Intervention de Anaïs Sabatini

Réunion du mardi 17 octobre 2023 à 17h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnaïs Sabatini, rapporteure pour avis (Tourisme) :

J'ai l'honneur de vous présenter les crédits budgétaires relatifs au tourisme au sein du projet de loi de finances pour 2024, ainsi que mes travaux sur le thème de l'emploi dans le secteur touristique.

L'activité touristique a été percutée de plein fouet par l'épidémie de covid-19. Aujourd'hui, elle revient progressivement à la normale. Cet été, le nombre de nuitées dans les hébergements collectifs de tourisme a augmenté de 3,3 % par rapport à 2019 ; l'hiver dernier, la fréquentation des hôtels et des résidences de tourisme a progressé de 1,4 % par rapport à l'année précédente. On note aussi une hausse du chiffre d'affaires : les recettes issues du tourisme international étaient estimées, fin août, entre 64 et 67 milliards d'euros pour l'ensemble de l'année 2023, alors qu'elles n'étaient que de 58 milliards en 2022.

Est-ce un résultat glorieux pour autant ? En réalité, la saison est marquée par l'inflation élevée, qui affecte non seulement le pouvoir d'achat des touristes, mais également les entreprises du secteur, qui doivent en outre rembourser leurs prêts garantis par l'État (PGE) alors qu'elles ont besoin de penser à l'avenir et donc d'investir. Les entreprises du secteur touristique sont aussi confrontées à une pénurie de main-d'œuvre et à un manque d'attractivité des métiers proposés, des sujets sur lesquels je reviendrai lorsque je présenterai la partie thématique de mon avis budgétaire.

Je commence donc par la présentation des crédits consacrés au tourisme dans le projet de loi de finances initiale pour 2024. Alors que la consommation touristique intérieure représentait 7,8 % du PIB en 2019 et environ 2 millions d'emplois directs et indirects, à l'heure où la concurrence des pays voisins européens en matière de tourisme se fait fortement ressentir, ce budget manque d'ambition.

Tout d'abord, il est regrettable qu'un secrétaire d'État ou un ministre ne soit pas spécifiquement chargé du tourisme. Cette politique est diluée au milieu d'un portefeuille ministériel, celui de Mme Olivia Grégoire, au sein duquel on retrouve également l'économie sociale et solidaire, les petites et moyennes entreprises, le commerce et l'artisanat.

Surtout, les crédits relatifs au tourisme dans le budget 2024, au sein de la mission Économie, sont quasi inexistants. Ils se résument au versement d'une subvention pour charges de service public de 28,7 millions d'euros à Atout France, l'opérateur de l'État en matière touristique. Ce montant n'a pas évolué depuis deux ans. De plus, Atout France bénéficiait auparavant de l'attribution d'une fraction des recettes issues des droits de visas, mais ce mécanisme a été supprimé, sans aucune compensation, pour des raisons de non-conformité à la nouvelle version de la loi organique relative aux lois de finances. J'ai donc déposé un amendement visant à compenser cette perte de recettes.

Par ailleurs, le document de politique transversale relatif au tourisme a été supprimé, ce qui pose problème d'autant que le Gouvernement a choisi de financer sa politique touristique par un grand plan Destination France, doté de 1,9 milliard d'euros mais dont les sources de financement sont largement dispersées et difficiles à retracer au sein de la loi de finances. Alors que le Gouvernement avait annoncé regrouper l'essentiel des crédits relatifs au tourisme au sein de la mission Économie, aucun crédit d'intervention n'est ouvert cette année au sein du programme 134, Développement des entreprises et régulation, pour soutenir ce secteur. Cela est paradoxal.

Je donnerai donc un avis défavorable à ces crédits, en raison de leur manque d'ambition et de lisibilité.

J'en viens à la seconde partie de mon avis budgétaire, qui porte sur la question de l'emploi dans le secteur du tourisme et plus particulièrement sur le manque d'attractivité dont pâtissent les emplois touristiques en France.

Les emplois du tourisme souffrent d'un déficit d'image et d'un manque d'attractivité qui génèrent d'importantes tensions de recrutement. Le Gouvernement estime que, pour les saisons estivale 2022 et hivernale 2022-2023, 65 000 postes de saisonniers n'ont pu être pourvus faute de candidats.

