Intervention de Annaïg Le Meur

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnaïg Le Meur, rapporteure :

Mes chers collègues, comme l'an dernier à la même période, le contexte actuel continue d'être marqué par des difficultés et des tensions sur le logement. Les taux directeurs de la Banque centrale européenne, qui étaient restés autour de zéro entre 2012 et 2022, sont remontés brutalement jusqu'à atteindre une fourchette située entre 4 % et 4,75 % en septembre de cette année.

Comme toujours lorsque les taux remontent, en particulier dans un contexte de rareté foncière, le secteur immobilier est parmi les premiers touchés. Le coût d'investissement des constructeurs a fortement augmenté, ce qui comprime l'opportunité des nouvelles opérations. Pour les bailleurs sociaux, malgré une situation financière globalement saine, c'est leur capacité à mener de front leur activité de réhabilitation de leur parc de logements et la construction de nouveaux logements sociaux qui est réduite.

Du côté de la demande, les Français rencontrent de plus en plus de difficultés à se loger. La primo-accession se complique, de même que la mobilité résidentielle pour ceux qui ont accédé à un crédit au cours des dernières années.

Sur le temps plus long, le bâtiment continue d'être affecté par une tendance haussière sur les prix de la construction. C'est un défi central à une époque où nous faisons de l'habitat et du cadre de vie des leviers cruciaux de notre transition écologique. Nous révisons collectivement nos ambitions à la hausse en exigeant des pratiques de recyclage urbain plutôt que d'étalement, en imposant la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et des matériaux plus efficaces et moins dommageables pour l'environnement. Ces exigences engendrent nécessairement des hausses de coûts de production.

Cette crise de l'offre et de la demande, couplée à l'inflation, a des répercussions importantes en matière de pouvoir d'achat pour les Français, car le logement est le premier poste de dépenses chez nos concitoyens. Il est donc d'autant plus important que notre politique soit à la hauteur des enjeux.

Face à cela, le budget sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer apporte des réponses concrètes et opérationnelles. Sur le plan fiscal c'est d'abord un budget d'aide à l'accession, comme en témoignent l'élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) à une nouvelle catégorie de ménages et la hausse de son taux de prise en charge. C'est aussi un budget de soutien à la construction, dans un contexte d'équilibre budgétaire : soutien au logement locatif intermédiaire, exonération en faveur de la « seconde vie » dans le parc social, nouveaux abondements sur les plus-values de cession foncières pour encourager à la cession des terrains en zone tendue.

En ce qui concerne les aides au logement, qui constituent la majeure partie de la dépense budgétaire consentie par l'État à destination du logement, le Gouvernement a souhaité accompagner les locataires les plus vulnérables en ajustant les aides sur l'inflation. Cette revalorisation se traduit par une augmentation des crédits du programme 109 de plus de 500 millions d'euros, pour atteindre 13,9 milliards d'euros, et ceci en dépit de l'économie significative générée par la réforme du versement de l'APL en temps réel, qui est chiffrée à plus d'un milliard d'euros.

De façon plus structurelle, ce budget accompagne nos efforts financiers considérables en faveur de la transition écologique dans l'urbanisme et dans l'habitat. Ce sont ainsi plus de 3,7 milliards d'euros qui sont consacrés à la prime de transition énergétique « MaPrimeRénov' » pas les différents programmes contributeurs. C'est une augmentation de plus de 30 % sur une année, alors même que le budget a déjà plus que doublé dans les deux années qui viennent de s'écouler – nous en avons débattu notamment ce matin. C'est sans compter l'enveloppe spécifique consacrée à la rénovation thermique et à la réhabilitation lourde dans le parc social, qui est un levier essentiel de transition dans le bâtiment, tant les bailleurs sociaux ont la compétence et l'expertise pour mener massivement des travaux ambitieux et de qualité. Déjà abondée de 187 millions d'euros au titre de la mission Relance, cette action a encore été rehaussée par l'annonce du ministre chargé du logement quant à l'abondement d'un fonds de 1,4 milliard d'euros pour la rénovation du parc social.

Je veux à nouveau combattre ici l'idée, assez facile et très répandue dans les amendements qui viendront plus tard, que nous n'allons pas assez loin dans la rénovation énergétique. C'est, je le rappelle, cette majorité qui a adopté la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, avec son calendrier des rénovations obligatoires. C'est aussi cette majorité qui a triplé l'effort budgétaire en faveur de la transition écologique dans le logement.

En outre, le « fonds vert », qui regroupe des actions essentielles en matière de transformation urbaine, comme par exemple la rénovation des bâtiments publics, le « fonds friches » ou le fonds de renaturation des villes, est reconduit cette fois-ci à hauteur de 2,5 milliards d'euros, ce qui représente une hausse de 20 % de son budget sur une année.

Enfin, le programme 135 porte aussi le lancement de la prime d'adaptation du logement « MaPrimeAdapt' » au 1er janvier 2024. Cette aide, pilotée par l'Agence nationale de l'habitat (Anah), est abondée de 67 millions d'euros pour accompagner les ménages dans l'adaptation des logements au vieillissement. Car nous mettons tous les moyens en œuvre pour mieux activer le potentiel résidentiel du parc existant.

Après quinze ans de recul systématique, le marché locatif privé connaît en effet une attrition très marquée. Celle-ci est encore plus forte sur certains territoires, qui ont connu une véritable explosion immobilière ces dernières années, notamment les zones littorales et insulaires, à l'image de mon territoire de Bretagne, de la Corse ou encore du Pays Basque. Cette attrition s'est faite au profit de la vacance des logements pour 8 % du parc, des résidences secondaires pour 10 % du parc et au profit du développement de l'immobilier touristique.

Les rapports disponibles sont formels et notre commission elle-même y a récemment consacré un travail, que j'ai mené avec notre collègue Vincent Rolland : ces dynamiques limitent notre capacité à répondre aux besoins de logement des populations.

C'est donc ce parc existant qu'il faut avant tout chercher à remobiliser. Nous devons ramener sur le marché locatif les biens qui l'ont quitté. Nous devons réinciter à la location de longue durée, par exemple en rééquilibrant la fiscalité des locaux de tourisme par rapport à celle de la location de longue durée, et en réfléchissant plus largement à une refonte globale de la fiscalité locative. Nous menons collectivement cette réflexion avec plusieurs d'entre vous et de manière transpartisane, et j'ai la ferme intention de poursuivre cet effort dans les prochains mois.

Dans cet avis, j'ai voulu montrer le coût économique majeur de cette carence en logement. J'ai rencontré et sollicité par écrit de nombreuses entreprises pour étayer le constat selon lequel le manque de logements pèse lourdement sur l'emploi et la croissance de nos territoires, et constitue un frein à la réindustrialisation.

Toutes les entreprises implantées dans les zones tendues que j'ai interrogées m'ont ainsi fait part de leurs difficultés croissantes à attirer et à retenir les profils dont elles ont besoin dans tous les secteurs, du fait du manque de logements disponibles et de leur caractère inabordable. Par ailleurs des études statistiques menées à grande échelle dans notre pays, mais aussi aux États-Unis, montrent le coût économique durable de l'insuffisance d'offre de logement sur un territoire. Une étude de 2019 évalue ainsi à 36 % sur trente ans la perte agrégée de croissance pour l'économie américaine en raison d'un manque de logements accessibles dans les zones dites à haute productivité. Ces mêmes dynamiques sont à l'œuvre en France et doivent nous préoccuper. Les leviers qui mènent d'une carence de logements à un recul de la croissance sont détaillés dans le rapport.

Une telle situation doit susciter chez nous une réflexion sur le coût que nous payons collectivement pour une politique, notamment fiscale, qui incite à faire autre chose que du logement productif avec le parc résidentiel, en encourageant notamment de manière déséquilibrée la location touristique de courte durée. Lorsque nous prenons des mesures incitatives pour encourager la croissance d'autres pans de l'économie, nous devons nous interroger sur les conséquences économiques et sociales qu'elles ont sur les habitants qui résident à l'année, et à plus forte raison sur notre tissu économique.

Pour l'élaboration de mon rapport, j'ai aussi voulu savoir quels mécanismes les entreprises peuvent mettre en place pour faire face à ces difficultés de logement. La création d'un parc de logements en propre pour l'entreprise par exemple est surtout le fait de grandes entreprises avec de fortes capacités d'investissement et des exigences en matière de disponibilité de localisation. C'est le cas d'EDF, qui loge dans son parc un tiers des salariés de sa filière de production nucléaire et la moitié des salariés de sa filière hydraulique.

Mais la majorité des entreprises accordent plutôt des primes ou des avantages de salaire pour accompagner leurs salariés dans la recherche de logement. Certaines filières, comme les intérimaires, par le biais du Fonds d'action sociale pour le travail temporaire, organisme paritaire, servent d'intermédiaires auprès des propriétaires particuliers afin de garantir les profils des salariés logés et parfois de leur apporter une caution. Nous ne pouvons qu'encourager ce type de pratique. Certains employeurs accompagnent également leurs employés sur le marché de l'accession, ce qui constitue à la fois une aide au logement et un moyen de fidéliser les salariés sur le long terme. Nous avons ainsi rencontré la Société de financement de l'accession à la propriété (Sofiap), qui propose des prêts bonifiés à l'accession en partenariat avec La Poste et d'autres employeurs, comme je le détaille dans mon rapport, qui mériteraient d'être encouragés plus largement.

Pour encourager le financement par les employeurs, des pistes intéressantes ont été proposées afin de mieux mobiliser l'épargne salariale par exemple, à travers des plans d'épargne retraite complémentaire. De tels dispositifs sont déjà mis en œuvre dans certains secteurs mais ils pourraient être amplifiés, notamment en direction du logement locatif intermédiaire (LLI). Celui-ci pourrait du reste être davantage orienté vers certaines filières en tension, en permettant éventuellement un adossement du bail au contrat de travail, comme on le fait déjà dans le cas de la concession de logement, modèle que je détaille aussi dans le rapport.

Mais le gros de l'effort continue à ce jour à passer par Action Logement, dont le modèle même a été pensé pour externaliser et mutualiser les besoins en logement des salariés. Depuis soixante-dix ans, le système paritaire du « 1 % logement », assis sur la masse salariale des entreprises continue de fonctionner et de produire. Les entreprises cotisantes bénéficient en retour de réservations dans le parc des filiales d'Action Logement immobilier afin d'y loger leurs salariés.

Si Action Logement représente aujourd'hui un cinquième du parc social, c'est du fait de la stabilité de ce système, de son financement et de cette vision de long terme, et il faut s'en réjouir. Le groupe déploie également une capacité d'innovation encourageante, comme j'ai pu le voir à travers le modèle de la « résidence hôtelière à vocation d'emploi », qui permet aux employeurs de réserver des logements à destination de leurs employés pour de courtes durées. Ce modèle présente aussi une vive agilité. Les capacités d'Action Logement doivent toutefois être confortées et ces missions recentrées, afin que cet organisme puisse se consacrer exclusivement à son cœur de métier qui est, et doit rester, le logement des salariés.

J'en termine en remerciant vivement les nombreux acteurs que j'ai auditionnés ou sollicités par écrit, notamment l'ensemble des entreprises, que ce soit lors de rencontres à l'Assemblée nationale ou sur le terrain, qui ont bien voulu m'éclairer sur leur pratique dans cette matière importante.

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