Intervention de Fabrice Le Bellec

Réunion du jeudi 5 octobre 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Fabrice Le Bellec, directeur de recherche au Cirad :

J'ai travaillé vingt-cinq ans en Outre-mer, à La Réunion et en Guadeloupe, au plus près des producteurs. C'est à ce titre que je m'exprime. En tant que chercheur, ma mission consistait à accompagner la transition agroécologique des systèmes de culture, notamment aux fins de réduction de l'usage des pesticides. Dans ce cadre, j'ai coordonné divers projets, dont la rédaction d'un guide de conception de systèmes de culture économes en produits phytosanitaires. Ce support a été largement diffusé et utilisé dans les territoires d'Outre-mer.

Force est de constater que les ventes de produits phytosanitaires dans les départements et régions d'Outre-mer (Drom) sont restées stables au cours des dix dernières années – tout du moins dans les territoires les mieux documentés, à savoir La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique. Nous possédons moins d'informations sur la Guyane et sur Mayotte. En dépit des efforts considérables accomplis par les organismes de recherche, les centres techniques et d'appui et les chambres d'agriculture, la transition vers la réduction des produits phytosanitaires reste difficile.

Il convient de préciser qu'entre 75 et 80 % des volumes vendus chaque année dans les trois principaux Drom sont des herbicides. Cela résulte de conditions tropicales favorisant la croissance des herbes tout au long de l'année. De ce fait, les producteurs doivent pouvoir répondre à la pression quotidienne des plantes adventices. En outre, les conditions pédoclimatiques sont très favorables aux cultures, mais aussi aux nombreux bioagresseurs. Les principales espèces cultivées sont la canne à sucre, la banane et les cultures maraîchères. Parmi les ventes d'herbicides, le glyphosate occupe une part évaluée entre 30 et 70 % selon les années et selon les Drom. Il continue donc d'être très largement diffusé et utilisé dans ces territoires.

Bien entendu, les pesticides épandus ont des impacts notables. Dans le cadre de l'expertise collective lancée par l'Inrae et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), j'ai apporté ma contribution sur les pratiques culturales et les risques de transfert des pesticides vers les différents compartiments environnementaux outre-mer. Nous avons ainsi observé que toutes les matrices de l'environnement étaient contaminées par les pesticides, qu'il s'agisse du sol, de l'air, des eaux souterraines ou des eaux de surface. Nous sommes donc en présence d'une pollution chronique, assez sévère. Mais l'expertise conclut que nous avons très peu de données sur l'impact de ces pollutions sur la biodiversité en général – hormis, peut-être, sur la question du chlordécone aux Antilles. Nous manquons de connaissances en la matière.

Même si les conditions pédoclimatiques varient entre les différents Drom, la littérature internationale a montré que les risques de transfert sont assez proches de ceux constatés sous des climats tempérés. Les schémas et processus de transfert sont comparables, en dépit d'effets d'accélération d'ordre climatologique. En réalité, les risques de transfert sont plutôt liés aux pratiques agricoles : risque d'érosion lors d'irrigations ou d'épisodes de pluies tropicales intenses, pollution directe des eaux due aux épandages de pesticides, fréquence élevée d'usage des herbicides, mauvaise gestion des fonds de cuve après traitement. Les producteurs se sont peu approprié les solutions existantes.

Face à cette situation, il est légitime de se demander pour quelles raisons il est aussi difficile de réduire l'usage de produits phytosanitaires. Les collectifs de recherche et de développement ont mis au point différents leviers techniques permettant d'éviter le recours à ces produits. Il s'agit de comprendre pourquoi ces solutions ne sont pas adoptées par les producteurs.

Il existe plusieurs éléments de réponse à cette question. En premier lieu, nous constatons qu'un seul levier technique n'est pas suffisant pour se passer de l'ensemble des produits phytosanitaires. Une approche plus systémique et globale est indispensable. Seule la combinaison des pratiques culturales permet la réduction des produits phytosanitaires, mais elle exige une grande technicité et un niveau de formation qui ne sont pas à la portée de tous les producteurs. De surcroît, ces derniers ne sont pas prêts à prendre le risque de perdre une partie de leur récolte. La combinaison des pratiques culturales apparaît donc trop complexe. En outre, ses performances sont mal documentées, ce qui constitue un frein supplémentaire pour les producteurs.

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