Les métiers du tourisme recouvrent des réalités très diverses. On parle ici de métiers qui appartiennent à plusieurs branches professionnelles, allant de l'hôtellerie-restauration à la commercialisation de voyages, en passant par le métier de guide, d'animateur, ou encore par la promotion et le développement des territoires. La nature des contrats de travail et les qualifications professionnelles requises varient en conséquence. On peut tout de même dégager quelques grandes tendances : ce sont des métiers essentiellement tournés vers la relation client, avec une forte proportion d'emplois saisonniers, proposés par des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) et souvent accessibles avec un faible niveau de qualification.

Il va de soi que la faible rémunération des métiers du tourisme est l'un des premiers freins à l'attractivité du secteur, mais également à la fidélisation de ses travailleurs. Les temps partiels subis, de même que les horaires décalés dans certains métiers, sont aussi des freins qui s'ajoutent au problème des bas salaires.

En outre, les différents acteurs auditionnés ont mis en avant des difficultés liées à la mobilité géographique et au logement pour les travailleurs du secteur touristique, et plus particulièrement pour les saisonniers. L'accès au logement est un enjeu central pour attirer ces derniers. La tension locative inhérente aux zones touristiques s'est accrue, en raison de l'augmentation du nombre de résidences secondaires et de l'émergence de plateformes de location de meublés touristiques davantage destinées aux vacanciers qu'aux travailleurs saisonniers.

La formation est également une composante majeure de l'attractivité de ces métiers. Le secteur connaît de profondes mutations liées tant aux évolutions numériques qu'à l'émergence de nouveaux modes de tourisme comme le tourisme durable. Les formations doivent s'y adapter.

Tous ces freins affectent de manière déterminante l'image des métiers du tourisme, qui sont bien souvent considérés comme des jobs et non comme des métiers sérieux malgré les possibilités d'évolution de carrière.

Certes, des mesures de soutien ont été mises en œuvre pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre et au manque d'attractivité du secteur, comme en témoignent le plan Destination France et, plus récemment, la feuille de route pour améliorer l'emploi des travailleurs saisonniers. Au niveau local, plusieurs initiatives ont également émergé : la mise en place d'une plateforme recensant des offres de logement en Bretagne est un exemple qui est régulièrement revenu lors des auditions. Mais ces mesures demeurent insuffisantes.

Les initiatives du Gouvernement n'ont pas toujours le succès escompté. Ainsi, la plateforme monemploitourisme.fr semble avoir du mal à rencontrer son public, comme le constate d'ailleurs la Cour des comptes, qui recommande d'en réaliser un audit – une proposition à laquelle je souscris.

Certaines questions ont été totalement laissées de côté, notamment celle de la nature du contrat de travail. Le CDI intermittent est une option intéressante, qui éviterait la multiplication des contrats courts ; toutes les expérimentations n'ont pas été fructueuses mais je regrette que le Gouvernement délaisse le sujet et semble privilégier la multiplication des contrats de court terme.

Le grand nombre d'initiatives sectorielles ou locales pose le problème de leur généralisation à plus grande échelle. Tant pour le logement que pour l'emploi, le sujet du recensement de l'offre apparaît déterminant, mais reste à savoir qui en assumerait la charge, et avec quels moyens.

Le renforcement de l'attractivité des métiers du tourisme passe avant tout par l'amélioration des conditions de travail, qu'il s'agisse du niveau de rémunération ou du logement. Notre groupe a d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens, visant à renforcer l'attractivité du travail saisonnier dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration.

En matière budgétaire comme sur le sujet plus spécifique de l'emploi, les moyens consacrés à la politique touristique ne sont donc pas à la hauteur des défis. Alors que la France accueille la Coupe du monde de rugby cette année et les Jeux olympiques et paralympiques l'année prochaine, il est pourtant évident que le tourisme devrait faire l'objet d'une attention plus soutenue. C'est le rayonnement de la France qui est en jeu, non seulement à l'étranger, mais aussi auprès de nos concitoyens.

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