Intervention de Pascale Léglise

Réunion du mardi 13 juin 2023 à 17h05
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Pascale Léglise :

Nous avions effectivement souhaité moderniser l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qui remontait à 1936 et qui était donc daté à différents égards. La rédaction permettait de dissoudre les associations et groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Ce sont des mots d'un autre temps. Nous avons notamment ajouté aux « manifestations armées » un critère consistant en des « agissements violents ». Nous avions malgré tout utilisé l'ancienne disposition au préalable. Pour dissoudre les associations d'ultra droite comme Troisième Voie et les Jeunesses nationalistes, nous nous étions fondés sur la disposition de provocation à des manifestations armées dans la rue.

Mais les termes essentiels « dans la rue » ou « espaces publics » ne permettaient pas de décider d'une dissolution à la suite d'agissements violents contre les personnes et les biens dans des lieux privés, comme des bars associatifs ou des salles de réunion. C'est la raison pour laquelle il était apparu nécessaire de modifier cette disposition pour ajouter « contre les personnes et les biens » et supprimer « dans la rue » pour pouvoir attraire des situations différentes. Nous savons que ces associations se battent avec d'autres groupuscules dans d'autres lieux que la rue.

Par conséquent, l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure débute désormais de la manière suivante : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens (…) »

Vous m'avez également interrogée sur le bilan. Depuis 2021, nous avons dissous onze associations sur ce fondement. Comme vous l'avez souligné, nous avons rencontré des réussites, mais aussi des difficultés. Le principal obstacle à surmonter concerne la mention « qui provoquent à ». En effet, il n'est pas toujours facile d'utiliser cette notion. Certaines associations visent explicitement à provoquer des agissements violents. Cependant, la plupart du temps, la provocation est implicite, indirecte et presque subliminale. Mais tant pour l'émetteur que pour le récepteur, elle est évidente. Il suffit pour s'en convaincre de lire les commentaires qui succèdent à la parution du message provocateur sur internet ou les réseaux sociaux. Notre travail consiste donc à convaincre le Conseil d'État qu'il n'existe pas uniquement de la provocation directe, mais aussi la provocation implicite et indirecte. Celle-ci est d'ailleurs admise par la jurisprudence judiciaire et par la Cour de cassation, qui considère la provocation à des agissements violents comme une incrimination pénale. Naturellement, il faut agir au cas par cas, pour effectuer un décryptage précis des agissements de l'association

Le fait qu'une association en félicite une autre sur internet parce qu'elle a mis le feu à un commissariat en Corse constitue-t-il une provocation indirecte aux yeux du juge ? De notre côté, nous considérons qu'il s'agit d'une provocation, certes maline. On peut lire par exemple des commentaires comme le suivant : « Un poulet grillé, vous pouvez faire mieux. La semaine prochaine on vous amènera des frites ». Nous essayons de nourrir les dossiers afin de convaincre que les dissolutions répondent bien à de la provocation à des agissements violents.

Ensuite, se pose la question de la violence contre les biens alors que cette disposition a été souvent utilisée pour sanctionner les agissements violents contre les personnes. Ici aussi, la jurisprudence doit être sollicitée. Dans la dernière affaire que nous avons plaidée, au sujet de la dissolution du Bloc lorrain, le Conseil d'État nous a suivis en considérant que la publication de vidéos « illustrant des violences commises par des manifestants à l'égard des forces de l'ordre » constitue bien une provocation « eu égard au nombre et à la récurrence de ces publications », compte tenu de la « volonté explicite de légitimer les violences à l'égard des forces de l'ordre ».

Nous essayons de faire progresser la jurisprudence afin que les provocations retenues ne soient pas seulement explicites. La seule publication de vidéos de policiers en feu ou victimes de graves atteintes doit suffire, selon nous, à qualifier la provocation. Notre travail consiste à solliciter les textes et à les faire évoluer. Dans le cas du Bloc lorrain, le Conseil d'État a retenu « des écrits ou des communications, par leur caractère répété ou systématique, qui légitiment la violence dans les manifestations revendicatives en la présentant comme unique voie du militantisme et apportant son soutien à des personnes interpellées pour violences ». Il y avait débat sur la question de savoir si des messages avec un pouce levé ou un « bravo » pouvaient être caractérisés comme de la provocation. Il a fallu ferrailler pour convaincre, mais nous y sommes parvenus. Nous tentons de persuader le Conseil d'État du bien-fondé de nos mesures vis-à-vis d'autres associations, pour lesquelles le décret de dissolution avait été suspendu en référé.

La disposition est positive dès lors le champ d'application est explicite. Cependant, il est nécessaire de disposer d'une définition commune : le terme « provocation » doit être cerné en droit de la police administrative.

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