Intervention de Charles Fournier

Réunion du mardi 17 octobre 2023 à 17h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles Fournier, rapporteur pour avis (Économie sociale et solidaire) :

L'économie sociale et solidaire (ESS) est cette autre économie qui se définit davantage par ses valeurs que par ses chiffres, même si son poids est loin d'être négligeable puisqu'elle représente 10 % du PIB et 14 % des emplois privés – cette proportion atteint même 18 % dans certains territoires ruraux.

Malgré cette importance, le soutien public directement accordé à l'ESS est extrêmement faible, puisqu'il ne dépasse pas 20 millions d'euros, quand les crédits consacrés à l'économie classique approchent les 140 milliards – même si cette estimation est difficile à réaliser. L'Espagne vient d'engager un programme interministériel extrêmement ambitieux en faveur de l'ESS, qui repose sur un plan d'investissements de plus de 800 millions d'euros, alors que les crédits stagnent en France. On ne prend pas en compte l'inflation, ni les difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs de l'ESS. L'essentiel de la hausse des crédits de paiement (CP) sera consacré aux contrats à impact social, qui ne sont pas une solution stimulante pour les acteurs que nous avons auditionnés, car ils exigent un travail administratif et d'évaluation très lourd et ne donnent lieu à un paiement de l'État que si les résultats sont au rendez-vous.

Les crédits de paiement affectés aux structures de l'ESS baissent de 1 million d'euros, alors que celles-ci ont besoin d'un soutien massif pour engager plus fortement les transformations auxquelles le secteur doit participer. Le rôle de l'ESS dans la transition écologique pourrait aller de soi, car beaucoup de ses acteurs ont fait partie des premiers à innover dans ce domaine, notamment dans la gestion des déchets, le réemploi et l'énergie produite par des coopératives citoyennes, mais ils ne sont pas identifiés et ne bénéficient donc pas de soutien particulier. Ils ne sont pas davantage soutenus pour leur propre transformation : les acteurs du secteur sanitaire et social, qui gèrent des bâtiments, de la mobilité et de l'alimentation, ne sont pas accompagnés dans la transition qu'ils doivent engager. Dans France 2030, une vingtaine de dossiers seulement sont soutenus au titre de l'ESS.

BPIFrance apporte un soutien très faible à l'ESS, alors qu'un engagement fort de la banque publique d'investissement avait été annoncé au moment de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, dite Hamon. Le bilan de cette loi, près de dix ans après sa promulgation, montre quelques faiblesses ; ainsi, l'agrément d'entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus) reste méconnu, faute d'offrir suffisamment d'avantages et d'accompagnement.

Pour toutes ces raisons, j'émettrai un avis défavorable sur les crédits de l'action 04 du programme 305 Stratégies économiques, consacrés à l'ESS.

Je préconise l'adoption d'une loi de programmation pluriannuelle en faveur de l'ESS, car le secteur a besoin de visibilité ; les acteurs doivent pouvoir inscrire leur action dans le temps et être accompagnés dans leurs engagements, dans leur champ historique comme en matière d'innovation sociale et écologique. Il est urgent de consolider le soutien budgétaire de l'État, qui est assez limité avec seulement 20 millions d'euros. Le mouvement associatif défend l'instauration de mesures fiscales, comme la modulation de la taxe sur les salaires (TS) qui pèse particulièrement sur les structures de l'ESS, afin de redonner des marges à ces dernières ; dans le même objectif, les dispositions sur l'impôt sur le revenu pourraient être étendues.

Certains chercheurs évoquent l'émergence d'une EESS, à savoir une économie écologique, sociale et solidaire : tout le monde le reconnaît, les questions sociales et écologiques sont intimement liées. Les acteurs de l'ESS sont bien placés pour défendre cette articulation : ils peuvent offrir des solutions, mais il faut prendre en compte les difficultés qu'ils affrontent ; l'inflation, notamment des prix énergétiques et alimentaires, les frappe en effet de plein fouet. J'ai déposé plusieurs amendements visant à les accompagner pour faire face à ces problèmes.

Il convient également de réviser la loi Hamon, qui suscite de nombreux débats : faut-il toucher à l'article 1er, qui définit les familles de l'ESS ? Faut-il prendre en considération la mesure de l'impact social et écologique de ces acteurs ? Il me semble qu'il y a lieu de faire les deux et de reconnaître leur utilité sociale et écologique. Il convient de toiletter plusieurs articles de la loi, afin d'intégrer des avantages, des contreparties et des engagements liés à l'appartenance à ce secteur : la loi de programmation, dont je défends le principe, serait tout à fait utile pour impulser une telle orientation.

Il serait également opportun de soutenir l'accès des acteurs de l'ESS aux marchés publics, actuellement difficile. Aucune part de ces marchés ne leur est réservée et aucune intermédiation n'existe pour les aider à faire des réponses groupées. Certains projets extrêmement importants ne trouvent pas de financement : je pense, par exemple, au projet de l'association Ïkos, qui pourrait répondre à un tiers des enjeux de réemploi de la métropole bordelaise, mais auquel il manque quelques millions d'euros pour boucler le tour de table ; dans le même temps, on trouve des milliards pour soutenir des activités économiques comme le développement de semi-conducteurs, à Grenoble ou ailleurs.

Les innovations dans le domaine de la transition écologique provenant de l'ESS ne sont pas reconnues par la puissance publique, qui ne les soutient pas. Il faut accompagner les acteurs du secteur dans leur transition et leur réserver une plus grande place, dans les marchés publics comme dans France 2030, car ils ont un rôle majeur à jouer dans la période actuelle.

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