Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2023 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2024 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Nous notons l'augmentation des crédits de la mission "Outre-mer" , qui croissent de 185 millions en autorisations d'engagement et de 115 millions en crédits de paiement. Dont acte ! Même si, rapportée à l'inflation galopante que nous subissons dans nos terres de vie chère, cette avancée est infinitésimale.

Nous ne sommes pas dupes et nous sommes bien conscients des effets en trompe-l'œil de ce budget, à l'exemple de l'action 01, Logement, du programme 123. La LBU, ligne budgétaire unique, augmente certes pour atteindre 291 millions d'euros en 2024, mais la conscience du fait qu'elle s'élevait à 289 millions en 2010 et n'a donc augmenté que de 2 millions en quatorze ans est de nature à tempérer l'euphorie ambiante. C'est d'autant plus vrai que, chez nous, 600 000 personnes sont mal logées et seulement 15 % des ménages bénéficient d'un logement social, alors que 80 % remplissent tous les critères d'éligibilité.

Je pourrais aussi parler des taux de chômage endémiques qu'aucun budget n'a jamais pu, voulu ou su endiguer, de la situation de nos hôpitaux, indigne d'un pays qui se dit développé, de l'extrême pauvreté qui se généralise et se banalise dans un contexte d'enchérissement constant du coût de la vie, de la crise de l'eau outre-mer qui vient de faire l'objet d'une nouvelle missive de l'ONU à la France, de l'empoisonnement au chlordécone qui affecte plus de 90 % des Antillais – je note que les crédits consacrés à ce problème sont paradoxalement en baisse –, ou encore de la continuité territoriale au rabais dont souffrent nos territoires, notoirement discriminés par rapport à la Corse.

Bref, ce budget, comme les précédents, n'est nullement en mesure d'inverser le phénomène de mal-développement, de mal-être et de malaise qui ronge nos territoires. C'est pourquoi tous nos amendements constituent des propositions concrètes visant précisément à corriger ces déficiences quantitatives et qualitatives. Sincèrement, vous gagneriez à les adopter !

Enfin, je ne descendrai pas de cette tribune sans avoir dénoncé l'article 55 du projet de loi de finances pour 2024, qui vise à attribuer, au nom de la continuité territoriale, une aide financière au transport et une allocation à l'installation à toute personne « résidant en France métropolitaine justifiant d'un projet d'installation professionnelle durable » dans les outre-mer. Au demeurant, pourquoi exclure de ce dispositif les personnes résidant en Corse ou dans un autre territoire dit d'outre-mer ?

En l'état, l'adoption d'un tel article constituerait un véritable scandale, ce que Frantz Fanon appelle « une violence vis-à-vis de l'avenir », après avoir « vidé [le passé] de toute substance ». En effet, alors que rien n'est fait pour véritablement proposer à notre jeunesse des perspectives pour vivre, pour travailler, pour se loger et s'épanouir au pays et qu'une forme inouïe de violence circulaire s'y déchaîne ; alors que le seul recours qui, après des décennies de politiques « bumidomiennes » puis « ladomiennes », s'offre à bon nombre de ces jeunes cherchant du travail consiste non à traverser la rue, mais à traverser l'océan ; alors qu'à chaque rentrée scolaire, l'État aggrave le dépeuplement en forçant à l'exil tous les lauréats des concours d'enseignement ; alors que nos compatriotes vivant dans l'Hexagone sont, à ce jour, injustement exclus des dispositifs de continuité territoriale, l'État décide, par l'article 55, d'encourager financièrement la colonisation par repeuplement de nos territoires pour toute personne résidant en France métropolitaine ! Ce qu'Aimé Césaire dénonçait au siècle dernier dans ce même hémicycle comme un « génocide par substitution » serait-il en train de muter en une forme contemporaine, plus dangereuse et plus pernicieuse encore ?

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