Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 27 septembre 2022 à 15h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Les AFD ont montré leur efficacité. Les parquets les utilisent largement. Les procureurs et les forces de sécurité intérieure demandent la déjudiciarisation de certains délits. Même s'il faut composer avec les limites posées par le Conseil d'État et faire preuve de pragmatisme, les AFD doivent être utilisées chaque fois que c'est possible.

Au titre des simplifications de la procédure pénale, nous envisageons – mais les arbitrages ne sont pas encore rendus – de faire en sorte qu'un certain nombre d'actes constitutifs d'infractions ne le soient plus. Je pense notamment aux injures, ou encore à la dualité qui prévaut en certaines matières. La demande émane des EGJ. Est-il normal qu'en matière routière il y ait à la fois une sanction administrative et une sanction judiciaire ? Ne pourrait-on pas simplifier les choses ? Il est permis d'y réfléchir, sans aucun dogmatisme, car le but est de déjudiciariser, c'est-à-dire de gagner du temps de magistrat, pour une justice plus rapide et plus qualitative, car, comme je le disais, les justiciables se plaignent parfois de ne pas assez voir leur juge. Il faut trouver de nouveaux équilibres.

Vous verrez, lorsque je présenterai les suites données aux états généraux, qu'un certain nombre des solutions esquissées sont excellentes. J'ai tenu à placer toutes les parties prenantes autour de la table pour dégager quelque chose de consensuel, pour éviter que l'on dise que les décisions correspondent à la volonté du garde des sceaux, afin qu'il n'y ait pas d'oppositions politiciennes stériles. Or tout le monde est allé dans le même sens. Lorsque je participe aux conférences de chefs de cour ou de juridiction, en présence des greffiers ou des avocats, nous essayons de coconstruire quelque chose. En matière civile, par exemple, nous avons partagé le constat qu'il fallait modifier le décret Magendie pour rendre les choses plus fluides et moins complexes. Le justiciable s'entend dire, pour l'heure, que son affaire est renvoyée à six ou sept mois, ce qu'il ne peut pas comprendre.

Il y a peu de place, dans certains sujets, pour la petite « poloche ». Nous devons nous unir pour fluidifier les choses et les rendre plus simples et proches des justiciables. C'est un joli but commun. J'ai l'habitude de la coconstruction. Le code de la justice pénale des mineurs en est un exemple : il a été voté au Sénat par une majorité qui n'est pas celle à laquelle j'appartiens. J'ai soutenu avec enthousiasme la proposition de loi de Mme Billon. Le texte relatif aux conditions indignes de détention est le fait du président François-Noël Buffet.

Je ne désespère pas de vous convaincre. Un certain nombre de mesures – les unes petites mais pragmatiques, les autres de grande plus importance – vont dans le bon sens. La justice a besoin de se moderniser. Je la veux plus fluide, plus efficace et plus protectrice. Tel est mon but, et je pense qu'il peut nous être commun.

Monsieur Latombe, s'agissant du numérique, nous entendons « mettre le paquet ». Nous avons en effet conscience qu'il reste beaucoup à faire. La Cour des comptes, qui n'a pas été tendre avec nous, a noté quelques progrès, tout en considérant qu'il fallait continuer à avancer.

J'ai désigné un secrétaire général adjoint, ancien procureur à Amiens et qui était très impliqué dans le numérique, en particulier la procédure pénale numérique (PPN). Il se consacre exclusivement à l'évolution du numérique. Nous allons renforcer les réseaux et désigner un référent numérique dans chaque juridiction. De l'argent sera également débloqué, car la simplification, la fluidité et la rapidité de la justice passent par le numérique.

En 2023, les projets prioritaires du ministère sont la poursuite de la PPN, de Portalis, de l'application de stockage, de traitement et de restitution des antécédents judiciaires (ASTREA) – qui permet la modernisation du casier judiciaire national – et ATIGIP 360, plateforme qui permet aux avocats de prendre connaissance des TIG disponibles et d'en proposer eux-mêmes.

Le TIG est une peine déjà ancienne, qui a fait ses preuves, mais il faut veiller à lui donner du sens. En dépit des efforts très importants que nous avons faits pour relancer le TIG, on constate qu'il est de moins en moins prononcé. Dans ma circulaire de politique pénale générale, je demande donc qu'on accorde davantage d'attention au TIG, car c'est une peine qui fonctionne. Pour certains jeunes, il s'agit de la première expérience de travail.

Vous avez pris connaissance des arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet des données de connexion. Nous travaillons de très près sur cette question, parce que les forces de sécurité intérieure et les magistrats ont besoin de ces données. Plus de 60 % des procédures en matière pénale connaissent un épilogue grâce à elles. Il n'est donc pas question que nous abandonnions ces données. Jusqu'à présent, tout a été préservé, notamment grâce au travail tout en finesse du Conseil d'État. De nouveaux arrêts de la Cour de cassation sont intervenus ; nous les prenons en considération et nous travaillons sur la question. Je surveille cela comme le lait sur le feu. Si vous avez des idées à faire valoir, elles sont les bienvenues. Je le répète : ma porte est toujours ouverte pour construire – pas pour la critique nihiliste, qui est lassante.

