Intervention de Sébastien Windsor

Réunion du mercredi 11 octobre 2023 à 17h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Sébastien Windsor, président de Chambres d'agriculture France :

Les chambres regroupent 8 500 conseillers répartis sur l'ensemble du territoire français, départements d'outre-mer (DOM) compris, au sein de 500 antennes, au plus près des exploitations. 40 % de notre budget vient de la taxe additionnelle sur le foncier non bâti. Pour le reste, nos ressources sont issues des appels à projets auxquels nous répondons ainsi que, pour moitié, de prestations que nous vendons aux agriculteurs.

Notre première action autour des produits phytosanitaires est le certificat individuel de produits phytosanitaires, dit Certiphyto. Nous avons ainsi plus de 1 110 conseillers accrédités « Certiphyto conseil ». À la fin septembre, nous avons réalisé 11 600 conseils stratégiques phyto (CSP), dont plus de 8 000 ont été réalisés depuis le début de l'année 2023. On assiste ainsi à une accélération très nette. En 2022, nous avions embauché des conseillers et nous avions commencé à les former, mais nous avons manqué d'agriculteurs et nos conseillers n'ont pas été utilisés à plein temps sur cette mission de CSP, faute de candidats.

L'accent mis sur la communication début 2023, avec le renfort des pouvoirs publics, a permis de donner un coup d'accélérateur aux candidatures des agriculteurs. À date, nous nous mobilisons pour traiter en 2023 à la quasi-totalité des demandes que nous avons enregistrées. À la fin de l'année, il restera probablement seulement à traiter les demandes des agriculteurs qui se seront manifestés en novembre ou décembre. On observe donc une mobilisation très importante du réseau autour de ces CSP.

Au-delà du conseil stratégique phyto, les chambres ont accompagné un peu plus de 30 000 agriculteurs par des actions de formation sur les enjeux relatifs aux produits phytosanitaires, dans le cadre d'un catalogue de formations assez étoffé. Nous avons également accompagné près de 17 000 agriculteurs au sein de structures collectives : groupements de développement agricole (GDA), groupes Dephy ou groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE). Enfin, en 2021, nous avons accompagné quasiment 12 000 agriculteurs sur l'agriculture biologique, aussi bien pour la conversion que pour le suivi de leur exploitation.

Les chambres sont amenées à établir tous les ans un rapport sur leur action en faveur de la réduction des usages et de l'impact des produits phytosanitaires. Nous pourrons vous envoyer le rapport de 2021. Le rapport de 2022 sera finalisé d'ici la fin de l'année. Il nous faut un peu de temps pour remonter l'ensemble des données du réseau.

Lorsqu'on parle d'échec des politiques en matière de réduction des produits phytosanitaires, c'est souvent Dephy que l'on vise. Aujourd'hui, Dephy agrège 2 100 exploitations au sein de 182 groupes. 68 % des groupes Dephy sont accompagnés par les chambres d'agriculture, soit 122 groupes.

Nous pouvons être déçus par ces chiffres, mais je veux quand même rappeler que les groupes Dephy ont été conçus pour établir des références et obtenir des données sur des exploitations, avec des agriculteurs assez innovants, poussant tous les feux le plus loin possible afin de réduire les volumes de produits phytosanitaires. Nous avons mis en place un processus assez lourd d'enregistrement de l'ensemble de leurs pratiques, de façon très détaillée, de manière à pouvoir tirer profit de ces références et les réutiliser chez d'autres agriculteurs.

Ce travail a été conçu pour porter des précurseurs et des références. L'idée que l'on pourrait en faire un outil pour entraîner d'autres agriculteurs, au sein d'un processus collectif, était un peu une chimère. Pour accompagner les agriculteurs plus réfractaires au changement, il ne faut pas les inclure dans un groupe où l'on commence par mettre leurs pratiques sur la table pour les comparer à celles de leurs voisins. Nous pourrons procéder ainsi à terme, quand nous aurons réussi à les embarquer. Dans les premières étapes, en revanche, c'est le tête-à-tête qui permettra de les embarquer et de les inciter à réfléchir à un changement de pratiques, plus qu'une dynamique de groupe dans laquelle ils auront l'impression d'être jugés.

Les références établies par Dephy sont utiles, nous nous appuyons dessus. Mais je pense que nous avons besoin d'aller un cran plus loin aujourd'hui sur les références. Nous le voyons bien pour l'accompagnement des éleveurs, par exemple. Aujourd'hui, disposer de références expérimentales techniques est une chose, mais il faut aller jusqu'au bout et mesurer l'impact sur le revenu de l'exploitant. Pour convaincre un agriculteur, il est extrêmement important de montrer que s'il adopte ces pratiques, l'impact sera nul ou positif sur son résultat d'exploitation, sur son temps de travail. Nous aurons donc besoin d'aller plus loin pour l'ensemble des références que nous établissons. Nous portons d'ailleurs ce projet aujourd'hui, à travers les 15 millions d'euros supplémentaires affectés au compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (Casdar), dans le cadre du projet de loi de finances.

J'entends que nous n'avons peut-être pas réussi complètement sur l'objectif des 30 000 fermes que nous devions engager dans la transition agroécologique, dans le sillage des 3 000 fermes Dephy. J'ai essayé d'expliquer pourquoi.

Je veux quand même rappeler que nous avons réussi sur différents points. Nous avons baissé de quasiment 96 % l'utilisation des produits « CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) 1 », c'est-à-dire des produits les plus toxiques. Et nous avons baissé de 20 % l'utilisation des « CMR 2 » par rapport à la référence 2015-2017. À l'inverse, nous avons augmenté l'usage des produits de biocontrôle.

Nous rencontrons cependant un phénomène nouveau qui nous pose de grandes difficultés en matière de désherbage. En effet, des résistances sont apparues, ce qui fait que les agriculteurs, tout en développant des techniques alternatives, ne sont pas parvenus à baisser les volumes de produits phytosanitaires utilisés.

Pour la suite, l'augmentation des volumes de CSP réalisés constitue un enjeu majeur. Nous nous y préparons en continuant à former des techniciens. Je pense que nous serions en difficulté si nous devions avoir fait les deux CSP au moment du renouvellement du Certiphyto, mais je suis à peu près certain que nous arriverons à être au rendez-vous pour faire au moins un CSP par agriculteur avant ou dans les mois qui suivent le renouvellement de son Certiphyto. Nous en avons pris l'engagement et nous sommes de loin le premier acteur sur ce terrain, avec 80 à 90 % des conseils stratégiques phyto réalisés.

Avec ce conseil stratégique, nous effectuons un accompagnement de premier niveau sur la réduction des produits phytosanitaires. Est-ce que j'utilise des outils d'aide à la décision ? Est-ce que j'adapte bien les protections fongicides ou insecticides en fonction des variétés que j'utilise ? Quand j'ai une variété résistante, ai-je bien diminué la dose ? Nous travaillons sur des attitudes assez basiques qui constituent les premiers pas les plus significatifs dans la réduction des produits phytosanitaires.

Mais nous avons ensuite un problème. Pour aller plus loin, il faudrait adopter une approche globale de l'exploitation. Comment dois-je faire évoluer les cultures de mon exploitation ? La succession de ces cultures ? Mes pratiques d'élevage ? Ce travail fondamental ne peut pas se faire dans le cadre d'un conseil stratégique unique sur une demi-journée ou une journée. Il nécessite un accompagnement de l'exploitant dans la durée. Il faut aller le voir deux, trois, quatre fois dans l'année, pendant au moins deux ans, pour l'accompagner pas à pas et le rassurer face à ces changements.

Ce sujet de l'accompagnement face au changement n'est pas nouveau. Et nous avons besoin des références que j'ai évoquées tout à l'heure pour reprendre, point par point, ce qui a été fait chez le voisin et regarder avec l'exploitant de qu'il peut implanter chez lui. Pour gérer ses herbicides, doit-il retarder sa date de semis, sa date de labour ? Doit-il faire du faux semis ? Doit-il faire un labour si le faux semis échoue ? Il faut concevoir ce système avec lui dans la durée, en l'accompagnant au moins pendant deux ans.

Pour ce faire, nous demandons, dans le cadre de la planification environnementale, 50 à 55 millions d'euros par an, pour accompagner 10 000 agriculteurs sur deux ans, en traitant conjointement les enjeux de produits phytosanitaires, de changement climatique et de décarbonation.

En conclusion, nous devrons aussi étudier les moyens d'embarquer le consommateur dans cette transition. Toutes ces pratiques ont un coût. Or, le budget alimentaire des consommateurs a baissé de près de 15 % par rapport aux moyennes des années précédentes ; cela nous affecte évidemment. Le sujet européen de l'affichage de l'origine et des appels d'offres publics avec des critères d'origine est très important pour nous, si nous voulons faire en sorte que les agriculteurs s'approprient ces pratiques.

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