Intervention de Bertrand Charmaison

Réunion du jeudi 13 juillet 2023 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bertrand Charmaison, directeur de l'Institut de recherche I-Tésé, CEA :

. – J'ai l'honneur de vous présenter ce travail réalisé par l'équipe autoproclamée « Ligue des justiciers de l'IHEST ». Nous allons aborder la justice climatique sous l'angle du droit, avec pour question : est-ce que la justice sous l'angle des procès peut être un outil efficace pour lutter contre le changement climatique ?

Notre rapport présente une fresque de la justice climatique, mettant en parallèle l'avancée des sciences, de la politique et du droit sur cette question. L'effet de serre évolue depuis deux cents ans et les connaissances ont progressé avec le GIEC dont les travaux font consensus dans la communauté scientifique et ont permis de documenter l'impact du changement climatique, son amplitude, ses effets à venir et les moyens de le mitiger.

La sphère politique s'est emparée du sujet avec différents congrès, notamment à Kyoto et Rio. Le point le plus marquant reste les accords de Paris en 2015 où 193 États se sont engagés collectivement à faire le nécessaire pour éviter un réchauffement de plus de 2 degrés, en visant 1,5 degré, et à prendre des engagements qui devront être traduits dans les législations nationales sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre et le suivi de ces émissions.

La justice climatique entre ensuite en jeu avec différents procès, dont un premier en 2019, conclu par la condamnation de l'État néerlandais dans l'affaire Urgenda. De même que le changement climatique s'accélère, la justice climatique s'accélère. Plus de 2 600 procès climatiques ont eu lieu ou sont en cours dans le monde, essentiellement aux États-Unis, même si c'est plutôt en Europe que les actions aboutissent.

Les procès climatiques concernant un problème mondial, une juridiction supranationale pourrait être envisagée. Ce n'est pas le cas. La justice climatique se dit devant des tribunaux nationaux. Des cadres législatifs se sont mis en place dans un certain nombre de pays. Les requérants sont pour la plupart des associations, des ONG, des collectivités locales, des personnes physiques qui attaquent soit les États, pour ne pas avoir tenu les engagements pris dans la loi, soit les entreprises.

Une gradation existe. Les procès ne se font pas uniquement sur les engagements non tenus, mais aussi sur les trajectoires ne permettant pas de tenir les engagements, comme pour l'affaire Grande-Synthe où le juge a estimé, sur la base des trajectoires, que les engagements à l'horizon 2030 ne seraient pas tenus. Il a demandé à l'État français de faire plus pour tenir ces engagements.

La prise en charge des engagements est aussi visée dans l'affaire des « jeunes Allemands ». Le Parlement allemand avait voté une loi prévoyant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l'horizon 2030. Un collectif de jeunes Allemands l'a attaquée devant la Cour fédérale, avançant que cette loi ne respectait pas la Constitution allemande qui garantit, d'une part, la protection de la nature, d'autre part le respect des générations futures. Le Tribunal constitutionnel allemand a jugé que même s'il n'est pas directement inscrit dans la Constitution, le respect de l'Accord de Paris et de l'engagement de 1,5 degré était sous-jacent et s'imposait au législateur. Il a également jugé que l'effort défini par les parlementaires, avec une première baisse de 55 % puis des baisses complémentaires, faisait peser trop de responsabilités sur les générations futures. Les efforts devant être partagés, la loi a été retoquée et le Parlement allemand a dû adopter une nouvelle loi avec des objectifs relevés à 65 %.

Pour les entreprises, l'enjeu est celui de l'acceptation des émissions produites. La plupart des procès se font contre les Carbon Majors qui vendent du gaz ou du pétrole. La question est de savoir s'il faut comptabiliser ou non les émissions dues à ces produits dans les engagements que prennent ces entreprises. Assez peu de jugements sont en faveur des requérants, hormis un contre-exemple récent aux Pays-Bas, où Royal Dutch Shell a été condamné en première instance à réduire ses émissions de 45 % à l'horizon 2030 pour l'ensemble de ses filiales dans le monde en intégrant le Scope 3. Le jugement est en appel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion