Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du jeudi 6 octobre 2022 à 15h00
Lutte contre les abus et les fraudes au compte personnel de formation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

Je remercie le groupe MODEM de mettre à l'ordre du jour des travaux du Parlement la lutte contre le harcèlement téléphonique et numérique. Il s'agit d'un combat que nous sommes plusieurs à mener ici depuis quelques années.

« Bénéficiez d'une formation 100 % prise en charge par l'État. Vérifiez votre éligibilité » ; « Urgent. Vous allez perdre vos droits CPF. Consultez votre budget et réclamez votre formation 100 % prise en charge. » : voilà deux exemples de messages reçus par certains de nos concitoyens. Lutter contre la fraude au compte personnel de formation et interdire le démarchage le concernant relèvent du bon sens.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui part donc d'une bonne intention. Hélas, les méfaits dont nous débattons aujourd'hui étaient parfaitement prévisibles. Lors de l'adoption de la loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux en 2020, qui interdisait le démarchage téléphonique dans le seul domaine de la rénovation énergétique, les Écologistes avaient alerté le Gouvernement sur cette faille béante du texte. Il y avait fort à parier, disions-nous alors, que le harcèlement téléphonique se déploierait dans un autre domaine. Nous y sommes ! La même question se pose aujourd'hui avec la proposition de loi : le CPF est-il le seul secteur d'activité qui donne lieu à un déluge intempestif d'appels téléphoniques et de SMS ? La réponse est non.

Chers collègues, les citoyennes et les citoyens excédés attendent une protection globale contre le harcèlement commercial intrusif que constitue le démarchage téléphonique. Tout démarchage téléphonique est abusif. Les Français attendent que la loi mette fin à l'invasion des sollicitations commerciales à toute heure du jour et parfois même de la nuit.

L'approche développée par la proposition de loi – que nous soutiendrons, bien entendu, car elle constitue un progrès – s'inscrit malheureusement dans la continuité du travail parlementaire depuis deux ans. Le code de la consommation prévoit désormais l'interdiction du démarchage téléphonique pour la rénovation énergétique et les énergies renouvelables. Le code des assurances a intégré, en 2021, la régulation du démarchage pour les contrats d'assurance. Aujourd'hui, nous nous apprêtons à intégrer, dans le code du travail, l'interdiction du démarchage pour le CPF. Nous nous réjouissons de cette nouvelle avancée, mais nous regrettons que rien ne soit fait au sujet d'autres pratiques massives et nocives. Les démarcheurs, les arnaqueurs et les fraudeurs n'auront qu'à se reporter demain sur un nouveau terrain de harcèlement.

Le démarchage téléphonique a des conséquences graves sur la société, car il affecte la santé morale et mentale des individus, les relations sociales et la sécurité, notamment celles des personnes les plus vulnérables. Dans un territoire rural comme le mien, les personnes âgées coupent le téléphone pour ne pas être harcelées et ne sont donc plus joignables par les services de santé. Dans notre République, chacun a droit à la tranquillité et à une vie privée. Chacun a le droit de ne pas être dérangé chez lui de façon intempestive. Sur ce sujet concret, nous aspirons tous à une forme de sobriété.

Si la représentation nationale n'est pas capable de mettre fin à un problème aussi simple que celui du démarchage téléphonique par crainte de froisser les intérêts économiques des centres d'appels, comment pourra-t-elle relever le défi du changement climatique et s'opposer à l'industrie des énergies fossiles ? Le seul argument avancé depuis des années contre l'interdiction du démarchage téléphonique commercial était précisément celui-là : « Évitons de nuire à l'activité économique. »

Les centres d'appels ont le bras long. Plus de deux ans après l'adoption de la loi censée encadrer les horaires des appels non sollicités pour prospection commerciale, le décret d'application n'a toujours pas été publié. Pis, le projet de décret envisagé par le Gouvernement délivre un permis de harcèlement en autorisant les appels intrusifs les lundis, mardis, mercredis, jeudis et vendredis de neuf heures à dix-neuf heures, avec une pause pour le déjeuner, et les samedis de dix heures à douze heures et de quatorze heures à dix-huit heures – ce qui représente au total une plage horaire de cinquante heures par semaine ! Ce décret légalise aussi le droit de rappeler quatre fois par mois une personne qui a refusé une offre commerciale au premier appel.

Là où le législateur cherchait à limiter, réduire et encadrer, le Gouvernement défend jusqu'à la caricature les intérêts des centres d'appels. C'est la raison pour laquelle les Écologistes présenteront un amendement visant à élargir l'application de cette excellente proposition de loi et à interdire toute forme de démarchage téléphonique sauf consentement exprès des citoyennes et des citoyens.

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