J'ai grand plaisir à vous retrouver, madame Untermaier. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, ce qui prouve qu'un certain nombre de sujets dépassent les clivages politiques. La coconstruction avec le Parlement est essentielle à mes yeux ; je pense l'avoir démontré. Nous allons travailler en étroite concertation avec le Parlement et même vous présenter tous nos projets de textes réglementaires, car il est extrêmement important que vous connaissiez nos objectifs. Tout ne provient pas du ministère. Je fais valoir certaines idées, mais d'autres sont inspirées des propositions recueillies auprès des uns et des autres. Certains d'entre vous ont d'ailleurs souligné avec beaucoup d'objectivité qu'il s'agissait d'une nouvelle manière de travailler et de recueillir l'assentiment. Lorsque j'aurai à présenter des textes législatifs, ce sera un atout de dire que tout le monde est d'accord avec les mesures proposées, qu'il s'agisse des magistrats et des greffiers ou des forces de sécurité intérieure. Tel était mon objectif avec les états généraux de la justice et je pense y être parvenu. Nous avons beaucoup travaillé et le Parlement sera associé de très près à la traduction de leurs propositions, car ils constituent notre bien commun.

Madame K/Bidi, la question de l'interprétariat se pose non seulement à La Réunion, mais aussi dans d'autres territoires – Mayotte, par exemple, est confronté à des problèmes particuliers sur le plan linguistique. Certes, l'enjeu n'est pas pris en compte en tant que tel, mais il est traité à travers l'augmentation des frais de justice, qui est notable et doit permettre aux chefs de juridiction territorialement compétents de régler ces difficultés majeures. Il ne saurait y avoir deux catégories de justiciables : ceux qui ont accès à la justice et ceux qui en sont écartés pour les raisons que vous avez évoquées.

Notre politique numérique n'oublie pas l'outre-mer : la PPN est opérationnelle à La Réunion et en Guadeloupe.

En ce qui concerne l'immobilier, une nouvelle cité judiciaire est en cours de construction à Mayotte. J'irai dans deux jours inaugurer un nouveau tribunal à Saint-Laurent-du-Maroni, ainsi qu'une nouvelle prison prochainement à Koné. Nous voulons aussi créer une task force pendant cinq à six mois pour augmenter le nombre de magistrats à Mayotte et en Guyane. Ces deux départements ont des problèmes d'attractivité et je considère qu'ils devraient constituer des tremplins pour la carrière des magistrats et des greffiers qui vont y travailler. Ces mesures feront l'objet d'une déclinaison plus précise et je propose de vous recevoir à la Chancellerie pour exposer très précisément notre programme en ce qui concerne l'outre-mer.

Monsieur Pradal, des mesures ont été prises pour faire baisser le nombre des rendez-vous non honorés par les personnes placées sous main de justice lorsqu'elles reçoivent une convocation des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Le bilan de ces mesures est bon, puisque, dans les endroits où elles ont été mises en œuvre, on constate une baisse d'environ 40 % des rendez-vous non honorés. Cela démontre l'efficacité et la pertinence de l'outil, mais il est encore trop tôt pour disposer d'un bilan d'ensemble. L'envoi de SMS est réalisé dans six départements – les Hauts-de-Seine, l'Eure-et-Loir, Paris, le Maine-et-Loire, le Rhône et le Gers. Au 15 septembre, 19 000 SMS de rappel ont été envoyés à plus de 11 500 personnes. Le site www.justice.fr fournit en outre à tous un maximum d'informations sur les condamnations, les peines et le déroulement des procédures d'aménagement. Des compléments d'information sont en train d'y être intégrés, avec par exemple l'indication par territoire de l'adresse précise du SPIP et de ses horaires d'ouverture.

Vous connaissez les annonces que j'ai faites s'agissant de la revalorisation des traitements des magistrats de l'ordre judiciaire, monsieur Iordanoff. Le montant est important, avec environ 1 000 euros brut mensuels. Ces magistrats n'avaient pas été revalorisés depuis 1996. La mesure que je propose n'est donc que justice. Ils sont moins payés que les magistrats de l'ordre administratif et, comme on souhaite que certains de ces derniers rejoignent l'ordre judiciaire à la faveur des nouvelles embauches, il fallait résoudre la question de l'attractivité.

Quant aux greffiers, j'ai effectué des annonces les concernant ce matin. Nous avons mis en œuvre une importante revalorisation indemnitaire pour les greffiers, qui se poursuivra en 2023. Cela représente 6 millions d'euros en 2021, 22 millions d'euros en 2022 et 10 millions en 2023. Nous souhaitons aller encore plus loin car les greffiers ne disposent pas de la possibilité d'accéder à la catégorie A au cours de leur carrière. Dans le cadre des réflexions sur le fonctionnement des juridictions et sur la nécessité de recentrer le magistrat sur son cœur de métier, nous réfléchissons à la création d'un corps d'agents de catégorie A pour l'assister – il s'agit de créer une équipe autour du magistrat. Cette idée consensuelle fait son chemin. Les greffiers qui le souhaitent et qui en ont les compétences pourront accéder à ce corps. Pour ceux qui resteraient greffiers, nous envisageons de faire évoluer leur statut afin de rendre plus attractif ce métier exigeant.

J'aurai l'honneur de détailler très précisément les mesures prises par le Gouvernement à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances. Il était extrêmement important que personne ne soit oublié lors des arbitrages : ni les magistrats, ni les greffiers, ni les agents administratifs, ni le personnel pénitentiaire.

Je partage votre avis en ce qui concerne la sobriété législative, monsieur Warsmann. Tout sera fait pour réduire la production normative. Cela étant, comme je l'ai fait observer à un magistrat qui s'étonnait, lors d'une discussion à la Chancellerie, que nous préparions un nouveau texte, il faudra bien en passer par la loi pour simplifier la procédure pénale. C'est paradoxalement une forme d'inflation des textes, mais avec pour objet la déflation législative. L'évolution des dispositions réglementaires ira également dans le sens d'une simplification.

Quant à l'INSERRE dont la construction est prévue à Donchéry, je vous confirme qu'elle aura bien lieu. Quand le bâtiment aura vu le jour, vous en avertirez M. Ciotti.

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