Intervention de Jérôme Guedj

Séance en hémicycle du lundi 30 octobre 2023 à 15h00
Motions de censure — Discussion commune et votes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Guedj :

Et voici désormais une nouvelle guerre, avec déjà des milliers de victimes civiles parmi la population de Gaza, tuées ou blessées lors de l'intervention militaire israélienne ; l'absence de cessez-le-feu et de trêve humanitaire, un blocus renforcé, tant du côté israélien que du côté égyptien, qui prive les populations des ressources nécessaires pour vivre. Tout est effrayant, déprimant, désespérant.

Une ligne de crête existe, fragile mais nécessaire : il nous faut condamner les terroristes du Hamas et souligner la nécessité de mettre un terme définitif à leur entreprise mortifère ; reconnaître le droit indéfectible d'Israël à l'existence et à la sécurité, qui doit s'exercer dans les limites du droit international et du droit humanitaire de la guerre ; le droit imprescriptible des Palestiniens à disposer enfin de leur État, ce qui suppose la fin de la colonisation et nécessitera la démocratisation de leurs institutions ; et dans l'immédiat, évidemment, le droit à la protection pour les populations civiles à Gaza. Nous pleurons chaque victime civile.

Dans ce contexte, notre après-midi jouée d'avance pourrait paraître bien dérisoire et insignifiante. Et pourtant, nous sommes là. Même imparfaite et cadenassée par les outils de la Ve République comme le 49.3, la démocratie nous oblige – plus encore quand tant la piétinent, elle et ses valeurs, aux quatre coins du monde. La politique doit demeurer, ou redevenir, l'espace de la dispute apaisée. Elle ne doit jamais céder aux sirènes de la violence : il faut aller à rebours de la tentation de l'hystérisation et de la conflictualisation, terrains dangereux quand tout est à ce point inflammable, et d'un manichéisme qui fait perdre la raison et où l'intelligence et la complexité s'abîment.

C'est dans cet état d'esprit que je me présente devant vous, lucide sans être résigné, exigeant comme tout universaliste républicain, pour jouer mon rôle de parlementaire et soutenir la lettre et l'esprit de cette motion de censure.

Les 49.3 se suivent et se ressemblent. Vous y avez eu recours deux fois déjà : une fois sur le PLF et une fois sur le PLFSS – peut-être à nouveau tout à l'heure, sur sa troisième partie. Qu'il est loin, madame la Première ministre, le temps où vous nous parliez de coconstruction et de recherche de compromis. Il y a tout juste six mois, vous nous promettiez cent jours d'apaisement ; depuis, vous n'avez fait qu'accentuer l'épuisement. Pour la première fois, le PLFSS a été rejeté en commission des affaires sociales. Même les députés de votre majorité n'étaient pas pleinement mobilisés, preuve qu'ils n'étaient pas totalement convaincus par le budget proposé. Comment les en blâmer ? Il n'est pas convaincant.

Pour que la démocratie fonctionne, vous nous devez la transparence. Vous aimez beaucoup utiliser l'article 49, alinéa 3, de la Constitution ; permettez-moi d'en citer un autre, l'article 24, alinéa 1, que vous semblez avoir oublié : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » Pour ce faire, nous avons besoin de transparence.

Si vous n'êtes pas transparents avec les députés, c'est que c'est flou, comme je l'ai déjà dit dans cet hémicycle. Et quand c'est flou, il y a un loup. Dans votre PLFSS, il y en a plusieurs. Il nous revient donc d'utiliser ce débat relatif à la motion de censure pour recevoir de votre bouche, madame la Première ministre, les réponses que le débat parlementaire n'a pas fournies, faute de temps, mais surtout faute de volonté d'être transparent. Je vais donc vous poser quatre questions très précises.

