Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mardi 26 septembre 2023 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Sébastien Lecornu, ministre :

Monsieur François, vous m'avez interrogé sur la démission du ministre de la défense de l'Ukraine. Je n'entrerai pas dans des questions relatives à la vie politique de ce pays. Les Ukrainiens ont une justice, un contrôle médiatique et politique, qui a l'air de s'exercer plus fortement qu'en Russie, et un Parlement ; cette démission est leur affaire. Je me réjouis, en revanche, du travail que j'ai pu accomplir avec le ministre Reznikov.

S'agissant, plus globalement, de la lutte contre la corruption dans le cadre de nos cessions et ventes d'armes à l'Ukraine, nous avons développé plusieurs systèmes de contrôle avec les Américains, car il faut s'allier pour être puissant dans ce domaine – sinon les stratégies de contournement et de dérivation risquent de se multiplier. Nous avons agi en ce sens dès le début, dans le format dit « de Ramstein », et les systèmes de contrôle qui ont été mis au point sont très performants. C'était une condition préalable pour le Congrès américain, comme pour nous.

Par ailleurs, nous évitons les montages compliqués. Jusqu'à présent, soit nous avons cédé du matériel nous-mêmes en assurant une traçabilité – je ne rentrerai pas dans les détails – soit nous avons agi dans le cadre du fonds de soutien dont M. Haddad et d'autres députés ont obtenu l'inscription dans la loi de finances l'année dernière, et il y a également dans ce cas un schéma assurant la traçabilité.

Troisièmement, j'ai renforcé la mission de défense à Kiev, ce qui était urgent. Notre attaché d'armement travaille au quotidien sur ces questions, en lien avec les forces armées ukrainiennes. Malgré toutes les limites qu'on peut rencontrer dans un pays en guerre, le contrôle est robuste pour l'instant.

La vraie question, plus globale, est celle du sort de cette zone, notamment sous l'angle de la dissémination des armes, qu'elles soient russes ou ukrainiennes, et du déminage. Quand on voit où on en est encore en Bosnie-Herzégovine, il y a de quoi avoir froid dans le dos. Au passage, je le dis devant la représentation nationale, nous avons des entreprises françaises spécialisées dans le déminage.

Madame Pic, s'agissant des pouvoirs de l'instance parlementaire prévue par la LPM, je ne reviens pas sur ce qui a été décidé par la commission mixte paritaire. Je note qu'on s'intéresse beaucoup aux procédures de contrôle, mais qu'on peut aussi avancer à l'épreuve du réel, en travaillant sur les thématiques de contrôle, et que cette audition est publique – on n'avait jamais fait autant d'efforts en matière de transparence depuis le début de la Ve République, qui ne date pas d'hier. Pour ce qui est de la doctrine, je ne sais plus où vous en êtes, au parti socialiste – j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas forcément d'accord au sein de la NUPES au sujet du rôle du Parlement et de l'exécutif –, mais il me semble que vous étiez historiquement en faveur de l'article 20 de la Constitution, contrairement à M. Saintoul, par exemple. Ces questions nous rajeunissent de plusieurs semaines, puisqu'elles nous renvoient aux débats sur la loi de programmation militaire.

M. Meizonnet m'a demandé si nos capacités à l'export dépendront de l'Allemagne. Cela n'arrivera jamais, je l'ai déjà dit au moins trente-cinq fois. On peut en faire un thème de campagne pour les élections européennes, mais alors c'est une autre question. Certains peuvent trouver, même si je combats cette idée, que le Parlement français ne contrôle pas suffisamment a priori la délivrance de licences d'exportation ; en revanche, on ne peut pas laisser entendre que le Bundestag aurait la possibilité d'empêcher l'octroi de licences d'exportation pour des armes françaises. Je l'ai dit lors des débats sur la loi de programmation militaire, l'Allemagne n'aura pas de droit de veto sur nos exportations d'armes. C'est un élément bien connu, de même que certains aspects intangibles de nos programmes. Le SCAF permettra d'emporter la bombe nucléaire française : l'Allemagne ne vient pas de découvrir que nous sommes une puissance dotée, pas plus qu'elle ne vient de découvrir que nous exportons des armements. Les accords conclus permettent de s'en assurer. S'il devait y avoir des manquements, des contrariétés diverses et variées sur ce plan, cela mettrait fin aux projets. Ce n'est pas la peine de nous faire passer pour des naïfs – je le dis parce qu'il arrive que le député Jacobelli s'y emploie.

Oui, l'Allemagne achète américain, depuis les années soixante et pour une raison simple : ce pays s'est placé sous le parapluie nucléaire américain. C'est un constat, qui ne fait pas l'objet d'un clivage entre nous, car nous ne faisons pas de la politique en Allemagne. En revanche, j'ai du mal à comprendre ce que vous proposez. On ne change rien ? On essaie de reconquérir des parts de marché ? Ou on se contente de dénoncer le fait que les Allemands n'achètent pas chez nous ? Nous tentons quelque chose. Il n'y a pas plus gaulliste que moi – je suis sûrement le moins européen des membres de ce gouvernement, c'est connu et je l'assume. Nous ne nous engageons pas dans le SCAF ou le MGCS en trahissant notre souveraineté. Seulement, à nous d'être bons.

Monsieur Haddad, la question de la soutenabilité de la Facilité européenne pour la paix (FEP) se pose, car le conflit va durer. Il faut donc que les instruments de soutien soient endurants. Sinon, ce ne sont que des effets d'annonce, des promesses qui n'aident pas l'armée ukrainienne. Il faudra ainsi avoir une vraie conversation entre Européens. Comme nous sommes un gros contributeur de la FEP, la question de la soutenabilité se pose aussi pour nous-mêmes, et c'est également pour cette raison que je veux que les industriels entrent dans la partie.

L'armée ukrainienne, quant à elle, doit être capable de définir ses besoins de manière précise. C'est le cas, objectivement, mais elle doit peut-être s'inscrire dans une logique davantage pluriannuelle, hélas, ce qui est nouveau. Cette évolution a un impact sur les programmes de production et, potentiellement, sur les finances publiques, mais elle crée, par ailleurs, des opportunités : pour certains équipements qui arriveront à obsolescence pendant la période couverte par la LPM, la programmation pourrait éventuellement être mise à jour en ce sens qu'on retirerait du matériel ancien qui ferait plus vite l'objet d'une recomplétude, au profit de matériel neuf ou de nouvelle génération. On peut penser, par exemple, à la transition entre les VAB et le Griffon dans le cadre du programme Scorpion.

Nous sommes le pays occidental qui se pose le plus la question de la pluriannualité – il faut dire que nous avons cette culture, tout à fait unique au sein de l'OTAN, grâce à nos lois de programmation militaire – et je crois que nous rendons service à nos amis ukrainiens en le faisant. Notre méthodologie a aussi du bon pour la construction de l'aide à l'Ukraine.

Monsieur Giletti, vous avez eu raison de souligner que les besoins en matière de mobilité militaire n'ont jamais été aussi évidents. C'est vrai pour tous les théâtres, l'Afrique, l'Indo-Pacifique et même l'outre-mer, pour la gestion de certaines crises, et il s'agit d'une des faiblesses potentielles de l'OTAN à l'heure actuelle. Des questions logistiques se poseraient si on devait très vite monter en puissance en Roumanie, pour déployer une brigade ou une division.

La cible d'au moins trente-cinq A400M qui est prévue par la LPM est-elle la bonne ? Oui, je l'ai déjà dit, compte tenu des contrats opérationnels. J'ai hâte que les acquisitions d'avions en cours arrivent à leur terme, car elles vont nous redonner de l'oxygène. Entre les outre-mer, la situation en Afrique et l'aide humanitaire en Libye, l'activité opérationnelle des A400M est assez intense.

Oui, nous avons des prospects, mais cette audition est publique et je voudrais laisser ses chances à Airbus. L'évacuation menée en Afghanistan dans des temps records a été, je l'ai dit, un succès pour l'A400M. Je pense que tous les pays dotés de cet avion ont envoyé, autant que possible, un appareil à l'aéroport de Kaboul, et les autres nous ont regardés en se disant que c'était quand même intéressant. Il existe donc des prospects en Europe, dans un grand pays qui pourrait avoir quitté l'Union européenne récemment, et dans le Golfe. C'est un sujet plus consensuel que d'autres, car ce genre d'avions, dans beaucoup de pays, sert aussi, selon des modalités un peu différentes, pour des missions de sécurité civile. En la matière, si on est honnête, il faut reconnaître que les Allemands viennent de donner un sérieux coup de pouce à l'A400M en matière d'export, et je suis sûr que nous nous en réjouissons tous.

Madame Galzy, je n'ai pas compris votre crainte. S'agissant des équipements terrestres, il n'y a pas de production qui diminue.

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