place un phasage simultané, entre les catégories et les types de leviers du biocontrôle, mais aussi avec les autres leviers de l'agroécologie.

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