Nous vous demandons ainsi la transparence sur l'Ondam, le budget de l'assurance maladie. C'est couru d'avance : celui que vous avez arrêté ne sera pas suffisant pour faire face à la crise inflationniste. Comme en 2023, il plongera dans le rouge les établissements hospitaliers, les Ehpad, les services et les établissements médico-sociaux. Il en a beaucoup été question dans cet hémicycle : entendez la Fédération hospitalière de France qui, comme l'an dernier, vous alerte sur ces insuffisances. Pire encore : l'an dernier, déjà, vous aviez refusé de prévoir des moyens suffisants, ce qui vous a contraints à procéder en cours d'année à des rectifications, insuffisantes elles aussi. Ma question est simple : quel sera le montant de la rallonge que vous devrez immanquablement apporter, comme vous le faites pour l'exercice 2023 ? Pourquoi ne pas le prévoir dès à présent ?

Nous vous demandons également la transparence sur la ponction de l'Agirc-Arrco. J'ai plusieurs fois posé la question, mais Thomas Cazenave n'y a pas apporté de réponse : si la négociation entre les partenaires sociaux que vous appelez de vos vœux n'aboutit pas, prendrez-vous un décret de carence pour imposer cette ponction ? Dans l'affirmative, quel en sera le montant ?

De même, sur les franchises médicales vous nous devez la transparence. En commission des affaires sociales comme dans la discussion générale en séance, le ministre de la santé nous a dit avec beaucoup de franchise qu'il souhaitait que le débat ait lieu ; malheureusement, cela n'a pas été le cas. L'Ondam, tel qu'il est prévu, intègre toujours 800 millions d'euros consacrés au doublement des franchises médicales et des participations forfaitaires. Dans l'hémicycle, personne n'a osé dire avec clarté si cet impôt sur la maladie serait doublé ou non ; dans l'affirmative, aucune date n'a été précisée. Ma question est simple : allez-vous prendre, avant la fin de l'année ou en début d'année prochaine, un décret permettant le doublement de ces franchises médicales ? Allez-vous assumer cette position ? Si vous ne le faites pas – ce que nous souhaitons –, dites-nous où vous comptez faire des économies pour tenir cet Ondam tel qu'il est prévu, diminué de ces 800 millions.

Enfin, notre quatrième question concerne la loi « grand âge » ; sur ce sujet, nous tournons autour du pot et cela devient fatigant. Madame la Première ministre, il paraît que vous cherchez des sujets de travail transpartisans. Toutes les semaines, à l'occasion des questions au Gouvernement, vous constatez que la situation des Ehpad, des services à domicile et de l'accompagnement des personnes âgées est un sujet de préoccupation sur tous les bancs. Le 11 avril, les députés ont adopté à l'unanimité un amendement à la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, dite bien vieillir ; cet amendement visait à demander une loi de programmation pour le grand âge. En effet, tout le monde a compris qu'un tel vecteur juridique est indispensable pour déployer une vision prenant en considération les besoins, pour décliner les différentes propositions figurant dans le rapport de ma collègue Christine Pires Beaune et ainsi progresser.

En avril dernier, Boris Vallaud, le président du groupe Socialistes et apparentés, vous a écrit pour vous proposer un travail transpartisan. Il n'a pas reçu de réponse ; j'en ai informé le ministre chargé des relations avec le Parlement. Je profite de cette intervention à la tribune pour vous poser cette question très claire : dans quelques jours, la ministre des solidarités et des familles doit présenter une feuille de route pour le bien vieillir ; l'autoriserez-vous à préparer, avec les autres ministres concernés, une loi de programmation pour le grand âge – comme elle semble en avoir très envie ? Une annonce en ce sens serait utile.

Si vous n'êtes pas transparents sur ce que vous allez faire, laissez-moi l'être à propos de ce que nous aurions fait. Pendant les débats, de nombreux intervenants nous ont reproché de ne pas présenter de PLFSS alternatif ; il se trouve que nous en avons un. Face à l'urgence qui frappe tous les professionnels de santé, vous avez décidé d'apporter une réponse double : l'injustice et l'austérité. Notre réponse est double également : la responsabilité et l'audace.

La responsabilité consiste à changer de paradigme, en gouvernant par les besoins plutôt que par l'obsession de la seule maîtrise comptable et budgétaire.

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