Intervention de Philippe Pradal

Réunion du mercredi 4 octobre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Pradal :

Le texte que nous examinons aborde un sujet important, celui des mineurs non accompagnés, auxquels nos concitoyens sont attentifs.

Rappelons quelques principes. Tout d'abord, notre philosophie générale envers les mineurs – accueillir et protéger des enfants qui arrivent seuls sur notre territoire – relève d'une évidence qui doit être manifeste sur tous les bancs. Nous avons en la matière, bien sûr, des engagements internationaux, européens et constitutionnels que nous devons respecter, mais aussi, en premier lieu, un devoir humanitaire. Un mineur non accompagné est, avant tout, un enfant.

Au cours des dernières années, nous avons renouvelé les modalités d'évaluation de la minorité par un arrêté de 2019, nous avons codifié la justice pénale des mineurs, grâce notamment à M. Jean Terlier et à Mme Cécile Untermaier, et nous avons adopté la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui autorise dans certains cas la prise d'empreintes sans consentement. Le rapport d'information de nos prédécesseurs Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, expose la double nécessité de remplir notre devoir humanitaire et de nous doter de moyens d'identification et, éventuellement, de répression des jeunes isolés, afin de s'assurer que seuls les mineurs bénéficient de la protection qui leur est due. Il évoque ainsi l'entrée en vigueur en 2019 d'un fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, créé en application de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite asile et immigration. Ce fichier national, mis à la disposition des départements, répertorie toutes les personnes ayant sollicité une prise en charge de l'ASE ; il contient notamment les empreintes digitales et permet donc d'identifier les personnes et de connaître la durée séparant deux demandes d'évaluation.

Le recours aux tests osseux intervient donc à la fin de l'enquête sociale, sur autorisation des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Depuis de nombreuses années ils font l'objet de débats : non seulement ils posent la question du respect de l'intégrité physique, que nous défendons, mais tous les acteurs médico-sociaux s'accordent aussi sur leur peu de fiabilité. Or, au regard des conséquences induites, il est indispensable d'établir scientifiquement un résultat certain. Pourtant, quel que soit le référentiel utilisé, les mesures d'ossification du cartilage de croissance connaissent une marge d'erreur particulièrement élevée entre 16 ans et 18 ans. Déjà peu fiables sur un public européen, les tests osseux le sont encore moins s'agissant de jeunes non caucasiens arrivés dans notre territoire après des mois ou des années d'errance et de souffrance. L'Académie de médecine et le CCNE ont plusieurs fois souligné le manque de fiabilité médicale de ces tests chez les jeunes de plus de 15 ans, en particulier les garçons, et le risque d'erreur juridique qu'entraînent les fausses déclarations de majorité.

La proposition de loi du groupe Rassemblement national vise à placer les tests osseux au cœur du processus d'estimation de l'âge et à conditionner la prise en charge des jeunes concernés à leur réalisation, ainsi qu'à instituer une présomption de majorité pour ceux qui refuseraient de s'y soumettre. Le groupe Horizons et apparentés y est fermement opposé. D'une part, l'enjeu de l'évaluation est potentiellement la protection d'un enfant seul dans un pays qu'il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue. Il serait surprenant que des parlementaires établissent comme seul moyen de preuve un test dont la fiabilité scientifique est contestée. D'autre part, le Conseil constitutionnel a expressément rappelé le caractère fondamental de certains droits que ce texte méconnaît, comme l'intervention d'un juge.

Le groupe Horizon et apparentés est convaincu que la présence de mineurs non accompagnés, ou de jeunes qui se présentent comme tels, mérite une réponse ferme mais juste. Elle doit être élaborée, efficace et respectueuse de nos droits fondamentaux et ne peut donc reposer sur des tests peu fiables. Nous voterons donc contre cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion